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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Article pour le krinomen - Etat Sauvage titre provisoire, par la Compagnie Du chient dans les dents

 

Spectacle présenté à la Manufacture Atlantique du 16 au 23 mars 2016

 

 

Article rédigé par Lucas Filizetti, Lilith De San Mateo, Florian Maz, Marion Casenave, Ninon Jamet, Julien Rateau, Anne Sole-Blanco et Sonia Le Ny

 

La compagnie « Du chien dans les dents »

 

Les trois co-directeurs artistiques, Bergamote Claus, Thomas Groulade et Anaïs Virlouvet se rencontrent à l'université Bordeaux Montaigne et créent la compagnie Du Chien dans les dents en 2012 à Bordeaux. Sont alors produit les spectacles L'en-quête, Les yeux dans les œufs, Bermuda's love, Bonjour Tristesse. Nous avons pu les voir dans leur dernière création, Etat Sauvage titre provisoire, où ils sont accompagnés de deux autres comédiens, Laititia Andrieu et Brice Lagenèbre.

Une des particularités de ce collectif est de créer à partir de rien. C'est au plateau qu'une grande partie du spectacle s'écrit, à partir d'improvisations. Le rapport au réel est important dans leur spectacle : les comédiens-metteurs en scène partent souvent de situations vécues dans leur processus de création pour écrire, pour transmettre quelque chose au plateau. Ils défendent un théâtre surréaliste, poétique et un théâtre du jeu, « c'est de la forme que surgit le sens et non l'inverse »1.

 

Etat Sauvage Titre provisoire

 

Le spectacle débute dès l’entrée des spectateurs. Sur un plateau nu, où seuls trônent quelques micros, les personnages déambulent munis de chaussures et de sacs de randonnée. Cinq comédiens sur scène, cinq personnages -la limite entre les deux reste floue- nous emmènent avec eux dans leur périple ; de l’envie commune du départ au débriefing de fin, en passant par les angoisses de chacun. Si ce périple nous est d’abord présenté comme une simple randonnée ayant pour départ les alentours de Meriadeck, le public comprend vite que les comédiens/personnages se servent de la métaphore du voyage pour nous retracer leur processus de création, dont découle le spectacle Etat Sauvage. Plus largement, ils font écho aux différentes phases qui ponctuent une expérience commune. Les passages chantés et dansés y sont très présents, les comédiens de la Cie Du chien dans les dents les utilisent pour nous faire percevoir ce qu’ils ont ressenti dans le trou où ils sont tombés. Le trou, dont il est question tout au long du spectacle, bloque à la fois les randonneurs mais aussi les comédiens qui sont, semble-t-il, traversés par une période de vide dans leur création. Il s’agit là d’un spectacle qui jongle avec des situations concrètes et l’onirisme des lieux qu’il évoque. Le spectateur étant complètement libre d’y projeter ce qu’il veut, puisque il ne nous est imposé aucune image par le biais de décor ou de descriptions trop précises. Le voyage qu’effectue les cinq membres de la compagnie est entièrement remis à l’imaginaire du spectateur.

 

Nous aborderons ici, l’approche qu’a cette jeune compagnie de la création théâtrale puis nous reviendrons plus spécifiquement sur celui de la pièce Etat sauvage titre provisoire, ainsi que le rapport qu’entretiennent les comédiens-metteurs en scène au texte. Au travers de celui-ci, nous traiterons de cette frontière floue créée par le collectif entre le concret des situations abordées et l’imaginaire du spectateur qui est extrêmement sollicité. Nous verrons également que la pluridisciplinarité, très utilisée ici, brouille la définition même de théâtre conventionnel. Enfin, nous traiterons de l’engagement dans la société que soutient la pièce et de la manière dont est inclus le public.

 

 

Processus de création

 

Dans une interview pour La Grande Radio, Thomas Groulade a déclaré : « Sur ce projet, Etat Sauvage, on a invité deux comédiens extérieurs […] pour un projet d’écriture collective, d’écriture de plateau »2. Dans cette partie, nous allons nous intéresser au processus de création du spectacle et notamment à l’écriture du spectacle en nous basant notamment sur une rencontre avec Du Chien Dans les Dents.

