Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Krinomen du 11 décembre 2014
Maison des étudiants
« L'acteur ne joue plus dans l’espace mais avec lui. La scénographie intègre dans une fluidité sensible la mise en scène, qui trouve dans la présence d’éléments ou d’objets un prolongement de sens. Cette tendance vers l’épure et le dépouillement trouve un écho significatif dans l’émergence de jeunes praticiens. Les évocations de ces quelques réalisations scéniques laissent apparaître la nécessité d’une adéquation artistique entre metteur en scène et scénographe. Un décor inadapté est souvent le résultat d’une divergence entre les deux. C’est pourquoi des tandems se sont formés dans une osmose créatrice : Strehler et Daminani, Planchon et Allio, Vitez et Kokkos, Chéreau et Peduzzi, François et Mnouchkine, Régy et Jeanneteau ….
Ils permettent dans l’échange, une harmonisation de deux univers tendus vers une même finalité. En maîtrisant les apports de nouvelles technologies ( en matière de lumière, son, vidéo et images projetées ) la scénographie dispose aujourd’hui d’un vocabulaire artistique qui lui permet de répondre aux différentes formes dramatiques. Elle fait partie intégrante et constitutive des évolutions d’un art éphémère en constante mutation. Sa spécificité conceptuelle lui ouvre aussi d’autres applications, en accompagnement de l’architecture, de la muséographie, de l’exposition, ou de l’évènementiel. »
Jean Chollet
Encyclopaedia Universalis Edition
Le Krinomen du 11 décembre questionnera la relation qui existe metteur en scène et scénographe, celle qui lie étroitement la scénographie à la mise en scène et vice versa. Nous avons choisi de nous pencher sur le parcours de plusieurs artistes « metteur en scène/scénographe » ayant eu un long parcours ensemble. Pour nourrir cette réflexion et ce débat, nous avons choisi quatre duos de metteur en scène/scénographe et avons fait des recherches autour de leur relation et leur parcours. Il s'agit du metteur en scène Antoine Vitez et du scénographe Yannis Kokkos (devenu lui-même metteur en scène depuis la disparition de Vitez), de la metteur en scène et cinéaste Ariane Mnouchkine et du scénographe Guy-Claude François, de la metteur en scène Catherine Marnas qui a pris la direction en 2014 du TNBA et de son scénographe Carlos Calvo.
Nous avons aussi choisi, pour alimenter la polémique, de nous pencher sur la démarche de Roméo Castellucci, metteur en scène italien qui conçoit lui-même la scénographie de ses spectacles et occupe de ce fait les deux fonctions.
Nous tenterons dans un premier temps de donner une définition de ces deux termes à travers des citations. Ces dernières sont multiples. On ne peut s'attacher à les retranscrire d'une seule et même façon puisqu’elles varient selon l'artiste, sa méthode, sa sensibilité, l'époque à laquelle elles ont été formulées. Nous vous livrons donc ici les points de vue de différents artistes et de théoriciens en la matière, afin que vous en dégagiez la définition qui vous convienne le plus.
Pour la mise en scène :
Michel Corvin, dans l’introduction du « Dictionnaire encyclopédique du théâtre » dont il a dirigé l'édition chez Bordas, en propose une définition :
« La mise en scène c’est du temps qui s’invente, de l’espace qui respire, de l’idée qui s’incarne et de l’image qui pense. Étrange réversibilité des facultés mentales et des perceptions les plus immédiates, productrices de ce jeu, plaisir et écart à la fois, que le metteur en scène creuse dans l’instant même où il installe sur le plateau le maximum de concrétion scéniques. Au vrai il est un faiseur de silences et ses matériaux sont volatils : c’est l’esprit de la scène, pour ainsi dire que le spectateur hume de sa place. » Dans Wikipedia on trouve la définition suivante :
"La mise en scène c'est l’art de dresser sur les planches l'action et les personnages imaginés par l’auteur dramatique". Il soulignait : "Une mise en scène n'est jamais neutre. Toujours, il s'agit d'un choix"
André Antoine
« Il est symptomatique de relever que le terme de mise en scène n’a été employé qu’au début du XIXe siècle (avant celui de metteur en scène) pour désigner dans le spectacle tout ce qui n’était pas le texte et la déclamation du texte: la figuration, la pantomime, les mouvements, la décoration. Cet état de fait donne une explication possible de la confusion fréquente entre mise en scène et scénographie. »
Marcel Freydefont Petit traité de scénographie, le Grand T, édition Joca Seria 2011
« Le théâtre, c'est la pure fiction, l'impossible conjonction de l'espace et du temps, l'ailleurs. Car seul le faux permet le travail de l'intelligence, fait que le spectateur n'est pas l'otage de ce qu'il voit. Vous connaissez le fameux paradoxe des sophistes grecs : celui qui est trompé connaît mieux la vérité que celui qui ne l'est pas… La vérité fige, empêche le sens de rayonner, enferme dans la mort. C'est un poids dont il faut se libérer. Il faut cacher, voiler la vérité. Le plaisir du théâtre est obscur. »
Roméo Castellucci (entretien)
« Le théâtre, c'est précisément l'éphémère, il est dans sa nature de disparaître, comme les évênements politiques, comme les vies elles-mêmes ».
