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6 avril 2014 7 06 /04 /avril /2014 11:46

 

Animation du krinomen du 27 mars 2014 : Pauline Fourès, Marie Sassano et Cindy Venant

 

Prise de notes et rédaction du compte-rendu : Lola Kolenc et Elsa Boulay

 

 

Difficile de retranscrire un spectacle de danse au sein d'une assemblée pour la majorité de laquelle les termes techniques de cette pratique restent inconnus. Afin de reconstituer et se remettre en mémoire ce double spectacle, l'équipe d'animation de ce krinomen accueillait les participants en mimant dans l'espace la scène d'ouverture du deuxième spectacle, ainsi qu'un passage du premier spectacle, en simultané. Entre autres, on pouvait y voir deux danseuses en sweet à capuche s'échanger une balle, assis chacun sur une chaise l'un en face de l'autre et, parallèlement, l'entrée royale d'un danseur, sa tête entraînant le rideau noir des coulisses vers le centre du plateau, en avançant. Enfin, la musique de Sous leurs pieds, le paradis était diffusée, pour stimuler les souvenirs, se remettre dans l'ambiance que le premier spectacle avait pu instaurer.

 

Nous avons eu affaire à deux spectacles présentés l'un à la suite de l'autre, le soir du 18 mars 2014 au Théâtre des Quatre Saisons à Gradignan. Ce krinomen avait donc pour challenge d'entamer la critique orale de deux spectacles de danse différents. Nous avons pu mettre en contraste et révéler certains aspects de ceux-ci en les regardant l'un à lumière de l'autre et vice versa.

 

Le débat a débuté par une reconstitution orale de ce dont se souvenaient les étudiants, avec pour consigne de reproduire, par leur corps, les gestes, déplacements ou intentions qui les avaient marqués. L'analyse s'est ensuite déroulée de façon transversale, les questions ayant porté sur les deux spectacles à la fois. Et notre compte-rendu commence par un rappel sur les deux spectacles ici discutés.

 

 


SOUS LEURS PIEDS, LE PARADIS, de et par Radhouane El Meddeb

 

Sous leurs pieds le paradis

« Radhouane El Meddeb, chorégraphe et interprète signe ce solo avec le chorégraphe Thomas Lebrun. Formé à l’Institut Supérieur d’Art Dramatique de Tunis, Radhouane est consacré "jeune espoir du théâtre tunisien" en 1996 par la section Tunisie de l’Institut International de Théâtre. Il est ensuite recruté comme comédien dans le cadre de l’atelier de formation et de recherche du Théâtre National de Toulouse sous la direction de Jacques Rosner. Sous leurs pieds, le paradis est un solo dansé sur Al Atlal (les ruines), poème chanté pour la première fois en concert par Oum Kalthoum en 1966. La chanson dure 50 minutes. Le propos de l'artiste se base sur la mise en danger de la femme à laquelle la maternité l'expose. »

 

Radhouane affirme sur son site Internet qu'il cherche dans ce solo à rendre « un hommage aux mères... aux femmes... à la féminité […] aux héroïnes... C’est un signe […] aussi vers la femme qui est en moi, vers ma propre féminité. En la dévoilant, je dévoile ma fragilité, ma perception de la sensualité et du courage dans le même temps. ».[1]

 

 

 

DUO, de Gaspar Claus et Pedro Pauwels

 

Duo

 

« Le projet Duo sera l'occasion pour le violoncelliste Gaspar Claus et le danseur-chorégraphe Pedro Pauwels de confronter pour la première fois leurs esthétiques […] C'est suite à leur rencontre au cours de la réunion du collectif pluridisciplinaire Tumulus qu'est née l'envie d'une collaboration entre les deux artistes. Avec comme seul point de départ la contrainte des gants de boxe, le corps dansant de Pedro Pauwels et le corps instrument de Gaspar Claus se donnent comme défi de réunir, dans un face à face créatif, un alphabet commun. Après de longues études en conservatoire, ses recherches actuelles reposent sur une exploration des capacités de son violoncelle. Il utilise ainsi tout le corps de l’instrument (bois, métal & crins de chevaux) pour créer un univers de sons. Né en Belgique, Pedro Pauwels entre à l’Ecole Renate Peter de Bruxelles, puis il intègre le Jeune Ballet International de Cannes dirigé par Rosella High-tower où il côtoie le travail de certains grands noms de la danse (Dominique Bagouet, Mathilde Monnier, etc.). Il fonde sa propre compagnie en 1990. Depuis, il a créé plus de quinze chorégraphies.

Le déroulement :

· Partir de l’espace neutre, de la page blanche, sans rien présager à l’avance, ni construire en préalable.

· Se réunir en deux temps de résidence de courte durée (une semaine pour chaque rencontre) et laisser libre cours aux recherches, tant musicales que chorégraphiques.

