Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
« J'aime beaucoup faire le furet.
C'est à dire passer ici et repasser par là et changer tout le temps d'endroit.
Je zigue et je zague. »
Introduction
Pour sa programmation 2015-2016, le TNBA a choisi d'accueillir le spectacle « En attendant Godot » de Samuel Beckett. Ce spectacle est mis en scène par un grand nom du théâtre français : Jean-Pierre Vincent. Grand ami et collaborateur de Patrice Chéreau, c'est ensemble qu'ils expérimentent le théâtre pour la première fois dans le groupe théâtral du Lycée Louis le Grand à Paris. Une vocation commune qui mènera Jean-Pierre Vincent à la direction de trois grandes institutions théâtrales, le Théâtre Nationale de Strasbourg, la Comédie Française et le Théâtre Nanterre-Amandiers. Extrêmement prolifique, il a jusqu'alors monté plus de quatre vingt spectacles que ce soit dans un cadre institutionnel ou avec la Compagnie Studio Libre qu'il a fondée mais aussi des sorties d'atelier du CNSAD ou du TNS par exemple.
Aujourd'hui, à 73 ans, il accepte de participer à une rencontre avec les étudiants d'Études Théâtrales de l'université Bordeaux Montaigne lors d'un Krinomen à l'occasion de la présentation de « En attendant Godot » au TNBA.
Durant cette rencontre, nous échangerons avec Jean-Pierre Vincent sur des thèmes questionnant l'ensemble de sa carrière, de la mise en scène à l'enseignement en passant par la fonction de directeur d'institution. Ce krinomen a pour but d'échanger avec Jean-Pierre Vincent sur l'ensemble de son parcours de création et de transmission et sa vision du théâtre. Ce krinomen peut aller de paire avec le suivant, portant cette fois plus précisément sur le spectacle auquel l'ensemble des étudiants auront pu assister « En attendant Godot ».
Ses débuts :
Le théâtre universitaire du Lycée Louis le Grand
Le Centre dramatique régional de Sartrouville.
Jean-Pierre Vincent a intégré le lycée Louis-le-Grand en 1958, dans le cadre de ses études secondaires. C’est dans cet établissement qu’il fait ses premiers pas sur scène en tant qu’acteur en interprétant par exemple « Amal et la lettre du roi » de Rabindranath Tagore . Il y rencontre Michel Bataillon, aujourd’hui dramaturge et traducteur, Jérôme Deschamps, acteur, metteur en scène et auteur dramatique mais aussi, celui avec qui tout commence, Patrice Chéreau.
En effet, les deux hommes développent une complicité certaine et un plaisir à travailler ensemble. En 1963 par exemple, lorsqu’il s’essaye à la mise en scène pour la première fois avec le texte « La Cruche Cassé » de l’auteur allemand Heinrich Von Kleist, Jean-Pierre Vincent confie la scénographie à Patrice Chéreau. Plus tard encore, Patrice Chéreau se verra confié la direction d’acteur de son acolyte pour les spectacles « L’affaire de la rue Lourcine » de Eugène Labiche et « l’héritier du village » de Marivaux.
Ainsi, entre 1963 et 1968, les deux hommes travailleront ensemble sur de nombreux projets. Nous citerons par exemple leur participation au Festival de Théâtre Universitaire de Nancy. Ils animeront la troupe du lycée qui se professionnalisera et s’installera à Sartrouville en 1966.
À la fin des années soixante, Jean-Pierre Vincent quitte Sartrouville pour fonder sa propre compagnie, le Théâtre de l'Espérance, avec Jean Jourdheuil. Cette troupe aura une forte visée politique et se laissera influencer par le théâtre allemand, et tout particulièrement, par Brecht et son idée de théâtre révolutionnaire. « Chéreau, Jourdheuil et moi nous étions fichés brechtiens méchants » dira d'ailleurs Jean-Pierre Vincent.
Ils montent ensemble plusieurs pièces de Brecht tel que « La Noce chez les petits bourgeois » au Théâtre de Bourgogne.
L’aventure prend fin en 1975, après la fermeture du théâtre expérimental populaire de Paris et le départ de Jean Jourdheuil.
Le Théâtre National de Strasbourg
Il devient en 1975 à trente deux ans le directeur du Théâtre National de Strasbourg. Il s'entoure d'un groupe de fidèles : Bernard Chartreux, Michel Deutsh, André Engel et Dominique Müller. Il s'entoure également d'une équipe scénographique composée de Nicky Rieti et Titina Maselli, Lucio Fanti et Jean-Paul Chambas, tous scénographes mais aussi peintres.
