Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Compte-rendu du colloque "Politiques du spectacle vivant jeunes publics", OARA/ Bordeaux Montaigne, 10 et 11 décembre 2015
Compte-rendu rédigé par : Chloé Auvray, Zoé Dada, Lilith De San Mateo, Ophélie Goursaud, Jeanne Laffargue, Sarah Ouazana, Pauline Rousseau, Anne Sole-Blanco, Etienne Duplaa.
Le théâtre jeune public et la Belle saison
Le théâtre jeune public est un théâtre qui vise un public particulier, prenant alors en compte son âge pour le choix du texte, la mise en scène etc. Il n’exclut donc pas les plus jeunes ce qui ne veut pourtant pas dire qu’il s’agit de pièces uniquement pour enfants. Il a beaucoup évolué depuis sa création et essaie de plus en plus d’atteindre un public large.
Adieu fanfreluches pralinées et autres mignardises ! La création pour l’enfance et la jeunesse se libère des poncifs roses bonbon qui l’enrubannaient et se dévoile aujourd’hui dans toute son insolente vitalité. Foisonnante, elle connaît un élan créatif qui touche tant les écritures que les langages scéniques, qu’il s’agisse de théâtre, de danse, de musique, de cirque, d’arts visuels, de marionnette... ou de leurs rencontres sur le plateau. Loin des productions calibrées pour le lucratif marché du divertissement infantile, elle recouvre une variété d’esthétiques, d’une inventivité et d’une exigence qui ont beaucoup à apporter au renouvellement des formes artistiques, en même temps qu’à la formation de l’écoute et du regard pour les nouvelles générations. Elle gagne aussi les réseaux non spécialisés et attire de plus en plus d’artistes, qui réinterrogent leur art en se confrontant aux enjeux de l’adresse au jeune public.[1]
C’est au 20ème siècle que le théâtre jeune public est réellement apparu car avant cela les enfants voyaient soit des spectacles plus adaptés aux adultes et joués par des adultes soit des spectacles joués par des enfants (dans des cadres éducatifs principalement).
Le théâtre jeune public n’est pas une structure en soi, bien qu’il existe deux centres dramatiques nationaux en France spécialisés dans le jeune public (le Théâtre Nouvelle Génération à Lyon et le Théâtre Jeune Public à Strasbourg). Le théâtre jeune public est avant tout un genre théâtral.
La Belle Saison est un événement permettant de dynamiser et de questionner le théâtre jeune public. Cette saison dédiée au jeune public a été impulsée par le ministère de la Culture et de la Communication, elle a débuté en pendant l’été 2014 et a pris fin en décembre 2015. La soirée d'ouverture de La Belle Saison s’est faite au Théâtre National de Chaillot le samedi 11 octobre 2014. Lors de cette soirée d’ouverture Flore Pellerin, ministre de la culture, a fait un discours d’inauguration et de présentation de la Belle saison et de ses acteurs (personnes participant activement au projet). Le but de ce projet était donc de dynamiser le théâtre jeune public dans toute le France en faisant participer les régions avec un pôle principal par région.
• Alsace : Créa – Centre de rencontre d’échange et d’animation
• Aquitaine : OARA – Office artistique de la région Aquitaine
• Auvergne : JMF Auvergne et Le Tranfo
• Basse-Normandie : Le Préau – CDR de Basse-Normandie – Vire
• Bourgogne : La Minoterie
• Bretagne : Très Tôt Théâtre – Scène conventionnée Jeunes publics
• Centre : Centre chorégraphique national de Tours
• Champagne-Ardenne : Association Nova Villa – Festival Méli’Môme
• Franche-Comté : Ligue de l’enseignement – Réseau Côté Cour
• Haute-Normandie : CDN de Haute-Normandie
• Île-de-France : Théâtre de la Ville
• Languedoc-Roussillon : Théâtre de Villeneuve-lès-Maguelone – Sc. Conv. JP
• Limousin : Les Sept Collines – Scène conventionnée de Tulle
• Lorraine : Centre culturel Pablo Picasso
• Midi-Pyrénées : TNT — Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées
• Nord-Pas de Calais : Le Grand Bleu
• Provence-Alpes-Côte d’Azur : Théâtre Massalia
• Pays de la Loire : Le Grand T
• Poitou-Charentes : Théâtre d’Angoulême – Scène nationale
• Rhône-Alpes : TNG — Théâtre Nouvelle Génération – CDN
L’intérêt étant aussi de montrer que ce théâtre a beaucoup évolué. Des projets propres à chaque région ont eu lieu durant cette saison, en Rhône-Alpes par exemple des textes ont été votés par un jury pour être mis en scène par des metteurs en scène régionaux, ces textes parlaient de différentes choses mais faisaient souvent échos à l’actualité et n’étaient pas édulcorés sous prétexte qu’il s’agissait de théâtre pour enfants.
