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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Article pour le Krinomen - Princesse Vieille Reine, Pascal Quignard/ Marie Vialle

Spectacle présenté au Théâtre des 4 Saisons le 29 janvier 2016

 

Article rédigé par :

Maureen Castera, Pauline Foures Kenny Palain, Claire Pineau et Pierre Puech

Teaser de Princesse Vieille Reine - Marie Vialle

Pascal Quignard nait le 23 avril 1948 à Verneuil-sur-Avre. Son éducation auprès de parents professeurs de lettres classiques est sévère et le pousse à des épisodes de dépression que la lecture de la littérature antique et la musique lui permettent de surmonter. Ces influences ne le quitteront pas, alimentées par la suite par de nombreuses références dans ses textes à la langue, la littérature classique, la philosophie et la peinture. Pascal Quignard s'interroge aussi sur la musicalité de la langue dans ses œuvres. L'adaptation au cinéma en 1992 de son livre « Tout les matins du monde » est un exemple de ces influences musicales et propulse d'ailleurs son œuvre à la vue du grand public.

 

C'est un écrivain aussi bien de récits fictionnels que d'essais théoriques. En 1969 après des études de philosophie il devient lecteur au Mercure de France et aux éditions Gallimard jusqu'à devenir secrétaire général du service littéraire.

 

Tourné vers la musique baroque, Pascal Quignard est aussi organiste, violiste et fondateur du festival international d'opéra et de théâtre baroques de Versailles en 1990. Pourtant il choisit peu à peu de s'éloigner de ses fonctions sociales jusqu'à quitter les éditions Gallimard et dissoudre le Festival qu'il a créé entre 1994 et 1995. Il se consacre dès lors exclusivement à l'écriture. En 2002 il remporte le prix Goncourt pour Les ombres errantes.

 

Princesse Vieille Reine est une série de contes, de sonates, et la troisième collaboration de l'écrivain avec la comédienne Marie Vialle. La comédienne met en scène son conte Le nom du bout de la langue en 2005, ce qui l'encourage à en écrire une suite pour elle, Triomphe du temps, en 2006, qu'elle a encore une fois mis en scène et interprétée.

 

Pascal Quignard révèle dans un entretient à propos de la mise sur scène de son recueil Le nom sur le bout de la langue qu'il n'apprécie pas réellement le théâtre dit classique allant de Molière à Tchekhov et lui préfère des formes plus « tragiques » et « mélancoliques »[1] selon ses mots, et il cite en exemple de théâtre japonais Nô. L'intérêt de cette première collaboration était pour lui la façon dont Marie Vialle a voulu s'approprier le texte sans forcément chercher à le transposer avec fidélité. Un travail en duo singulier dans lequel la comédienne donne la parole au texte.

 

Sur scène, un grand sac est au centre et un cube noir à jardin. Le sol est recouvert d’un tapis de danse miroitant donnant presque l'impression d’un tapis d’eau sur scène. Marie Vialle, costumée d’une grande robe parcourt la scène. Ainsi commence le spectacle. La suite de celui-ci expose de nombreux costumes que l’actrice revêt tour à tour sans suivre l’ordre imposé des cinq contes qu’elle narre, seule, sur scène. Ces costumes servent également de scénographie puisqu’elle les étale dans l’espace, créant des images qu’elle déconstruit presque aussitôt.

 

Le spectacle est appuyé par une gestion du son capté directement sur scène par un micro suspendu à cour. Il n’est pas allumé de façon continue et l’actrice s’en approche de temps en temps, plus pour installer une ambiance sonore ou pour chanter que pour véritablement raconter son histoire.

© Crédit Photo: Richard Schroeder

© Crédit Photo: Richard Schroeder

Construction et structure du spectacle

 

La pièce s’ouvre avec une jeune princesse européenne qui porte l'homme qu'elle aime sur son dos pour le sauver. Ensuite, une autre histoire présente une très jeune princesse qui réside chez les tueurs de toute sa famille, essayant de résister à la haine des femmes qui l'entourent et aux sévices physiques qu'elle reçoit du chef de clan qui la garde prisonnière car il ne peut tuer une beauté pareille. S'ensuit dans le Japon médiéval, l'histoire d'un amour impossible entre un prince et une fille de gouverneur. Le prince ayant tourné le dos à l'amour qu'il lui portait se voit contraint d'accepter la mort émotionnelle de son amour passé. Enchainant sur la référence d'un proverbe indien, la conteuse se transforme en une princesse sauvage vêtue de fourrure, se retrouvant dans un sac faisant référence à son tipi et à sa préférence pour le contact animal avec son chat, tout en parlant du temps qui passe, introduisant ainsi la dernière princesse devenue une vieille reine de l'ouest du monde, sénile, qui a perdu toute notion du temps et de l’espace.