Le spectacle Etat Sauvage est un spectacle qui a mis deux ans à se créer. L’idée de base était un thème : l’état sauvage. Au fur et à mesure des différentes résidences, le spectacle s’est peu à peu créé, à même le plateau, pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Plusieurs techniques d’écritures ont été mises en place pour la création du spectacle :

  • L’improvisation collective à partir du thème « état sauvage », mais aussi à partir d’événements qui ont eu lieu durant les résidences de création. Par exemple, la scène où Brice se fait mal au pied a été créé à partir d’un événement réel : Brice qui, en échauffement, donne un coup de pied dans un mur et se déplace quelque chose dans le pied.

  • L’improvisation seule ou l’écriture personnelle de texte à partir de verbes comme « pousser » / « tomber ». Ces improvisations étaient ensuite jouées et gardées ou pas. Par exemple, le texte de Brice « tomber » est à la base une improvisation qui n’a quasiment pas été retouchée après coup.

Deux grands types d’écritures se dessinent donc : l’écriture à la table pour les textes personnels autour de mots et l’écriture au plateau. Il est important de noter la place qu’a eue le dictaphone dans le processus d’écriture. En effet, une partie des improvisations collectives étaient enregistrées au dictaphone pour pouvoir ensuite être retranscrites. Cela permet à la parole libre d’être fixée. La parole est d’ailleurs tellement fixée que les bugs de texte sont écrits. Cette nécessité du texte, Thomas l’explique par une volonté de faire un travail de jeu au plateau plus poussé que dans les créations précédentes. Nous reviendrons sur la question du texte dans ce spectacle.

Arrêtons-nous quelques instants sur l'écriture plateau. L'écriture plateau est un nouveau procédé d'écriture apparu à la fin du XXe siècle et qui se caractérise par une rupture « avec [le] schéma traditionnel de la mise en scène d'un texte existant »3. Les artistes « n'ont pas d'autre texte que celui qui se propose à eux et se développe à même le plateau, dans le tempo des processus et des répétitions. Ils ne partent plus d'un livre/ pièce/monument de culture mais de leur propre livre/ pièce/monument »4. Ainsi, les comédiens s'essayant à l'écriture plateau partent des possibilités du plateau sans se baser sur un texte préexistant, l'écriture est un moyen de création. De plus, dans l'écriture plateau, « la situation théâtrale est souvent assumée comme telle, les acteurs la dénoncent, s'adressent directement au public, brisent le quatrième mur. Deux degrés de réel cohabitent, à savoir le réel de la situation théâtrale, et parfois aussi une fiction dramatique »5. Cette caractéristique de l'écriture plateau se retrouve particulièrement dans Etat Sauvage, mais nous y reviendrons.

Etat Sauvage est donc un spectacle qui s’écrit au plateau et avec 5 auteurs, qui sont aussi comédiens et metteurs en scène. Cela a donc permis de créer une masse de matière très conséquente. A partir de cette matière, les cinq comédiens ont dû « faire de la couture avec les bouts de scène » (comme le dit Falko, stagiaire au sein de la compagnie). Cette création d’une dramaturgie s’est faite d’abord à travers les « monstres » (improvisation générale à la fin de chaque semaine de création) et durant la première semaine de résidence à la Manufacture Atlantique où chacun a ramené une proposition d’agencement des scènes.

Etat Sauvage s'inscrit donc dans un mouvement de théâtre où le texte n'est plus le matériau premier pour une possible mise en scène. Ici, le processus de travail d'écriture plateau ainsi que l'idée d'un travail collectif remettent en question une vision traditionelle où le metteur en scène est maître de tout. En effet, « les nouvelles écritures théâtrales [dont fait partie l'écriture plateau] questionnent […] les stratégies classiques de représentation théâtrale d'un point de vue formel. La mimésis théâtrale y est mise à mal au profit d'autres stratégies de prise de parole »6. Le réel et la fiction se confondent. Mais le processus d'écriture de la pièce ne tourne-t-il pas en rond, poussant les comédiens à écrire sur des événements personnels, presque des « private joke » ? Le rendu final est-il reflet de cette écriture collective et morcelée ou bien les comédiens ont-ils réussi à trouver une unité, un fil conducteur assez tenu pour permettre d'unifier et de relier de manière cohérente l'ensemble de ces bouts de scène ?

 

 

Rapport au texte

 

Nous venons de l’évoquer, la question du texte dans ce spectacle est très importante : la création étant plutôt partie d'improvisations au plateau et au micro, est vite venue la nécessité d'avoir un texte écrit afin de se concentrer sur le jeu. Ce sont donc les comédiens/metteurs en scène qui ont eux-mêmes écrit l'intégralité de leurs textes, sauf certains passages qui sont lus. Il y a un texte d'Antoine Boute et un passage de « Dans les forêts de Sibérie » de Sylvain Tesson. Peter Levine est également une inspiration.