Voici donc le compte rendu de cette dernière rencontre ayant eu lieu du le jeudi 10 décembre et le vendredi 11 décembre 2015, à l’OARA et à l’université Bordeaux Montaigne.
Le programme du colloque est disponible en ligne au lien suivant : http://www.bellesaison.fr/evenements/colloque-politiques-du-spectacle-vivant-jeunes-publics/
Conférence de Marie Bernanoce, professeur à l'université de Grenoble-Alpes, Laboratoire LITT&ARTS.
Le théâtre jeune public est un théâtre vivifiant. La citation de Jean-Claude Grumberg issue de Vers un théâtre contagieux peut servir d’appui de départ : « Ecrire pour la jeunesse, c’est donner de l’air ». Tout le long de cette matinée, il a été question de mettre en avant la richesse et la complexité du théâtre jeune public ainsi que les enjeux du festival La Belle Saison. Marie Duret-Pujol nous a présente différents points de réflexion de Marie Bernanoce, maître de conférences à Grenoble 3, spécialiste du théâtre jeune public.
Que pouvons-nous aborder dans un théâtre jeune public ?
Marie Bernanoce parle d’une approche « générique ». « Il faut prendre toute la matière imprimée du texte ». On ne peut pas désespérer ou ennuyer un enfant. La profondeur du texte « jeune public » doit être mise en avant, sans paraître « stupide », « enfantine » mais de façon complexe et réfléchie. Pour Marie Bernanoce, il n’y a pas de tabous ou, s’il y en a, c’est dans la forme et non pas dans les sujets, dont les thèmes principaux sont souvent : l’amour, la mort, l’imagination. Le festival de La Belle Saison a permis de montrer que l’esthétique particulière du théâtre jeune public pousse à la créativité mais pourtant reste encore aujourd’hui un théâtre mineur très mal subventionné.
La réception
Comme le souligne Madame Bernanoce, on ne peut pas imaginer la réception des enfants. Il s’agit alors de présenter le plus honnêtement possible un spectacle complet.
« Le monde est un enfant qui joue » Nietzsche[2].
Loin des préjugées, le festival La Belle Saison a permis de montrer que « engagement politique » et « théâtre jeune public » pouvaient s’assembler. En effet, on retrouve de l’engagement politique dans sa création même. Marie Bernanoce parle alors d’un « engagement multicolore » où il n’y a pas de facilité morale. Les auteurs prennent des sujets moraux sans en faire la morale. C’est la joie de dire et de raconter. Lors de ce colloque, il a été mis en perspective les questionnements sur tout le répertoire jeune public et les moyens de transmissions adéquates pour proposer un festival riche et intelligent.
Les étudiantes du Master IPCI présentent leur synthèse critique de cette année autour du projet La Belle Saison.
La discussion commence par un Constat de La Belle Saison :
Si cette initiative n'a rien soulevé d'innovant, elle a permis un travail de réflexion sur le mode participatif ainsi qu'une certaine réactivité du secteur se consacrant à la jeunesse. Il est également prévu la création d'un domaine de production dédié aux arts vivants pour la jeunesse ainsi que la promotion et la diffusion de la création pour le jeune public dans les établissements scolaires.
Le fait qu'il s'agisse d'une initiative à l’échelle nationale permet d'agir comme un moyen de jonction entre des univers qui avaient du mal à coopérer. Cela a mis en valeur l'intérêt de la coopération entre enseignants, élus, acteurs culturels et artistiques mais aussi l'utilité de l'engagement des collectivités territoriales dans le cadre des activités scolaires et périscolaires.
La Belle Saison n'a cependant pas connu le relais médiatique attendu.
Le premier intervenant de l’après-midi est Jean Petaux, professeur à l’Institut de Sciences Politiques. Il vient ici afin de reposer le contexte historique et politique de la réforme territoriale et de la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale Régionale) promulguée le 7 août 2015.
L’idée largement répandue que les régions françaises ont été changées en raison de leur taille et de leur champ d’action face aux régions européennes comme par exemple les Landers allemands, bien plus imposants et puissants est irrecevable, tout simplement parce qu’il faut prendre en compte l’organisation de l’état (qui en France est centralisé, à l’inverse de l’Allemagne qui est un état fédéral).
