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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Mystery Magnet - Miet Warlop

 

Spectacle présenté au TnBA du jeudi 10 au vendredi 18 décembre 2015 au TnBA

 

Article rédigé par Ophélie Goursaud et Zoé Dada

 

Mystery Magnet, une création explosive

 

L'artiste

 

Miet Warlop est une artiste d’origine belge, née à Torhout en 1978, spécialisée dans les arts visuels. Diplômée d’un Master Art visuel par l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand en 2003, elle y a étudié l’art tridimensionnel. Grâce à son spectacle de fin d’année, mis en scène en 2004, elle remporte le prix du jury KASK franciscus Pycke ainsi que le prix Jeune Théâtre du theater Aan Zee d’Oostende. Scénographe, elle imagine des spectacles pour Pieter Genard, Dominique Hoste, Raven Ruëll, Campo etc. En 2006 et 2007, elle a fait partie de DE BANK, un projet de Victoria qui offre aux jeunes artistes l’occasion et l’opportunité de travailler sur une création artistique pendant deux ans. Sous le pseudonyme de « Grote Hoop/Berg », Miet a développé des spectacles extrêmement visuels dont : 1ère Proposition: Réanimation, 2ème Proposition : Reconstruction et la 3ème proposition: Play the Life. Après son premier spectacle en solo, Big Heap/Mountain, qui se nourrit d’une esthétique surréaliste, elle crée un autre spectacle, Slapstick Sprinville. Tous deux ont été représentés plusieurs fois sur scène. Travaillant tout d'abord l'art plastique en trois dimensions, elle l'a ensuite mis en lien avec le spectacle vivant. Ses œuvres ont alors su progressivement gagner l’attention d’un public à l’échelle internationale.

 

Sa matière première est la vie quotidienne. Elle prend ce qui se passe autour d'elle pour le mettre sur le plateau. Elle reprend aussi ses anciennes œuvres qu'elle retravaille ou insère dans son patchwork. Une fois ses tableaux dessinés, elle se penche sur les transitions entre les images pour voir ce qu'elles évoquent, faisant ainsi naître de nouvelles visions. Comme nous l’avons dit précédemment, Miet Warlop est une artiste visuelle, c’est-à-dire qu’elle s’applique à travailler sur le rendu plastique dans ses scénographies, notamment en utilisant des couleurs, des truchements magiques, des objets flottants, comme des ballons, etc. Exactement comme elle nous l’expose dans sa nouvelle création contemporaine : Mystery Magnet.

 

 

Miet Warlop, une performance aux accents de féerie

 

Ce spectacle, créé en 2012, se compose d'une succession de tableaux défilant durant une cinquantaine minutes. La scénographie est composée principalement de cinq grandes toiles blanches. Avant même que le spectateur ne soit assis dans son fauteuil, un son de tambour, tel un battement de cœur lourd et grave, l’accueille. Au fur et à mesure de la performance, les murs seront salis, déchirés par les actions des personnages. Chacun laisse peu à peu sa trace, le désordre mis en scène durant la représentation étant tout de suite nettoyé à vue par les comédiens, après le salut. Ce parti-pris peut amener à qualifier ce spectacle de performance dans le sens où c'est l'action artistique qui prévaut sur l’œuvre d'art en elle-même. Ce qui importe ce n'est pas le chaos final, mais les actions qui ont amené à ce rendu plastique. L'artiste interroge alors la notion de performance, en ne laissant pas au spectateur la possibilité de voir l’œuvre finale mais en rejouant chaque soir sur scène le même geste créatif. Elle interroge aussi le lien entre action et théâtre, en proposant au public de devenir spectateur de sa performance tout en le contraignant dans un rapport frontal et donc en ne lui proposant qu'un seul point de vue.

 

La performance débute sur un plateau blanc et noir, épuré, pour arriver à un fouillis de couleurs et de matières, peinture, laine, plastique, tissus etc. Puisqu’il n’y a aucune parole, le tout est rythmé par des musiques instrumentales, à base de guitare électrique et de percussions. Cette musique n’est pas jouée en direct mais est retransmise par des hauts parleurs situés à jardin et à cour. Durant le spectacle, la « cuisine » (machinerie derrière les paravents permettant les effets scéniques) est parfois dévoilée, les toiles blanches s'ouvrant pour laisser le fond de scène apparent. Les truchements magiques sont tous expliqués, tout est démystifié : le secret de la transformation de la serviette chien en jupe dorée est montré lorsque l'amazone sort de scène et ramasse ses accessoires, les explosions de peintures finissent par être faites à vue, la dernière scène découvre l'action des machineries de la cuisine etc. La magie qui est mise en place pour émerveiller le spectateur est donc vite déconstruite, laissant place à une réalité plus crue.