Les textes sont dits au micro ou à la voix, ou par le biais d'un magnétophone. Ils sont de l'ordre du « carnet de bord », celui de leur voyage dans le trou. Avant de s'exclamer, il arrive qu'ils précisent le jour auquel ils en sont dans leur séjour, « jour 83 ».

Le texte apparaît également sous forme de pancartes, ce sont la plupart du temps des commentaires sur la situation, du style « ça se dégrade ». Elles étaient à la base pensées par le collectif, afin de faire le lien entre les différentes scènes. Elles sont montrées en fond de scène par un comédien à la fois. Le comique est alors créé par un décalage entre le texte écrit et la scène jouée, soit en commentant l'action en exagérant ses traits, soit en faisant référence à un événement cité bien en amont dans la pièce.

Les textes apparaissent aussi sous forme chantée. A plusieurs reprises, au moment où on ne s'y attend pas forcément, les comédiens se mettent à chanter en chœur ou en canon. Ces moments renforcent eux aussi la dimension comique, dédramatisent la situation et leur permettent de passer à autre chose. Il s’agit, là aussi, d’un comique créé par le décalage entre la forme chantée, qui côtoie le chant lyrique, et les textes souvent empreint d’une grande simplicité. On devine derrière ce rire permanant certainement des conflits autour de la création.

Comme nous l'avons vu dans la partie sur le processus créatif, ils se sont parfois servis de verbes comme points de départ pour improviser au plateau. Le texte est également important dans sa dimension poétique, l'un des comédiens voit le spectacle plus comme une performance poétique qu'un travail du texte au théâtre. Le texte est un appuie de jeu pour créer comique et poésie à la fois. Les comédiens le manient d'une certaine manière, ils jonglent entre un jeu très naturel, presque du quotidien, avec les codes théâtraux. Cela leur permet de créer des ponts entre la réalité de leur processus de création et leur univers oniriques.

 

Réel/Onirisme

 

En effet, ce spectacle possède une part évidente tirée du réel, les membres de la compagnie s’inspirant de leur vécu. Tout est tiré de ce qu’il s’est passé lors des répétitions. Les comédiens jouent leur propre rôle et racontent leurs histoires propres. Comme dit précédemment, le fil conducteur a été trouvé et pensé après plusieurs passages au plateau, donc bien qu’ils aient pensé à une part de fiction en improvisant (la chute dans un trou qui les isole d’un monde extérieur), ils se raccrochent toujours à leur réel, même inconsciemment.

 

La frontière entre réel et fiction est donc floue tout au long de la pièce. Premièrement, l’histoire n’est pas très claire, par exemple on ne sait pas précisément ce qu’est le trou ; preuve en est que tous les spectateurs interrogés y ont trouvé quelque chose de différent. Le trou est une métaphore de quelque chose de réel, le plus simple est de penser que c’est la métaphore de leur processus de création. De plus, les péripéties qui rythment leur avancée dans le trou sont des évènements qui se sont réellement passés, par exemple : la scène du caillou est inspirée du jour où Brice a donné un coup de pied dans un mur et s'est réellement fait mal au pied. Autre exemple, lorsqu’eux-mêmes se questionnent sur ce qu’il se passe dans ce trou, Laetitia prend plaisir à nous rappeler que ce n’est « qu’un plateau de théâtre ».

En effet, l’un des enjeux du spectacle est le trouble constant entre la fiction et la réalité. C’est notamment renforcé par leur volonté de montrer le plateau de théâtre comme il est réellement, en ne cachant aucun câble, en choisissant de ne pas avoir de coulisses, etc.

 

Qui plus est, nous avons à première vue affaire à des personnages réalistes : leurs costumes (jogging, baskets, sac à dos) sont aussi naturels et quotidiens que leurs jeux et ce, pour une raison évidente : les comédiens jouent à leur propre personnage. Ils ont leur prénoms, leur caractères, leurs besoins, leurs envies, leurs idéaux, et même « l’enfant » de Bergamote. Au-delà de ça, les comédiens s’autorisent eux même à se caricaturer. Une façon de prouver que la vie en groupe permet de révéler les personnalités de chacun, et qu’ils ne peuvent plus se cacher. 

