Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Krinomen du Jeudi 13 Novembre 2014, animé par Marine Simon, Laura Jouannel, Jason Cauvin, Adèle Olivry, Cassandre Duflot, Cyril Tellier
Compte-rendu rédigé par Nina Ciutat et Méguy Araujo
Afin d’animer ce Krinomen autour du spectacle Lignes de Faille, nos animateurs ont choisi de tamponner chaque étudiant d’une tache de couleur marron sur une partie du corps des élèves, afin de rappeler le fil rouge du spectacle : un gros grain de beauté duveteux que chaque protagoniste/conteur détient sur une partie de son corps.
Au début de ce débat, nos animateurs ont diffusé la bande-annonce du spectacle, afin que chaque élève n’ayant pas vu le spectacle puisse poser des images tout au long de la séance. Puis nous avons parlé de la scénographie et sa dynamique, en se demandant si elle sert le spectacle (à la sortie du spectacle, après avoir interrogé plusieurs spectateurs lambda, nous avons trouvé un point commun : personne n’a aimé la scénographie, ou plutôt personne ne trouvait qu’elle servait le spectacle). Dans Lignes de Faille, il y a quatre narrateurs, qui changent à chaque tableau, remontant d’une génération familiale tout du long. Il s’agissait toujours du personnage à l’âge de six ans. Nous avons alors demandé si cela a dérangé que le rôle d’un enfant de six ans soit tenu par un adulte, est-ce que ce choix apporte au spectacle ou au contraire le gâche ? Si l’aspect narratif est important dans la mise en scène ? Mais encore sur la place de la religion dans l’intrigue et enfin nous avons énoncé le point de faille de chacun des protagonistes principaux, leurs différences et le lien entre chaque, sur le déroulement de la pièce.
Avant tout, voici une courte présentation du spectacle :
S’attaquer à un roman et lui donner vie sur scène. Fidèle à Antoine Vitez qui affirmait que l’on peut faire théâtre de tout, Catherine Marnas s’empare de l’œuvre de la romancière franco-canadienne Nancy Huston avec un brillant savoir-faire pour en extraire le suc théâtral sans en trahir le souffle. Suivant le fil d’un grain de beauté qui se transmet de génération en génération, quatre enfants de six ans, Sol en 2004 à San Francisco, Randall en 1982 à New York, Sadie en 1962 à Toronto et Kristina en 1944 à Munich, fouillent les secrets familiaux et nous font traverser à rebours 60 ans d’histoire familiale et mondiale. En quatre heures de théâtre – le temps qu’il faut pour rendre justice à ce livre, virtuose et douloureux, qui valut à son auteur le Prix Femina 2006 –, Catherine Marnas orchestre une passionnante saga parsemée d’intrigues intimes et de questions universelles. Dans ce bruissement de la vie, huit acteurs, remarquablement inspirés, passent avec la même évidence d’un rôle à l’autre, d’un âge à l’autre, et composent d’admirables et foisonnants tableaux humains. Une vive et bouleversante narration dont on sort ému aux larmes et puissamment saisi. *
*Texte rédigé par le TNBA
La construction de Lignes de faille, autant dans le roman que dans la pièce est singulière ;
La pièce est partagée en quatre tableaux, pour quatre portraits d'enfants remontant la ligne d'un arbre généalogique des membres d'une même famille, l'année de leurs six ans. Il s’agit d’une histoire racontée à travers des yeux d'enfants. Nous parcourons soixante ans par retour en arrière pour connaître le point de faille de cette histoire, un terrible secret de famille. Ils possèdent chacun un nævus, une sorte de grain de beauté sur leur peau. Cette pièce mêle récits et dialogues, avec un dénouement à chaque tableau, toujours autour d'un même élément de décor, la table de salle à manger familiale, ainsi que des petites plateformes carrés mobiles sur le sol, qui seront accessoirisées différemment à chaque tableau, sans oublier une projection sur le sol de la scène, annonçant à chaque nouveau tableau le prénom du nouveau narrateur et la date.
http://www.youtube.com/watch?v=4GIHzKr2U88
Comment la scénographie sert-elle le spectacle?
Nous allons commencer par décrire la scénographie. Le spectacle démarre au son de « American Life » de Madonna, avec une grande table blanche recouverte d’une nappe plastifiée transparente aux motifs colorés, légèrement excentrée côté cour. Sont répartis sur le plateau, des deux côtés, des petites plateformes mobiles blanches sur lesquelles se trouvent des reproductions d’immeubles à l’échelle. Au sol, apparaît le nom du protagoniste narrateur, et l’année dans laquelle le tableau va se dérouler : Sol, 2004.
