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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Article pour le Krinomen - La Cerisaie, Anton Tchekhov/ Tg Stan

Article rédigé par : ALZIEU Noémie, CASTERA Maureen, DAGER Alexandra, DEPIERRREFIXE Emilie, DIOT Pénélope, DURANTAU Marlène, GANDON Sarah, PARAGE Lisa

 

TEASER DE LA CERISAIE – TG STAN

La Cerisaie d'Anton Tchekhov (1904) a été mise en scène par le collectif flamand TG Stan et a été donnée en représentation du 12/11/15 au 21/11/15 dans la grande salle Vitez du TNBA de Bordeaux. Cette compagnie créée en 1989 est fondée par Jolente de Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Waas Gramser et Frank Vercruyssen.

 

            La Cerisaie, œuvre phare de Tchekhov présente la vie d'une famille, composée de dix personnes, à travers la vente de leur maison d'enfance, due à l'endettement accumulé au cours des dernières années. C'est une pièce lente dont l'action principale tourne autour du sort de ce lieu, nommé La Cerisaie. Opposée entre le réalisme des actions quotidiennes et l'irrationnel des bruits parasites et des apparitions, cette œuvre offre de fabuleux moments de vies et de poésie. La vérité y est modeste et simple. Les personnages sont à la frontière entre la nostalgie et les souvenirs des moments passés et l'angoisse d'un futur incertain. L’écrivain états­unien Richard Gilman qualifiera La Cerisaie comme « une vraie comédie hautement sérieuse ».[1]

 

            Anton Tchekhov, né en 1860 à Taganrog est un écrivain russe, principalement nouvelliste et dramaturge. Parallèlement à son emploi premier, celui de médecin, il publiera entre 1880 et 1903 plus de 600 œuvres littéraires comme Platonov (1878), La Mouette (1895), Oncle Vania (1897), Les Trois Sœurs (1901) ou La Cerisaie (1904). Elles feront de lui l’un des auteurs les plus connus de la littérature russe, notamment pour sa façon de décrire la vie de manière simple et modeste. La plupart de ses œuvres relatent de scènes de vies où l'action est simple et lente. C'est à l'âge de 44 ans qu'il mourra de la tuberculose, à Badenweiler en Allemagne (1904).

 

 

 

 

 I – La méthode de travail des Tg Stan

           

            Tg Stan existe depuis environ 25 ans, et crée une véritable nouveauté dans le théâtre flamand. Ils sont des pionniers dans le mouvement des « collectifs ». Ils sont également le groupe emblématique de cette prise de position refusant un « metteur enscène Roi », en prônant la liberté des comédiens, incitant ces derniers à la prise d’initiatives.

            Le sigle qui constitue leur nom reflète ce choix : « tg », l'abréviation de « toneelspelersgezelschap » signifie en français « compagnie de joueurs de théâtre ». Ils réalisent finalement assez peu d’écriture collective (écriture au sens propre), préférant souvent s’attaquer à des classiques. C'est en effet la septième fois qu'ils montent une œuvre de Tchekhov.

            Pour La Cerisaie, ils sont partis de plusieurs textes traduits dans différentes langues (allemand, anglais, français) afin d'en faire leur propre traduction. Il y a donc eu un travail à la table très important en amont du jeu à proprement dit. L’une de leur comédiennes étant russe, ils ont aussi eu l’occasion d’utiliser le texte original, que l'on retrouve de temps en temps sur scène.

            Cette compagnie détient une manière particulière de travailler car elle passe toute sa création autour d'une table où la lumière, les décors, la répartition des rôles et les costumes sont pensés par l'ensemble des comédiens. Ce n'est qu’environ deux semaines avant la première que les acteurs passent au plateau. C'est une façon pour eux de ne pas épuiser le jeu et d'être le plus sincère possible. Ils réitèrent cette technique à chaque nouvelle création. Simon Porte, journaliste pour Télérama dira même que « si Tg Stan était un meuble, ce serait une table ».[2]

 

            Depuis 1989, les acteurs du collectif TG STAN ont la volonté de se placer au centre du dispositif, avec leurs capacités et leurs échecs (avoués et assumés). On retrouve alors dans La Cerisaie les quatre acteurs fondateurs de la compagnie qui s’entourent de six autres comédiens. « TG Stan est un véhicule pour réaliser les rêves de chacun : ils sont parfois communs, parfois non » [3] énonce Franck Vercruyssen l’un des quatre piliers de la compagnie. L’un des enjeux clés de leur travail sur cette œuvre est de jouer avec de « nouveaux acteurs », sortant tout juste d’école de théâtre, âgés de 25 ans.

