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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Article pour le Krinomen - Timon/Titus, Collectif OS'O

Teaser de Timon/Titus

Timon/Titus est un projet du Collectif OS'O, mis en scène par David Czesienski. 

Présenté du 26/11/2015 au 05/12/2015 dans la salle Vauthier au TnBA 

 

Article rédigé par : Charmila Abou Achiraf, Mathilde Lascazes, Florian Maz, Justine Paillet, Laura Seaux                               et Nassunaria Soilihi

 

1) Qui sont le collectif OS’O et David Czesienski ?

 

Le Collectif OS’O est composé de Roxane Brumachon, Bess Davies, Mathieu Erhrard, Baptiste Girard et Tom Linton. Dès leur sortie de l'École Supérieure de Théâtre de Bordeaux Aquitaine en 2011, ces cinq comédiens ont eu l’idée de former le collectif OS’O. Ils ont créé au TnBA deux spectacles pour salles de théâtre : L’Assommoir de Émile Zola et Débris de Dennis Kelly. L’an dernier ils ont créé Timon/Titus. Ce spectacle est mis en scène par David Czesienski à Saint-André de Cubzac. Le Collectif O’SO a également crée trois autres spectacles de courte durée. Leur volonté était de s’installer dans la région Aquitaine afin d’organiser des ateliers et des lectures. Le jeune collectif fait appel à des invités durant leurs différentes créations, comme avec David Czesienski, le metteur en scène de Timon/Titus.

David Czesienski est né en 1985 à Berlin-Est. Il a réalisé plusieurs projets et des assistanats à la mise en scène au Maxim Gorki Theater Berlin. Ensuite il a fait des études à la Hochschule für Schauspielkunst (école supérieure de mise en scène) Ernst Busch. Par la suite, il a mis en scène des pièces dans des théâtres berlinois dont Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen ou Matière première d’après Jörg Fauser. Il a déjà été invité par le Collectif OS’O en 2011 pour mettre en scène L’Assommoir.

 

 

2) La pièce Timon/Titus

 

La pièce s’appuie sur deux tragédies de Shakespeare : Timon d’Athènes (1607) et Titus Andronicus (entre 1588 et 1593). S'ajoute à cela, un texte de l’anthropologue américain David Graeber : Dette, 5000 ans d’histoire (2013).

 

Timon d’Athènes est une des dernières œuvres de William Shakespeare. Elle est construite de façon particulière avec des ellipses, c'est pourquoi, elle a souvent été considérée comme une pièce inachevée ou rédigée par plusieurs auteurs. La pièce expose l’histoire de Timon, un noble athénien très généreux avec ses amis qu’il invite souvent à des festins impressionnants, les gâtant de cadeaux très onéreux. Il se retrouve un jour sans le sou et ne peut plus payer ses créanciers. Il demande à ses amis, qu’il croit de qualité, de l’aider mais ces derniers trouvent des excuses pour ne pas lui donner d’argent. Timon sombre alors dans la colère et s’exile dans les bois, maudissant Athènes et ses « amis » hypocrites. D’un autre côté il y a Alcibiade, un général athénien à qui le Sénat refuse l’aide et qui quitte la ville avec son armée pour pouvoir ensuite l’assiéger. Il demande le soutien de Timon exilé mais celui-ci le maudit aussi. Finalement, si Alcibiade se réconcilie avec les Sénateurs, Timon meurt seul dans les bois.

 

Titus Andronicus est une autre tragédie de Shakespeare considérée comme la plus sanglante. Cette pièce présente Titus, un général romain courageux et héroïque. Il revient à Rome triomphant après avoir combattu les Goths. Lors de son retour, il arrive avec des prisonniers dont Tamora (la reine des Goths) et ses fils. Il offre en sacrifice un des fils de Tamora, prétextant obéir aux lois de sa religion. Saturninus, le nouvel empereur et son frère Bassanius, veulent tous deux épouser Lavinia, la fille de Titus. Mais Saturninus renonce et épouse Tamora, qui souhaite se venger de Titus. Les fils de Tamora tuent Bassanius et violent puis mutilent Lavinia (ils lui coupent la langue et les mains pour qu’elle ne puisse pas les dénoncer). Titus accepte par la suite de se couper une main afin de sauver la vie de ses fils accusés à tort de la mort de Bassanius. Mais il est trompé et on lui rend sa main et la tête de ses deux fils sur un plateau. Titus va donc à son tour se venger des traitres. Beaucoup d’ennemis meurent et Lucius, le seul fils de Titus à survivre, devient empereur.

