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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte-rendu de Krinomen - En attendant Godot, mise en scène de Jean-Pierre Vincent

© Raphaël Arnaud

© Raphaël Arnaud

Krinomen du 19 novembre 2015    

Animation et recherches de terrain : Cassandre Tchaïkovski-Vitse, Laura Jouannel, Alison Ingold,Claire Pineau, Jason Cauvin et Pauline Millet

Compte-rendu : Mathilde Brulé et Marion Casenave

 

 

En attendant Godot est une pièce de Samuel Beckett écrite entre 1948 et 1949. Beckett est un écrivain irlandais qui résida en France le plus grande partie de sa vie. Il est particulièrement connu pour ses pièces de théâtre, En attendant Godot étant la plus célèbre. Elle est souvent rangée dans la catégorie du théâtre de l’absurde, bien que cette classification soit discutable. Jean-Pierre Vincent, metteur en scène français reconnu, en a fait une mise en scène à laquelle nous avons assisté. L’étude de cet objet spectaculaire était le but de notre rencontre, durant laquelle nous avons parlé de la mise en scène, de l’adaptation, de l’absurdité du texte et du sens politique que nous pouvons lui donner.

 

Pour débuter le krinomen, nous avons repris l’ensemble des éléments présents dans la scénographie : l’arbre, le chemin de sable, le rocher, où nous étions tous assis en attendant que l’assemblée s’installe, en mangeant des carottes. Nous avions imaginé que ces dernières pourraient représenter le bâton de parole et c’est un système qui a fonctionné jusqu'à que toutes les carottes aient été mangées ...  

 

Pour engager l'échange, il a d'abord été demandé aux étudiants de décrire le spectacle d'un point de vue visuel, sonore, et du point de vue du jeu et de la présence.

L'audience a donc décrit En attendant Godot comme un spectacle à la scénographie minimaliste (un plateau légèrement incliné, une toile de fond accueillant des projections, un arbre, un rocher, un chemin de sable et quelques cailloux. Quatre comédiens portant des chapeaux melons.  

En ce qui concerne la présence, les comédiens avaient un jeu particulièrement corporel, inspiré des codes du burlesque anglais (Laurel et Hardy, Buster Keaton)

 

 

 

I. LE SPECTACLE

 

A - L’ennui, le temps qui passe, le silence pesant, la difficulté à rentrer dans l’histoire...

 

Parmi l'assemblée, En attendant Godot  est une pièce connue car elle est fréquemment inscrite au programme du lycée ou encore parce que Samuel Beckett est un grand nom du théâtre. Cette pièce est donc connue de beaucoup, du moins le nom Beckett.

Le spectacle n'a pas remporté l'adhésion de tous. L'assemblée était très divisée. Certains ont été sensibles au spectacle, touchés par la beauté de l'histoire. D’autres ont préféré la version textuelle de Beckett, dans laquelle ils ont trouvé davantage d' « absurde ».

Pour ceux qui connaissent très bien la pièce, le jeu pouvait sembler très calqué sur le texte et ses nombreuses didascalies. (En attendant Godot est pourtant la pièce de Beckett la moins chargée en termes de didascalies) Les didascalies peuvent en effet être un frein ou du moins une contrainte à la mise en scène puisque selon les volontés de Beckett, elles doivent être impérativement respectées. Ce qui signifie que la pièce doit être jouée aujourd'hui de la même façon que dans les années 50. L'élément qui varie, c'est la réception du public en fonction de son époque. Nous sommes en effet moins troublés aujourd'hui par un comédien qui entre en scène pour n'avoir rien à faire; Le théâtre contemporain et ses nouvelles formes scéniques ont considérablement modifié notre réception.