L’ancien découpage des régions françaises avait été créé dans les années 1950 par le géographe Serge Antoine. Ce découpage n’a depuis quasiment pas évolué. Ce ne sont pourtant pas les tentatives qui ont manqué. En 1981, Gaston Deferre propose un modèle à François Mitterrand qui réunit à la fois la nationalisation et la décentralisation. Un débat fait alors rage entre les deux cultures gauchistes : celle des Jacobins qui désire un état fort et centralisateur et celle des Girondins qui prône le pouvoir à la périphérie. De ce débat va naître un consensus qui va amener à la reconnaissance des territoires et donc à une “deuxième naissance” des régions mais surtout à une victoire certaine des communes et des départements. On peut expliquer cette vision départementaliste du gouvernement par le fait que les 4 derniers présidents de la République française ont été précédemment présidents d’un Conseil Général.
Face à ce quasi tout pouvoir des départements, plusieurs plans vont être proposés. C’est d’abord en 2003, que Jean Pierre Raffarin, alors premier ministre sous la présidence de Jacques Chirac, va essayer de mettre en place une volonté de renforcer le pouvoir des régions. Cette volonté sera continuée plus tard, en 2008, par Edouard Balladur[3], qui dépêchera une commission afin d’étudier la modification de la carte des régions et des départements pour renforcer le poids des métropoles. Ce projet restera non abouti.
En 2010, le pays se confronte à une réforme institutionnelle à forte charge partisane. La droite, qui est pourtant en tête du gouvernement, est minoritaire dans toutes les collectivités territoriales et les Conseils Généraux, qui sont composés de davantage d’élus de gauche. Le gouvernement créera alors le poste de Conseiller Territorial afin de contrebalancer ce déséquilibre.
Le 14 janvier 2014, le président François Hollande amorce une grande réforme territoriale. Son but est de renforcer les intercommunalités et de faire disparaître, à terme, les départements (dont la fin est annoncée pour 2020). Les régions sont alors remodelées et la France redécoupée, le projet engagé par la Commission Balladur est remis sur la table. Le but du président est ici de réaffirmer le pouvoir économique des régions mais malheureusement rien n’est dit ou changé sur les compétences, et en particulier culturelles.
PJP 49 (Partenaire Jeune Public du 49) est un réseau de soutien à la création et à la diffusion, dans une démarche coopérative d'accompagnement à la production, avec une dynamique d'accompagnement sur le territoire départemental. L'idée naît en Maine et Loire dans le contexte du festival La Belle Saison durant un colloque. La première initiative est de réunir différents lieux de diffusions (25 lieux ont échangé sur la base du manifeste). La deuxième initiative est la volonté de construire un projet commun qui soutienne autant la production que la diffusion et la médiation. PJP 49 a comme porte d'entrée au projet, 2 000 euros pour démarrer la production.
Ce réseau a mis en place un projet collaboratif, avec une compagnie et une auteure pour la création d'un spectacle. Il a fait le choix d'accompagner une création appelée L'Arche part à 8 heures de la compagnie La Petite Fabrique. Pour ce projet, PJP 49 a créé un partenariat avec 13 lieux de diffusion et de création, avec 29 000 euros de production. Il y aura 4 semaines de résidence sur tout le territoire, 14 représentations publiques, et 40 actions de médiation culturelle.
Durant ce projet il y a une réelle volonté commune de travailler ensemble et de soutenir un projet artistique par le biais de co-producteur (lieux et compagnie), de co-montage (partage des enjeux de chaque partenaire), et de co-réalisation (implication de chacun). Une de la problématique de ce projet de création est : comment développer un projet artistique et culturel à la fois pour un public scolaire et familial ?
La Compagnie La Petite Fabrique avait envie d’un projet pour novembre 2015 mais la création commence en mars 2015. La compagnie s'est beaucoup questionnée. Voici le cahier des charges :
La compagnie s'est dit qu'à l'échelle départementale il valait mieux faire une adaptation de leur spectacle et en créer deux versions avec la même proposition artistique (penser par exemple aux décors qui peuvent changer en fonction du lieu où l’on peut jouer). Les deux propositions permettraient de s’adapter aux différents plateaux mais la seconde n’était en rien une dénaturalisation de la première.
Concernant le financement du spectacle, un système de solidarité territoriale est mis en place, avec une répartition égale pour des salles à budgets inégaux (toutes les représentations ont le même coût). Le collectif (ici PJP 49) a une importance primordiale dans ce genre de projet, et une grande ampleur pour la force de coordination. Le coordinateur/ animateur est tout aussi important car il permet de faire avancer, et évoluer le projet. La compagnie La Petite Fabrique a joué le jeu et compris les enjeux territoriaux du projet (changement du paradigme de l’action culturelle).