« Pour représenter le monde entier, sa grandeur, il faut la petitesse du théâtre. »
Antoine Vitez (entretien)
« S’il n’y a pas en nous un peu du trésor de l’enfance préservée, il n’y a pas de crédulité, d’enchantement, d’enthousiasme - l’enthousiasme, c’est tout sauf «bête», l’enfance c’est la capacité de s’enthousiasmer, se laisser envahir…..par les dieux….».
Ariane Mnouchkine (citation)
Pour la scénographie :
Le terme scénographie, si souvent employé aujourd’hui, était, encore récemment inconnu du grand public bien que ce terme exista déjà du temps des grecs.
« La scénographie est une écriture en même temps qu’une lecture des signes, en dialogue permanent avec les événements survenus en cours d’élaboration, depuis l’avènement du projet jusqu’à sa réalisation scénique. Tout devient outil d’interrogation, interrogation des choses se faisant, et gestion de cette nouvelle matière ; un savant laissé-faire qui prend matière et épaisseur temporelle. »
Gilone Brun in « Le metteur en scène et ses doubles », Colloque international, Genève 2012.
« Rendre l’espace actif et même acteur, définir un point de vue signifiant sur le monde, élaborer des dispositifs et des lieux scéniques qui en assurent la mise en œuvre, as- surer un travail réfléchi de découpage de l’espace, du temps, de l’action, conférer une valeur poétique à un cadre scénique approprié au drame représenté, telles sont les caractéristiques du travail scénographique ».
Marcel Freydefont Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Editions Bordas, Paris, 1991.
« La scénographie est indissociable de l’œuvre à l’avènement de laquelle elle participe, et n’ a pas d’existence en dehors du temps de la représentation, ni séparément de la lumière, des présences vivantes, de l’architecture des corps, de leur placement, de leurs mouvements, des distances, des bruits. Le décor n’y occupe qu’une place à mon sens nécessairement en retrait. Il propose, il induit, il contient : il n’ est à mon avis qu’un aspect de la scénographie ».
Daniel Jeanneteau À propos de ‘l’Atelier Tintagiles, 1996
« La scénographie peut se définir comme l’ art de la mise en forme de l’espace de représentation. De la conception d’un décor pour une mise en scène donnée à celle d’un lieu de spectacle, en passant par l’aménagement de tout un espace pour un spectacle, l’intervention du scénographe peut prendre des formes et une importance extrêmement divers. À travers son origine historique, ce terme souligne la nécessité d’ un travail d’ invention conceptuel permettant de penser l’espace»
Luc Boucris, Guy-Claude François, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Editions Bordas, Paris, 1991.
"L’objet de la scénographie est de composer le lieu nécessaire et propice à la représentation d’une action, le moyen en est la mise en forme de l’espace et du temps. Autant que la spatialité, la temporalité est un élément constitutif du travail scénographique, et cela toujours en relation avec un texte, entendu comme projet dramatique. Il n’y a pas de scénographie concevable sans dramaturgie : c’est le fondement même de toute scénographie. Inversement, il n’y a pas de dramaturgie qui puisse être effective sans scénographie. La scénographie s’élabore en collaboration étroite avec un metteur en scène. »
« Le scénographe est très souvent le premier interlocuteur du metteur en scène quand s’esquissent les contours d’un spectacle. Le scénographe n’est pas un exécutant, un auxiliaire. Il a qualité d’auteur et d’artiste. »
Marcel Freydefont Petit traité de scénographie, le Grad T, édition Joca Seria 2011
« Généralement avant les mots ; mais toujours de manière périphérique. Comme des rayons qui passent. Il faut être attentif. J'ai constamment un cahier de notes sur moi. Car les images surgissent n'importe quand, lorsque je téléphone ou regarde n'importe quoi. Après, il faut vérifier leur nécessité. Le temps est pour ça un outil extraordinaire. Au fur et à mesure, j'enlève, j'enlève, comme un sculpteur. La discipline qui m'est la plus proche est la sculpture. Une image est un point qui doit briller dans le temps. Un temps ni trop long ni trop court. Il faut en trouver le rythme, c'est un travail quasi musical : écrire le temps…
Roméo Castellucci Epitaph, Les Solitaires intempestifs, 2003
Nous axerons notre débat sur les relations que nous avons pu observer à travers nos lectures entre les metteur en scène/scénographie dont nous avons choisi de traverser le parcours :
Vitez/Kokkos, Mnouchkine/François et Marnas/Calvo, ainsi que du metteur en scène scénographe Roméo Castellucci.