Or actuellement comme à l’époque, l’œuvre ne fait pas l’unanimité et continue de faire scandale à sa manière. Pour une partie de l'auditoire, l'histoire est assez simple et peut être résumée de façon très concise « En attendant Godot c’est l’histoire de deux clochards qui attendent Godot près d’un arbre et d’un rocher. Ce dernier ne vient pas. Plus tard ils rencontrent un maître et son esclave. Deux jours s’écoulent, sur la base de la même scénographie. La deuxième journée est la même que la veille mais pourtant les deux personnages ne sont pas d’accord sur l’espace-temps.»

Pour d'autres, ce spectacle est une vague d'émotions et une grande sensibilité se dégage des personnages Estragon, Vladimir ou encore Pozzo et Lucky. « Ce sont des personnages attachants que nous avons envie d’aider » dit une étudiante particulièrement touchée par l’histoire. Le débat s’ouvre alors sur la perception de l’histoire, nous nous apercevons vite que chacun s’est fait sa propre adaptation et que chacun y a vu ce qu’il a voulu y voir. « Attachants ? Je dirais plutôt grotesques similairement à Laurel et Hardy» lui répond un autre étudiant.

Tout est écrit, c’est cela qui est retenu par certains. Ils défendent l'idée selon laquelle aucune nouveauté n’est apportée au texte initial, ce n’est qu’un simple copier-coller. Selon eux, les comédiens jouent de façon lisse, le spectateur peut anticiper tout ce qui va se passer tellement tout est prévisible, les postures, les réactions, tout est logique et tout est fraichement servi sur un plateau. La pièce est ennuyeuse et ne suscite aucun sentiment, l’histoire est en suspens, tous les connecteurs logiques de la création jusqu’à la représentation du spectacle sont visibles. « Quelle est donc l'utilité de mettre en scène ce texte tel quel aujourd'hui ?» ou encore « Devons-nous vraiment trouver une signification à ce texte ? » sont des questions qui reviennent énormément.

 

 

B - Un univers, un arbre, un rocher, un fond, le silence, le jour, la nuit, l’attente…

 

Beaucoup d’étudiants trouvent la scénographie trop respectueuse du texte et surtout trop attendue. Pour certains, monter cette pièce pour conserver la même scénographie que dans chacune des représentations déjà existantes de En attendant Godot est un acte qualifié d'« inutile ». Il aurait donc fallu sublimer le texte en surpassant les contraintes des didascalies pour créer une scénographie surprenante. L’arbre comme le rocher sont pourtant des éléments clés de la pièce. L'arbre par exemple permet tout le jeu en rapport avec la mort, avec l’envie omniprésente des comédiens de se pendre à une branche. Nous observons aussi dans la deuxième partie que cet arbre, avec l’arrivée de feuilles sur lui permet de perdre le public concernant la question de temps.

Le décor est considéré comme trop calqué par certains mais d'autres étudiants multiplient les retours critiques afin de comprendre son sens et surtout la nécessité de respecter les didascalies de Beckett. Il est même relevé que « Si l’arbre n’est plus là, si le rocher n’est pas présent, En attendant Godot n’a plus de sens. » Pour certains étudiants il est essentiel de conserver ces éléments quitte à ne rien inventer, car ils jouent un rôle primordial dans le déroulement du spectacle.

Certains rétorquent : « A quoi sert-il de faire une scénographie que nous pouvons déjà voir dans le texte ? Cela revient à dire que nous allons voir un spectacle pour finalement ne pas se faire surprendre. » Effectivement, aller voir une pièce déjà connue, et surtout dont le texte est méticuleusement respecté à la virgule près, n’a peut-être pas véritablement de sens, mais n’est-ce pas le but, que de ne pas avoir de sens ?