Lors de la deuxième saison, il y a une fragilité du collectif qui se ressent. A chaque nouvelle saison, il faut trouver 25 lieux de représentations. L'idée est de travailler dans les temps afin de maintenir une présence artistique. Mais maintenir le projet c’est aussi maintenir la ligne budgétaire culturelle dans les petites communes. Après avoir vu le spectacle il n'y a pas de remise en cause du projet de la part des élus, mais pour la compagnie il a fallu ré-interroger la question des salaires (après la mensualisation).
L'un des axes abordés lors de ce colloque fut autour de la politique qui découle du spectacle jeune public. Vu précédemment avec les enjeux politiques en termes de territoire, il s'agit ici de trouver ce qui découle de ces formes dramaturgiques et littéraires à destination de la jeunesse. Lors de cette matinée, nous avons donc pu nous interroger sur ces formes d'écriture qui abordent des thématiques sociales et politiques, sur leur impact dans les sociétés contemporaines et sur la transmission que peuvent porter ces spectacles jeune(s) public(s).
Comment aborder la guerre dans un spectacle jeune public ? C'est la problématique retenue par Françoise Heulot-Petit, maîtresse de conférence à l'université d'Artois. Le théâtre jeune public abordant la guerre touche une part de la société. Lorsque le théâtre s'empare de la guerre, il bouleverse des images et tente de revenir aux origines. Il radicalise l'affrontement et l'universalise. Ainsi, aborder la guerre dans le théâtre jeunesse, c'est toucher une partie de notre société par des procédés d'écriture et de mise en scène.
Avec une approche qui permet de faire des liens directs entre divers champs lexicaux, une mise en scène des propagandes, un jeu manichéen entre des personnages emblématiques, et une mise en exergue de discours discutables, il est possible d'aborder un conflit dans ces dramaturgies. Montrer des enfants touchés par la guerre est un moyen sûr de les émouvoir. Cela offre l'opportunité de choisir son camp, de se rapprocher d'une réalité qui est proche. Il peut s'agir aussi de faire comprendre qu'une armée a le droit de tuer. La notion de la mort est alors abordée.
Pourtant, ce théâtre jeune public ne s'adresse pas uniquement aux enfants. La présence de l'adulte est importante car ce sont souvent des images véhiculées par eux qui influencent les plus jeunes. Étant donné que l'enfant fonctionne par imitation de l'adulte, voir des personnages plus jeunes en confrontation avec des personnages plus vieux permet à l'enfant d'assimiler certains conflits et lui permettent d’accéder à une pensée propre. L'utilisation de procédés scénographiques, la figuration des voix, le texte, les corps vont ainsi aborder ces questions. On peut donc faire un lien entre la vision de l'adulte et l'enfant.
Ce théâtre-là aurait alors sa place à l'école car serait un vecteur pour aborder les questions des conflits. De plus, l'utilisation de références historiques permet de faire le lien entre l'histoire (le récit) et l'Histoire (la matière). L'enjeu est alors de comprendre le fonctionnement de notre société, certains enjeux stratégiques mais aussi des valeurs défendues ou à défendre.
Toujours en lien avec la politique abordée dans le théâtre jeune public, Simon Arnaud, doctorant à l'université de Rennes II, dresse ici le portrait d'Alfonso Sastre, un écrivain et dramaturge espagnol qui a eu sa plus grande activité au milieu du XXe siècle. En 1939, la dictature Franquiste se met en place en Espagne. Sastre écrit alors durant cette période, s'engageant toujours contre ce régime jusqu'à ce qu'en 1950, il signe le manifeste du Théâtre d’Agitation Sociale (TAS). Cette création fait polémique dans les médias, les conférences et les œuvres littéraires car il prône le changement de la société grâce au théâtre. Ce théâtre se voit alors souvent censuré par le régime en place. Alfonso Sastre se tourne alors vers d'autres formes théâtrales et c'est dans les années 1960 qu'il s'intéresse à Bertolt Brecht et à ses procédés de distanciation. Grâce à cette influence, il raconte d'autres histoires dans d'autres lieux et avec d'autres personnages.
Sastre revient au théâtre pour enfant avec une pièce de 19 tableaux et l'utilisation de la distanciation (qui lui permet d'avoir un aspect critique) et de mise en abîme. Il y a des « clin d’œils » sur la société et une certaine référence au régime franquiste. Dans ses pièces, Sastre dit vouloir offrir « rien d’autre qu’une tragédie, ce qui généralement est évité en raison du pater-maternalisme traditionnel qui tente de censurer l’enfant le plus longtemps possible dans un monde simplement fantastique ».
