Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Krinomen du 25 novembre 2015
ALZIEU Noémie, CASTERA Maureen, DAGER Alexandra, DEPIERRREFIXE Emilie, DIOT Pénélope, DURANTAU Marlène, GANDON Sarah, PARAGE Lisa.
Tchekhov est un auteur russe, née en 1860 et mort en 1904, principalement nouvelliste et dramaturge. La Cerisaie est la dernière pièce écrite par cet auteur et fait partie des plus jouée actuellement avec La mouette notamment. Le collectif TG STAN en a fait une mise en scène à laquelle nous avons assisté. Nous avons tenté lors du krinomen d’étudier et de critiquer ensemble, dans le cadre d'un débat, la scénographie, la place du jeu du comédien et son rapport au spectateur. Nous avons choisi d'organiser notre krinomen en fonction de plusieurs éléments marquants repérés pendant le spectacle. L’écrit présenté ici en reprend la structure en actes.
ACTE 1
La scénographie
Tchekhov figure parmi les auteurs classiques, au sens où il est étudié dans les classes. Ils sont plusieurs ceux qui sont allés voir la version de La cerisaie de TG STAN en en ressortant étonnés par le parti-pris de la compagnie. Le public est partagé : certains disent s’être ennuyés, voire endormis, d'autres s'exclament et disent avoir beaucoup aimé. Nous savons dès le début de ce krinomen que cette pièce sera sujette à débat. Tous cependant sont d'accord sur un point, la scénographie est très présente, complexe et travaillée pour représenter au mieux le lieu de vie d'une famille qui vit ici depuis des années. On y voit un mobilier simple, composé de meubles, de chaises, de structures genre Ikea, d'une table où ils boivent et où ils mangent. Un étudiant explique la présence de portes-fenêtres déplacées selon les actes, de stores parfois relevés, parfois descendus, et des fils des stores qui pendent au milieu de la scène ou encore du carrelage au sol délimitant l'espace de jeu des comédiens. Alors que certains regrettent de n’avoir pas pu tous les éléments de jeu, dû à leur placement dans la salle, d'autres défendent la volonté de TG STAN de ne pas montrer tout à tout le monde. Lorsque la discussion vient à évoquer les dispositifs présents sur scène lors de l'acte II, les étudiants commencent par définir le nouvel espace créé, un jardin certainement, une forêt peut être, un cours d'eau sûrement à cause du ponton nouvellement créé à l'avant-scène à partir des tables. En effet, les comédiens ont placé deux tables en diagonales de sorte à créer un ponton. De plus, ils montent sur les tables à l’aide de tabourets et de chaises. L'acte III arrive vite au cœur de la conversation puisque, là encore, il y a du changement. La danse et la musique sont aussi des éléments phares de cet acte, ils sont donc rapidement évoqués : la modification de la musique permet de discerner deux espaces, un intérieur et un extérieur. L’intérieur est représenté en fond de scène, derrière les grandes portes-fenêtres tandis que l’extérieur est représenté en avant-scène. Le fond de scène est éclairé de rouge pour rappeler le moment de fête. Cet intérieur chaleureux, convivial. L’avant-scène, quant à elle, est éclairée en bleu afin de donner un coté froid puisque les disputes s’y produisent. A la dernière scène, les comédiens rassemblent tout le mobilier derrière les grandes portes fenêtres qui sont alors retournées afin de montrer qu’il s’agit d’un déménagement, ce qui rappelle que la cerisaie va être vendue. Un seul élément n'est pas stocké, l’armoire située « hors jeu » où sont disposés les différents costumes des comédiens.