 

David Graeber est un anthropologue et militant anarchiste américain, théoricien de la pensée libertaire nord-américaine. Son livre Dette, 5000 ans d’histoire est un best-seller aux États-Unis et en Grande-Bretagne. David Graeber met en perspective l’histoire de la dette depuis 5000 ans (d’où le titre) et démontre que la dette a toujours structuré nos systèmes économiques et nos rapports sociaux. Il explique également que le vocabulaire des écrits depuis l’Antiquité est un fondement qui oriente notre vision allant jusqu’à irriguer nos conceptions les plus fondamentales telles que celles du bien et du mal. Cet essai met en lumière les liens entre dette et violence et interroge notre histoire : notre passé, la crise en cours ainsi que notre avenir économique.

 

 

 

3) Les pièces de Timon d’Athènes et de Titus Andronicus

 

Comme il est expliqué auparavant, Timon/Titus est un spectacle créé à partir de trois grands textes : Titus Andronicus et Timon d’Athènes de Shakespeare, puis Dette, 5000 ans d’histoire de David Graeber (éditions « les liens qui libèrent »). Timon d’Athènes expose le cadre dramatique dans lequel les comédiens évoluent tandis que Titus Andronicus est racontée rapidement par les comédiens eux-mêmes vers le début de la pièce. Le spectateur va ensuite assister à l’histoire de la famille Barthelôt, composée d’Anne-Prudence, Camille-Clément, Bénédicte-Constance et Marie.

 

Suite à la mort de leur père qui était souffrant, ces derniers se réunissent au château familial pour l’ouverture du testament. La joie des retrouvailles est de courte durée puisqu’arrivent bientôt Léonard et Lorraine Marchand, fils et fille cachés ignorés de certains et dont l’existence vient perturber les traditions et les codes de la famille Barthelôt. Ces nouveaux arrivants sont accompagnés d’un mystérieux personnage du nom de Milos, qui ne répond que par des citations de Shakespeare et qui prétend être l’ami de Lorraine. Les spectateurs et les personnages eux-mêmes découvrent au fur et à mesure comment était vraiment le père Barthelôt : un homme tantôt tortionnaire, employant la force pour obliger ses enfants dits ‘légitimes’ à apprendre par cœur la pièce Timon d ‘Athènes ; et d’un autre côté un père aimant, affectueux, généreux et affable aux dires de Lorraine et Léonard Marchand. Des rancœurs et conflits personnels (et d’intérêts) naissent de plus en plus dès l’ouverture du testament. Nous assistons alors à une extrême violence qui mène aux meurtres des uns et des autres.

 

Les comédiens revêtent plusieurs rôles. Ils sont tour à tour frères et sœurs, et personnages-comédiens qui analysent et commentent l’action. D’une certaine façon nous pouvons dire que Shakespeare est « omniprésent » tout au long de la pièce. Parfois dissimulé, le célèbre dramaturge et écrivain britannique reste souvent cité puisque l’histoire de la famille est construite sur l’analogie entre Titus Andronicus et Timon d’Athènes. Chacune de ces deux histoires offrent un point de vue sur la dette : « Qu'elle soit morale, financière, publique, la dette fait couler encre, sang et larmes »1. Cette question de la dette nous amène donc au livre, Dette 5000 ans d’histoire qui dénonce les théories actuelles de l’argent et de crédit, en expliquant notamment l’évolution du terme « dette ».

 

 

4) L’argent ou la vie ?

 

La dette:

« Somme d'argent que l'on doit à quelqu'un à qui on l'a emprunté.

Obligation morale, fait de se sentir lié à quelqu'un, à un groupe, par le devoir.» 2

 

Cette définition semble intéressante parce qu'elle prend en compte deux pôles bien différents de la dette. Elle met en valeur ces deux axes qui sont traités dans la pièce : la dette morale et la dette financière. Dois-je payer ma dette vis à vis d'une amie proche pour m'avoir aidé dans un moment de besoin ? Dois-je payer une dette vis à vis de ma mère pour m'avoir porté, nourri, soigné, élevé ? Ces deux exemples sont différents dans la pratique, et c'est pour cela que nous allons tenter de révéler comment la mise en scène de Timon/ Titus a su traiter le thème de la dette financière et celui de la dette morale. Nous verrons ensuite sur quelle théorie le Collectif O’SO s'est basé pour pousser le mot « dette » à son paroxysme et pour réveiller une réaction néfaste: la violence.