Tout au long de la pièce, les personnages ne font donc que parler d’eux. Il serait normal de croire que le réel rattrape leur fiction, que la frontière entre eux et leur personnages est très floue voire pas vraiment maîtrisée. En réalité, malgré leur égocentrisme apparent, nous ne connaissons pas plus la vie personnelle des comédiens à la fin qu’au début du spectacle. Seul bémol à ce propos, nous apprenons à la fin de la pièce que « l’enfant », qui d’ailleurs n’a pas de prénom, a environ deux ans ; c’est une précision qu’il n’aurait peut-être pas fallu donner pour garder une distanciation entre vie privée et personnage.

Cette pudeur qu’il est nécessaire de relever est ce qui permet d’inclure le spectateur au spectacle. Nous nous reconnaissons dans ces propos, le texte est très inclusif, bien que pas toujours très clair pour tous (une majorité des personnes interrogées ont décroché pendant les monologues). Cependant, le fait de franchir parfois la barrière de l’intimité, et d’avoir droit à un égocentrisme constant peut aussi déclencher un sentiment de malaise et d’extériorisation au spectacle.

 

 

 

 

Pluridisciplinarité

 

A la fin du spectacle, nous avons pu constater que l'enthousiasme rayonnait sur les visages des spectateurs. Lors de l'enquête de terrain réalisée le mercredi 23, la réponse qui revenait fréquemment à « qu'est-ce qui ''porte'' le spectacle ? (jeu ? Intrigue ? Texte?) » était le jeu. Les spectateurs interrogés expliquaient qu'ils avaient aimé être surpris par cette « polyvalence », ce dynamisme de la part des cinq comédiens. Certains avouaient néanmoins avoir décroché à certains moments lorsqu'il y avait trop de texte.

 

Ce qu'aime le public interrogé en allant voir la compagnie, c'est le dynamisme du jeu, les différentes actions qui s’enchaînent et qui nous surprennent. Lors de ces huit soirées consécutives, les spectateurs ont pu voir un jeu d'acteur pluridisciplinaire. En effet, les membres de la compagnie ont joué, chanté, couru, fait des roulades, sont tombés au sol de multiple fois successivement, puis ont enchaînés des actions répétitives que nous pourrions rattacher à de la danse. Ce tout forme un amas d'énergie que fournissent les comédiens. Notons d'ailleurs qu'ils buvaient pendant la représentation tellement ils avaient dépensé de l'énergie.

Le jeu était donc multiple. Il y avait la déclamation de texte. À certains moments les acteurs se hurlaient dessus, criaient. Lors des soliloques, les acteurs concernés avaient une attitude relevant du one-man-show. Le rire étant une traduction directe de la part du public. Puis il y avait du chant. Là les acteurs n'utilisaient pas les microphones qui étaient pourtant présents sur la scène. Ils chantaient en chœur différentes parties musicales donnant un aspect comique - part le texte - et tragique - par la mélodie- . Nous pouvons le constater avec la chanson Je vais mal, le monde va mal par exemple. Ils s'approprient alors l’aspect pluridisciplinaire pour créer un décalage, entre une mélodie et un texte, et déclencher le rire. Ici le chant, très bien exécute par les comédiens, accompagne un texte d'une grande simplicité, cela installe l'aspect comique. Cette jolie mélodie finit parfois en cris également.

 

Venons-en aux gestes, aux actions. L'action sur scène était multiple. Par exemple, alors que la fin du spectacle approche, les acteurs couraient du fond de la scène côté cours -endroit où ils rechargeaient leurs poumons d'oxygène- vers les micros placés au devant de la scène, chaque comédien alternant les micros à chaque aller. Ces allers et retours durèrent une dizaine de minutes. Lætitia (Andrieu) tombait à la renverse sur son sac à dos avec frénésie, Anaïs (Virvoulet) se roulait sur la pile de sacs à dos comme une tortue renversée etc. Certains passages (leitmotivs) ressemblaient à de la danse contemporaine. Effectivement la compagnie Du Chien dans les dents affirme sur leur site officiel qu'elle travaille sur le concept d'énergie.

 

« L’énergie que produit le jeu est au centre du travail de la compagnie. Le jeu n’est pas seulement ludique, il est du côté du décalage critique, de la transformation, c’est un mode de relation. C’est à travers l’ambiguïté du jeu qu’elle cherche à tisser une relation avec les spectateurs. »7

 

Au final, nous pouvons affirmer que le jeu des cinq comédiens était varié et pluridisciplinaire. Allant d'une forme de danse à de la course, d'une simple déclamation au chant en passant par du one-man-show, nous pourrions qualifier État Sauvage titre provisoire comme pouvant être une performance. En effet, son importante mixité des genres brouille la frontière avec l'image que l'on a du théâtre plus conventionnel. Pourtant il est bien écrit sur les panneaux publicitaires qu'il s'agissait d'un spectacle de théâtre.

