Photo une [12]
Le premier tableau nous plonge dans une atmosphère très crue, froide et pure. En effet, le sol est recouvert un rectangle blanc délimitant l’espace de jeu ainsi que par deux grands panneaux eux aussi blancs situés en fond de scène. Ce premier tableau ne va pas solliciter d'autres décors mais différentes ambiances se succèdent grâce à de brusques changements de lumières accompagnés par des métamorphoses du corps de la danseuse. La lumière, aveuglante et agressive, fait écho au corps maquillé blanc de la danseuse et permet de créer des contrastes saisissants comme par exemple les cheveux d'un noir d'ébène de la danseuse qui sont comme une tâche au milieu de cet océan de blanc.
La lumière blanche arrive donc progressivement. Sur scène, dans le rectangle blanc délimité au sol, Maï Ishiwata commence à avancer, tête baissée et ses cheveux en avant, on ne voit guère son visage. Ses mains sont jointes en son centre de gravité situé sous son nombril. Elle avance de manière rectiligne, suivant les bords du rectangle. Un silence intense accompagne cette introduction. Soudain, elle s’arrête et se met brutalement sur la pointe des pieds. Tête levée vers le haut, il s’échappe de sa gorge des cris étouffés, reflets d’une souffrance qui ne peut s’exprimer. Le spectateur constate ici une première étape de la transformation de la danseuse. Ce premier son le plonge dans une autre dimension, une autre tension. Puis par une démarche accidentée, elle se rend jusqu’au centre de la scène, et mime une sorte de monstre par des torsions de corps et des grimaces (photo une).
Le premier tableau se termine lors de la sortie de scène de la danseuse. Les panneaux blancs prennent alors tout leur sens (voir photo deux et trois). En effet, diverses projections et couleurs se forment et se mélangent sur ces deux panneaux situés en fond de scène. Une photo, ou peut être est-ce un montage, revient plusieurs fois, se floutant petit à petit pour laisser place à un magma confus de flashs. On distingue alors une ombre entourée de fumée située juste derrière. La danseuse, par le biais d'ombres chinoises, s’agrandit et se ratatine, créant ainsi des jeux de volume et de perspective sur les deux panneaux (photo quatre). On a l'impression d'un monstre émergeant lentement.
Le salut peut être considéré comme un tableau car il ne représente pas de coupure avec la chorégraphie. Le public ne sait vraiment pas s'il faut applaudir ou non et la danseuse continue son cycle de saluts jusqu’à ce que le public comprenne et applaudisse. Elle se met longuement sous le jet au centre puis sort, laissant le plateau plein de tas de sel (photo neuf). Puis elle réitère ce cercle de salut, s’en allant et venant tout d’abord, lentement, restant dans sa métamorphose, puis de plus en plus vite, finissant par courir, pour mieux signifier la fin du spectacle. Les jets continuent à s'écouler et la lumière change peu à peu. Dans cette lumière douce et l’ambiance sablonneuse et tamisée, des zébrures se forment au sol. L'imaginaire du sable peut être assimilé à ces tas qui rappellent des dunes de sable.
Lors des deux derniers tableaux le Requiem de Gabriel Fauré est chanté par un jeune enfant.
La particularité de ce spectacle est que chaque tableau a sa propre « identité », que ce soit par son espace, la danse qui se crée, son jeu de lumières, le son qui l'accompagne (ou son silence) et les costumes. Ils sont indépendants les uns des autres. En outre, les significations des tableaux sont multiples laissant un large champ de réflexion sur Utt.
S’agit-il de la métamorphose d’un être de la mort à la vie, de la naissance à la mort ? Le sel présent et s’écoulant à la fin, montre t-il la fin de la transformation ?! Au Japon, le sel est le symbole de la purification. Ainsi, quel lien peut-on faire entre cette purification et l’évolution du corps dansant et de l’être qui se mouvoie sur scène, passant du monstre à l’enfant ?
Autour de la musique et des costumes…
« UTT est un cri, une onomatopée, comme si on recevait un coup brutal dans le ventre ». C’est donc clair, UTT c’est d’abord un son. Quelquefois perçant, d’autres fois apaisant mais toujours percutant, ce son est très présent et significatif dans le spectacle. On distingue alors deux moyens qui intègrent le son au spectacle et de ce fait l’accompagnent et l’enrichissent.