La diffusion de ses pièces est acceptée mais dans un cadre extrêmement restreint avant d’être complètement refusée. En 1967 est joué El Oficio de Tiniebleas ; ce fut la dernière représentation d’une de ses pièces avant l’abolition de la censure en 1977. Les œuvres sont en majorité rejetées par le public. Il lui est reproché d’inciter à l’action politique ; d’utiliser un vocabulaire non adapté aux enfants et de donner une image faussée de la société en dépeignant ainsi les différences entre classes sociales.
Il faut aussi savoir qu'à cette époque, la création jeune public est monopolisée par une troupe officielle : Los Titeres. Elle est entièrement subventionnée par l’État, et tient les auteurs de théâtre politique comme Sastre, à l’écart afin de conserver un ordre moral. Sastre subit toujours cette censure durant la transition démocratique puisqu’elle s’opère avec les franquistes. De ce fait, il disparaît complètement du panorama littéraire espagnol dans les années 90. Ce qu'il faut retenir c'est que le spectacle jeune public a été un moyen pour l'auteur de dénoncer une société, de critiquer un régime politique car il offre des possibilités de distanciation et de symbolisation pouvant contrer la censure.
Bien souvent on remarque que certaines pièces dites « jeune public » ont pour référence le conte. En exemple, nous pouvons citer des auteurs comme Joël Pommerat[4] qui transposent et mettent en scène des contes populaires. Mais alors, quels sont les enjeux de ces représentations théâtrales du conte ?
Catherine Brasselet, maîtresse de conférences à l'université La Catho de Lille, explique d'abord que le conte est un genre narratif dépourvu de caractère sacré. Il n'existe que dans l'action qu'il suppose, et même s'il n'y a pas de genre défini du conte, il possède des codes particuliers. On pourrait penser que les transpositions de contes vers le théâtre sont assez récentes. Mais Catherine Brasselet montre que, dès le XVIIe siècle, les contes de Charles Perrault sont transposés au théâtre. Les révolutions scénographiques de l'époque offraient de nombreux atouts : mélange de diverses pratiques artistiques, des effets visuels pour accentuer le merveilleux, etc. De nos jours les adaptations viennent de répertoires classiques mais aussi d'autres contes. On parle aussi parfois de transpositions parodiques.
Mais alors comment se fait donc cette transposition ? Premièrement, il y a la voix du conteur qui s'adresse au public (même s'il faut faire un travail d'économie de texte pour laisser de la place au visuel). « La réappropriation fait également partie de ce travail » témoigne Christine Brasselet. Ensuite, la transposition peut se faire sur le clin d’œil, la référence. Ainsi, pas besoin de reprendre un conte comme tel mais l'utilisation de références rajoute du sens. Il s'agit enfin de détourner le conte du schéma traditionnel pour l'adapter à sa manière. Cela se fait par les symboliques et la mise en scène.
Afin d'appuyer son propos, Catherine Brasselet donne l'exemple de La Belle de Nasser Martin-Gousset[5]. C'est une mise en scène complexe utilisant plusieurs disciplines artistiques. Elle exprime plusieurs parties comme l'inconscient et déploie au jeune spectateur de nouveaux axes visuels que celui qu'il pensait. Elle invite l'enfant à réfléchir sur le désir, l'amour, la tentation plutôt que sur la notion de pouvoir. La mise en scène, en ayant de séduisants atouts visuels et sonores, permet à l'enfant de réfléchir à d'autres concepts. « Les spectacles de conte sont en lien les uns aux autres et expérimentent chacun de leurs côtés et tentent de répondre à une demande de l'enfant » nous dit Catherine Brasselet.
Le laboratoire artistique de l'Espace Pasoliniest ensuite abordé, qui travaille sur des nouvelles formes théâtrales et de nouveaux moyens pour révéler la musicalité, pour transmettre d'autres sensations, pour faire vibrer l'émotion et résonner dans l'enfant, pour recréer l'étrangeté, et utiliser d'autres disciplines artistiques pour la poésie et l'allégorie.
Entre le soin mis à la mise en scène pour retenir le spectateur dans une histoire, la transposition du conte possèdes de multiples enjeux d'éveils et de sensibilisation. Ce sont parfois des mises en scène complexes qui, selon quelques dramaturges, n'ont pas forcément besoin d'une médiation avec les enfants. Pourtant il faut un accompagnement pédagogique pour faire émerger les questions et susciter des débats ou des réflexions. Les répercussions par la séduction des contes sont donc chez l'enfant très importantes.
« Le théâtre a un impact sur son public et aborde plusieurs thématiques (sociales, etc.) » énonce Rodrigue Barbé, acteur, conteur et Docteur de l'université de Laval au Québec. Les représentations peuvent avoir une influence en fonction des tranches de populations. La participation du théâtre africain dans la politique culturelle favorise l'esprit critique et la transmission de valeurs. Les produits des festivals africains doivent avoir un contenu qui participe à l'évolution des individus. Ainsi, le théâtre africain doit trouver des méthodes pour approprier des valeurs de cultures locales en se démarquant des cultures occidentales fortes.
