Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
spectacle présenté au Glob théâtre du 9 au 18 mars 2016
Article publié pour laisser une trace sur le blog.
Le Théâtre des Chimères est une compagnie théâtrale créée par Jean-Marie Broucaret et Marie- Julienne Hingant en 1979 à Bayonne. Depuis ses débuts la compagnie évolue avec le projet de construire un théâtre de proximité qui toutefois ne se ferme pas sur lui-même et propose une ouverture nationale et internationale. Le Théâtre des Chimères est alors à l’initiative du festival Les Translatines. Ce festival centré à Bayonne, s’ouvre également aux communes voisines, Biarritz, Anglet, Boucau, au département et à la région Aquitaine. En 2014, le festival a mis à l’honneur la création théâtrale espagnole et surtout latino-américaine. Il a permis l’entrée en France de nombreux artistes étrangers et reste unique dans le panorama théâtral national. Depuis 2015, privé de ses subventions le festival a disparu[1].
Le Théâtre des Chimères est donc une compagnie qui recherche à crée un lien avec le théâtre étranger et ses créations sont souvent guidées par des auteurs latino-américains comme dans le spectacle Deux Soeurs écrit par Fabio Rubiano Orjuela et mis en scène par Jean-Marie Broucaret.
Je crois que le théâtre montre les relations comme elles sont, telles quelles, les relations humaines. Il faut voir du théâtre parce que ce sont des prophéties, des mises-en-garde. Le théâtre c'est la vie- même, la vie réelle qui représente une vie, qui en apparence est la réelle, puisque c'est la nôtre, mais non, parce qu'on ne dit pas tant de vérités comme le dit le théâtre. [2]
F. Rubiano Orjuela.
Fabio Rubiano Orjuela est un dramaturge colombien du XXème siècle. Connu pour sa pièce Mosca qui s’inspire de Titus Andronicus de Shakespeare, l’auteur raconte l’histoire de deux familles qui doivent signer une trêve après la guerre. Les thèmes de la violence, de la jalousie et de l’enfermement sont abordés. Ce texte fait écho à Deux soeurs où la jalousie et la passion sont présentes. Ce qui marque le théâtre de Fabio Rubiano Orjuela est cette capacité des mélanges des genres. Comédie et tragédie s’entremêlent, font passer du rire aux larmes. Deux sœurs est un « thriller familial fantaisiste » qui se rit d’une situation de tromperie, à l’image de la farce où les quiproquos s’enchaînent et où l’envie de faire rire le spectateur est l’objectif premier.
Deux soeurs au Glob Théâtre
C’est l’histoire de deux soeurs. On comprend que l’une a eu une relation sexuelle avec le mari de l’autre. S’en suit une suite d’hypothèses et de réactions de la femme trompée, dans lesquelles elle tue successivement son mari, ses enfants et sa sœur elle-même. Le spectateur ne saura jamais si ces actes ont été commis dans la réalité ou uniquement fantasmés. Elles se disputent et se jalousent mais s’aiment. La pièce est faite de retours en arrière et de quiproquos qui s’inspirent directement du cinéma et des tele novelas espagnoles.
Un espace de jeu blanc à l’italienne. La scénographie proposée par Marie Broucaret surprend par son aspect épuré dans lequel évoluent les trois comédiennes Sophie Bancon et Catherine Mouriec ainsi que la conceptrice sonore Katerina Ketz, qui est à vue du public et propose de regarder et entendre en temps réel les bruitages faits de ses propres mains. On avance alors avec deux intrigues : l’histoire de la pièce et l’histoire du spectacle. Lors du débat, dans un premier temps, nous nous interrogerons sur ce que nous nommons « l’esthétique du vide » dans le spectacle de Jean-Marie Broucaret. Ensuite nous mettrons en valeur le jeux des comédiennes pour enfin nous demander dans quel registre nous pourrions placer cette pièce.
Mise en scène adaptation, Jean-Marie Broucaret / avec Sophie Bancon, Catherine Mouriec, Karina Ketz / Marie-Carmen Nazabal & Amaya Labéguerie, traductions | Patxi Uzcudun, assistant et régie plateau | Karina Ketz, création sonore | Pierre Auzas, création lumière | Sophie Bancon, scénographie, costumes | Annie Onchalo, accessoires | Pantxoa Claverie, régie technique | Carlos P. Donado, construction des décors | Claude Billès, titrages vidéo | Guy Labadens, photos.
L’esthétique « du vide ».
