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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte rendu des recherches sur le terrain - UTT, Cie Ariadone

 

Recherches effectuées par Anna Chabat et Loréa Chevallier.

 

Pour la préparation du débat du Krinomen sur le spectacle UTT de la compagnie Ariadone, nous sommes allées poser des questions aux spectateurs sous la forme d'un micro-trottoir le soir du spectacle, ainsi qu'aux artistes membres de la compagnie. A la question « qu'est-ce que pour vous le butô ? », voici quelques fragments de réponses :

 

« Hiroshima... ténèbres de l’âme, de l’humanité. Violences »

« Corps blancs. »

« Théâtre d’expression japonais. Film Cherry Blossom de Doris Dörrie. La mort. L’espace entre le moment où l’on meurt et le moment où l’on passe soit au paradis soit aux enfers. »

« Nuit. Noir. »

« Ce qui me renvoie les émotions les plus variées, les plus fortes. Moments sombres dans le butô avec des émotions comme l’effroi et la peur pas habituels dans la danse en tout les cas ».

« Danse japonaise, danse nue où l’expression du corps est primordiale.Voldemort. »

« Lenteur. »

« Détresse effrayante. Effarant. Animal. Grimaçant : comme un comique qui essaie de se libérer. »

« Sublime. Deuil. Blanc. »

« Les belles endormies de Yasunari Kawabata »

« La femme de sable de Kôbô Abe »

« violence extrême. »

 

La rencontre avec la compagnie c'est faite lors du bord de scène organisé le 10 octobre 2014, à la fin du spectacle. A cette occasion étaient présents Adrien Joubert (administrateur d'Ariadone), Laurent Rieuf (régisseur général) et Mai Ishiwata (danseuse interprète d'UTT). Il faut toutefois prendre en compte que le bord de scène est un espace informel. Les informations qui sont apportées ne sont pas figées. Les propos peuvent par la suite être modifiés par la compagnie. Voici la retranscription de quelques éléments de ce bord de scène :

 

Adrien Joubert explique que le spectacle est la deuxième version de UTT, la première ayant été créée à Tokyo. A partir des années 1980, Carlotta Ikeda venait régulièrement en France puis tellement régulièrement qu’elle a fini par s’installer à Paris. Au départ, ses danseuses venaient du Japon et puis elle s’est installée avec son équipe technique, d’abord à Paris puis à Bordeaux depuis une quinzaine d’années. La première fois qu’elle a joué à Bordeaux c’était en 1981 avec le spectacle Zarathoustra. Elle avait été invitée par le festival Sigma.

 

 

Pourquoi ce lien privilégié avec la France ?

 

D’après Laurent Rieuf, Il y avait un lien culturel : Carlotta appréciait les écrits d’Antonin Artaud, les peintres français. Mais surtout le hasard, les amis, les rencontres. Elle se guidait à l’humain, à l’instinct, les différentes invitations en France, ont occasionné des rencontres. C’est ainsi qu’ Eric Lousteau-Carrere et Laurent Rieuf deviennent son équipe technique à Bordeaux.

 

La méconnaissance du butô entraîne des malentendus et des réductions ; bien qu'appelée « la danse des ténèbres » et née d’Hiroshima, elle ne peut se réduire à ces deux éléments. Les origines de cette danse remontent à beaucoup plus loin, elle emprunte, par exemple, à l'expressionnisme allemand. C’est un style qui se nourrit de nombreuses influences. Laurent Rieuf ajoute que le butô est également apparu dans les années 1950 en réaction contre le poids de la culture japonaise et l’invasion de la culture américaine. Au début seuls les hommes dansaient puis des femmes ont été engagées.

 

 

Existe-t-il des notes écrites de UTT ?

 

Si Mai Ishiwata possède un cahier avec des notes, la transmission estdavantage passée par la mémoire du corps. La forme était le point de départ, mais Carlotta disait : « une fois que la forme est là, il faut l’oublier, dépasser ça et aller ailleurs » se souvient Mai Ishiwata.

 

 

UTT a été dansé uniquement par Carlotta Ikeda puis Mai Ishiwata ?

 

UTT est créé en 1980 au Japon par Komuro Bushi et Carlotta Ikeda, puis présenté en 1983 en France toujours dansé par Carlotta. Le spectacle tourne dans le monde entier puis, il y a à peu près deux ans, Carlotta a décidé de transmettre son solo.

 

 

Pourriez vous nous donner une définition du butô ?

 

Laurent Rieuf est le premier à répondre : Le butô c’est la danse des ténèbres, les ténèbres c’est l’âme, l’intériorité. C’est une danse très proche de la terre, ça vient du ara (la terre), du centre. Contrairement à la danse classique qui cherche à voler, qui est intellectuelle, le butô c’est une danse des tripes, de la terre. Carlotta a choisi le prénom de Carlotta Grisi (première créatrice de Giselle, ballet classique), une manière d'intégrer en elle l’opposition entre son butô et le ballet européen classique, aussi peut être parce que ça première formation était le classique, ajoute Adrien Joubert.

Pour Carlotta, le butô n’était pas une technique, c’était trouver sa danse, sa liberté, chercher à devenir le néant parce qu’en devenant néant, on peut redevenir tout. On efface le superficiel on va puiser au plus profond de soi et à partir de là tout est possible. Il y a dans le butô une recherche de la transe, une espèce de transe consciente. « Quand je danse je suis en transe mais je me regarde et je suis pas barré non plus », clarifie Laurent Rieuf. Il faut toujours être conscient de cette limite entre équilibre et déséquilibre.