 

Dans ce spectacle, Miet Warlop crée et met en scène une série de personnages-objets autonomes. Des personnages habillés en noir portant aux pieds des baskets blanches et dont la tête n’est qu’une énorme touffe de poils de couleur flashie, rose, bleu, verte ou jaune. Une succession de créatures surréalistes interviennent tout au long de la représentation, comme des pantalons géants humanisés, une femme sans visage, des moitiés de corps de chevaux, une très grande femme dans une robe cuivrée, des sculptures animées ou encore un ballon requin gonflé à l’hélium. Tous ces personnages semblent vivre dans une autre dimension et un seul sort du lot, du fait qu'il semble connecté à notre réalité ; le gros homme du début. Miet Warlop fait évoluer ses personnages sans donner de cohérence logique à leurs actions. C’est donc l’imagination du spectateur qui est sollicitée. L'artiste met dans ses tableaux une pointe d’humour noir exactement comme nous pourrions le retrouver dans un extrait d’Happy tree friends. Pour rester dans l’effet cartoon, des réactions chimiques sont d'ailleurs utilisées et des geysers de mousse fusent dans l’espace. Mais la performance se clôt sur des sculptures de momies chantant en chœur, tableau qui vient en contraste, d'un point de vue esthétique, avec le reste des images proposées durant le spectacle. Ce qui est paradoxal dans cette féerie grotesque, c’est cette volonté donnée par Miet Warlop à la scénographe de représenter une certaine violence, de la cruauté, tout en usant d’une esthétique très colorée, qui habituellement invoque un imaginaire plus joyeux. On peut en effet rapprocher ce spectacle de la féerie en tant que genre théâtral, par l’apparition de créatures surnaturelles (non plus tirées de contes traditionnels, mais tout droit sorties de l'imagination de l'artiste, qu'elle tente de partager avec son public) et par l'utilisation d'une machinerie (ici la « cuisine »), permettant de créer des effets scéniques à l'insu du spectateur, créant une sorte de truchement magique. Le grotesque intervient alors dans la déconstruction du merveilleux, puisque toute la machinerie est montrée dans une sorte de processus d'auto-dérision artistique.

 

Mystery Magnet - Miet Warlop

 

La réception du spectacle

 

Miet Warlop n'a pas créé son spectacle dans l'optique d'une performance pour le jeune public. Lorsqu'elle a conçu ce spectacle, elle n'a pas cherché à soutenir une visée pédagogique ou à édulcorer certaines images parce que des enfants étaient susceptibles de venir assister à la représentation. Néanmoins, même si ce sont les programmateurs qui proposent d'ouvrir la représentation aux enfants de plus de 10 ans, l'artiste n'y voit pas d'inconvénient. Selon elle, les enfants peuvent venir voir son spectacle, le comprendre, être touchés par les visions qu'elle propose et ne pas en ressortir traumatisés. Elle dit même qu'ils ont souvent des retours plus intéressants à faire que les adultes, dans le sens où ils auront un questionnement plus visuel qu’intellectuel. Or c'est le visuel qu'elle cherche à faire primer dans son spectacle et non un sens profond. Ce que Miet Warlop souhaite, c’est faire éclore autant d’univers et d’interprétations qu’il y a de spectateurs.

 