Dans l’assemblée, une étudiante dit ne pas avoir lu, ni jamais vu auparavant En attendant Godot, pourtant elle dit avoir été émerveillée par cette capacité avec si peu de décor à faire voyager dans l’attente, et à illustrer le silence. D’autres réagissent sur le fait que même si l’ambiance est similaire d’une adaptation à une autre c’est que les choses ne sont pas là par hasard. Dans ce spectacle, il y a beaucoup de didascalies dites « vivantes » comme l’arbre avec les feuilles, le jeu des chaussures, le jeu des chapeaux, etc. Mais nous les retrouvons aussi dans les costumes qui sont universels avec les fameux chapeaux melons, qui peut-être sont simplement le miroir d’une époque passée. Selon l’interprétation d’un étudiant, les chapeaux sont une critique de la société de l’auteur : tant qu’on n’a pas la forme on ne peut pas s’exprimer en public. Les chapeaux seraient alors comme des camisoles qui empêchent la réflexion et le sens.

Il est vrai que les textes de Beckett sont contraignants, mais ceux qui les montent sont conscients de cet enjeu. Pourtant, certains dans l’audience pensent que Jean-Pierre Vincent n’a pas su trouver de liberté et d'inventivité. « C’était une mise en scène classique, ce qui est dommage puisque le théâtre évolue et les choses changent, mais dans cette mise en scène il n’y pas de surprises, même dans le jeu malgré les éléments burlesques ! ». Nous entendons bien qu’une majorité a été déçue par le spectacle.

 

C - Pièce expérimentale ou classique ? Un avis mitigé.

 

La question principale fut de savoir si Jean-Pierre Vincent souhaitait dire quelque chose de nouveau avec un texte comme celui-ci, et surtout pourquoi avait-il eu l’envie de le monter ? Alors qu’une minorité parle de théâtre, la majorité parle de notoriété de Beckett. Il est même dit « On monte Beckett pour remplir les salles de spectacles et non pour la pièce en elle-même. » Beaucoup acquiescent à cette réflexion. Nous pourrions donc parler de pièce classique. Il est vrai que le nom de Beckett sur une programmation est « tape à l’œil », les spectateurs accourent peut-être plus vite au théâtre. D’une part parce que certains connaissent, d’autre part parce que c’est un théâtre « ancestral » qui demande à être vu au moins une fois dans sa vie. Pourtant la mise en scène de Jean-Pierre Vincent ne fait pas l'unanimité auprès des étudiants comme auprès du plus large public (selon l'enquête de terrain). Le principal reproche formulé est la prévisibilité, le manque de surprise. Tous les éléments sont là, intacts : le jeu clownesque des comédiens, l’arbre et le rocher, les carottes et les navets etc. Cette pièce est une liste exhaustive des règles à suivre.

Dans notre débat, le ton monte. Monter Beckett peut être une expérience intéressante mais uniquement si « on en tire des partis pris ». Nous connaissons le texte, nous connaissons la fin, aller voir cette adaptation ou encore une autre ne changera pas l’histoire, ni même notre vision du théâtre. Il est vrai que certains d’entre nous allons au théâtre pour être surpris, chamboulés ou encore pour réfléchir sur des réalités mais ici, ce que les étudiants retiennent de cette adaptation est l’ennuie. « Cette adaptation est ennuyeuse, elle est longue de base mais là c’était vraiment horrible à voir ! » dit un étudiant en insistant sur le fait qu’il est persuadé que s’il avait regardé le spectacle les yeux fermés, il aurait pu voir plus de choses et donc aurait été doté d’une plus grande sensibilité à l’égard du travail de Jean-Pierre Vincent.

© Raphaël Arnaud

© Raphaël Arnaud

II- EN ATTENDANT GODOT, THEÂTRE DE L’ABSURDE ?