· Envisager, s’il y a lieu et autant que faire se peut, une création, résultat de ces croisements de travail, qui ne s’apparenterait pas à un spectacle, mais plutôt à un Work in progress. » [2]

 

 

Venons-en maintenant à ce qui a été débattu en krinomen au sujet de ces « deux spectacles en une soirée ».

 

 

Le langage corporel de la danse dans ces spectacles, limites et richesses 

 

 

·     Quand le corps se montre vrai, authentique, et s’offre dans sa mise en danger

 

Dans le premier spectacle, nous avons pu constater une authenticité touchante qui découle d'une fragile dévotion du corps de Radhouane El Meddeb. En effet, sa danse s'écrit tout au long du spectacle dans la recherche d'une expression corporelle féminine. Il use de métaphores gestuelles pour traduire certaines particularités de la vie d'une femme et insiste sur ce que peut traverser le corps dans l'épreuve maternelle. Mais le fait que cette recherche gestuelle autour de la femme soit mâtinée par la culture maghrébine tend à délocaliser la question : on nous propose ici une représentation poétique du voile, notamment par l'arrivée lente du danseur sur scène, sa tête entraînant le rideau noir des coulisses avec lui.

  

Durant le débat, les termes « gracieux » et « délicat » ont plusieurs fois été utilisés pour décrire la mise à nue du danseur, qui s’est faite tout au long du spectacle « de manière pudique et poétique ». En effet, le danseur finissait sa chorégraphie en se dévêtant. Sa morphologie peu commune, « bien en chair », alliée à des gestes doux et élégants, a généré aussi bien un sentiment de sublime que celui d'une inquiétante étrangeté dans le public du Mouvement du 8/10 ce soir-là. De plus, à ses différentes étapes,  cette mise à nu laissait deviner une certaine pudeur qui, sans miroiter la honte, pouvait faire écho à la recherche de la femme en lui. Il ne montrait pas son sexe, en effet, mais cherchait à le cacher en même temps qu’il se mettait à nu.

 

 

·     Quand le corps ne parle pas ou quand son langage ne parvient pas

 

Dans Duo, les retours ont pour beaucoup laissé entendre une frustration certaine quant au travail du danseur : le corps ne paraissait pas engagé jusqu'au bout mais, au contraire, empêchait toute projection, enfermé qu’il était dans une raideur mécanique. C'est d'ailleurs en comparaison du premier spectacle, dans lequel le danseur offrait tout son corps avec maîtrise, que la raideur mécanique du deuxième s'est révélée. Des gestes anguleux et des mouvements très basiques ont rendu le spectacle hermétique pour beaucoup. En effet, il est difficile de sentir naître une quelconque émotion quand les mouvements proposés se bornent à un simple plagiat des dessins gestuels pseudo-contemporains au lieu de naître d'une recherche interne. Le corps devient illustratif. Il perd toute force de suggestion. Et par là, il perd tout intérêt.

 

C’est l'idée de confrontation que semble défendre le spectacle de Gaspar Claus et Pedro Pauwels. Il n'a cependant été vu aucun travail poussé autour du thème de la limite au niveau du corps (étirements, poids, rapidité/lenteur des mouvements), quand pourtant le violoncelliste s'amuse, lui, à tester jusqu'à l’extrême tout le corps de son instrument.

 

Nous avons pu remarquer parallèlement un rapport très peu développé entre le danseur et le musicien. Aucun lien n'est créé ni entre eux ni avec le public. Aucun regard n'est échangé. Le rythme lui-même est scindé : la danse n'est pas en harmonie avec la musique. Nous avons pu y voir un parallèle entre la confrontation recherchée ici et celles de John Cage avec Merce Cunningham dans les années cinquante. Ces deux derniers tentaient déjà de dissocier la musique de la danse pour qu'aucune force ne prédomine sur l'autre. De la même manière, la musique et la danse étaient travaillées chacune de leur côté pour ensuite être superposées le jour du spectacle et se rencontrer.

 

Cependant, ici, on voit en fait d’un duo deux solos et les deux univers (trois avec celui des regardants) apparaissent comme sclérosés. L'absence de communication – rendant la confrontation invisible – fait de ces univers non définis un terrain stérile à l'imagination. On peut également penser que l'absence d'interaction joue sur la frustration des spectateurs.

 

Mais dans ce déséquilibre apparaît une idée intéressante : l'aspect improvisé de la danse, manifesté ici dans le côté aléatoire et non engagé des gestes, amoindrit la présence du danseur. Dans l'espace, il est clairement écrasé par la sûreté du musicien, même si celui-ci bouge moins.