 

Nous remarquons que nous passons de la jeunesse naïve et poétique des princesses à la réalité de leur vie émotionnelle tourmentée, provoquée par les aléas de l'amour et de leur statut de femme, objets de désirs convoités par le pouvoir des hommes, à une vieille princesse devenue reine asservie par la folie de sa vieillesse à qui il ne reste plus que son statut de reine comme repère.

 

Pascal Quignard emmène les spectateurs de l'Europe à l'Asie pour les faire atterrir dans un monde sans nom avec comme seul repère l’ouest. Personnification d'un monde perdu après en avoir fait le tour. La conteuse, héroïne de toutes ses histoires, est elle-même traversée par le temps et les connotations culturelles de ses contes.

 


L’actrice, entre conteuse et personnages

 

Dans la tradition du conte, il est question d’une transmission orale qui muta avec le temps en écrit. Ces contes étaient racontés par un conteur aussi appelé narrateur. Ce dernier était le seul à faire partager l’histoire aux oreilles attentives, il n’avait personne pour l’accompagner dans son récit. Ainsi donc, nous pouvons considérer que la performance de Marie Vialle remplit les critères de cette tradition d’oralité. La jeune femme est seule sur scène, seule avec corps, voix et robes.

 

Cependant, Marie Vialle, contrairement au conteur qui garde une proximité physique avec le spectateur, reste seule dans son oralité tout en marquant une distance avec le public, comme si son personnage de princesse se racontait ses histoires à elle-même. Lorsqu'elle est dans l'état de la conteuse, c'est pour contextualiser l'environnement de la princesse qu'elle va interpréter ou pour introduire les personnages. Elle introduit le père qui parle à sa fille ou la fille parlant à son père par exemple. Une sorte de flottement introductif et narratif se crée, afin que le public distingue les différents personnages évoqués autant sur le plan physique que mental. La présence du corps est de ce fait primordiale, car sans lui la performance scénique ne peut être comprise. Tout commence par la transformation d'une princesse à une autre, son allure, ses caractéristiques physiques et sa robe. La danse est une course folle figurant dans les intermèdes comme faisant partie de son état de mutation. S’en suit un moment de contemplation bordé de musique. Le personnage développe une démarche empirique si la princesse est une femme adulte, une course si la princesse est jeune. Des pauses animées telles un tournoiement sur soi en parlant comme une œuvre d'art vivante, permettant de nous introduire à ce personnage et dans cette histoire naissante. L'incarnation des différentes princesses est introduite par un texte conté permettant de contextualiser l'histoire du personnage qu'elle interprète alors. En effet, l’attitude qu’adopte une jeune femme n’est pas la même que celle d’un homme, le corps induit le personnage, mais pas seulement ; s’y joignent la voix, le ton, le son, les expressions du visage. La conteuse est une princesse aux mille facettes entrant dans une schizophrénie de ses interprétations. L'attitude commune de toutes ses princesses est leur féminité, leurs sensualité, leur beauté, leur élégance, qui viennent se dissoudre dans la reine qui, sur son trône, abandonne toutes les représentations de la femme par son statut politique. Le déploiement de son corps dans ses illustrations reflète certaines émotions qu'elle matérialise.

 

 

Le langage sonore et musical

 

Entre chaque histoire, un intermède musical illustre la nature, la métamorphose d'une princesse à une autre. Les bruits d’oiseaux, d’orage, mélangé à un ensemble instrumental audio, rappellent les dessins animés dans lequel les princesses sont souvent accompagnées d’animaux, symboles de leur innocence, de leur vulnérabilité et de leur pureté. Cette reprise des représentations dominantes des princesses de contes de fée par les sonorités des intermèdes entre en contradiction avec les histoires de ses princesses qui n'ont rien d'innocent et qui, au contraire de l'image sucrée d'une princesse de dessin animé, se retrouvent à parler de sexualité, de sentiments, et revendiquent le pouvoir de leur sexe.