 

A – Définition de l’absurde

 

Dans ce spectacle, l’absurdité est forcément visible à un moment ou à un autre, bien que le public la ressente à échelle différente. Pour essayer de capter ces différentes perceptions de l’absurde, il a été demandé à l’auditoire, dans un premier temps, d’en donner une définition. L’ensemble des personnes interagissant est d’accord sur la subjectivité de l’absurde, sur le fait que cette notion est victime d’amalgames, et même sur sa « non-définition » possible. Un étudiant s’exclame : « Il faut arrêter de chercher à comprendre, ou de mettre des définitions sur ce genre de pièce ». Autrement dit, si c’est absurde, c’est que nous n’avons pas besoin d’expliquer pourquoi et en quoi ça l’est. Un exemple est donné : les textes de Ionesco où il n'y a pas à se demander quel sens donner à l’absurde, puisqu’il n’y en a pas. Une intervention d’un étudiant explique plus clairement que « ce qui est bien dans l’absurde, c’est ces choses qui ne peuvent pas se réaliser, mais que l’on accepte quand même dans le texte ». En réalité, même si nous perdons la logique, nous gardons des mots pour dire des choses rationnelles. Il faut différencier l’absence de logique de l’absence de sens.

 

B - L’absurde dans En attendant Godot

 

« Le genre de l’absurde tend à éliminer toute logique dans une intrigue, néanmoins il transporte avec lui une intention plus complexe, celle de mettre en lumière la difficile communication entre les hommes », avons-nous dit dans notre avant-papier. C’est cette réflexion qui nous emmène à réfléchir à l’absurde dans En attendant Godot.

Dans le texte de Beckett, on attend Godot, une personne qui ne viendra pas. C’est un exemple du manque de logique présent d’emblée dans le texte. En réalité, ce texte peut se lire sans accepter de se plonger dans une absurdité totale, mais il en devient ennuyeux, pour la plupart des étudiants. Ainsi, la majorité de l’audience acquiesce le fait que Jean-Pierre Vincent a gommé l’absurdité dans la pièce pour que tout reste logique et compréhensible. Il a ainsi manqué ou du moins mis de côté une des facettes les plus agréables de la pièce. Une étudiante témoigne : « c’est dommage comme parti pris, le texte est très drôle, et il n’y a rien à voir entre le ressors comique dans ce texte comparé à la pièce jouée devant laquelle je me suis ennuyée. J’ai été déçue ». Les personnages sont quasiment dans la réalité. Le potentiel absurde n’a pas été utilisé. Il est vrai que Jean-Pierre Vincent lui-même dit qu’il ne voit pas d’absurde dans ce texte.

D’un autre côté pourtant, une minorité de spectateurs a quand même réussi à se laisser emporter par l’absurde présent dans le texte (qui n’a aucunement été modifié, du fait des demandes de l’ayant droit). En effet, Jean-Pierre Vincent a parfois touché à une absence de sens indiscutable, comme par exemple durant le monologue de Lucky. Vladimir lui remet son chapeau et Lucky se met à déblatérer tout ce qui lui passe par la tête, à une vitesse telle qu’il est impossible pour le spectateur d’arriver à le suivre, et d’analyser ces paroles pour y chercher du sens.

Beckett niait pourtant le fait de faire du théâtre de l’absurde. Marie Duret-Pujol précise à juste titre que la qualification d’absurde pour le théâtre arrive postérieurement à l'écriture du texte de Beckett. Ainsi, un élève remarque que le langage utilisé était peut-être ce qui empêchait la compréhension du texte par le spectateur dans les années 50, alors qu’aujourd’hui c’est un langage courant. Comme il a été dit précedemment, c’est une pièce dont la réception évolue probablement avec le temps. Dans les années 50, le public ne devait pas la comprendre de la même manière. Les premières représentations étaient scandaleuses car il n’était pas admis qu’un comédien arrive sur scène pour dire qu’il n’a rien à faire, le spectateur croyant réellement que Beckett se jouait de lui.

Le débat est alors relancé. Peut-on encore considérer En attendant Godot comme une pièce du répertoire absurde alors qu'aujourd'hui, sa forme n'est plus inédite, que le spectateur accepte davantage le silence et les formes narratives originales. 

Les avis semblent s'accorder sur le fait que la dose d'absurde contenue à priori dans le texte n'a pas été retranscrite au plateau. 