 

Toutefois, malgré ce style complexe à décrire et pour certains une absence de sens dans le propos, ainsi que le paradoxe réalisme/onirisme ; Etat Sauvage s’apparente plus au surréalisme qu’à l’absurde.

 

Le politique

 

En outre, il s’agit d’une pièce se questionnant sur la place de l’individu dans un collectif, tant dans sa construction que dans le propos soutenu. Dès lors, pouvons-nous parler de pièce engagée, politisée ?

La politique étant un mot polysémique on trouve un sens politique dans tout ce que l’on voit ; reste à trouver quel sens du mot s’y adapte le mieux. Dans Etat Sauvage, il ne s’agit pas de politique dans un sens revendicatif, ou critique sur notre société. Il s’agit plutôt ici, comme le dit à la fin une des trois comédiennes, de politique dans son premier sens, la Polis (la cité) qui va dans le sens de l’épitaphe d’Aristote « l’homme est un animal politique. » c’est-à-dire un animal qui vit en société. Et c’est là tout le politique de la pièce ; chercher comment l’homme vit en société, comment il créé une société. Et pour eux il n’y a pas besoin de plus de cinq personnes pour commencer une société. En effet, comme on l’a vu précédemment, les cinq comédiens partent en voyage avec uniquement leurs sacs à dos et tombent dans un trou dans lequel il n’y a que faune et flore mais pas de signes de vie humaine, comme l’indique le titre c’est un retour à « l’état sauvage ». C’est donc l’endroit idéal pour imaginer une nouvelle société. Hors ce n’est pas ce qui se passe ensuite dans la pièce. Ils nous montrent plus les difficultés de vivre en groupe, de parler pour un groupe tout en restant un individu, d’imaginer des solutions en groupe… Leur propos vise surtout la place qu’occupe l’individu au sens d’un groupe, à l'échelle d'une ville ou d'un collectif de théâtre.

 

Dans ce spectacle il est aussi question d’engagement. Dans la Cie Du Chien dans les Dents c’est un engagement artistique qui s’opère. Sortis d’une fac de théâtre et non d’une école, ils ont une autre façon d’appréhender cet art et on le voit dans leur travail. Leurs recherches ne se concentrent pas que sur le jeu, le texte ou la scénographie mais c’est bien au processus de création tout entier qu’ils s’en prennent. L’Université nous apprend à questionner et c’est ce qu’ils font, comme l’ont fait plusieurs théoriciens avant, excepté qu’ils le mêlent à leur pratique. Point important car il ne suffit pas de questionner, pour changer quelque chose, il faut aussi le mettre en pratique. On parle d’engagement ou de politique dans ce cas-là car, sans vouloir faire changer tout le théâtre, ils apportent quand même une réflexion et une autre vision de la création.

Cette vision implique obligatoirement les spectateurs, dont la présence est, comme nous allons le voir, pensée lors de la création du spectacle.

 

 

 

 

Les spectateurs

 

Nous ne pourrions pas dire que ce spectacle brisait le quatrième mur. En effet, la compagnie ne prit à aucun moment le parti d’en ériger un. Pour rappel, le quatrième mur est une notion théorisée par Denis Diderot en 1758 dans Le discours sur la poésie dramatique.8 Réfléchissant le théâtre comme un art qui nécessite l’écoute et surtout la vision, il analyse les pièces de théâtre en employant le terme de tableau pour décrire les images scéniques qu’il perçoit.9 La parfaite perception d’une pièce, selon Diderot, doit donc se faire au travers d’un mur imaginaire séparant les spectateurs de la scène comme si les uns ne se trouvaient pas en face des autres, de la même manière qu’entre un tableau et son public. Dans les pièces « traditionnelles » les acteurs s’adressant au spectateur brisent donc le quatrième mur.

 

Dans Etats sauvage titre provisoire si les acteurs commencent à errer dans l’espace le temps que tous les spectateurs soient assis, ils ne tardent pas à se réunir pour s’asseoir en ligne face au public et annoncer l’aventure qu’ils vont nous faire vivre. Procédant ainsi, à aucun moment le spectateur ne se sent en dehors de la pièce. Ce lien avec leur public, ils ne l’abandonneront jamais. Que ce soit par des adresses directes et précises, notamment à la toute fin du spectacle, ou encore par des adresses directes et plus dispersées en plein milieu, les acteurs n’hésitent pas à prendre le public comme interlocuteur de façon régulière.