Les parcours exemplaires de ces créateurs ont marqué les dernières décennies.
Antoine Vitez et Yannis Kokkos :
Ces deux artistes se sont rencontrés en 1969 et ont collaboré jusqu'au décès d'Antoine Vitez
Yannis Kokkos est un scénographe d'origine greque qui à travaillé majoritairement en France, et a produit près de 200 scénographies pour le théâtre et l'opéra. Il est également metteur en scène, le plus souvent pour l'opéra. Né en 1944 à Athènes, il a fait des études à l'Atelier libre des Beaux-Arts d'Athènes. A l'âge de 17 ans, il part vivre en France et étudie à l'Ecole supérieure d'art dramatique de la comédie de l'Est pendant deux ans, entre 1963 et 1965. Puis il commence peu à peu à s'insérer dans le milieu artistique. Il commence à travailler avec des metteurs en scène comme Claude Petitpierre, André Steiger, Daniel Leveugle, mais aussi avec Antoine Bourseiller, Guy Parigot, André Reybaz, et Pierre-Etienne Heymann. Très vite, il rencontre Vitez et devient son scénographe. Il monte sa première pièce avec lui : Le précepteur de Jakob Lenz, en 1969, suivi d'Electre de Sophocle, la même année. Kokkos et Vitez collaboreront jusqu'à la mort de ce dernier, et monteront de nombreuses pièces ensemble parmis lesquelles se trouvent Iphigénie Hôtel de Vinaver (en 1977), Hamlet de Shakespeare (en 1983), Le Héron de Vassili Axionov (en 1984), (oiseau auquel Kokkos s'identifiera dans son livre écrit en collaboration avec Georges Banu en 1989 : Le scénographe et le Héron publié chez Actes Sud. Ainsi, sous l’apparence accidentelle d’une chose ou d’un être "peut se déceler la trame profonde, l’indice secret, le signe"), L'échange puis Le soulier de Satin (en 1987) de Paul Claudel (spectacle pour lequel Kokkos recevra le Molière du décorateur scénographe), et enfin La vie de Galilée de Bertolt Brecht, dernier spectacle de Vitez en 1990. Sa relation avec Vitez n'a pas été exclusive : il a également travaillé avec Jacques Lassalle ou encore Michel Berto, Jean-Pierre Vincent, André Engel, Jean-Michel Ribes, Eric Rohmer, Michel Piccoli et de nombreux autres. Il s'est également tourné, tardivement, vers la mise en scène : en 1987, il monte La princesse Blanche de Rilke, sa première mise en scène. Kokkos est très influencé dans son travail par le symbolisme.
Antoine Vitez (1930-1990) était un metteur en scène français prônant "un théâtre élitaire pour tous", très critiqué dans ses débuts, puis reconnu comme ayant eu une influence majeure sur le théâtre. Après un diplôme de russe obtenu à l'Ecole nationale des langues orientales vivantes, il prends des cours avec Tania Balachova et sera secrétaire particulier d'Aragon pendant plusieurs années. Il enseignera à l'école Jacques Lecocq puis au Concervatoire National d'Art Dramatique de Paris de 1968 à 1981. Il sera successivement ou en même temps responsable de l'animation du théâtre des Quartiers de Nanterre, codirecteur artistique du Théâtre National de Chaillot, directeur du Théâtre des Quartiers d'Ivry (qu'il a fondé en 1972) et de l'Atelier théâtral d'Ivry, directeur du Théâtre National de Chaillot à partir de 1969. En 1988 il prendra la direction de la Comédie-Française en tant qu'administrateur général. Il meurt à l'âge de soixante ans d'une rupture d'anévrisme.
Ses premières mises en scènes sont montées à la Maison de la culture de Caen (Electre de Sophocle en 1967). Il conçoit avec Kokkos Le précepteur de Lenz en 1969, Faust de Goethe en 1972, Le prince travesti de Marivaux en 1983, etc... Il collabore parfois avec d'autres scénographes, notamment sur sa mise en scène Les Burgraves de Victor Hugo en 1977 qu'il réalisa avec Claude Lemaire.