 

            Une des caractéristiques principales de TG Stan est de détruire l’illusion théâtrale pour ainsi flotter entre les mondes visible et invisible, qui ne cessent de se heurter durant la représentation. Ils cassent et bousculent, de par leur manière novatrice de créer des spectacles, complètement les codes traditionnels du théâtre. En effet, à plusieurs reprises, les comédiens se regardent jouer. Ils se permettent de se reprendre sur des tournures ou des prononciations de phrases incorrectes ou bancales. Ces petites actions désignent le fait que leur création s'apparente à un grand laboratoire expérimental qui ne sera jamais fixé et toujours en constante évolution. Ensuite, les TG STAN s'amusent à casser le quatrième mur de manière récurrente. On peut y voir les comédiens s'adressant directement au public dans des apartés comme « Là c'est la fin de l'acte I, on passe au suivant ». Les changements de costumes se font à vue et les comédiens quittent rarement le plateau. On les retrouve aussi en tant que techniciens. Ils font eux-mêmes certains effets de lumières pour marquer la nuit qui tombe, par exemple. Enfin, on les surprendra à désinstaller le plateau à la fin de la pièce.

            Aussi, la part d’invisible et de mystère, omniprésente chez Tchekhov, se retrouve essentiellement autour de la création faite par TG Stan. Ils ont laissé un grand espace à la création de lumière et du son qui déroute et questionne le spectateur. Au jour d’aujourd’hui, cette pièce demeure encore une énigme, on ne sait toujours dans quelle catégorie générique l’inclure. Est-elle une comédie, une tragédie ou un drame ? En plaçant l'acteur au centre de l'histoire, TG Stan a décidé de suivre les intentions de Tchekhov qui considérait celle-ci comme une comédie, en laissant libre interprétation au rire, à la danse et à l'amour. On parviendrait même parfois à en oublier l'essentiel : le désespoir de cette famille face à la perte de cette maison.

 

 

II – La relation au spectateur

 

           

            Cette compagnie entretient une relation singulière avec son public. Elle le prend à témoin et considère que sans lui rien ne peut exister sur scène. Elle construit son spectacle devant et avec lui. C'est donc l'organe central du spectacle : le public définit la tournure que prendra la pièce chaque soir. En effet, suivant comment celui-ci réagit, l'improvisation des comédiens se jauge. Les comédiens jouent également sur le rapport entre les artistes et les spectateurs en adoptant eux- mêmes un statut « d’œil qui regarde ».

            En effet, quand le public entre, les acteurs sont déjà en scène. Ce sont alors eux qui nous regardent, les rôles s'inversent. Puis, lorsque la pièce est sur le point de commencer, la lumière s’éteint, seuls trois comédiens restent sur scène, les autres iront se placer dans le public pour rappeler qu'ils sont critiques et spectateurs de leur propre représentation.

            On retrouve là, encore une fois, le souhait de briser les artifices et l'illusion du théâtre. Cela ressort dans leur manière de travailler : comme il n'y a pas de metteur en scène, ils se regardent constamment. Frank Vercruyssen dira d'ailleurs à ce propos: « Quand nous sortons de scène, nous avons besoin de voir ce qui s'y passe. Nous élaborons ce travail collectivement, ce n'est pas pour s'exclure dans la loge pendant la représentation ! C'est aussi une manière de faire du public un témoin du spectacle en tant que tel, et non d'une illusion ».[4]

 

La part d'improvisation

 

            L'autre particularité du travail de cette compagnie est que le jeu d'acteur face public n’est pas écrit. C'est une technique très intéressante, mais qui peut paraître étrange voir même déroutante. Le spectateur a-t-il conscience de cette particularité ?

 

            Les adresses public/comédiens ne sont pas préparées en avance et changent selon les représentations. Les acteurs cherchent une fluidité, une liberté, une légèreté à l’intérieur même du texte d'origine. Ils s'autorisent alors des fous rires et des cabotinages. On assiste véritablement à leur « cuisine », on voit non seulement le texte et sa construction, mais aussi ceux qui le jouent. Parfois tout est juste, et parfois pas du tout. Mais les deux sont intéressants pour les comédiens.

            Cette caractéristique est avant tout évoquée par son nom – S(top) T(hinking) A(bout) N(ames) – « Cessez de penser aux noms ». Il n'y a pas de personnages mais bien des comédiens face à nous. Lors du bord de scène du jeudi 19 novembre au TNBA, Jolente de Keersmaeker dira à ce propos : « Nous sommes très « frontal » notre rapport au public a aussi son importance. Nous lui parlons, lui expliquons des choses. Il est notre allié, un membre extérieur à la famille, comme invité. Mais il ne s'impose pas non plus, nous restons quand même aussi dans une forme d’unité ».

Photo © Johan Jacobs Koen Broos

Photo © Johan Jacobs Koen Broos

III – La scénographie

 

 

            Dans cette mise en scène, nous sommes confrontés au réalisme de l'intérieur d'une maison. Comme on peut le voir sur l'image ci-dessus, on y voit un mobilier simple: une étagère, des chaises... Ce mobilier occupe la pièce à vivre de la famille. D'autre part, côté jardin, les projecteurs sont à vue, ce qui permet aux comédiens de les utiliser. Les fils des stores mis en place en fond de scène sont suspendus au-dessus de grandes fenêtres en verre, le cadre de scène du fond est caché par une immense toile peinte aux couleurs ternes.