Selon lui les cultures locales sont brimées par les autres cultures. Il prône plus de contrôle des États africains pour remédier à ce « problème ». Il faudrait selon Rodrigue Barbé inculquer de bonnes valeurs africaines au jeune public (ex : un spectacle représentant le mariage de façon burlesque qui ferait oublier les valeurs du mariage) grâce aux spectacles et aux festivals. En d'autres termes, les enjeux des spectacles et des festivals de théâtre seraient alors de favoriser les « valeurs africaines » comme nous dit Rodrigue Barbé et de réduire les spectacles occidentaux.
Cette intervention a suscité de nombreux débats et de vives interactions autour de la censure dont il serait alors question pour « contrer » ces spectacles occidentaux, des subventions accordées à certains festivals plutôt qu'à d'autres et de certaines notions trop généralistes voire même réactionnaires.
Il s'agit maintenant d'une intervention menée par Sandrine Bazile, de l'université de Montpellier, ancienne enseignante de français et aujourd'hui formatrice de futurs enseignants. La liste de pièces étudiées par cette dernière est constituée de 86 titres visant à enrichir l’expérience des élèves du CM2 à la 6e. La quasi totalité de ces pièces met en scène des enfants et des adolescents en prise avec des problématiques qui leur sont propres. Ces textes ont été retenus en partie pour leur qualité littéraire. Toutefois, la liste sélectionnée affiche clairement une volonté de s'éloigner des textes classiques proposés dans les programmes, s'en allant plutôt vers le contemporain. L'intérêt est qu'ils traitent de l'actualité du monde et des questionnements des enfants d'aujourd'hui.
Dans ces textes, la question du genre est abordée à travers la place laissée au(x) personnage(s) féminin(s) et aux stéréotypes accrochés à chaque sexe. En effet, les personnages féminins occupent une place de choix dans ce corpus. Ce qui est intéressant ce sont les questionnement qu'elles abordent : passage à l'âge adulte; appréhension de la mort; construction de sa personnalité, son autonomie,...
Si l'on prend l'exemple de ces quatre pièces:
Outre le fait qu'il y est une égale répartition des auteurs hommes et femme, Sandrine Bazile relève des thèmes récurrents : ils traitent tous de la quête identitaire, en adoptant le point de vue des enfants, bien qu'ayant des registres et tonalités différentes. De plus, ces pièces s'adressent à différents destinataires (enfants, adolescents,...). Elles comportent toutes une richesse lexicale qui permet de creuser la question du genre, autour de « mots valises » (« ces mots composés par télescopage réunissant la tête d'un mot et la queue d'un autre »)[6] ou de mots inventés. Qui plus est, l'écriture dramatique laisse place à une certaine ambigüité puisque certains rôles sont écrits pour être joués aussi bien par un comédien qu'une comédienne.
Aborder dans ces pièces les stéréotypes liés aux genres n'est pas là uniquement pour déconstruire les problématiques amenées par l'imprégnation de ces derniers ; il s'agit également de questionner l'écriture théâtrale. Les auteurs écrivent sans intention idéologique mais avec un parti pris. Il y a une neutralisation du genre théâtral. C'est une sorte de « ballon de baudruche lexical prêt à se remplir poétiquement »[7]. L'écriture théâtrale devient alors une porte ouverte vers un monde onirique où l'on peut faire résonner les enfants sans pour autant les faire raisonner.
Le problème reste la formation des enseignants : beaucoup restent frileux quant à être les transmetteurs de ces textes. Leur position est pourtant essentielle pour amener à une discussion sur les thèmes soulevés par le texte. Malheureusement si la pièce n'est pas au programme, il y a peu de chance pour qu'elle soit étudiée. Les enseignants jugeant souvent les textes trop grossiers ou trop difficiles, ils ont peur de choquer les enfants.
Comme point de démarrage, Aurélie Armellini, doctorante à l'université de Grenoble-Alpes, utilise le concept de rhizome. Ce concept a pour but de mettre tous les acteurs sur une même ligne horizontale, sans hiérarchie, de manière à ce qu'ils puissent échanger entre eux. Elle cite ensuite Enzo Cormann qui dit que « Poétiser la politique ou politiser la poésie pourrait être la formule de cette mise sous tension mutuelle de l'intime et du politique »[8]. En fait, selon lui, il y a une obligation de l'auteur à mettre en examen une pensée, d'écouter toutes ses voix, avant de faire naître la subjectivité de ses personnages. Il imagine une utopie pour le drame qui serait rhizomorphe, donc un drame qui ne commence et ne se finit jamais.