Ariane Mnouchkine et Guy Claude François :
Nous avons trouvé des entretiens dans lesquels tous deux s'ouvrent sur leur étroite collaboration.
Ariane Mnouchkine est née en 1939 et passe une partie de son adolescence en Suisse. Elle est metteur en scène, comédienne et artiste singulière. Elle est surtout connue pour être la fondatrice du Théâtre du Soleil.
Guy-Claude François est un scénographe (né en 1941 et mort en 2014 ). Il était l’un des plus célèbres scénographes français. Il a réalisé les décors des spectacles d'Ariane Mnouchkine, depuis L'Age d'or, en 1975, jusqu'au Dernier Caravansérail en 2003, en passant par les Shakespeare, L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge ou encore L'Indiade.
Ariane Mnouchkine et Guy Claude François se sont rencontrés au moment de la mise en scène du Capitaine Fracasse au Théâtre Récamier où ils commencent à travailler et ont ensemble pour maxime « il faut que les gens entrent et oublient tout le reste, qu’ils soient entièrement dédiés au spectacle comme nous le sommes vis-à-vis d’eux ». Le premier spectacle dont Guy-Claude François signe la scénographie est L’Age d’Or, en 1975.
Ariane Mnouchkine et Guy Claude François commencent à travailler ensemble en se proposant des choses dans le secret.
Ariane Mnouchkine : « Guy Claude écoute toujours tout. Il laisse aller toutes mes propositions, et puis, d’un coup, il me propose une résolution, toujours juste, beaucoup mieux que celle que j’aurais eu. Il fait des dessins, des propositions, toutes plus belles les unes que les autres ; il s’est souvent trouvé que je lui téléphone au soir d’une répétition pour lui dire «tu sais, cette chose, je n’en ai pas plus besoin, on l’a trouvée sans ça ». Ce qui fait qu’au bout d’un moment, il propose une esquisse en me disant : « Est-ce que tu es d’accord qu’au fond l’essentiel est simplement cela ? » Et évidemment j’approuve.
En général, il est toujours la première personne à qui je parle. Il a entendu beaucoup de propositions qui n’ont même pas été travaillées ensuite par la troupe. Bien sûr, s’il s’agit d’un Shakespeare ou d’une création collective, c’est évidemment différent... En même temps, on se connaît tellement bien, avec Guy-Claude, que je n’ai pas besoin de terminer ma phrase, il comprend tout de suite. Je lui demande toujours son avis au début et au cours des répétitions, et même de venir voir où l’on en est avec les comédien, pour savoir ce que lui ressent. On se parle beaucoup, et tout d’abord du thème. Je veux savoir comment il ressent le thème, l’aventure qui va nous prendre plusieurs mois ; est-ce que cela le concerne, est-ce que c’est le spectacle qu’il veut voir, est-ce que c’est juste, est-ce que ce spectacle est indispensable, en tout cas pour nous ? C’est cela le critère. Ce que je veux dire par indispensable, ce n’est pas qu’il nous fera gagner notre pain et notre sel, mais que nous en sortirons un peu plus savants, mûrs, engagés. On aura compris un phénomène.
Guy Claude François : « Je distinguerais ma façon de faire avec Ariane au Théâtre du Soleil et avec les autres metteurs en scène. Ariane s’investit immédiatement, suit tout le processus de création et, dans la foulée, entraîne l’ensemble de ses collaborateurs dans une avancée régulière. Elle a toujours dans un premier temps une idée finalement relativement réaliste. Je commence à faire des dessins à partir de ce qu’elle m’a évoqué, non pas comme images mais comme idées. Les répétitions commencent très rapidement. Au théâtre, le scénographe est proche du metteur en scène.