 

Marie Vialle installe les spectateurs dans une atmosphère musicale hybride qui invoque l’imaginaire, sorte de forêt qui se trouve être l'origine sonore des métamorphoses. Peut-être évoque-t-elle ici l'image de la forêt mystérieuse ou enchantée telle qu'on la retrouve dans les contes de fées. Les critiques parlent d’une sonate, d'après le dossier de presse du théâtre du Rond-Point : « Une série de contes, une suite de sonates […] allegros, lentos, sarabandes et rondos. » ; néanmoins pourquoi employer ce terme utilisé à l’origine pour une composition musicale ? Inspirée du baroque, la sonate est une composition instrumentale qui fut développée au XVIIIe siècle par un ensemble d'instruments à vent et à cordes. La cantate est souvent introduite par une sonate, elle fait opposition à cette dernière car, ici, l'élément essentiel est le chant. Nous pouvons donc en conclure que la disposition musicale dans laquelle nous berce Marie Vialle est une sonate introduisant une cantate et des contes. Chaque interlude redynamise l'espace scénique, en éveillant le changement, dans une tempête de sonorités instrumentales et de percussions, de bruits et de cris, c'est ici que s'éveille l'apparition d'un nouveau conte, nouveau personnage naissant du chaos d'une sonate contemporaine revisitée.

 

Ce nouveau son émis par la conteuse pourrait nous transporter jusqu'à notre chevet, sa voix est apaisante, douce, calme au début et prend de l'ampleur suivant l'histoire qu'elle raconte. Les différents contes rassemblés fusionnent dans un tout, reliés par ces interludes musicaux. Ils pourraient effectivement constituer les couplets d’une chanson. Quelques ruptures de rythme, un phrasé articulé, cinq histoires en une seule. En utilisant ces différents sons et rythmes, la comédienne place le décor, elle nous ouvre la porte de son univers. Elle éveille notre imaginaire. Si l'on considère les « sonates » établies dans Princesse Vieille Reine, nous pouvons aussi présenter le chant de Marie Vialle pour illustrer le désespoir de la fille du gouverneur de la province d'Ise et de son amour pour le prince Nakahara comme étant une cantate. Celle-ci s'introduit à travers un univers sombre naissant dans les cris des corbeaux, censé représenter la douleur et la mélancolie maladive des deux amants. Un cri qui devient chant fragile et poétique, redevenant cri plaintif d'un oiseau aussi noir que la mort, présage de leur fin tragique et de l'ambiance émotionnelle dans laquelle ils tentent de survivre. Le chant et les cris prennent ainsi leur sens, on dit « le chant du cygne » et l'on retrouve ici l'incarnation d'une princesse perdant la vie après l'amour comme le dernier souffle d'une déclaration impossible à prononcer simplement et qui se transforme en hymne à un amour perdu.

 

 

 

Le rôle du costume

© Crédit Photo: Richard Schroeder

© Crédit Photo: Richard Schroeder

 

Dans un premier temps permettons-nous d’affirmer que l’usage des costumes peut être un outil à la compréhension d’une pièce. Ces derniers induisent l’époque de l’intrigue et les attributs sociaux des personnages, selon la richesse du tissu, les parures, le modèle des robes pour les femmes nous pouvons déterminer l'époque, le contexte social de ses princesses. Le costume peut également distinguer le genre mais aussi le caractère, en effet il peut participer au comique du personnage qu’il habille. Nous pouvons également constater qu’un costume peut représenter un archétype, parlons notamment de ceux de la commedia dell’arte notamment Arlequin. Ce dernier est toujours représenté avec son vêtement rapiécé de losanges de couleurs, portant un masque noir à nez retroussé et accompagné de son gourdin à la ceinture. Tous ces éléments font de lui un personnage reconnaissable de tous. A priori, le costume serait donc un outil de déduction et de compréhension. Néanmoins nous pouvons lui ajouter une fonction esthétique, de jolies étoffes par exemple suscitent le plaisir des yeux, l’association de multiples couleurs ou encore l’abondance de matières qui peuvent évoquer la richesse, notamment le velours, la soie ou encore la fourrure. Il s’agit en effet d’une utilisation classique du costume dans sa fonction première. Dans le spectacle Princesse vieille Reine, nous pouvons constater que l’utilisation des costumes ne s’arrête pas simplement à la déduction et la compréhension du milieu social et des caractéristiques des personnages féminins qu'elle illustre. En effet, les costumes sont accessoires, mais ils sont aussi décor, scénographie. Toutes ces robes revêtues les unes après les autres sont composées de belles étoffes et constituent des illustrations scéniques du texte, comme une étoffe devenant rivière, un manteau blanc, illustrant la neige ou une robe faisant figure d'horizon, d'un soleil levant devenant un kimono.

