Ouvre le Chien est une association fondée en 1991, à l'initiative de son metteur en scène Renaud Cojo. Elle a pour but d'asseoir une démarche théâtrale à travers des spectacles, des interventions scéniques percutantes, inventives, en adéquation avec la réalité du monde contemporain.
D'emblée Renaud Cojo affirme la spontanéité de son langage en s'opposant aux mécanismes de la représentation du théâtre, pour une forme esthétique plus libre proche d'une certaine idée contemporaine d'un processus en mouvement.
Dés ses débuts, Ouvre le Chien révèle son goût pour une recherche formelle qui utiliserait des éléments non dramatiques dans l'organisation de son langage, et qui ferait référence à des problématiques d'aujourd'hui ("What in the (W)orld"-1994, et "Lolicom (Manga, Manga)tm"-1997). De même, en interaction avec des techniques et expressions contemporaines (infographie, vidéographie, musique électronique), elle continue d'explorer un champ d'action large dans lequel les éléments en présence se confondent au profit de la partition organique.
Renaud Cojo articule son travail autour d'une thématique complexe alliant des notions d'instinct, d'ambiguité, de fragmentation, d'ébauche ("Les Taxidermistes" -1992- "Maïakovski Nuage Tour"-1993- "Les Familiers" -1999)-, car le théâtre est entendu ici comme l'endroit de l'extrême et non du consensus. "Le théâtre doit être sauvage, aigu, impératif".
Depuis trois ans Ouvre le Chien se plonge dans les écritures fortes, en quête d'un absolu à révéler ("Pour Louis de Funès" de Valére Novarina -1998- "Phaedra's Love" de Sarah Kane -2000-). Le metteur en scène entend faire accepter ces idéaux aux spectateurs après les avoir puisés au plus lourd de ses rêves, quitte à utiliser l'inconfort à des fins créatrices. Il interroge le théâtre comme un media, vecteur de la radicalité. Cet "art du prolongement" sort de ses enclaves, il n'a plus qu'à être ce qu'il est : danger, désir, domaine de la distorsion, jouissance de l'existence qui se délivre. Cette démesure n'est pas qu'un rêve ou une rhétorique, elle accompagne l'experimentation quotidienne dans le travail de la compagnie.
Et pour aller plus loin:
http://www.ouvrelechien.com/Pages/tout.html?mainten.html avec la vidéo-démo d'Elephant people
UN PEU DE PHILOSOPHIE A PROPOS D'ELEPHANT PEOPLE
Sénèque au zoo de la télé-réalité
Par Olivier Razac, Le Nouvel Observateur, 17 Juillet 2003
Le problème posé par la télé-réalité n’est pas essentiellement esthétique ou moral, il est éthique. La télé-réalité n’est pas un simple effet de mode. Elle est un dispositif de contrôle social voué à s’installer. Un ensemble de programmes au fonctionnement et aux effets semblables. Il ne faut donc pas se laisser aveugler par les émissions les plus controversées et voyantes. Ce modèle technologique est aussi bien partagé par des reportages, des talk-shows ou des émissions de variété. Disons, le brutalement, la télé-réalité fonctionne comme un zoo. Cela ne signifie pas que l’on y traite les gens comme des animaux. Il ne s’agit pas de provoquer une indignation humaniste mais de faire une simple comparaison fonctionnelle. On y montre des spécimens, c’est-à-dire des échantillons qui représentent des espèces.
Un tigre au zoo de Vincennes évoque le tigre en général. Il en est de même du délinquant filmé dans un commissariat, de l’obèse témoignant de son état ou du «lofter» typé (bourgeois, maghrébin, homosexuel). Et on montre aussi ces spécimens dans un environnement censé permettre une expression spontanée. Dans un bon zoo, les animaux vivent dans un décor qui ressemble à leur habitat. Les différents «lofts» sont de ce type. Mais le mieux est encore de filmer les «vraies gens» dans leur milieu naturel, des «jeunes des cités» aux pieds des cités. C’est un gage de véridicité assez proche du safari.
Le spectateur est de plus impliqué dans la situation spectaculaire. Etre impliqué est plus que s’identifier. Au théâtre ou au cinéma, le corps du spectateur est mis hors-jeu. Plongé dans la pénombre, il se concentre sur les personnages auxquels il s’identifie psychologiquement. Par contre, dans un zoo, les spectateurs sont toujours aussi acteurs. Ils partagent la même réalité que les spécimens. Ils s’adaptent corps et âmes au spectacle, l’imitant ou s’en distinguant en temps réel. La télé-réalité est explicitement la tentative de recréer cette implication immédiate à travers un média. Elle prétend être une télévision faite par les «vraies gens» pour les «vraies gens». Le but est d’éliminer toute distance entre le spectateur et le spectacle.
Non seulement c’est un zoo, mais un zoo où l’on montre des spécimens identiques à ceux qui les observent. Nous regardons le spectacle d’une réalité qui nous implique et nous influence. Davantage encore que ne le ferait la vie de tous les jours, dans la rue ou au travail, car c’est une réalité «zoologique», plus contrôlée que le quotidien plus travaillée, plus intense, plus standardisée qui est diffusée à des millions d’exemplaires. Les enjeux spécifiques de la télé-réalité ne sont pas ceux du spectacle classique, tel que Platon les a formulés. Il ne s’agit pas de se demander si ce qui est montré est beau ou laid, bien ou mal.
Olivier Razac, jeune philosophe de 30 ans, enseigne à Paris-VIII. Il est l’auteur d’Histoire politique du barbelé et de L’Ecran et le zoo (Denoël).
Sénèque, Lettre à Lucilius
«Tu demandes ce qu’à mon avis il faut tout d’abord éviter? La foule. Tu n’es pas encore en mesure de t’y risquer sans péril. Pour moi, du moins, j’avouerai ma faiblesse. Jamais je ne regagne mon logis avec le même caractère qu’au départ. Quelque chose est dérangé de mon équilibre intérieur; quelque tentation bannie reparaît. [...] De manière générale, plus grande est la masse des gens à laquelle nous nous mêlons, plus il y a de danger.
[...] On passe facilement du côté du plus grand nombre. Socrate, Caton, Lélius, la multitude qui ne leur ressemblait pas aurait pu ébranler leur mode de vie: à plus forte raison, aucun d’entre nous qui sommes précisément en train de nous agencer le caractère ne peut supporter l’assaut des vices quand ils arrivent avec une si grande escorte. [...] Nécessairement ou tu imiteras ou tu détesteras. Or, l’un et l’autre sont à éviter. Ne te fais pas semblable aux mauvais parce qu’ils sont en nombre, ne te fais pas non plus ennemi du nombre parce qu’il ne te ressemble pas. Rentre en toi-même autant que tu peux; fréquente ceux qui te rendront meilleur, accueille ceux que tu peux, toi, rendre meilleurs.»
Sénèque (vers 4-65 après J.-C.), philosophe stoïcien, puis précepteur de Néron. L’auteur des Lettres à Lucilius et De la vie heureuse ne cherche à résoudre aucun problème métaphysique, seules la morale et son efficacité dans la vie quotidienne le préoccupent. Pour lui, il faut se plier aux nécessités de la vie sans en être esclave, pour créer en soi la paix de l’âme.