Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Rédaction de l'article : Lola Kolenc (L3), Allisson Ingold, Nolwen Luminais, Marine Auther (L2).
La notion juridique d'intermittent du spectacle peut paraître complexe, cet article permet d'éclaircir le fonctionnement de ce régime afin d'en comprendre l'évolution et la nécessité. De par la définition de l'intermittence, son historicité, et l'explication de son application, il permet de mieux appréhender les bouleversements actuels que connaît ce régime. Ces bouleversements sont d'ailleurs l'occasion de remettre ce régime en question : est-ce un régime fait pour l'artiste ? Existe-t-il des alternatives à cette intermittence et est-il temps d'y songer ?
La seule désignation disponible depuis 1969 et à ce jour en France qui puisse regrouper les artistes du spectacle vivant dans leur grande diversité, est un régime, celui de l’intermittence. Il est aussi le seul qui exprime le mieux leur mobilité. Toutefois, tous les salariés du secteur du spectacle ne sont pas intermittents, ils peuvent aussi être affiliés au régime général, qu'ils soient en CDI ou en CDD.
Pourquoi ce régime spécifique existe-t-il ?
En 1936 est créé le régime salarié intermittent à employeurs multiples pour les techniciens et cadres du cinéma. Mais ce n'est qu'en 1958 qu'apparaît le régime d'assurance chômage de l'UNEDIC. En 1969, les artistes interprètes sont juridiquement intégrés au régime d'intermittent. Peu de temps après, ils sont rejoints par les techniciens du spectacle.
Le mot intermittent ne désigne ni un statut professionnel, ni un métier. Il se réfère à une forme d’emploi particulière, réglementée dans les activités du spectacle vivant. L’intermittence est un modèle spécifique de flexibilité de travail et de l’emploi. C'est une situation particulière vis à vis de l'assurance chômage.
Le caractère temporaire des activités liées aux arts du spectacle engendre une relation employeur/employé unique dans son genre : le contrat d’emploi intermittent à durée déterminée alors qu'en France, la norme est au contrat à durée indéterminée. En effet un artiste ou technicien travaillant dans le domaine du spectacle est, dans la plupart des cas, soumis à une alternance de périodes travaillées et chômées. Il n’est jamais employé de manière indéfinie, son contrat est souvent court et concerne des périodes qui ne sont pas consécutives.
L'intermittent est donc un salarié employé sous contrat à durée déterminée qu'on appelle aussi CDD d'usage. Ainsi pour compenser cette fragilité et précarité du métier, un régime spécifique a été créé. Le régime d’assurance-chômage est régi par l’UNEDIC (Union Nationale Interprofessionnelle pour l'Emploi Dans l'Industrie et le Commerce), dirigée par une commission paritaire composée de syndicats patronaux (MEDEF , CGPME, UPA) et des syndicats dits représentatifs des salariés (CFDT, CFTC ,CGT-FO). Ces partenaires élaborent et signent des accords concernant les conditions de perception des indemnités chômage qui, pour être appliqués, doivent être soumis à l’agrément du gouvernement.
Tous les salariés privés quel que soit leur métier cotisent à l’UNEDIC afin de payer les indemnités chômage perçues par les chômeurs. En temps « normal » ceux-ci relèvent du régime général mais ce régime n’étant pas adapté à la réalité de l’emploi dans les métiers du spectacle, l’assurance chômage adopte en 1969 la règle de l’intermittence du spectacle et de l’audiovisuel en France avec une annexe pour les techniciens et une pour les artistes.
L'annexe 8, mis en place en 1965, concerne les techniciens et ouvriers du cinéma, de l'audiovisuel, de la radio-diffusion ou encore du spectacle, engagés sous CDD. Cette annexe est limitée à certaines fonctions de salariés. Tandis que l'annexe 10, adoptée en 1968, s'applique à tous les artistes de spectacles engagés sous contrat à durée déterminée. Ces deux annexes visent à fixer des règles spécifiques quant à la cotisation à l'assurance chômage par les salariés et leurs employeurs, dans le but de pallier à la précarité de ces professions.
En 1992, les annexes 8 et 10 sont renégociées, suite à ça, les intermittents se mobilisent à Avignon font annuler toutes les représentations du Festival In. Ces annexes ont été de nouveau négociées en 1996, en Janvier 1997 et 2002. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'a lieu en 2003 une grève générale du spectacle, du cinéma et de l'audiovisuel. En Juin 2003, un protocole est signé entre le MEDEF et trois centrales syndicales, les annexes en sont reconfigurées et les intermittents doivent travailler 507 heures sur 10 mois et demi, pour les artistes, et 10 mois, pour les techniciens, afin d'avoir le droit d'être indemnisé, ce qui équivaut à 8 mois d’indemnisation. Ce protocole est rentré en vigueur en 2004.
Le régime tient compte de la discontinuité du travail caractéristique de ces métiers et apporte aux salariés un revenu de complément pendant les périodes chômées.
Comment bénéficier du régime de l’intermittence du spectacle ?
Jusqu’au 1er janvier 2004, un intermittent se devait de justifier de 507 heures d’emploi déclaré au cours des 12 derniers mois précédant la date de son dernier contrat. Il devait également justifier que son métier entre dans la liste des métiers pouvant relever de ce régime.
Les intermittents bénéficiaient alors du droit de percevoir une indemnisation chômage pendant 12 mois pendant leurs périodes de non-emploi. Tous les ans les dossiers étaient réexaminés et l’intermittent devait de nouveau être en mesure de prouver qu’il avait effectué les 507 heures de travail durant l’année. En cas de perte de ce régime, il retournait au régime général de l’UNEDIC.