La scénographie étant particulièrement marquée dans l’interprétation de La cerisaie par TG Stan, les étudiants n'ont eu aucune difficulté à nous parler des images et des tableaux qui les ont marqués pendant la représentation. Les avis se partageant, certains racontent leur moment préféré ; la scène de la fête est décrite comme étant très énergique, avec de la couleur et de la lumière, ce qui la fait ressortir par rapport à tout le reste « avec les acteurs qui viennent danser devant sur des musiques assez technoïdes ». Le moment où l'une des comédiennes arrive avec le tapis et qu'elle disparaît en sous-vêtements donne un côté décalé, de ce fait, nombreux sont ceux qui se sont demandés comment elle avait pu faire, rendant la scène à la fois intrigante et plaisante. Nous avons également des ressentis sur la scène où une des comédiennes paraît voler grâce à des ballons qui la soulèvent. Ce personnage est surprenant, énigmatique et étonnant. Un débat commence alors autour de ces « tours de passe-passe » : alors qu'ils font partie des plus beaux moments du spectacle pour certains, d'autres affirment qu'ils sont sans intérêt, vus comme étant anecdotiques, inutiles. Ces effets ne seraient pas bien intégrés dans la mise en scène. Ce à quoi les premiers répondent qu'ils nourrissent la vie du texte de Tchekhov, à la base difficile à lire. En faisant fonctionner son imaginaire, ces effets peuvent nous faire évoquer des souvenirs de famille dans cette mise en scène plutôt pétillante qui rend la pièce vivante pour la majorité des avis. Malgré l'écriture complexe de Tchekhov, Tg Stan parvient à créer, à partir du texte de cet auteur, un spectacle complet tantôt comique, tantôt dramatique, à l'aide d'une scénographie toujours pratique et travaillée. C'est l'avis principal qui se dégage de l'assemblée. Quelques voix cependant se font entendre pour affirmer le contraire, la scénographie est imposante, les effets sont trop présents, il y a des moments de vraie lenteur et le texte perd sa notion de basse écrasée par l'importante scénographie.
ACTE II
le jeu
Nous voyons que certains dans l'assemblée connaissent un peu la compagnie Tg Stan et savent qu'ils ont un fonctionnement atypique. Un étudiant avait déjà assisté à un autre spectacle du collectif, Scène de la vie conjugale. Il a alors pu remarquer des similitudes dans leur fonctionnement, particulièrement le fait de jouer avec le public qui semble être redondant avec ce collectif. Sans metteur en scène, ils réfléchissent à leurs projets principalement autour d'une table et ne passent au plateau que 10 à 15 jours avant la première représentation afin de ne pas épuiser leur travail. Cette méthode reste très stressante puisque tout est réalisé dans la précipitation. Une question se soulève alors dans les gradins : quelle est la place de l’improvisation dans leur travail ? Même si nous n'avons pas l'impression qu'ils ont des problèmes de texte, une étudiante nous rappelle qu'à un moment un comédien a tiqué sur une faute de grammaire et a improvisé dessus. La pièce n'est jamais deux fois la même, les acteurs se permettent une certaine liberté dans leur jeu quand ils s'en sentent capables. Ces improvisations sont parfaitement assumées et sont cohérentes avec le concept de création qu'est le leur. Mais est-ce vraiment de l'improvisation ? Les acteurs restent cadrés par le texte et ne peuvent donc pas réellement partir en improvisation. Ils se permettent de simples débordements, comme des imprévus qui, d’après une étudiante, peuvent traduire leur peur de s’ennuyer et de nous ennuyer.
La façon particulière qu'ont les membres de Tg Stan de travailler influe sur la perception qu'aura le public des personnages. Dès le début de la pièce, ce sont des comédiens que nous voyons sur scène qui ne sont pas encore dans leurs rôles, mais « c'est délicat parce que même quand ils ne sont pas dans leur personnage, ils ne sont pas vraiment eux-même, ça reste un jeu, c'est intentionnel » nous fait remarquer un étudiant. Ce sont deux perceptions différentes qui se rejoignent tout de même sur un point : le parti-pris fait que la crédibilité du personnage ne tient qu'à un fil, car en effet ces comédiens ne deviennent personnages que dans le cadre de jeu délimité sur scène seulement. Des étudiants ont tout de même vu les personnages, notamment celui de la mère qui a d'abord l'air « fausse » puis qui apparaît finalement comme un vrai personnage. Une autre étudiante répond qu'on voit trop les comédiens, qu'ils prennent trop de place, même quand on est supposé voir les personnages. Lorsque nous demandons si ce « double jeu » est quelque chose de nouveau pour eux ou de déjà vu, tous sont à peu près d'accord pour répondre que, même si ce n'est pas novateur, ce n'est pas dérangeant.