Catherine Marnas et Carlos Calvo :
Après une maîtrise de Lettres modernes et un D.E.A. (diplôme d'études approfondies) de Sémiologie Théâtrale Catherine Marnas s'est formée auprès d'Antoine Vitez et de Georges Lavaudant. Elle a créé la Compagnie Parnas en 1986 (avec comme premier scénographe Michel Foraison, puis Carlos Calvo ; comme directeur administratif Claude Poinas et comme costumière Ediyth Traverso). Elle travaille presque uniquement sur des textes comtemporains : Bernard-Marie Koltès en premier lieu, mais aussi Serge Valetti, Olivier Py, Pier-Paolo Pasolini, Nancy Huston... Cependant elle monte aussi plusieurs pièces d'un répertoire plus ancien : Brecht, mais aussi Molière, Shakespeare, Tcheckov. Elle met en scène en France et à l'étranger (Mexique, Brésil, Chine, Cambodge...). Elle à été artiste associée au Théâtre des Salins à Martigues de 2005 à 2012, et également à la passerelle, à Gap, de 1994 à 2012, où elle monte plus d'une dizaine de spectacles dont Lignes de failles adaptation du roman de Nancy Huston en 2010 et 2011, Sainte Jeanne des Abbatoirs de Brecht, Il convivio (en 2011 Le banquet fabulateur, en français et italien)... En 2009, elle commence à travailler à La Friche de mai à Marseille, et en devient la directrice artistique en 2013. Elle monte cette année là N'enterrez pas trop vite Big Brother de Driss Ksikes. En 2014, elle est nommée directrice artistique du TNBA. Elle revendique un théâtre "populaire" et "généreux", comme un acte de la pensée et une source de plaisir. En 1999 Grand Prix National du Ministère de la Culture, catégorie “jeune talent” des Arts du Spectacle Vivant. Elle fut professeur d'interprétation au Conservatoire National d'Art Dramatique de Paris de 1998 à 2001, et professeur honoraire de l'académie centrale de Pékin en 2006. Elle enseigne aujourd'hui en milieu scolaire ainsi qu'à l'école régionnale d'acteurs de Cannes.
Carlos Calvo est originaire du Mexique où il a souvent travaillé comme scénographe, notamment avec Partijuego, foire de l’enfance et de la jeunesse, ou sur Tristan et Isolde (à Mexico). Il est partisan d'un théâtre travaillant avec très peu de moyens. Il a été responsable d'un groupe de théâtre à l’université, puis s'est formé à la scénographie à l’Instituto del Teatro de Barcelone (ville dans laquelle il créera Étoiles dans un ciel matinée). Il a ensuite été étudiant à Instituto Tecnológico Autónomo de México (de 1994 à 2001) et à l’ISTS en 1996-1997 (institut supérieur des techniques du spectacle) à Avignon, où il à fait des études de régie générale. Il rejoint la compagnie Parnas et crée pour elle de nombreuses scénographies, comme La Jeune fille aux mains d’argent au festival de Marseille, et Sainte Jeanne des Abattoirs à Gap. Il a réalisé les directions techniques de Roberto Zucco, Houdini, la Magia del amor, et Femmes, guerre, comédie. Il a mis en scène Intento enèsimo en 1994 et Poca Madre en 1999.
Nous avons également décidé d’appuyer nos propos en citant l’exemple d’un homme occupant, dans ses créations, le rôle de metteur en scène et celui de scénographe :
Roméo Castellucci :
Romeo Castellucci, né en 1960 à Cesena, est un metteur en scène et scénographe italien. Diplômé des Beaux-Arts en scénographie et en peinture à l'issue de ses études à Bologne, Romeo Castellucci fonde en 1981 avec sa sœur Claudia et Chiara Guidi, à Cesena, en Émilie-Romagne la « Socìetas Raffaello Sanzio ».
L’orientation générale qui sous-tend l’oeuvre complète de la Socìetas Raffaello Sanzio, tout en gardant les différences nécessaires, est la conception d’un théâtre intense, d’une forme d’art qui réunit toutes les expressions artistiques, en vue d’une communication qui vise tous les sens et dans tous les sens de l’esprit. La majesté de l’équipement visuel et sonore, qui s’appuie tant sur l’artisanat théâtral d’antan que sur les nouvelles technologies, crée une dramaturgie qui désavoue l’hégémonie de la littérature. La recherche menée dans les domaines de la perception visuelle et auditive vise à étudier les effets des nouveaux équipements ou, plus souvent, à inventer de nouvelles machines. Durant les années 1990, Romeo Castellucci s'inspire de textes classiques ainsi que d'épopées, notamment Gilgamesh (1990), Hamlet (1992), L'Orestie (1997), Le Voyage au bout de la nuit (1998 ) et le Shakespeare d'inspiration Giulio Cesare (2001). Il a ensuite entrepris un vaste travail de quatre années sur le projet intitulé Tragedia Endogonidia. Il s'est plus récemment concentré sur une ambitieuse trilogie développée autour La Divina Commedia de Dante. Caractérisé par une démarche parfois radicale, mais toujours disciplinée et très esthétique, ses performances ne peuvent guère être comparées à rien d'autre. Elles laissent des impressions durables sur le public. Ses spectacles ont été invité dans de grands théâtres et festivals internationaux, et ont remporté de nombreux prix en Italie et à l'étranger.