Il y a quatre tableaux en tout, remontant une génération à chaque fois. Le personnage narrateur a toujours six ans.
Le tableau suivant concerne l’histoire du père de Sol, Randall, en 1982, le changement se fait sur « I love Rock and Roll » de Joan Jett. La table, cette fois-ci, est déplacée vers le côté jardin, la nappe a changé, dans un style plus ancien de couleur verte, et six des plateformes mobiles ont été enlevées et remplacées par d’autres petites plateformes avec des pavillons (à l’échelle) cette fois-ci, réparties au lointain.
Troisième tableau, l’ambiance change, nous nous retrouvons avec Sadie, mère de Randall, en 1962, sur une musique de Sue Lyon : « Lolita y aya ». La table est restée au même endroit mais cette fois c’est une longue table en bois avec les chaises assorties, recouverte d’une nappe blanche. Un piano blanc est placé côté Cour. Les plateformes cette fois maintiennent plusieurs horloges et cadrans. Puis nous nous retrouvons chez sa mère Era, le décor ne change pas, mais sont projetés plusieurs couleurs au sol, donnant ainsi un aspect plus festif.
Enfin, le dernier tableau est introduit par un appel radio en allemand, par-dessus lequel des petites voix d’enfants, accompagnées par leur grand-père au piano, vont chanter un chant de Noël. Nous sommes en 1944-45, il s’agit de Kristina, dite « Era », mère de Sadie. La table en bois est au centre cette fois, sans nappe, les chaises sont assorties à la table, renforcées par un tissu épais vert, donnant un aspect global simple et ancien. Les plateformes sont réparties sur scène, avec plusieurs petits sapins dessus.
Puis nous nous retrouvons dans un refuge pour enfants, la table s’est renversée et la lumière s’est refroidie, donnant ainsi un aspect beaucoup plus chaotique.
Ainsi, à chaque changement nous retrouvons un même mobilier : une grande table, avec ses chaises ainsi que des petites plateformes évoluant au fur et à mesure de la représentation. Chaque tableau est introduit par une musique permettant de retracer l’époque dans laquelle nous nous trouvons, afin de créer un univers global clair pour le spectateur. Chaque nouveau narrateur porte un micro, commence à parler à chaque début de tableau pendant que son nom et la date sont projetés au sol de l’avant-scène.
Nous ne l’avons peut-être pas précisé, mais le spectacle dure quatre heures, avec un entracte. C’est un aspect non négligeable de la représentation. La scénographie proposée elle, n’est pas envahissante, il y a quelques éléments peu imposants, qui restent simples et retracent bien le contexte. Elle permet une certaine liberté du regard, avec un aspect très figuratif, donc clair. Alors qu’au contraire, une scénographie envahissante sur quatre heures, épuiserait le spectateur. D’autant plus qu’il n’y a pas réellement de nouveau décor à chaque tableau. Principalement une table, ses chaises, et des plateformes. Ce sont des éléments que nous retrouvons tout au long de la pièce, que nous pouvons définir comme un code de reconnaissance, simple, qui ne perd pas ses spectateurs, et tout à fait recontextualisant. En fonction de l’époque, le mobilier (ainsi que la musique) sont adaptés, retraçant ainsi la chronologie dégressive.
Les plateformes carrées mobiles sont des éléments qui ont beaucoup interrogé les spectateurs, sur leur utilité. Il s’agit d’abord d’immeubles, ce qui nous permet d’imaginer l’environnement de Sol lorsqu’il sort de chez lui, de même avec Randall, sauf qu’il y a moins d’immeubles mais ils ont été remplacés par des maisons plain-pied. Puis les anciennes montres et horloges, dans la maison des grands-parents de Sadie, représentation directe du temps mais également du vieux mobilier des années 60. Enfin, des sapins évoquant le froid de l’Allemagne, mais également la période de Noël.
C’est un aspect agréable, qui permet au spectateur de percuter directement le contexte, cependant, on lui reproche d’être trop figuratif, presque descriptif. C’est une scénographie qui est bien pensée mais mal exploitée, ou pas assez. Il est vrai que les carrés sont là mais les acteurs ne jouent pas avec, sauf pour s’y percher un instant, ou y poser leur doudou. D’autant plus qu’ils les déplacent eux-mêmes aux changements de tableau, d’une manière pas du tout chorégraphiée, il n’y a pas de fluidité, seulement un changement vide.