 

            Durant l'Acte I, l'espace de jeu central, semble être délimité entre les immenses fenêtres, situées à cour, ainsi que par la rangée de meubles installés à jardin. La scénographie vient des propositions des uns et des autres, comme nous l'avons dit précédemment, le travail reste collectif. Cependant c'est surtout Damiaan De Schrijver qui a construit le dispositif scénique et créé les effets de lumières.

 

 

De la dramaturgie à la scénographie

 

            La scénographie sert grandement la pièce puisqu'elle représente le lieu de vie de cette famille, les éléments imposants qui entourent la scène traduisent l'accumulation des années. En effet, les souvenirs figurent dans le décor (côté cour de l'espace de jeu.) De plus, on retrouve un mobilier plutôt ancien représentant l'ancienneté de l'acquisition de la maison.

            Cet espace dans lequel vivent et jouent les comédiens est épuré, il parait à la fois immense et vide, à l'image de la Cerisaie mais également chaleureux et chargé au vue du nombre d'objets rassemblés lors du déménagement final. Ce mobilier, entassé sur les côtés permet aussi de laisser place aux mouvements des personnages. Ils peuvent déambuler, courir et danser sur toute la surface de la scène.

 

            La famille et la maison sont reliées par les actions et la fluidité avec laquelle les comédiens se déplacent à l'intérieur. Tout le mobilier est modulable et permet donc de représenter différents lieux. Par exemple, dans l'acte II on se trouve projeté dans le jardin : les comédiens se placent sur une sorte d'estrade sur laquelle ils montent eux-mêmes à l'aide de la table du bar et d'un tabouret pour symboliser qu'ils sont sur un ponton. Les vitres se retrouvent en fond de scène pour signifier que la maison se retrouve au lointain et que nous sommes bien à l’extérieur.

La Cerisaie, Anton Tchekhov. Acte II, TG Stan. Photo © Johan Jacobs Koen Broos

La Cerisaie, Anton Tchekhov. Acte II, TG Stan. Photo © Johan Jacobs Koen Broos

 

            L'espace scindé en deux parties par les portes vitrées de l'acte III, évoque un espace de confidence au premier plan et un espace de représentation, de danse, de rire au second plan. La lumière influe largement cette distinction : derrière les panneaux, la salle de bal est figurée de par sa lumière rosée, alors qu'en avant-scène on retrouve une lumière bleutée. On discerne également le contraste entre la chaud et le froid, l'amour et les tensions, la joie et la peur. La musique aussi, plutôt classique au début (airs de violon), devient de plus en plus jeune pour même nous permettre d'entendre One day D'Asaf Avidan (2012) : signification qu'on laisse place à la jeunesse.

 

            Cette pièce dans laquelle les personnages sortent et rentrent épuisés et alcoolisés sera le lieu de l'excentricité ou du moins le lieu qui rend les choses visibles au spectateur. Cet acte soutient l'ambivalence des personnages. On perçoit d'autant plus leur émotions, les personnages s'ouvrent, ils perdent un peu de leur modestie, de leur pudeur. Cela est accentué par le contexte de fête et de frénésie.

La Cerisaie, Anthon Tchekhov. Acte III, TG Stan. Photo © Jann Bosteels

La Cerisaie, Anthon Tchekhov. Acte III, TG Stan. Photo © Jann Bosteels

 

 

           

            Toute la progression de l'effervescence accumulée au cours des actes, retrouve son calme pour la dernière partie : La Cerisaie est bel et bien vendue, le déménagement commence. Plus de musique, plus de sourires. L'ambiance lourde qui plane au-dessus des esprits est accentuée par le besoin de partager une anecdote ou un souvenir de la part des personnages. Pendant ce temps, les acteurs feront leur propre rangement en entassant les objets le long des portes vitrés, ils prennent alors le rôle de techniciens.

            Cet entassement est autant figuratif que métaphorique vis-à-vis de la sensation de précipitation dans laquelle la famille part de la maison. Le mobilier est inspiré des années 1950 à 1970, faisant rupture avec le passé glorifiant de la Cerisaie.

  

 

Bibliographie

 

  • Bord de scène en présence des artistes, jeudi 19 novembre 2015
  • Dossier de presse, La Cerisaie, TG Stan.
  • Entretien avec Jolente de KEERSMAEKER réalisé par Lise LENNE et Marion RHETY (2010)
  • "La création collective du Tg Stan, une alternative aux conceptions de la mise en scène moderne, dir. Martial POIRSON" (2011)
  • La notion de collectif conçue par TG Stan, dir. Nancy NAOUS et Jean-Pierre RYNGAERT, Université de la Sorbonne nouvelle, Paris (2004)
  • Rencontre de la compagnie TG Stan au conservatoire, mercredi 18 novembre 2015

 


[1]Site officiel de la compagnie, rubrique Infos http://www.stan.be/content.asp?path=c9lczje9

[4] Frank Vercruyssen , « Anvers et contre tout », Entretien pour le journal Télérama, 9 Novembre 2005

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