 

Nous pourrions parler de trois niveaux dans la pièce. Le premier serait le débat politique avec pour grande question «Doit-on payer sa dette ?». Débat dans lequel chaque comédien- personnage donne son avis (ou l'avis qu'il prétend avoir), défend ses idées ( (ultra libérale, catholique, staliniste…) en s'appuyant sur des exemples bien précis. Lors du premier tour de table, une simple réponse est reine : «OUI». « Oui on doit payer ses dettes !» Très vite et avec des exemples de plus en plus pertinents et assumés, les esprits s’échauffent et des idées se manifestent sur scène. Des réponses fusent alors : «Non on ne doit pas rembourser sa dette parce que ça serait comme se vendre», ou encore «Je ne me prononce pas». Le débat dure moins de cinq minutes. Rapidement, les exemples qui étaient au départ centrés sur l’aspect financier deviennent moraux : « Sommes-nous endettés vis à vis de nos parents? Que ce soit les sacrifices de nos mères pour nous avoir portés dans leur ventre pendant des mois ou encore le père qui est prêt à tout pour payer des études à son enfant ? »

 

La dette financière et la dette morale sont deux aspects différents que traite la dramaturgie des pièces Timon d’Athènes et Titus Andronicus. Néanmoins réunies ensemble, le Collectif O’SO a su les mélanger, les découper et en tirer le fruit nourricier qui nous porte à une relecture intemporelle de l'Homme et de ses plus grand vices.

 

Le deuxième niveau serait l'histoire de famille. Les comédiens ont le support de leurs personnages pour ensuite exprimer leur opinion lors de ces cours débats. Comme il est expliqué précédemment, les cinq membres fraternels de la famille Barthelôt vont découvrir l'existence d’un demi-frère et d’une sœur. La soirée se dégrade rapidement pour finalement laisser place à des sentiments de colère, rancune et de jalousie. Les personnages explosent et ce fameux banquet devient un espace (délimité par un immense tapis composé de différents tapis rouges) ou chaque membre de cette famille va, à travers le règlement de cette dette commune, s’exprimer, prendre position et défendre ses idées. De multiples rivalités fraternelles naissent : Entre ces enfants qui ont vécu avec un père tortionnaire et qui en ont gardé un souvenir pas très honorable et ces deux enfants cachés qui sont touchés par la mort de ce père aimant; entre le frère et sa sœur ainée; entre cette même sœur et la cadette , entre les deux demi-frères etc. L’ambiance est loin d’être paisible…

 

Le dernier niveau serait la fissure qui s'agrandit au fur et à mesure qu'on avance dans la trame de la pièce. Le spectateur se rend compte rapidement que chaque personnage Barthelôt devient une armure sous laquelle le comédien l’interprétant peut se cacher pour revendiquer ses idées politiques, sociales et morales. Nous pourrions même nous demander si ce ne sont pas les personnages qui deviennent comédiens. Des conflits surgissent, autant qu'entre personnages et comédiens. Toutes les règles préétablies se fracassent autour de ces corps porteurs de messages. Ils se mélangent, se heurtent et c’est cela qui fait vivre le plateau. On assiste à une extrême violence qui nous rappelle la brutalité de Titus lorsqu'il sert à Tamora ses propres fils à dîner ; ou encore la vengeance de Timon quand il sert de l'eau et des pierres à souper à ses amis. Il s’agit là d’une violence que la pièce expose par des affrontements sanguinaires de la famille Barthelôt, tout en s'appuyant sur Dette, 5000 ans d’histoire. Nous voyons donc une violence de plus en plus féroce se développer sur scène, entre les personnages et les comédiens. Une violence qui laissera planer une nouvelle question «L'homme est-il mauvais par nature?»…

 

 

5) Deux récits : un débat et une histoire familiale

 

Ce spectacle est à la fois composé d’un débat entre les différents comédiens mais aussi des morceaux « joués ». Ces deux récits sont deux façons différentes de les présenter : l’une est théorique (le débat) et l’autre sincère plutôt dans la pratique (l’histoire de famille).

 

Sur le plateau, nous avons deux espaces délimités : au fond du plateau se trouve quatre tables, et trois autres sont installées côté jardin, sur lesquelles sont posés divers objets dont une lampe de bureau. Cet espace est surtout utilisé lors des débats. Au centre : un amas de tapis rouges qui forment l’espace de jeu de la famille. Il s’agit en quelque sorte d'une « scène » sur scène.