Nous avons également noté qu’il y a un déséquilibre entre le texte et sa scénographie. Dans ce spectacle, c’est l’histoire qui prime (n’oublions pas que cette pièce est tirée et adaptée d’un roman), la scénographie viendrait surtout appuyer le texte, le clarifier de manière visuelle.
Ainsi, les avis sont partagés. La scénographie sert plus le texte, très imposant, que le spectacle en soi. Concernant sa dynamique, elle est plate, puisqu’elle se veut simple. Les changements ne sont pas exploités, seulement exécutés. C’est un aspect que certains reprochent à Catherine Marnas, surtout si l’on a vu son spectacle précédent.
Quel est l’intérêt que la narration soit faite par un enfant de six ans, interprété par un adulte ?
Le spectacle se divise en quatre parties, chacune de ces parties montre le point de vue d'un enfant de six ans, on part du petit dernier et on remonte jusqu'au point de vue de l'arrière grand-mère lorsqu'elle était petite. Ces rôles d'enfants sont donc joués par les comédiens qui jouent ensuite leur rôle d'adulte dans les autres scènes. Le fait d'avoir les même comédiens tout le long du spectacle permet une certaine continuité. Mais ce sont des comédiens d'un certain âge, et aucun d'eux n'a réellement six ans ! Ces interprétations de personnages par des adultes amènent donc certains débats …
En effet beaucoup de spectateurs ont trouvé que les personnages étaient vraiment précoces pour des enfants de six ans. On est étonné de voir le premier enfant regarder des images pornographiques ou encore des images de guerres et ses violences sur internet. Mais ce sont des enfants qui vivent tous des expériences difficiles, ce qui peut probablement expliquer cette précocité. Mais on peut également penser que dès le début, ce point de vue d'enfant est biaisé car c'est une histoire écrite par une adulte (Nancy Huston), qui emprunte le point de vue d'enfants, or cela paraît un peu trop réfléchi.
L'avantage d’avoir comme narrateur un enfant, c'est que l'on a une vision innocente, il ne comprend pas bien ce qui ce passe, tout comme le public.
Des sujets importants tels que la religion ou bien la guerre sont abordés, sans aucun jugement, juste de l'incompréhension. Ils sont perdus, et c'est ce qui touche le public. Le message que veut faire passer le texte est plus évident à faire passer par un enfant car cela amène moins de conflits étant donné qu'ils ont une vision très naïve de la chose.
Six ans, c'est également l’âge durant lequel chacun des enfants vit sa «ligne de faille».
Le fait que l'intrigue soit racontée par un jeune enfant place bien l'histoire dans la catégorie «histoire de famille» car lorsque l'on a six ans, notre seul repère, ce sont nos parents.
Pour certaines personnes, le fait que les enfants soient interprétées par des adultes était incohérent. Le ressenti c'est que les acteurs en faisaient beaucoup trop, comme s'ils jouaient à jouer des enfants. Spécialement pour le premier et le dernier tableau.
Beaucoup ont constaté que la comédienne qui jouait Kristina n'allait pas forcément pour le rôle de l'enfant. En effet il n'y avait pas assez de nuances dans son jeu, qui était trop monotone. De ce fait quelques spectateurs sont restés extérieurs à la résolution de l'histoire. On peut tout de même apprécier sa performance, car elle joue son rôle tout le long de la pièce avec l’évolution, de son âge, à chaque tableau: elle passe de l'arrière grand-mère, à la grand-mère puis à la mère et enfin, c'est à elle d'être l'enfant.
Mais cela n’a pas été le cas pour tous les spectateurs, tellement ils étaient désireux de connaître le dénouement. On peut également penser que à partir du moment où l'on est au théâtre, on peut se permettre quelques libertés au niveau du jeu, tant que l'on a compris que les personnages ont six ans.
Mais peut-on vraiment dire que c'est un choix de mise en scène que de faire jouer des enfants à des adultes ? En réalité cela aurait été très compliqué de faire jouer de vrais enfants de six ans, surtout pour une pièce de quatre heures.
Comment la narration est-elle établie dans la pièce et mise en scène de Catherine Marnas ?