Le premier est lié à Maï Ishiwata. Les sons de la danseuse vident et remplissent en même temps l’espace. Son souffle douloureux crée une tension générale, tout comme ses spasmes et cris. Entre le cri du nouveau-né ou le dernier souffle du vieillard, le spectateur est pris par la gorge, retenu en haleine. Des cris qui sont en fait des voix, les voix de différents personnages qui se bousculent pour apporter leurs propres sons. L’effet est pire quand le cri ne sort pas, reste bloqué dans le fort intérieur de la comédienne, comme un cri étouffé. Mais les sons ne viennent pas forcément de la voix mais aussi du corps, lorsque par exemple ses pieds se brisent contre le sol en bois pour signifier l’ancrage dans la terre, que les mains frôlent le sol ou que le sel vient couler sur son visage pour induire l’idée de purification.
Le second moyen qui interpelle autant que le premier est l’usage de la musique. Présente ou non selon les tableaux, la musique rythme par moment la salle et d’autres fois l’hypnotise subtilement. La musique sert donc à corroborer l’ambiance implantée mais aussi à accompagner la danseuse lors des différents tableaux. En effet, par exemple, lorsqu’elle revient à l’innocence pure et l’attitude puérile du jeune enfant, la musique se veut plus légère, simple et joviale. En revanche, à la fin du spectacle – saluts compris – une musique plus grave et en boucle est donnée à entendre[13]. Cette musique qui aspire l’élévation donne un air cérémonial et solennel au salut final.
L’importance du costume et de ses changements tout au long du spectacle est fondamentale et forte de sens. C’est d’ailleurs la danseuse elle-même qui a choisi les tissus et les matériaux de chacun de ses costumes, c’est aussi elle qui les a confectionnés. Un lien particulier est donc créé entre Maï Ishiwata et ses costumes si bien qu’ils ne font qu’un. Plusieurs costumes apparaissent tout au long du spectacle. Chaque spectateur aura cependant une interprétation différente quant au costume et donc aux personnages si complexes soient-ils.
Ainsi, dans l’ordre d’apparition, on découvre d’abord un premier costume totalement blanc : un peignoir en lin avec en dessous des sous-vêtements, des gants en laine et un bandage sur le bras droit, on note ici que les cheveux sont lâchés. Le second costume, beaucoup plus lourd et élaboré nous rappelle les rituels africains ou les divinités asiatiques : le haut ample du costume en papier kraft est rayé horizontalement en bleu et blanc, il est aussi composé d’une jupe en corde. La coiffe de ce deuxième costume est plus complexe puisqu’elle est arborée de fleurs, de fruits et de branche dans des tons rouges et bleus. La coiffe comprend aussi deux miroirs brisés collés sur des carrés en cartons, un miroir rectangulaire à droite de la tête de la danseuse et un second miroir circulaire à sa gauche. On passe maintenant au troisième costume, présent depuis le début sous le second. C’est un costume entièrement blanc et plus simple : une robe légère et courte en tulle et en broderie. Le dernier costume du spectacle est le plus important et le plus symbolique. C’est un costume qui est en fait vital au spectacle puisqu’il est présent depuis le début. C’est tout simplement le maquillage blanc sur le corps de la comédienne. Ce maquillage blanc est essentiel, c’est une nouvelle peau, une base uniforme pour pouvoir créer par-dessus et qui est souvent utilisé dans le Butô. On note finalement l’importance du blanc dans chacun des costumes, qui joue avec les ombres, l’absence et la présence, et semble être la base du travail intérieur de la comédienne.
Pour aller plus loin :
ASLAN Odette, Butô(s), CNRS Éditions, 2002 - 388 pages.
Site de la compagnie : http://ariadone.fr/
Butô: dance of darkness: https://www.youtube.com/watch?v=N9GtoKGLA6o
[1] Shohei Imamura, Histoire du japon d’après-guerre racontée par une hôtesse de bar, film documentaire, 1970.
[2] https://www.youtube.com/watch?v=rqoyuE7rdVY
[3] http://www.ariadone.fr/wp-content/uploads/Ch_dossier.pdf
[4] https://www.youtube.com/watch?v=9ms7MGs2Nh8
[5] Interview avec Naomi Mutoh, le 05 octobre 2014.
[6] http://ariadone.fr/eng/workshop/
[7]Source : http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2014/09/29/carlotta-ikeda-danseuse-de-buto-est-morte_4496189_3382.html
[8] http://www.happen.fr/articles/theatre-/-danse/persistance-compagnie-medulla-7050.html
[9] http://www.la-megisserie.fr/index.php/accueil/danse/32-harchives-13-14/128-uchuu-cabaret
[10] https://www.youtube.com/watch?v=0xgWi6lMj8w
[11]Source : http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2014/09/29/carlotta-ikeda-danseuse-de-buto-est-morte_4496189_3382.html
[12] Photos une à neuf réalisées par Romann-Sloän Dartron, 15 octobre 2014.
[13]https://www.youtube.com/watch?v=NyrwNRAtbA8&list=PLQEEUEzRKL6NPCahTILdAONEK9743w_JP