Pourtant, il y aurait débordement dans l'écriture théâtrale pour la jeunesse parce que l'adresse aux enfants le légitime. De plus, cette forme oblige les auteurs à être optimiste, quoiqu'il arrive. La dramaturgie de jeunesse serait une dramaturgie de contagion par les ponts construits entre l'auteur, le lecteur et le spectateur. Les auteurs pour la jeunesse auraient également la capacité à se laisser contaminer par « l'enfantin ».
Comment transmettre ces écritures qui nous dépasse, que l'enfant puisse entrer dans une expérience subjectivante et que le rhizome ne soit pas rompu ? Pour répondre à cette question, Aurélie Armellini se réfère à Hans Georg Gadamer, philosophe allemand. Il montre qu'il est difficile dans une société consumériste d'approcher l'art, d'arriver à le regarder, et surtout à le comprendre. Ainsi pour les enseignants, les artistes, les médiateurs, comment créer les occasions de vivre des expériences esthétiques aujourd'hui ?
L’expérience esthétique serait faite par :
Elle se réfère également à John Dewey nous dévoilant que l’expérience intervient quand des éléments extérieurs nous affectent de façon à ce que l'on soit obligés de modifier notre trajectoire d’existence. Pour être légitime, l'art doit avoir une continuité avec la vie[9]. Elle renvoie aussi aux travaux de Maria Montessori sur les techniques alternatives de l'enseignement de la littérature pour mettre en route un processus d'individuation et de subjectivité. De même, elle rapproche des dires de Cynthia Fleury qui, dans Les irremplaçables, témoigne sur « L'individuation comme processus de subjectivation sans fin par lequel nous nous ouvrons et devenons toujours plus singuliers, c'est à dire irremplaçables »[10].
On peut imaginer une lecture du texte à voix haute qui laisse passer les émotions et qui permette de tisser des liens entre les émotions du personnages et les émotions de la vie. Trancher dans le texte, ne retenir que les intensités, permet de faire vivre les subjectivités dans un groupe d'enfants et permet de percevoir les dynamiques poétiques du texte et voir comment elles opèrent sur le lecteur. C'est une approche qui est libre, qui s'appuie uniquement sur le ressenti du lecteur.
Autre piste : les jeux de lecture performatifs. Ils permettent d'ouvrir le texte et amènent à reconnaître qu'il n'y a pas de lecture objective ou subjective mais seulement une lecture ludique. Avant de déplier la lecture philosophique du texte, la faire travailler dans le corps des enfants ce qui lui permet de s'approprier la pensée, d'endosser le point de vue du personnage pour mieux comprendre la philosophie du texte.
Le lien entre le théâtre, l'enfance et la philosophie peut se faire lors des « ateliers de philosophie » où l'enfant ferait libre usage de sa pensée. C'est la création d'un libre espace de discussion qui permet à l'enfant de se remettre en question et de remettre en question la pensée de l'autre pour trouver une réponse collective. Pour cela il faut la création d'un lien horizontal entre l'adulte et l'enfant. Ce qui compte dans ces ateliers n'est pas le résultat mais le chemin parcouru, en route vers l'individuation. Il s'agit là d'une méthode inspirée de Matthew Lippman philosophe et pédagogue américain.
Ainsi, Aurélie Amellini nous fait découvrir de nouvelles pistes de médiation culturelle basées sur des aspects philosophiques et utilisant des procédés ludiques.
C'est sur cette table ronde que c'est achevé ce colloque de La Belle Saison. La question suivante sert de point de départ : que transmet le th jeune public ? Cette question est malheureuse selon Alexandre Péraud (MCF de littérature française) car la transmission est-elle une affaire de posture ? La mission du théâtre est-il de transmettre une pensée critique ? D'éduquer les enfants ? Le contenu importe finalement moins que la façon de transmettre. La notion de transmission est-elle bonne à l'instar de Mystery Magnet, qui ne cherche pas à transmettre mais qui expose ? L’œuvre d'art parle à nous et en nous. Le théâtre serait là pour ouvrir des portes dont les adultes ont perdu les clefs. Le théâtre jeune public serait un testament, un vecteur par lequel on pourrait s'assumer et se développer.