Le spectacle est vraiment centré sur l'histoire de Nancy Huston, il est guidé tour à tour par le narration de chaque enfant. Mais quatre heures de narration cela peut faire un peu long, et l'on remarque une sorte de redondance: à peine le narrateur raconte quelque chose, une anecdote ou une action, que c'est immédiatement retranscrit par le jeu sur scène.
Mais la narration apporte également du suspens, on est impatient de voir le tableau suivant et d'arriver au dénouement, de pouvoir enfin tout mettre bout à bout pour comprendre le conflit de l'intrigue. Pour une fois, on est content que l'on nous raconte une vraie histoire au théâtre. De plus, le spectacle n'est pas seulement fait de narration, il y a également des dialogues.
Cependant pour certains, ce n'est pas l'histoire en elle-même qui leur a donné l'envie de rester jusqu'au bout, mais le fait de voir chaque personnage jouer un à un, le rôle de l'enfant. Ils se sont plus attachés aux personnages et à leur jeu qu’à l’intrigue.
L'adaptation de Catherine Marnas peut certainement être décevante pour quelqu'un qui a lu le livre avant de voir la pièce… En effet, d'après le témoignage d'un spectateur, il y a beaucoup d’éléments, d'émotion, qui se perdent et il ne reste que principalement l'histoire. Tous repose sur l'histoire et cela éclipserait le reste....
Quelle est la place de la religion dans l’intrigue ?
La religion est un sujet important abordé dans le spectacle. En effet, nous commençons avec Sol, un enfant issu d’un père juif et d’une mère protestante, ils ont choisi comme religion commune pour le bien-être de leur famille et repère de leur enfant, d’être catholiques. C’est une solution que l’on reproche au spectacle dans sa cohérence vis à vis du poids de la religion, dont nous découvrirons par la suite. Certains trouvent ce choix bien léger.
Puis nous découvrons avec Randall qu’il est devenu juif parce que sa mère s’est interrogée sur ce sujet à la recherche de ses origines et celles de sa mère. C’est pourquoi ils sont allés vivre à Haifa en Israël. C’est à l’époque où le sionisme a éclaté, ce tableau évoque, avec la sensibilité et les questionnements d’un enfant, le conflit Israélo-Palestinien.
Comme nous l’avons vu, nous avons toujours le point de vue d’un enfant de six ans qui tient le rôle du narrateur. La question de la religion est toujours abordée par les réflexions d’un enfant, de manière innocente, qui n’a pas conscience de l’ampleur que prend la religion. Dans le spectacle, elle est une source de conflit dans l’environnement qui les entoure mais également au sein de la famille. Ceci est surtout remarquable au deuxième tableau, avec le conflit Israélo-Palestinien.
D’abord qu’est-ce, en résumé, que ce conflit ?
1920, l'année du début du sionisme. Le conflit se déclare réellement en 1947 avec le mandat britannique. Deux idées s'opposent. D'un côté il y a les revendications sionistes (créer un État israélien) et de l'autre il y a le nationalisme Arabe, représenté par la Ligue Arabe (qui tient à garder son État). Les revendications sionistes s'exacerbent après la Seconde Guerre Mondiale et le génocide contre les juifs. L'ONU prévoit un partage de la Palestine en deux États, un pour chacune des parties, soit un État juif, et un État arabe. Mais ce projet est contesté par les Arabes, ce qui conduit à une guerre civile entre ces deux peuples.
Avec Randall, nous nous retrouvons au cœur du conflit à Haifa, où il a du apprendre l’hébreu, afin de suivre les cours à l’école. Il est juif, il rencontre une jeune fille arabe de son âge avec qui il sympathisera et dont il tombera amoureux. Mais lors de l’éclatement du conflit, les parents de cette jeune fille lui interdisent de parler aux juifs, dont Randall. C’est pourquoi elle lui jette le mauvais œil ; croyant plus tard que c’est à cause de cela que sa mère a eu un accident grave.
Ce qu’il ne comprend pas, évidemment, il ne conçoit pas que des gens puissent se détester pour une religion. Alors Randall s’interroge sur la place de la religion dans la société, son influence sur les actes des hommes, de manière si simple. Le spectateur ne peut que compatir avec ce jeune homme encore innocent, ou du moins ignorant des absurdités du monde. Par le biais d’un enfant de six ans, le spectateur est confronté à un raisonnement simple, par lequel il ne peut plus passer. Ce spectacle nous ramène à un questionnement simple et évident, rappelant les conflits que provoquent les religions.