En 2001, la Socìetas Raffaello Sanzio lance un vaste projet Tragedia Endogonidia, un système de représentation ouvert qui, tel un organisme, se transforme dans le temps et dans le parcours géographique qu'il effectue, en attribuant à chaque stade de sa transformation le nom d'Episode. L'anonymat des personnages, l'alphabet, la loi, l'âpreté du rêve et la ville constituent des thèmes qui sont autant de conditions de la tragédie contemporaine, vécues à travers la condition du spectateur, qui est probablement le véritable objet de cette Tragedia Endogonidia.
Dans ce projet, comportant onze épisodes, notamment à Cesena, Avignon, Berlin, Bruxelles, Paris, Londres, Rome, Marseille, Romeo Castellucci s'interroge sur les conditions de la tragédie contemporaine, à travers la situation du spectateur.
Nous sommes avons également eu la chance de passer une heure et demie en compagnie de Catherine Marnas.
Celle-ci nous a accueillis dans la salle de réunion du TNBA le lundi 1 décembre 2014 en fin d'après-midi. Nous avons pu alors lui poser les questions suivantes qui reviendront lors de notre débat :
• Quels seraient les effets sur les créations si la compagnie Parnas changeait de scénographe ?
• Y a-t-il besoin d'avoir une relation de connivence entre le metteur en scène et le scénographe ?
• Pourquoi pas parler du metteur en scène et du scénographe ? Certaines idées de spectacle murissent-il à partir des propositions de votre scénographe ?
• Comment choisissez-vous les acteurs ? Le scénographe a t il un rôle à jouer dans ce choix ?
• Travaillez vous séparément ou en commun avec votre scénographe, avez vous besoin d'un temps sans ou avec lui ?
• Y a t'il une égalité de décision entre vous et votre scénographe ?
Voici un résumé de l’échange que nous avons vécu et des réponses que Catherine Marnas a apporté à nos questions :
Pour Catherine Marnas entre le metteur en scène et le scénographe mais avec aussi tous les memebre de l'équipe c’est : « La fidélité avant tout ! »
Le fonctionnement de troupe ne peut pas exister sans cette notion fondamentale, notamment avec son scénographe. L'évolution du projet se fait ensemble.
Le premier scénographe de Catherine Marnas a été Michel Foraison. C'est avec lui qu'elle a réalisé son premier spectacle et a collaboré pendant de nombreuses années. Pendant cette période, elle a monté certains projets sans Michel. Notamment au Conservatoire de Paris, sur la pièce intitulée Matériaux Koltès où le scénographe Laurent Berger est intervenu. Au Conservatoire de Paris également, sur Qui je-suis ?, un spectacle sur Pasolini, le collectif des élèves de l'Ecole des Art Décoratifs de Paris a répondu à la contrainte du lieu qui était alors La Manufacture des Oeillets. Les spectateurs au milieu de l'espace assis sur des chaises tournaient sur eux-même afin de voir l'intégralité du spectacle qui se déroulait autour d'eux.
Au moment de transition entre deux scénographes de la compagnie et pour ne pas évincer Michel Foraison, Catherine Marnas a choisi de travailler en trio avec Michel et avec Carlos Calvo (également metteur en scène au Mexique). La notion de fidélité ressort ici. C'est pendant une troisième période que Catherine Marnas a travaillé seule avec Carlos.
Quels ont été les effets du changement d'un scénographe à l'autre?
Le passage de Michel à Carlos est pour la metteur en scène le passage d'un scénographe décorateur à un scénographe architecte. Michel était plus à l'écoute à la lettre des demandes de Catherine Marnas. Il trouvait ensuite le moyen les solutions scénographiques concrètes qui correspondaient. Michel a un univers esthétique impressionniste, très proche du texte. Il suivait énormément Catherine Marnas dans ses décisions. Peut-être trop.
Carlos est moins à l'écoute des demandes de Catherine Marnas, et prends une voie en biais. Il a aussi un avis sur la mise en scène. Il met en valeur les lignes de forces et les lignes de faiblesses. Carlos fait une dramaturgie de l'espace et entre plus facilement dans une confrontation. Quand Carlos vient présenter un de leur projet à propos de Faust, Catherine en vient à lui dire : « Tu es sur qu'on parle bien du même spectacle ? »
Dans la prochaine création, Carlos ne l'accompagnera pas. Il est probable qu'elle travaille seule sur Lorenzaccio. Elle à déjà occupé le poste de scénographe sur un spectacle qui devait s'adapter partout La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltes.
Pourquoi le metteur en scène est-il premier sur un spectacle ?
Il est premier selon Catherine en raison de sa relation avec le texte. Le metteur en scène propose le texte, le coeur du travail. C’est le metteur en scène qui le choisit et en parle ensuite au scénographe. De plus, dans le système français c’est un artiste unique qui porte le projet, le metteur en scène est au coeur de l’administratif, c'est lui qui porte le projet afin de trouver de l'argent et de le monter.