Au delà de la formation de l'école, où il s'implique personnellement en mettant en scène les étudiants, il fait un véritable travail de mémoire historique en se penchant sur une série de spectacle se basant sur des pièces retraçant l'histoire de France tel que Germinal, Vichy Fictions ou Le Misanthrope. Il sort de son théâtre afin d'établir un travail de recherche sur le terrain. Il dit chercher une certaine véracité des faits. Par exemple pour Germinal, il n'hésite à se rendre dans des mines et à confronter ce qu'il voit, entend ... à ce qui est développé dans l'oeuvre de Zola.
Il instaure, lors de sa direction au TNS, une esthétique personnelle et un certain engagement politique.
Il quitte ses fonctions de directeur du TNS en 1983 lorsque Jack Lang l'appelle à un poste que beaucoup considère comme plus difficile, celui d'Administrateur Général de la Comédie Française.
La Comédie Française
C'est suite à son travail remarqué au TNS que le poste d'Administrateur Général de la Comédie-Française lui est proposé en 1983. Cette nomination est surprenante lorsque l'on considère que le théâtre défendu par Jean-Pierre Vincent est si éloigné de l'univers de la Comédie-Française. En effet, il a développé au TNS un théâtre engagé politiquement mais aussi une esthétique toute particulière. Lors de son arrivé, on attend alors de lui qu'il fasse bouger les choses, qu'il apporte un souffle de vie différent à la vieille institution de Molière. Depuis 1960, on avait pas vu un artiste non sociétaire de la Comédie-Française en prendre la tête.
Il affirme alors certaines réformes et reprend les mots d'un journaliste en utilisant le terme de New Look qu'il définit comme « un nouveau chemin artistique » et parle, par exemple, de créations nouvelles dans la salle Richelieu. Il exprime également le souhait de développer les représentations hors de la capitale. Il fera également en sorte d'élargir la notion de répertoire en y incluant des auteurs comme Jean Genet avec sa pièce « Le Balcon ».
C'est avec « Félicité » de Jean Audureau que Jean-Pierre Vincent inaugure son entrée à la Comédie Française.
En 1986 il choisit de quitter ses fonctions, laissant la place à Jean Le Poulain, en se concentrant d'avantage sur son rôle d'enseignant au CNSAD mais aussi sur des projets plus personnels, sans le poids et les pressions de l'institution du Français.
Théâtre Nanterre-Amandiers
C'est quatre ans après avoir quitté son poste à la Comédie Française que Jean-Pierre Vincent se retrouve à nouveau directeur d'un grand théâtre, celui de Nanterre-Amandiers en 1990. Il succède d'ailleurs à cette fonction à son ami d'adolescence, Patrice Chéreau.
Durant ses années d'activités au Théâtre Nanterre-Amandiers, il semble qu'il ait axé ses créations sur une alternance entre textes contemporains et textes classiques. Parmi ceux-ci nous citerons « Les Fourberies de Scapin » de Molière qu'il fait représenter au festival d'Avignon peu de temps avant sa prise de direction. Mais il semble aussi s'intéressé aux œuvres d'Alfred de Musset dont il ne montera pas moins de quatre pièces durant cette période.
Parmi les auteurs contemporains qu'il présente dans ses créations, nous trouvons Fatima Gallaire, Bernard Chartreux ou Vsevolod Vichnevski
Il occupera les fonctions de directeur à Nanterre-Amandiers jusqu'en 2001.
Conclusion
Depuis son départ de Nanterre-Amandiers, Jean-Pierre Vincent n'a pas « chômé ». Nous passerons sur les différents prix qu'il a reçu et nous ne pourront non plus retracer ses nombreuses mises en scène. Cependant, nous nous devons de mentionner le Studio Libre, compagnie qu'il fonde en 2002 avec son scénographe Jean-Paul Chambas, subventionnée depuis sa création par le Ministère de la Culture. À travers cette compagnie, il collabore avec de grands théâtres mais n'en oublie pas pour autant l'enseignement puisqu'il enseigne toujours au CNSAD, dirige des atelier à l'école du TNS, mais aussi, plus récemment à l'École Régionale d'Acteurs de Cannes. Il ne se cantonne pas non plus à la France puisqu'il participe par exemple en 2005 au Festival de Syracuse.
Malgré son engagement artistique et son implication dans l'enseignement, il accepte pourtant encore aujourd'hui, certaines fonctions plus administratives puisqu'il fait partie du conseil d'administration du Festival d'Avignon mais aussi de celui du Théâtre de l'Odéon.
Jean-Pierre Vincent semble éviter les étiquettes en travaillant dans des lieux aux univers et esthétiques différents mais aussi en remplissant des fonctions aussi variées qu'acteur, dramaturge, metteur en scène, directeur artistique de compagnie, directeur de théâtre et la liste n'est pas exhaustive. Jean-Pierre Vincent fait partie des figures majeures de sa génération, aux côté de Patrice Chéreau bien entendu mais aussi d'Ariane Mnouchkine, de Valère Novarina ou encore de Michel Vinaver.
Bibliographie