Mais au delà de la religion déiste, nous évoquons des conflits comparables à la croyance de la religion. Comme la Seconde Guerre Mondiale, avec Kristina, ce qui influencera par la suite les différentes générations de sa famille. En effet Kristina est en fait une enfant adoptée issue du Lebensborn, fontaine de vie. Il s’agissait d’enfants créés ou adoptés de pays étrangers par les nazis afin de créer la race aryenne pure. Elle a été enlevée à ses parents car elle correspondait au modèle aryen, puis replacée dans un foyer nazi allemand. Elle y rencontre un autre enfant issu du Lebensborn, avec qui ils vont se promettre de se retrouver. Ils sont tous deux séparés pour être à nouveau placés dans un foyer puis une nouvelle famille adoptive.
Chaque enfant est victime d’une croyance qui aura un impact sur la suite de sa vie, dans son comportement et son rapport au monde.
Ici, la religion est abordée de manière simple et forte. La religion et les différences culturelles définissent, mais elles peuvent également séparer, de manière injuste, lorsqu’elles sont « prises au sérieux » et revendiquées comme unique vérité. Cette pièce demande comment mieux vivre ensemble malgré nos différences, nos croyances, où le fait d’être victime des convictions et du pouvoir des autres.
Quel est le point de faille de chacun ?
Chaque personnage-narrateur a un gros grain de beauté duveteux placé sur une partie de son corps. Il s’agit d’un inconvénient pour deux d’entre eux : Sol (placé sur sa tempe gauche) et Sadie (placé sur sa fesse gauche), au contraire de Kristina et Randall pour qui c'est un porte-bonheur.
Cette tache qui les suit depuis plusieurs générations est le point de faille de Sol, qui se définit comme un être parfait, seule cette tache est un obstacle à sa perfection, elle est voyante, laide et mal placée. C’est pourquoi il veut se faire opérer pour la retirer, mais l’opération tourne mal et engendre d’autres soucis de santé, ainsi qu’une cicatrice aussi voyante au lieu du grain de beauté.
Randall, c’est le mauvais œil que lui a jeté sa copine d’enfance, suite à quoi sa mère a eu un accident, il pense que le sort va le suivre toute sa vie. C’est aussi pourquoi il déteste tant les arabes. Il travaille dans une entreprise qui construit des appareils de guerre.
Sadie, lors d’un séjour chez sa mère, découvre le bonheur d’une vie libérée, non soucieuse, où sa mère est son modèle. Jusqu’au jour où elle la voit tromper son nouveau mari avec un étranger, à travers la serrure. Sadie a toujours caché sa tache, qu’elle compare à l’ennemi, au mal en elle, qui lui dicte des punitions lorsqu’elle agit mal. Après cette vision elle va se cogner la tête dans son placard, punition que lui a dicté sa tache, elle développe un dédoublement de personnalité, puis elle se raccrochera au passé de sa mère et tentera de découvrir ses origines et traumatismes.
Enfin Kristina, dite Era, est une enfant adoptée issue du Lebensborn, qui est tombée amoureuse de son frère adoptif, dont elle a été séparée. C’est avec lui qu’elle trompe son nouveau mari, après plusieurs années de séparation et sans nouvelles.
Nous avons constaté que les lignes de faille de chaque enfant se resserrent dans le temps, au fur et à mesure que nous remontons les générations. Le mal-être présent dans cette famille est symbolisé par le grain de beauté, avec chacun son rapport à lui. La volonté que Sol manifeste pour enlever ce qui est une « marque » de sa famille peut être interprétée comme un désir de se débarrasser de ce poids qui les suit depuis plusieurs générations. D’autant plus que Sol veut être parfait, comme s’il y avait une accumulation si forte et non contrôlable inconsciemment, qu’il veut se débarrasser de tout, atteindre la perfection, mais surtout de retirer cette tache sur son visage qu’il ne peut éviter ou cacher, il la voit au quotidien et les autres la voient toujours.
CONCLUSION
Tout au long de Lignes de faille, le spectateur peut s’identifier à certaines situations, ou du moins en reconnaître, même si elles n’évoquent pas une expérience personnelle.
On peut dire que c’est une création significative du désir de Catherine Marnas, comme elle l’a annoncé lors de la prise de la direction du TNBA : faire un théâtre qui s’adresse à tous, accessible.
Si vous avez la volonté d’approfondir les réflexions que développe ce spectacle ou encore découvrir l’intégralité de l’histoire, vous pouvez lire le roman de Nancy Huston, également nommé Lignes de faille.