Betty Heurtebise (créatrice et metteuse en scène de la compagnie La Petite Fabrique) parle de son rêve d'enfant de devenir comédienne car née à travers les mots, la poésie. Puis, s'est offert la possibilité de mettre en scène. Se pose alors la question de la responsabilité de ce que l'on a envie de dire et de faire entendre. Se pose aussi la question de l'équipe artistique avec qui partager un rêve. La question du point de vue, de l'engagement, du politique est essentielle. Ce point de vue se défend auprès de ceux qui soutiennent la création. Vient le moment de la représentation et de la rencontre avec l’œuvre, sensibilisé ou non. L’œuvre doit faire écho à son intime et à ce qui est partagé par la communauté de spectateurs. La question de la transmission naît de la façon dont la texte arrive à nous. A partir de là commence tout un travail où la question de la temporalité est fondamentale. La transmission ne s'arrête jamais puisqu'elle se partage avec le spectateur, qui est de l'ordre de l'intime mais aussi avec le public, lors des bords de scène.
La démarche créative et participative, c'est la rencontre avec l’œuvre. Il y a une immédiateté de la rencontre, avec les mots, avec l'émotion du dire. Capacité de l'enfant à expérimenter le geste artistique. Le théâtre est ce qui permet de dépasser les limites et de prendre un autre chemin quant au savoir. Il permet d'explorer des choses nouvelles. Ces temps d'expérience sont nécessaires. Betty Heurtebize voudrait développer des espaces où l'enfant découvre toutes ces expériences.
Adeline Detée (Comédienne) offre quant à elle un questionnement sur la posture de metteur en scène qui peut poser des problèmes pour la rapport à l'enfant. Il faut se demander comment faire pour que l'enfant ressente le même coup de cœur face au texte. Il faut garder l'envie de faire en sorte que le texte soit simple. Mettre en scène, c'est la tentation de donner beaucoup de réponses. Il faut pour cela faire un travail à l'envers pour ne pas trop en dire car la mise en scène arrondie, esthétise, guide l’interprétation alors qu'il faut laisser le choix à l'enfant.
Ce colloque fût une manière de clore La Belle Saison en région Aquitaine. Il s'est construit comme une ouverture sur l'avenir, plutôt qu'en rétrospective de cette initiative, suivie nationalement.
Le théâtre jeune public est un objet très ambivalent. En effet, s’il jouit aujourd’hui d’un regain d’intérêt, il ne fait pas encore état d’une véritable légitimité. L'ambition de La Belle Saison est d'amplifier et d'accompagner les diverses créations jeunesses sur le territoire national, pour que le théâtre jeunesse trouve enfin cette légitimité. Par exemple, en créant des politiques publiques du spectacle vivant jeune public.
L'intérêt de La Belle Saison, et de ce colloque, est de faire travailler ensemble des univers qui n'avaient pas l'habitude de coopérer sur ce domaine là – élus, enseignants, universitaires, artistes, etc. En effet, le théâtre jeune public mêle politique et esthétique, médiation et création. Les divers intervenants ont donc éclairé certains points, ou du moins soulevé des questionnements nécessaires pour assurer un avenir heureux à la création jeunesse. Ainsi, nous savons qu'il faut considérer l'enfant comme une subjectivité à part entière et non seulement comme un être en devenir. Dès lors, nous nous sommes intéressés aux questions de la représentation ; peut-on tout représenter ? Comment ? Et surtout du rôle de la médiation ; à qui incombe-t-elle ? Est-ce au pédagogue ou à l'artiste de la tenir ? Enfin, les différents intervenants ont mis en lumière l'invitation à l'action qui est extrêmement présente dans le théâtre jeune public, ainsi que cette volonté d'aborder le monde et sa réalité de manière ludique afin d'accompagner la réflexion de l'enfant.
[1] Programme de la Belle saison, http://www.bellesaison.fr/wp-content/uploads/2014/10/LSB-Programme1.pdf
[2] Friedrich Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathoustra, Société du Mercure de France, traduction Henri Albert, 1903.
[3] Édouard Balladur : Homme politique français, principal conseiller économique de Jacques Chirac puis président du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation sous Nicolas Sarkozy (source : www.larousse.fr/encyclopedie)
[4]Joël Pommerat : acteur, réalisateur, auteur et metteur en scène français. On lui doit notamment Le Petit Chaperon Rouge ou Pinocchio (source : http://www.nanterre-amandiers.com/biographies/joel-pommerat/).
[5]Nasser Martin-Gousset, La Belle, 2009, Paris.
[6]Exemple de « mot valise » : Franglais, assemblage de « français » et d' « anglais » (sources : http://monsu.desiderio.free.fr/curiosites/mots-val.html)
[7] Expression de Sandrine Bazile.
[8]E nzo Cormann, A quoi sert le théâtre ?, Essai, Les Solitaires Intempestifs, 2003.
[9]John Dewey, La Réalité comme Expérience, volume III, 1930-1906. ©université de l'Illinois.
[10]Cynthia Fleury, Les irremplaçables, Blanche, Gallimard, France, 2015.