 

Quelle signification donner au corps blanc ?

 

Le corps blanc c’est comme un costume dans le butô traditionnel. Cela vient du théâtre traditionnel japonais comme le Kabuki, ou le Nô. C’est aussi une manière de s’effacer soi, l’égo n’est plus là, ça permet aussi de laisser entrer autre chose.

 

 

 

 

Pour aller plus loin dans la réflexion :

 

A partir des informations recueillies grâce à ces interviews, nous avons effectué des recherches supplémentaires permettant d'aller plus loin dans la réflexion sur le spectacle. La question du sel a été abordée dans la bord de scène. Le sel est considéré comme un grand purificateur. Tirant sa signification du Shintoïsme, il avait auparavant sa place dans les rituels puis s'est peu à peu imposé comme élément du quotidien.1

On le retrouve ainsi lors des matchs de sumo : avant le début du combat, les deux lutteurs jettent sur le ring des poignées de sel. Ce geste a pour but d'offrir un combat juste et loyal.

  • Lorsque l'on reçoit chez soi la visite d'une personne ou d'un voisin non-désiré, on lance sur le seuil, à son départ, du sel.

  • Lors d'une inauguration d'une boutique ou d'un restaurant, lors d'un emménagement, les nouveaux propriétaires déposent de chaque côté de la porte deux petits tas de sel. Traditionnellement, ils attirent les clients tout en filtrant les mauvais esprits ou ceux qui ne sont pas désirables.

 

Encore aujourd'hui, le sel conserve une signification de purificateur envers la mort et l'au-delà dans les rites funéraires2 :

  • A la fin d'un enterrement, les visiteurs sèment du sel derrière eux en quittant le cimetière. Avec ce geste, ils laissent les défunts sur place et s'en séparent.

  • Lorsqu'un proche décède, la famille monte un petit autel dans sa maison. A côté de la photo, un petit tas de sel est déposé.

Lorsque l'on remonte dans les textes originels du Shintoïsme, notamment le Kototama, on retrouve un dieu qui est comparé au sel. Il s'agit de Kushimata, l'esprit mystérieux. Il est décrit comme « le sel dans l'océan, caché au centre de l'existence. » Il est perçu comme étant celui qui représente les perceptions qui vont au-delà du physique.3

 

 

Si l'on en croit l'artiste plasticien performeur Motoi Yamamoto, le sel est comme un pont entre la vie humaine et son au-delà. Suite à la mort de sa sœur à 24 ans, cet artiste a commencé à travailler uniquement le sel.4

Site officiel de Motoi Yamamoto : http://www.motoi.biz/english/e_top/e_top.html

Quelques œuvres citées par la compagnie ou par les spectateurs :

 

- Cherry Blossom : Film allemand de 2007 réalisé par Doris Dörrie.

Synopsis : Trudi découvre que son mari Rudi est gravement malade mais n'ose le lui avouer. Sous les conseils du médecin, elle emmène son mari rendre visite à leur fils à Berlin pour un dernier voyage. Mais face à une visite décevante, ils se rendent sur les bords de la mer Baltique. Mais un événement tragique arrive soudainement, obligeant Rudi dans un premier temps à reconsidérer sa femme puis à se rendre seul au Japon.5

 

- Les belles endormies : roman de Yasunari Kawabata, 1992, traduit par R. Sieffert.

Synopsis : « Dans quel monde entrait le vieil Eguchi lorsqu’il franchit le seuil des Belles Endormies ? Ce roman, publié en 1961, décrit la quête des vieillards en mal de plaisirs. Dans une mystérieuse demeure, ils viennent passer une nuit aux côtés d’adolescentes endormies sous l’effet de puissants narcotiques. Pour Eguchi, ces nuits passées dans la chambre des voluptés lui permettront de se ressouvenir des femmes de sa jeunesse, et de se plonger dans de longues méditations. Pour atteindre, qui sait ? au seuil de la mort, à la douceur de l’enfance et au pardon de ses fautes. »6

 

- La femme des sables : roman de Kôbô Abe, écrit en 1962, traduit en France par George Bonneau. Il a reçu au Japon le prix Akutagawa en 1962 et en France celui du Meilleur Livre Etranger en 1967.

Extrait : « La femme dormait parfaitement nue. Dans son champs visuel tout embrumé de pleurs, la femme apparaissait comme une ombre flottante. Elle dormait à même la natte, couchée sur le dos, et, à l'exception du seul visage, le corps entier tout découvert. Le bas-ventre était ferme, tendu, avec, de chaque côté, un pli étranglé ; et la main gauche, si légèrement, y reposait. […] Sur l'entière surface du corps, une couche de sable à fine texture posait, on eût dit, une tunique aussi fine et souple qu'une membrane. Noyant les détails, le sable détachait, en les forçant et les magnifiant, les courbes où se révèle et s'offre l'éternité de la femme. A s'y méprendre, sous son placage de sable, la Femme des sables était, au regard, devenue Statue... »7

 

 

 

1 Questions posées à Kang SangHee, contact coréen ayant travaillé et étudié 20 ans au Japon.

2 Informations apportées par Kang SangHee.

3  Aikido et enseignements traditionnels, Michel Soulenq, Ed. Amphora, 1984

4 http://www.sofoodsogood.com/2011/03/24/le-sel-du-japon/

5 Informations tirées du site Allociné, http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=133756.html

6 Site du livre de poche.com : http://www.livredepoche.com/les-belles-endormies-yasunari-kawabata-9782253029892

7 Site du livre de poche.com : http://www.livredepoche.com/la-femme-des-sables-kobo-abe-9782253059950

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