 

 

·     Le corps-narrateur du danseur-conteur, en contraste avec l’écriture improvisée d’un « work in progress »

 

Le poème chanté qui a constitué l’unique musique du premier spectacle a pu avoir, pour certains, l'effet d'une histoire dont la narration était donnée poétiquement par le danseur. Et cet aspect narratif a particulièrement modifié l'approche. En effet, dans une langue que, pour la plupart, l'on ne comprend pas, on sentait malgré tout que le spectacle portait derrière ses gestes, sa langue et sa musique, un solide patrimoine culturel maghrébin ainsi mis en avant.

 

Seulement, d’une part, cette chorégraphie ne peut se définir ni comme de la danse traditionnelle orientale ni comme de la danse contemporaine. Elle emprunte un peu des motifs et des techniques aux deux. D’autre part, cet hommage culturel a été proposé sans nous impliquer dansle spectacle : même l'aspect festif du chant avec lequel on aurait pu être embarqué était étouffé par les applaudissements in situ enregistrés sur la bande son. On a ainsi pu avoir la sensation d'être en face d'une vitrine opaque d’une culture maghrébine hybridée avec une culture européenne, et de n’avoir pas été invités à partager le moment festif qui se déroulait devant nous.

 

La question du voyeurisme peut dès lors être soulevée, posée évidemment, en parallèle, par la mise à nu du danseur. Et en même temps, il faut se demander si le public du T4S, comme celui de beaucoup d'autres salles de spectacles en Occident, n'aurait eu avec autant d'entrain les réactions enregistrées du public maghrébin.

 

 

 

Pertinence des scénographies

 

L'utilisation d'un plateau presque vide dans la danse contemporaine semble logique pour certains participants du krinomen. Il est vrai que ce vide laisse la place au corps pour s'exprimer. C'est le danseur qui va habiter et structurer l'espace et lui donner une dynamique par son mouvement. Autant dans le premier cas que dans le deuxième, les spectacles n'ont donc pas opéré de surprise scénographique par rapport à une certaine « norme » en la matière, à savoir un espace scénique épuré.

 

La première scénographie laissait place à l'imaginaire pour reconstituer la culture maghrébine. Les lumières étaient très faibles. Le costume du danseur n'avait rien de sophistiqué. Au contraire, il était vêtu d'un simple tee-shirt distendu et d'un caleçon. Ce qui prenait le plus de place dans l'espace était finalement la musique : un enregistrement de concert, les instruments et la voix de la chanteuse, associés aux réactions de spectateurs, renvoyant à un ailleurs invisible sur scène.

 

La deuxième scénographie présentait, elle, plus d'éléments. Elle n'en était néanmoins qu'encore plus statique. Un grand tapis de danse blanc prenait tout le plateau et deux chaises face à face se regardaient en fond de scène. Au centre, un violoncelle était suspendu dans les airs. L'aspect plastique de l'espace a renvoyé une impression « design » à beaucoup d'étudiants (surtout la blancheur clinique du tapis). Ce carré géométrique aurait pu être utilisé mais ici, ça n'a pas été le cas.

 

Cependant, on peut se demander si, pour faire parler le corps, il est nécessaire de faire parler le décor. Du fait qu’il entre en interaction avec l'espace, le corps se définit forcément par rapport à lui. Mais au lieu d’une véritable mise en relation entre danseur (ou musicien) et matière scénographique, dans Duo, des frontières ont été érigées entre corps et espace comme entre danseur et musicien. Par ailleurs, cet espace blanc accentuait la focale sur le violoncelliste, qui était, la plupart du temps, en position centrale. L'instrument de musique, trônant sur scène, entouré par les bras et tout le corps du musicien, avec la pédale son à ses pieds, donnait à la musique un caractère charnel. L’intention était peut-être une mise en confrontation plus marquée avec la danse proposée, mais cette focalisation sur le musicien au centre rendait en fait bavards les déplacements du danseur dans tout le reste de l’espace.

 

 

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PARTIE 2

 

(En attente de rédaction)

 

 

Références :

 

- extrait du spectacle Sous leurs pieds, le paradissur le site Internet Vimeo : http://vimeo.com/52151035

 

- site de la compagnie du Soi : http://www.lacompagniedesoi.com/navigation/presse/

 

- site de la compagnie Pedro Pauwels : http://www.cie-pedropauwels.fr/duo.html

 


[1]   Pedro Pauwels note d’intention de Duo, publiée sur le site Internet de la compagnie Pe Pau, consultée le 23 mars 2014, URL de référence : http://www.cie-pedropauwels.fr/duo.html.


[2]   Radhouane El Meddeb, note d’intention de Sous leurs pieds, le paradis, publiée sur le site Internet de la Compagnie de SOI, consultée le 23 mars 2014, URL de référence : http://www.lacompagniedesoi.com/sous-leurs-pieds-le-paradis/.

 


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  • : Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
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