Depuis la réforme de 2004, les intermittents doivent travailler le même nombre d’heures (507 heures) mais dans une durée moindre, en dix mois pour les techniciens et dix mois et demi pour les artistes. Les 507 heures doivent être effectuées au cours des 319 jours précédant la fin du dernier contrat de travail, au lieu de 365. Dans ces 507 heures, sont pris en compte les congés de maternités et les congés d'adoptions, situés entre deux contrats à raison de 5 heures par jours, mais aussi les accidents du travail qui se prolongent après le contrat de travail aussi à raison de 5 heures par jour. On prend aussi en compte les périodes de formations non rémunérées par l'Assurance chômage dans la limite de 338 heures. Et enfin, sont également prises en compte les heures d'enseignements dispensés par les artistes dans le cas d'un contrat de travail établi par une structure d'enseignement, dans la limite de 55 heures.
Comment indemniser une profession artistique ?
Nous avons vu que par la création de deux annexes, artistes et techniciens sont dissociés, signifiant ainsi que tous les intermittents du spectacle ne sont pas artistes. Le ministère de la culture définit d'ailleurs sur son site l'artiste interprète : « À l’exclusion de l’artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l’artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes. » et l'artiste de spectacle : « Sont considérés comme artistes du spectacle, notamment l’artiste lyrique, l’artiste dramatique, l’artiste chorégraphique, l’artiste de variétés, le musicien, le chansonnier, l’artiste de complément, le chef d'orchestre, l’arrangeur orchestrateur, le metteur en scène pour l’exécution matérielle de sa conception artistique. » Il est bon de rappeler que ce régime s'applique à des artistes et donc que leur travail est dur à quantifier et donc à indemniser. En effet, dans les professions artistiques, les tournées ou les contrats sont parfois très courts et les heures ne sont pas toujours décomptées au réel. Un “cachet” pour une représentation est ainsi compté forfaitairement comme 12 heures de travail quand bien même il en a fallu davantage en incluant la création, les répétitions, les costumes, etc... et descend à 8 heures lorsqu'un contrat dépasse cinq jours. Le temps de création de l'intermittent du spectacle n'est pas pris en compte dans le décompte de ses heures.
Ce Krinomen vise à comprendre la définition juridique de l'intermittence du spectacle, sa création, son évolution et son application, mais surtout sa nécessité. En effet, quelle importance a ce régime et s'il venait à disparaître, quel en serait l'impact sur la culture ? La culture est un secteur économique un peu à part qui reste cependant primordial. En effet, l'économie marchande peut dépendre de la culture. La culture a un pouvoir de rayonnement et d'attractivité pour notre économie, elle est créatrice d'emploi et source de revenus pour beaucoup de professions, entre autre liées aux commerces, au tourisme, aux saisonniers, à l’hôtellerie.
Si ce régime venait à disparaître, comment assurer la transmission de la culture ? On peut imaginer que la cyberculture, qui n'est autre qu'un ensemble de pratiques culturelles qui se développe sur Internet, ne pourrait qu'en devenir plus importante et présente. Le régime actuel d'intermittent du spectacle pourrait bien se voir muter en un régime bien différent.
Y-a-t’il un équivalent à l’étranger du régime de l’intermittence ?
La France n'est pas le seul pays à protéger financièrement ses artistes et ses techniciens. En Belgique, les artistes sont assimilés aux salariés du régime général. Une allocation est calculée d'un pourcentage du salaire de référence et de la situation professionnelle du demandeur. Ses allocations chômages évoluent dans le temps, même en deuxième période de chômage, l'artiste belge peut conserver les avantages d'un nouveau chômeur. Leur système est similaire au système français, bien qu'il n'existe aucun régime spécifique.
En Allemagne, les artistes sont considérés soit comme salariés, soit comme travailleurs indépendants. Peu de mesures sont prises à leur égard, cependant, leur contrats artistiques sont supérieurs en durée aux contrats artistiques français. Ils peuvent aller d'un an ou deux contre 3 mois en France. Ils peuvent profiter de certaines mesures, comme la santé, la retraite ou la dépendance, en adhérent à la Caisse sociale des artistes. Si les artistes allemands indépendants ne peuvent toucher d'assurance chômage, ils peuvent recevoir l'équivalent du RSA et l'aide sociale. Rien ne les empêche de cotiser à l'assurance chômage volontaire.
Au Royaume Uni, il n'y a pas de protection spécifique pour les artistes, ils paient des cotisations d'assurances chômage comme tous les autres salariés.
Enfin, en Suède, les artistes salariés ou indépendants sont logés à la même enseigne que tous les autres travailleurs, ils sont soumis au régime d'assurance nationale obligatoire et au régime d'aide sociale. Les compagnies de théâtre vont peut-être se voir muter en troupe permanente, à l'image de la troupe de la Comédie française. Que ce soient les sociétaires ou les comédiens pensionnaires, leur revenu est fixe et ils ont la sécurité de l'emploi, leur statut est similaire à celui d'un CDI.
Le régime proposé actuellement en France est unique et envié des artistes des autres pays. En effet, il assure une certaine sécurité aux intermittents, puisqu’il fait fi des fluctuations des revenus. Il semblerait cependant, que ce soit le propre de l'artiste que d'être confronté à l'insécurité financière.
Sources :
• http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=574
• http://horslesmurs.fr/wp-content/uploads/2014/02/Fiche-CR-Intermittence-Juil2014.pdf
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=6506