Pour les deux rédactrices de cet article, le spectacle a effectivement évoqué deux univers bien différents : pour l'une, tout le début du spectacle a été agréable, les images présentées étant émouvantes et séduisantes. Mais la pièce a ensuite pris pour elle un tournant plus glauque, voire cauchemardesque : le gros personnage du début est mort suspendu par son poids à travers une toile, une meurtrière s’est amusée à trucider tout ce qu’elle pouvait, les personnages vomissaient de la peinture, se traînaient dedans, rampaient, un autre s'est fait violemment crucifié et éventré sur la toile de fond, des têtes encastrées dans les toiles faisaient apparaître des coulures de sang, des personnages qui se sont vidés de leur sang sur le sol, vomissaient leur tripes et la cruauté acharnée de la tueuse faisait rire quelques personnes dans le public… Même si cette succession de violence était très colorée et jouée par des personnages surréalistes, cela n’adoucissait en rien les actions violentes commises sur scène. Ces pulsions meurtrières n’ont alors fait écho qu’à de très mauvaises représentations dans l'esprit de cette spectatrice. La pièce très contemporaine, lui a fait songer à une société actuelle complètement perturbée et torturée, un monde de fou qui n’aurait plus aucune chance de s’en sortir. Elle y a aussi vu de nombreuses connotations sexuelles, comme le dépucelage de l'amazone, avec le sang qui coule de sa jambe lorsque le gros soulève sa jupe, ou l'amalgame possible entre la carotte et un sexe masculin. De part l'utilisation de la peinture et de la couleur, elle s’attendait à de la poésie, à de l'espoir, mais tout n’était en fait que sang, traces, meurtres et barbarie. L'autre rédactrice n'a pas ressenti du tout la même chose. Les connotations sexuelles lui sont complètement passées au-dessus et elle n'a pas ressenti la violence d'une façon aussi prégnante. Plutôt que de la rendre encore plus puissante, l'utilisation de peinture colorées a permis une mise à distance critique. Ce spectacle a plutôt évoqué pour elle une critique de l'impérialisme américain, avec par exemple le gros, personnage qui la renvoie au stéréotype d’un américain obèse. Le personnage de l’amazone sur son cheval, suivi d'une pluie de flèches, faisait quant à lui référence à la fois à la conquête de l’Amérique sur les peuples indigènes, mais aussi à la représentation de la femme dans la société contemporaine. L'explosion des bombes de peinture lui évoquait des kamikazes etc. Mais cette violence ne l'a absolument pas atteinte et elle a plutôt été touchée par le rire grinçant qui émanait de cette succession de tableaux, souvent sans queue ni tête. Au contraire de l'autre rédactrice, la débauche de couleurs et de matières sur scène lui a évoqué l'espoir de pouvoir toujours rebondir malgré toutes les atrocités commises.

 

Ce que montre la diversité de ces deux interprétations, c'est que Miet Warlop a sûrement atteint son but :

Grâce à ce spectacle, j’espère que chacun ressentira différentes émotions ou aura des flashes qui refont surface. Si deux cents spectateurs voient Mystery Magnet, j’espère pouvoir faire éclore deux cents mondes différents.[1]

De la violence est indéniablement représentée sur scène, mais la succession d'images est suffisamment surréaliste et ouverte pour que chaque spectateur s'en empare différemment, selon son bagage émotionnel, intellectuel et culturel.

 

On peut voir dans sa création des références à Jeff Koons, avec les ballons gonflables en forme d'animaux ou à Jackson Pollock avec les projections de peinture sur le sol et sur les toiles blanches. Mais ce que dit Miet Warlop à propos de ces fameux plasticiens, c'est qu'elle ne cherche pas à leur faire directement référence. Elle connaît leur travail puisqu'elle les a étudiés lors de son cursus scolaire, mais après les avoir ingurgités, elle les a digérés, et maintenant elle crée, en s'affranchissant d’eux pour proposer une œuvre qui lui est propre. Souvent, les gens lui font remarquer les références dans ses spectacles avant même qu’elle n'en ai pris conscience. Elle cherche à faire des œuvres originales sans forcément user de techniques novatrices. Elle utilise ce qui a déjà été exploré d'une nouvelle façon, en le mêlant à d'autres choses. De son discours on peut retenir qu'elle cherche à mettre les grands maîtres à distance en les désacralisant[2].

 

 

Les aspects performatifs et illusionnistes burlesques que propose Miet Warlop et les six interprètes de ce spectacle, font parler un arc-en-ciel d’images et nous envoient une décharge visuelle et poétique qui traverse et renverse.

 

Sources

 

 

 

[1] Dossier de presse mit en ligne sur le site du TnBA : http://www.tnba.org/evenements/mystery-magnet

[2] Ce qui est avancé dans ce paragraphe est tiré de la rencontre organisée par le TnBA le 16 décembre 2015 entre des étudiants des Beaux-Arts et l'artiste. Au fil de la discussion, l'une des professeures accompagnant les élèves avait soulevé cette question des références aux figures reconnues de l'art contemporain et Miet Warlop avait tenu ces propos en conseillant aux élèves de faire leur propre chemin artistique sans toujours chercher « à faire plus » ou « à faire comme » que les maîtres reconnus. Selon elle, il faut apprendre d'eux, pour ensuite les mettre à distance et plutôt que de toujours les considérer comme des références, il faudrait les considérer comme de simples étapes dans l'évolution artistique européenne. Lorsqu'elle parle de désacralisation, Miet Warlop entend le fait que certes ces artistes ont eu un geste artistique novateur, mais ce geste ne leur appartient pas. D'autres artistes peuvent utiliser ces gestes sans pour autant chercher à se placer dans leur lignée. Ce qui lui a été rétorqué par la professeure d'art, c'est qu'un artiste ne peut se départir de l'empreinte des grands maîtres car le spectateur fera toujours le lien, quelle que soit la volonté de l'artiste. Le débat est resté en suspens, par manque de temps mais aussi parce que les deux femmes n'arrivaient pas à s'accorder.

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