 

C - Le sentiment de l’attente

 

Une spectatrice témoigne : elle se sentait mal à l’aise face à ces deux personnages qui n’avancent pas, et elle avait envie de monter sur scène pour les aider, leur parler, au final, pour les comprendre.

L’attente, plus dure pour certains que pour d’autres, est sans doute le sentiment le plus cité et décrit durant ce débat. On peut alors différencier deux sortes de spectateurs : ceux qui avaient lu le texte, et ceux qui ne l'avaient pas lu, ou pas jusqu’au bout. D'une part, ceux qui connaissaient le texte et donc le dénouement mais qui pouvaient tout de même attendre quelque chose pendant le spectacle, et d'autre part ceux qui ne connaissaient pas le texte et attendaient peut-être l'arrivée de Godot. Parmi ceux-là, un étudiant attendait « un pétage de plomb ». En effet, il explique que plus on attendait, plus on avait envie que le dénouement soit fort, face à ces personnages faibles.

Au moins, ceux qui n’avaient pas pris connaissance de l’histoire se sont tous demandés si Godot allait arriver ; c’est un côté de la pièce toujours efficace. Ce sentiment d’attente s’est transformé pour beaucoup en une certaine passivité, « l’attente était dans une posture stoïque » explique une étudiante.

 

L’attente peut rendre passif, où à l’inverse, alerte. Une autre personne dit que c’est grâce à ce sentiment d’attente qu’elle a réussi à rentrer dans la pièce. Un débat s'engage alors entre ceux qui pensent que c'est Jean-Pierre Vincent qui a créé cette attente et ceux qui disent qu'elle existe d'emblée dans le texte et que la mise en scène n'a rien amené. Ceux qui connaissaient le texte savaient très bien qu’il n’y aurait rien au bout de l’attente, mais comme l’explique une étudiante, « c’est ça qui fait Godot, on s’attache à la forme ». En effet, c’est une pièce assez expérimentale et contemplative, où l’ennui est volontairement créé pour les spectateurs et les personnages, et où autant les uns que les autres tentent de lui donner un sens.

 

C’est l’attente (quelque soit sa forme) qui a provoqué l’ennui, et l’ennui qui a provoqué l’attente. Il est bon et utile d’après certains de se pencher sur cette sensation que nous n’apprécions plus aujourd’hui et qui est inévitable face à cette pièce.

 

 

III- LE SENS DE LA PIECE

 

A – Qui est Godot ?

 

La majorité de l’auditoire est donc d'accord pour dire qu’il n’est pas vraiment utile de monter une pièce pour que le public ne ressente rien de plus ou de différent qu’à la lecture du texte. Dans ce cas, nous sommes en droit d'interroger les motivations de Jean-Pierre Vincent dans sa démarche de création.

Il a donc été demandé aux étudiants dans un premier temps d’expliquer selon eux qui était Godot, afin de pouvoir comparer leur vision à celle de Jean-Pierre Vincent. Certains ont retenu que dans le texte « Godot a une barbe blanche », ce qui suffit à tous pour lui donner un certain âge. Une étudiante enchaîne alors « ce certain âge amène un pouvoir, un charisme ». Les termes de « hiérarchie sociale » sont aussi relevés. Pour continuer dans les suggestions, un élève pense que Godot pourrait être la Mort, qui a une présence assez récurrente tout le long du texte. Pour un autre, Godot est peut-être Dieu, ou une chaussure. En réalité, il est impossible de détenir la vérité quant à la symbolique de Godot, ni même d'affirmer son existence. De là, une personne de l’assemblée pose une question ouverte : « alors ce n’est peut-être pas intéressant de se demander qui est Godot, c’est peut-être un prétexte, non ? ». Godot serait alors quelque chose et non pas quelqu’un, comme un but d’une vie. En fait, « ce serait quelque chose qui les sort de l’attente ». Quand on sait qu’il ne viendra pas, « c’est son absence qui fait jouer, et c’est son absence qui fait présence » essaie d’expliquer l’un d’entre nous. A chacun son interprétation de Godot. 