 

Le sujet du débat est « Doit-on payer ses dettes ? ». Tous les acteurs semblent d’accord au début du spectacle est répondent « oui ». Lorsque la comédienne pose cette question à l’assemblée, elle est sûre que le débat va vite être clos. La suite du spectacle nous présente plutôt un débat interminable. Avec tout ces points de vues théoriques qui sont évoqués et les illustrations qui s'accumulent (notamment à travers cette histoire de famille) nous voyons les avis évoluer et se nuancer. Ainsi, à trois reprises lorsque l'un des comédiens pose cette question aux autres, leurs réponses changent par rapport à celles qu'ils avaient au début du spectacle. Ils prennent chacun à leur tour la parole pour dire ce qu’ils pensent et défendre leurs idées. Les autres manifestent leur avis avec des filtres qu’ils mettent devant la lampe de bureau : vert s’ils sont d’accord avec ce qui vient d’être dit sinon, dans le cas contraire, ils mettent le filtre rouge. Nous retrouvons ce débat à deux reprises : au début du spectacle et lors de la première version de l’ouverture du testament de leur père. Après une folie générale qui se concrétise dans le personnage de Marie, tous les personnages finissent par mourir. Le débat continue avant de poursuivre sur une deuxième variante de l’histoire familiale. On se retrouve de nouveau face à de nombreux cadavres. Les deux récits sont donc mis en parallèle tout le long du spectacle.

 

Les comédiens s’appellent par leurs prénoms. Lorsqu’ils ne jouent pas sur le tapis, ils sont la plupart du temps assis à leur bureau et regardent la scène se dérouler. Ils peuvent aussi pendant ce temps-là se changer, se recoiffer ou se remaquiller. Tous les costumes sont présents sur scène (côté cour). Lorsqu’ils sont spectateurs, leurs lampes de bureau sont allumées. De ce fait, nous les voyons réagir à ce qui se passe devant eux (notamment au niveau du visage). De plus, à la fin du spectacle, on ne sait plus si ce sont les personnages ou les comédiens qui parlent car les deux espaces délimités ne le sont plus. Cela se voit notamment lorsque l’un des frères de la famille veut se débarrasser des corps qui sont sur le plateau, il appelle un autre comédien car il ne peut pas les déplacer étant donné qu’il est blessé au poignet. Ainsi, des personnages (qui portent le même nom que leur interprète) se mettent aussi à jouer dans ces passages. Nous pouvons donc parler de théâtre dans le théâtre et donc de méta-théâtralité. Cela peut aussi se souligner par le fait que la régie se trouve sur le plateau côté cour. La personne qui s’y trouve se lève même à un moment pour aller chercher un verre de vin que lui sert l’une des comédiennes.

 

 

Conclusion

 

Ce spectacle a donc un sujet politique. En utilisant ce double récit, nous pouvons faire un parallèle avec le théâtre didactique que l’on retrouve chez le poète et auteur dramatique allemand Bertolt Brecht. Ce spectacle porte une réflexion sur un sujet de la société actuelle. Selon Brecht, il faut « instruire » et pour cela, il faut provoquer une réflexion chez le spectateur. Le public doit donc prendre conscience du caractère illusoire du théâtre et contrairement au théâtre aristotélicien, ne pas rester dans une certaine passivité.

Ce que nous pouvons retenir de cette pièce novatrice, c’est l’incroyable finesse avec laquelle sont combinées ces trois œuvres, ces trois piliers du spectacle, à travers une histoire d’héritage dans une famille divisée et fort partagée. Tout repose sur le thème de la dette. La dette financière tout comme la dette morale. Au final, cela nous amène à penser de nouveau : « L’Homme est-il mauvais par nature ? » Pour conclure, nous pourrions reprendre cette chaîne analogique de mots au tout début de la pièce :

« Dette se dit ‘’ Schuld’’ en allemand. ‘’Schuld’’ veut dire aussi ‘’culpabilité’’.

‘’Culpabilité’’ se dit ‘’guilt’’ en anglais, ce qui ressemble à ‘’Geld’’ en allemand qui signifie

‘’argent’’. ‘’Culpabilité’’ et ‘’argent’’ égalent ‘’dette ‘’. »

 

 

1 Site du TnBA. http://www.tnba.org/evenements/timon-titus

2 Définition du mot « dette » sur le dictionnaire Larousse en ligne

 

 

Sources et références :

- Bible du spectacle

- Dossier de production

- Dossier de presse Timon/Titus disponible sur :

(http://www.tnba.org/sites/default/files/PDF/dpresse_timon_titus.pdf)

- Sylvain Diaz, «Le Lehrstück brechtien, théâtre de l’accident», Agôn [En ligne], Dossiers, (2009) N°2 : L'accident,

La Rupture, mis à jour le : 14/12/2009, URL : http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=1080.

 

 

 

 

 

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