 

 

Le costume est aussi une marque du temps qui s'écoule. Au fur et à mesure de son récit, la comédienne abandonne une robe pour se vêtir d’une autre, elle laisse alors derrière elle une sorte de cimetière d’histoire, un souvenir des contes passés tout en écoutant celui du présent. A la fin du spectacle, le plateau garde en mémoire les histoires qu’il vient de subir.

 

Nous pouvons considérer l'espace scénique comme le témoignage de ses vies empruntées par la conteuse, tel des mues de serpent qu'elle aurait laissé derrière elle.

 

 

La place du spectateur

 

Le spectateur entre dans l’histoire, par un effet tourbillonnant évoqué par la danse de Marie Vialle habillée en princesse, telle un cygne sur lac d'illusion qu'elle parcourt avec nous. Le spectateur sent son regard, et pourtant elle joue seule ou pour elle-même, comme une princesse cherchant d'autres princesses qu'elle aurait pu incarner. Le spectateur entre dans cette errance des histoires contées et se laisse aller d'une histoire à l'autre sans participation particulière. Le spectateur reste dans sa solitude, dans son mouvement interne, sans être interrompu par des interactions avec la princesse conteuse, elle-même seule. Cette dernière semble se déployer dans une bulle d'histoires autour du désir féminin et de ces femmes qui ont « osé » dire ce qu'elles ressentaient pour les hommes qu'elles ont haï et aimé. On sent l’admiration, la sensualité féminine, la victimisation, le courage, mais pas de tristesse, pas d’angoisse, pas d’humour. Ce jeu est imagé, il prend tout l'espace scénique, elle s'affirme par le corps, le chant et le son. Mais laisse le spectateur flotter en surface des histoires qu'elle raconte, comme s'ils survolaient des mondes qu'elle image, tel un frottement léger entre la solitude du spectateur et de la conteuse.

 

 

La dimension initiatique du conte dans Princesse Vieille Reine

 

 

            La valeur initiatique de ce conte se retrouve dans la notion d'animalité. Marie Vialle prend le parti de figurer l'animalité par différents moyens. Elle figure un oiseau tournoyant à son entrée sur scène, imite des cris de corbeaux et, pour finir, imagine une femme animale en portant un manteau de fourrure. Elle fait référence au chamanisme, à la métamorphose, en évoquant des animaux « totems » des différentes princesses. C'est aussi dans la temporalité du texte de Pascal Quignard où l'on passe progressivement de la jeunesse à la vieillesse que l'on retrouve la trame temporelle de l'initiation. Nous pouvons d'ailleurs considérer que chaque conte est révélateur d'un état de vie, sorte de représentation fantasmagorique émotionnelle conséquence des expériences de chacune des princesses qui, finalement, n'en est qu'une qui mute d'une expérience à l'autre.

 

Pour aller plus loin, plusieurs critiques :

 

Le Monde : http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/09/18/nos-idees-de-sorties-pour-le-week-end_4761940_3246.html

 

Libération : http://next.liberation.fr/culture-next/2015/09/10/princesse-vieille-reine-la-traversee-des-apparences_1379814

 

Les échos : http://www.lesechos.fr/07/09/2015/LesEchos/22017-046-ECH_la-princesse-vialle-et-le-roi-quignard.htm

 

Mouvement : http://www.mouvement.net/critiques/critiques/jeune-reine-vieille-princesse

 

Théâtre du blog : http://theatredublog.unblog.fr/2015/09/06/princesse-vieille-reine-de-pascal-quignard/

 

Le dossier de presse réalisé par le Théâtre du Rond-Point : http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=21&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjk3O-25eLKAhVBThoKHbK4DsA4FBAWCBswAA&url=http%3A%2F%2Fwents-users.cccommunication.biz%2F211412%2Fdocs%2Fdp-princessevieillereine.pdf&usg=AFQjCNFuUafCBjo94DhBum78Mgdu8HZiTQ&bvm=bv.113370389,d.d2s

           

 

 

[1]http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Le-Nom-sur-le-bout-de-la-langue/

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