Le plateau s’ouvre sur un espace blanc, composé de plusieurs rectangles qui forment des coulisses sur les cotés. Des meubles sont emmenés puis ramenés par ces dites coulisses durant le spectacle par les comédiennes elles-mêmes. L’avantage de cet espace vide est qu’il permet des projections diverses. Rien ne nous indique une quelconque époque ou temporalité jusqu’à ce que les premiers éléments de décors apparaissent proposant un cadre à l’imagination. Le décor est rudimentaire, il pose le cadre. Les différentes séquences seront découpées par des projections murales qui indiquent l’espace-temps de la suivante à chaque fois. Ces projections sont simples, la typographie est basique, la manière dont les lettres apparaissent varie à chaque projection mais reste classique. Le son aussi subit un traitement particulier car la présence de la conceptrice sonore permet de définir un autre espace : celui de la création même.
On pourrait alors parler d’un décor de « cabaret » avec l’immobilier un peu kitch mais cet espace vide rend compte d’une scénographie ambivalente et polysémique. En effet, on pourrait y voir un décor que certains pourraient qualifier de « cheap » mais c’est surtout un décor épuré qui contraste avec les images foisonnantes du texte de Fabio Rubiano Orjuela.
Cette esthétique du vide est une façon de mettre en avant à la fois le texte et le jeu des comédiennes. Certes, il a y une simplicité dans le décor mais l’arrivée d’une troisième « actrice » remplit totalement l’espace. C’est elle qui se charge de l’environnement sonore à vue du spectateur. On se rit de voir que les coups de feu sont en réalité deux bout de bois frappés l’un contre l’autre, et on arrive à suivre l’histoire tout en étant aussi à l’extérieur de celle-ci, omniscient, voyant toutes les ficelles, pour notre plus grand plaisir de spectateur curieux. Elle apporte également un côté artisanal et "fait main". Cela permet de mettre en avant certaines actions. L’espace est en réalité l’inverse de ce qu’on pourrait appeler « vide ».
Le jeu des comédiennes
Le jeu des actrices use de certains codes de la farce. En effet, la tromperie et le meurtre, qui sont les sujets principaux de cette pièce, ne sont pas simplement narrés mais sont aussi mis en scène sous forme d’actions comiques et de quiproquos. L’intensité de cette pièce est rythmée par le jeu énergique et corporel des comédiennes. En effet, les actrices sont très souvent placées à l’avant du plateau ou au centre. Celles-ci usent d’un jeu antinaturaliste d’une efficacité mordante. Celui-ci est exagéré et surréaliste, burlesque sans être grossier. Ou au contraire, grossier dans son sens le plus simple, qui grossit, qui est gros par rapport au reste donc qui est décalé, ce qui provoque les rires. Elles sont énergiques, leurs gestes sont chorégraphiques, amplifiés, caricaturés. Elles se tournent autour comme dans un cartoon. Elles se répondent mais répondent également à la conceptrice sonore. Ce choix, c’est Fabio Rubiano Orjuela qui l’avait décidé dans ses didascalies et Jean-Marie Broucaret l’a accepté avec plaisir.
La farce est caractérisée par trois traits essentiels : l'intrigue, simpliste, met toujours en scène un bon tour (une bonne « farce ») qu'un « farceur » joue à un idiot ou à un barbon que l'on fait cocu ;
les personnages sont souvent caricaturaux et le rire qui est à la fois gras et cruel[1]. Dans Deux soeurs on retrouve la base d’une intrigue de farce : une femme trompée par son mari veut se venger, ce qu’elle ignore c’est que c’est ça propre sœur la maîtresse…
C’est une mise en scène totalement surréaliste en accord avec le texte, une pièce cruelle remplit d’humour noir et totalement décalé. D’une simplicité efficace, elle rythme les différents éléments de l’histoire avec pertinence et maîtrise. Les comédiennes sont généreuses et on ne s’ennuie pas.
Bibliographie :
- http://theatre-des-chimeres.com/wordpress/2016/01/creation-francaise-deux-soeurs-de-fabio-rubiano/
- http://www.sudouest.fr/2015/03/18/le-festival-de-theatre-des-translatines-disparait-1862625-4018.php
- http://www.globtheatre.net/index.php?option=com_content&view=article&id=134&Itemid=605
- http://www.esquire.com.co/detalleNoticia.php/332/FabioRubiano
[1] Sur la farce, voir Bernard Faivre, Les Farces, Moyen-âge et Renaissance, vol. I, La guerre des sexes, Imprimerie Nationale, « La Salamandre », France, 1997 et Les Farces, Moyen-âge et Renaissance, vol. II, Dupés et trompeurs, Imprimerie Nationale, « La Salamandre », France, 1999.