ACTE III
Le spectateur
Les comédiens pendant cette pièce créent une relation singulière avec leur public, n’hésitant pas à communiquer directement avec lui, voire à s’installer dans les fauteuils de la salle. Un problème est alors soulevé : tout le monde n'a pas accès aux blagues faites à une partie du public seulement. Certains trouvent cela dommage, frustrant voir même provoquant, un sentiment d'exclusion peut alors être ressenti alors que d'autres n'ont pas été dérangés, car tout le monde ou presque ont eu droit à une blague à un moment. Ce parti pris sur une pièce comme La cerisaie de Tchekhov provoque une division dans les gradins. Ils y a ceux qui pensent qu'on s'y perd et qu'il est difficile de suivre le propos de la scène et ceux qui pensent qu'on s'amuse, que c'est vivant et que l'on sort du spectacle en ayant compris la pièce, donc que ça fonctionne. « C'est un spectacle avec pleins d'idées, rien joue contre, tout joue avec, il en ressort une espèce d'harmonie ». Un étudiant avoue qu'il a ressenti une certaine tendresse dans le texte de Tchekhov qu'il trouve difficile d'accès. Tg Stan aime beaucoup jouer avec les textes de cet auteur puisque c'est la septième pièce de lui qu'ils montent. Vient alors un nouveau débat, avec deux avis qui se font front : d'un côté le texte ne serait qu'un prétexte, un point d'appui pour faire un travail de création derrière, de l'autre, le travail fait en amont à la table traduit bien l’intérêt du collectif pour le texte : l'importance du texte est bien présente. Un étudiant souligne à la suite de cette discussion que, malgré la lenteur, on sent l'urgence, peut-être parce qu'au moment de l’écriture de ce texte, il se passait « des événements graves » en Russie. Sur ce commentaire, une autre étudiante rebondit, en disant qu'il s'agit du premier regroupement survenu après les attentats de Paris du 13 novembre 2015. Il y a un échange dans ce désastre, une liberté et de nombreux clins d’œil, ce qui ramène le débat sur la relation qu'ont Tg Stan avec leur public, leur volonté de vouloir faire rire à certains moments donne l'impression que le public est un miroir où ils peuvent se regarder. Même si le problème de la salle est évoqué, car ceux qui sont en haut sont mal placés et peuvent alors se sentir exclus, beaucoup d’étudiants considèrent que c'est un choix de la compagnie de ne pas vouloir faire profiter le public de la même manière. Se pose alors un nouveau problème : sommes-nous invités ou forcés à rire ? Les avis sont encore une fois partagés : alors que certains parlent de cabotinages, d'autres ont trouvé les interventions des blagues intéressantes. Nous avons un étudiant qui conclut en expliquant qu'il n'y a pas d'insistance donc qu'on ne peut pas parler de cabotinage, ou bien juste sur certains rôles, mais qu'il y a une sorte de logique. Il termine en disant que, si on ne voit pas toutes les blagues, ce n'est pas grave, il est vrai que l’égalité des spectateurs n'existe pas, tout le monde n'aura pas la même vision de ce spectacle. Les comédiens pouvaient d'ailleurs parfois adopter une posture de spectateur puisque lorsqu'ils sont dans les coulisses à attendre leur passage, ils regardent la scène et leurs camarades.
Lorsque nous demandons si, lors de la représentation, nos auditeurs ont vu du Tchekhov ou du Tg Stan, la première réponse est du Tg Stan. Il semble impossible pour les spectateurs d'avoir vu du Tchekhov, la mise en scène contemporaine est trop présente. Certains cependant défendent avoir vu les deux, le texte de Tchekhov étant la base du travail des Tg Stan, on ne peut donc pas voir l'un sans l'autre. Alors que nous allions conclure ce débat, une étudiante relance la discussion au sujet des costumes transparents que les femmes portaient. Sujet qui fâche... En effet, s'agit-il d'une conception travaillée ? C'était pour certains un moment de gêne, ils ne comprenaient pas pourquoi seules les femmes portaient ces tenues. D'autres ont parlé d'esthétique trouvant cela joli, surprenant voire séducteur. Enfin d'autres n'ont pas trouvé utile de se poser des questions à ce sujet, ces tenues font partie du spectacle, aucun contenu idéologique n’y serait alors caché.
Afin de conclure, nous pouvons dire que le travail surprenant de la compagnie Tg Stan a parfaitement bien nourri le débat du krinomen. Leur objectif d'atteindre et de toucher le public est réussi. De plus, étant donné qu'ils misent tout sur l'individualité, nous pouvons remarquer que, lors du débat l'individualisme a été mis à l'épreuve grâce aux diverses opinons et avis des uns et des autres. Nous avons également pu remarquer que l'avis diverge selon l'approche théâtrale des différentes personnes. En effet, La cerisaie mise en scène par Tg Stan ne ressemble en rien à un théâtre traditionnel mais est plutôt originale étant donné qu'il s'agit d'un texte de Tchekhov. De ce fait, sans connaître la compagnie Tg Stan l'on pourrait s'attendre à une mise en scène traditionnelle.