 

 

B- Jean Pierre Vincent nous a dit qu’il aimait faire de la politique dans son théâtre. A-t-il réussi à faire passer un propos grâce à cette adaptation ?

 

Les regards entre étudiants suffisent à faire comprendre que si propos politique il y a, ils sont peu nombreux à l'avoir entendu. Beaucoup d’entre eux ont retenu lors de la rencontre avec Jean-Pierre Vincent que c’est sa principale motivation. Il faut alors peut-être aller plus loin que la recherche d’un simple propos clairement énoncé.

En attendant Godot est un reflet de la société. Mais après ? « C’est très difficile de comprendre pourquoi il a voulu montrer cette pièce » résume une étudiante. « Jean-Pierre Vincent l’a montée parce qu’il se rend compte qu’on ne fait rien, c’est très difficile à saisir ». En résumé, une grande partie de l’assemblée est d’accord pour dire qu’il n’a pas du tout réussi à nous faire comprendre sa motivation. Selon eux, rien ne ressort de ce spectacle.  Cette majorité d’élèves a retenu un désespoir constant, la présence de la mort, qui « emmène un certain pessimisme, autant dans le texte que dans le jeu des comédiens », et l’attente.

Et puis il y a ceux qui pensent que cette peinture de notre société sert à mettre en lumière une « fraternité », un « optimisme », au contraire. « Ce n’est pas pesant au final, même si c’est long ». C’est à ce stade du débat que prennent le plus la parole ceux qui ont aimé le spectacle. « Dans nos vies quotidiennes, on a pour habitude d’être toujours dans quelque chose de nouveau, de rapide, un sorte de « course au zapping ». Ça fait du bien d’aller au théâtre pour se retrouver dans quelque chose d’opposé » témoigne très correctement l’une d’entre eux. Peut-être que leur attente est un sens qu’ils donnent à leur vie. Il est vrai qu’il y a une « fraternité extraordinaire qui ne peut que toucher à un moment ». Cette fraternité fait partie du texte de base, mais ce qui est important et touchant, c’est que « le spectacle parvient quand même à rappeler qu’un léger sourire peut changer un moment, en gros ». La musicalité du spectacle est soulevée. Pour certains, la lenteur n’était pas du tout handicapante. « On pouvait presque fermer les yeux et on entendait ce sentiment qui flottait ». L’étudiant qui a dit ces mots n’est pas le seul à avoir entendu la poésie. A la sortie du spectacle une femme a témoigné de sa grande émotion liée à la musicalité. Cette femme était aveugle. Pour les autres spectateurs, ce flottement était difficile à capter car ils voyaient trop facilement « les ficelles de création », ils attendaient quelque chose de « plus sincère », de « moins calculé, et donc moins ennuyeux ».

Une certaine folie aurait sans doute aidé à sortir de cette vision réduite de la mise en scène. Au final très peu de spectateurs ont été touchés et aucun propos clair n’a pu être énoncé par l’un d’entre nous.

 

Pour conclure notre compte-rendu, il nous semble important de rappeler que, pour Jean-Pierre Vincent, un Beckett monté plusieurs fois est une idée et non un copier-coller d’une chose déjà faite. Il dit aussi qu’en montant Godot il n’y a pas forcément de « message » à comprendre, il faut que la France arrête de vouloir comprendre le pourquoi du comment. Et donc que la scène est pour lui quelque part comme une toile blanche que nous devons remplir sans connaitre la véritable signification. En montant En attendant Godot, il ne cherche pas forcément à faire comprendre l’absurde, ni même tous ses choix, mais simplement à rendre logique ce qu’il voit de logique. Cette pièce est la représentation de ce qu’est SA pensée vis-à-vis de ce texte. Pouvons-nous dire que Jean-Pierre Vincent a réussi ?

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