Un exemple étonnant est la relation qu'entretien Olivier PY et son scénographe Pierre-André Weiss : le scénographe fait un espace par rapport au texte et Olivier PY s'y tient dès la première répétition. Ou encore, Aurélien Borie. Il imagine, conceptualise sa scénographie avant d’y mettre ses acrobates à l’intérieur car c’est un autre type de théâtre : le théâtre d’image.
Le scénographe ne doit pas avoir un ego sur-dimentionné : Catherine Marnas parle de sa rencontre avec Alejandro Lunaen en 1995 sur le spectacle Roberto Zuccode Bernard-Marie Koltes réalisé au Mexique pour le XXIII Festival internacional Cervantino, à Guanajuato.
Alejandro Luna est un scénographe mexicain très talentueux et reconnu, (dans son pays, les choses sont très hiérarchisées, on l'appelle "Maestro", et on évite de se faire mal voir par lui). Il a une soixantaine d'années et il est très très connu, et, Catherine Marnas arrive du « premier monde», c'est une femme, et elle est jeune... Il souhaite lui imposer absolument des choses. C’est alors un bras de fer qui s’engage. Alexandro Luna impose des noirs pour chaque changement de décor, pour que le public soit à chaque fois impressionné par les changements de plateau. Pour Catherine Marnas, dans Zucco, l'enjeu est la course contre la mort (Koltès à écrit ce texte alors qu'il était alité, les 15 scènes d'un jet). Il y a dans cette oeuvre une sorte d'essoufflement de l'écriture. De plus, Koltès détestait les noirs au théâtre, moments pendants lesquels on fait attendre le public, qui doit avoir la gentillesse de patienter quelques minutes pour signifier qu’il se passe une journée ou plus sur le plateau.
Un jour, Catherine Marnas, lors d'une répétition, fait travailler les acteurs hors du décor, sans les noirs, afin de remettre en cause son travail sur Zucco et comprendre le problème qu’elle a pu déceler dans le rythme de la pièce quelques jours au paravant. Le rendu et formidable ! Le lendemain elle est convoquée par les acteurs qui lui disent "quelle que soit ta décision, on te suit". Elle met alors Alejandro Luna au pied du mur : elle le remercie, et lui demande de s'en aller. A ce moment là seulement il accepte d'enlever les noirs. Catherine Marnas ne pouvant plus suivre le projet lors de son exploitation, Alexandro Luna s’est chargé de la tournée. Lorsque Catherine Marnas tournait le dos il remettait des noirs lors des présentations. La fidélité n’était alors absolument pas tenue.
Est-ce que tout ce qui est dit doit être montré?
Non.
Sa première expérience avec Carlos Calvo fut sur un projet de de textes/collages sur Faust, et à propos du sujet : que fait-on de notre questionnement sur Faust aujourd'hui? Le spectacle posait aussi la question de l'impuissance de la culture face à la barbarie. Catherine Marnas à l'idée d'une scénographie qui tourne en rond, quelque chose qui revient sans cesse au début, au point de départ. Elle à aussi une très forte envie de ruine dans la scénographie (elle amène des photos : celle de la bibliothèque en ruines de Sarajevo, celle d'un couple devant une ruine...). Carlos Calvo dit « oui » car il dit tout le temps « oui » pour dire « non » ! Il suit les répétitions, dans lesquelles il voit que toute la rage des acteurs passe dans les livres. Les acteurs les jettent, les mordent, les déchirent....
Il propose une scénographie extrêmement sobre à Catherine Marnas : un sol en bois intacte parfaitement posé, un planché surélevé presque flottant, on se croirait au Japon. De grandes tiges verticales avec des lampes décrochables accrochées au bout. Il explique : "tes ruines sont les livres", il n'y a pas besoin d'ajouter d'autres ruines, au contraire, cet espace très épuré va renforcer le scandale de l'effondrement. Il faut un contraste très fort avec la scénographie pour que la mise en scène trouve sa place.
Avez-vous des moments «avec» et «sans» Carlos Calvo dans votre processus de création?
« On ne peut pas réfléchir à plusieurs, si on doit murir un projet, je le fait toute seule, comme une grande »
Une fois le projet murit, Carlos Calvo et Catherine Marnas en parle tous les deux, les réunions sont nombreuses pour discuter du projet. Une fois les répétitions commencées, Carlos est toujours le bienvenu pour y assister et n'a jamais ni ne sera jamais chassé. Il peut s'il le souhaite s'en extraire lui même pour s'en détacher, mais jamais l'inverse.