Cependant, ce n’est pas seulement par le biais d’apostrophes que ce contact se maintient. Le texte contient des instants, voir des passages, qui renvoient directement à la situation concrète de ce qui se déroule au plateau ; et non pas à l’histoire qu’il développe. Ce procédé est savamment pesé de sorte que le spectateur se sent complice de ce qui arrive au plateau sans pour autant trop comprendre ce qui se déroule ou trop anticiper ce qui va se dérouler. Ces confidences fonctionnent aussi bien que celles d’un ami. On rentre en contact avec eux et ce rapprochement est très efficace pour prendre en empathie les personnages-comédiens.

« C’est à travers l’ambiguïté du jeu qu’elle cherche à tisser une relation avec le spectateur. »10

L’ambiguïté du jeu, et l’ambiguïté du texte. Le spectateur est libre de projeter une assez large palette d’interprétation sur ce récit, malgré tout assez personnel pour la compagnie. Cette permission de penser, que ce spectacle nous octroie, est le dernier élément qui prend en compte le spectateur. La réception de chaque individu est propre à celui-ci, chacun peut apprécier son spectacle, à sa manière.

Nonobstant, cette liberté est à remettre en perspective de notre subjectivité d’amateur de théâtre. Ce n’est pas pour s’adresser à tout le monde que ce texte laisse tant d’espace d’interprétation mais plutôt pour parler avec pudeur et sincérité de ceux qui l’on écrit. Ce n’est pas un one-man show qui pour faire rire recherche la connivence, cette pièce porte notre attention sur leurs problèmes. Peut-on dire que tout spectateur peut comprendre les enjeux, risques, danger, problèmes d’une telle production ? Aurions-nous tant ri, au chant de la dramaturgie, si nous n’avions pas tous passé trois heures pour comprendre ce que c’est, en première année ?

 

Conclusion

 

En partant d'un thème, l'état sauvage, la compagnie Du chient dans les Dents a développé tout un spectacle autour de la création et de son processus. Les comédiens et metteurs en scène ont écrit partant du vide au plateau et de l'idée même de créer. C'est au fils d'improvisations et d'écritures personnelles que s'est formé le spectacle. Le tout est écrit pour laisser alors une liberté aux acteurs dans leur travail de plateau. Le texte est donc essentiel dans leur création, ce qui ne les empêche pas de mettre en avant un aspect pluridisciplinaire par des scènes de danse et de chant. Ce sont des éléments qui favorisent l'esprit onirique du spectacle, mais qui sont également des appuis pour créer de l'humour. En effet, c'est en alliant ces différents arts et en jouant de leurs codes que la compagnies créer des décalages et peut déclencher le rire chez le spectateur.

Le processus de création est au coeur de ce spectacle, en fait-il pour autant un spectacle accessible seulement à des spécialistes de théâtre ?  Avons-nous, en tant qu'étudiant en études théâtrales et issus de la même formation que celle qu'ils ont pus suivre, une "meilleure" réception qu'un spectateur extérieur à cet enseignement ou au milieu du spectacle ?

 

 

1http://duchiendanslesdents.com/index.php/creations/etat-sauvage-titre-provisoire/

Les différentes informations proviennent du sîte de la compagnie, ainsi que d'une rencontre entre les membres de ce krinomen, Thomas Groulade et Falko (M2 en stage avec la compagnie pendant la création d'Etat sauvage titre provisoire).

 

2Thomas Groulade, interview pour La Grande Radio du lundi 7 mars 2016 consulté le 25/03/2016

 

3Bruno Tackels Les écritures de plateau, états des lieux, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2015, p. 56.

 

4Idem.

 

5Anne Monfort, « Après le postdramatique : narration et fiction entre écriture de plateau et théâtre néo-dramatique », Trajectoires, 2009, consulté le 27/03/2016 sur https://trajectoires.revues.org/392.

 

6Idem.

 

8Wikipédia, article « Quatrième mur », consulté le 25/03/2016

 

9 Franzt Pierre, L’esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIème siècle, Paris, Presses Universitaires de France « Perspectives littéraire », 1998. Disponible sur Cairn.info.

 

10 Extrait de la présentation de la compagnie sur leur site : www.duchiendanslesdents.com Consulté le 25/03/2016

 

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