Ce qui passionne le plus Catherine Marnas est la direction d'acteur, « C’est mon pêché mignon »
Elle n'a pas le même rapport avec son scénographe et avec sa créatrice sonore (discipline qui crée aussi une scénographie sonore). Elle échange beaucoup avec Carlos, et très peu avec elle. Les essais sons se font dès la première répétition par exemple : pendant les répétitions, c’est Catherine Marnas qui donne les indications aux acteurs (sans les jouer, car elle ne joue jamais) et le reste de l’équipe se nourrit de cela, de toutes ces indications. Les discussions avec Carlos sont alors beaucoup moins fréquentes qu’avant le début des répétitions. Carlos réclame régulièrement qu'il y ait plus de discussion pendant les répétitions.
Le scénographe peut-il avoir une influence sur le choix des acteurs?
Non. De toute façon le plus souvent il s'agit des acteurs faisant déjà partie de la compagnie Parnas.
Une hiérarchie existe-t-elle entre le metteur en scène et le scénographe ?
« Un projet et passionnant pour chacun, on ne peut donc pas faire de hiérarchie» dit elle. Catherine Marnas refuse que la hiérarchie s'installe. Mais quand parfois l'ego d'un scénographe est trop fort, on est obligé d'en arriver là, comme par exemple avec Alexandro Luna.
Sur Lignes de Failles, vous avez travaillé avec deux scénographes : Carlos Calvo et Michel Foraison. Comment s'est passée leur collaboration?
Carlos s'occupait plutôt de la conception et de la pensé de l’espace. Michel trouvait les moyens de le réaliser, c’est un bricoleur magnifique et ingénieux, Carlos ne voulait pas l’écarter de Lignes de Faille. La première partie du livre e été présentée sans budget, Carlos Calvo est coutumier du fait, ayant l’habitude de travailler au Mexique, sans argent, il réalise le décor avec trente euros environ.
Le spectacle à tout d'abord été créé à La Passerelle à Gap. Il y avait très peu de budget... Donc les maquettes d'immeubles étaient au départ des tables Ikéa retournées, pieds en l'air, les sapins viennent de chez Ikea également, les horloges de l'acte III viennent d'Emmaüs...
Afin de ne pas bloquer l’imaginaire du spectateur, car certains auraient lus le livre. Elle a décidé de faire une page blanche (avec des tapis de danse qui étaient là, en stock. Sur cette page blanche, la projection vidéo suscite un imaginaire.
Conception et rédaction de l'avant-papier:
Richard Manoury, Emile Ragot, Hugo Antoine, Juliette Dumas-Moreau, Anja Dimitrijevic et Margot Leydet-Guibard
Corrections : Gilone Brun
Sources :
• Michel Corvin, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Editions Bordas, Paris, 1991.
• Marcel Freydefont Petit traité de scénographie, le Grand T, édition Joca Seria 2011
• Roméo Castellucci Epitaph, Les Solitaires intempestifs, 2003
Yannis Kokkos / Antoine Vitez
• http://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes05006/Kokkos.html
• http://www.julie-d.levillage.org/yannis_kokkos.htm
• http://www.cerpcos.com/yannis-kokkos-quel-costume-pour-quel-acteur/2012/04/ :
• http://uniondesscenographes.fr.over-blog.com/article-28794615.html :
• http://www.universalis.fr/encyclopedie/antoine- vitez/http://www.universalis.fr/encyclopedie/antoine-vitez/
• http://www.actes-sud.fr/catalogue/essais-et-ecrits-sur-le-theatre/antoine-vitez
• http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Antoine_Vitez/149145
• http://archivesnicolastreatt.net/worldpress/blog/tag/antoine-vitez/page/1/
• http://amis-antoine-vitez.org/info/about/les-debuts-du-metteur-en-scene-1966-1971/
• http://lewebpedagogique.com/asphodele/files/2010/09/Soulier_vitez.jpg
Castellucci
• http://www.theatre-contemporain.net/biographies/Romeo-Castellucci/presentation/
• http://www.elcompositorhabla.com/en/artists.zhtm? corp=elcompositorhabla&arg_id=20&arg_quever=curriculum
Ariane Mnouchkine et Guy-Claude François
• Jean Chollet " Construire pour le temps d’un regard " Guy-Claude François, scénographe, éditions Fage, musée des beaux-arts de Nantes, 2009, pp. 83-92
Carlos Calvo / Catherine Marnas
• https://www.linkedin.com/pub/carlos-calvo/47/333/ba2
• http://www.lafriche.org/content/nenterrez-pas-trop-vite-big-brother
• http://www.tnba.org/page.php?id=11