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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Article pour le krinomen - Sœurs de Wajdi Mouawad

 

Spectacle présenté du 8 au 12 mars 2016 au TnBA

 

Article rédigé par : Alma Boitelle, Emilie Depierrefixe, Pénélope Diot, Marlène Durantau, Emeline Hervé, Mathilde Lascazes, Shérone Rey, Cyril Teillier

 

 

Wajdi Mouawad est un artiste d’origine libanaise, exilé en France puis au Québec suite à la guerre civile libanaise. Il est auteur, metteur en scène et acteur, et a connu un succès international avec sa tétralogie Le Sang des Promesses, créée puis diffusée pendant 12 ans. Suite à ce cycle, il  entame deux autres projets : Le Dernier Jour de sa vie (adapter et porter à la scène les 7 tragédies de Sophocle qui nous sont parvenues) et le Cycle Domestique (composé pour le moment de Seuls et Soeurs, Frères étant en création avec Robert Lepage, Père et Mère pour le moment à l’état de projets). Il est le directeur artistique de deux compagnies théâtrales, l’une située en France, l’autre au Québec, a été directeur de deux théâtres canadiens et a été artiste associé au Festival d’Avignon en 2009.

 

Soeurs présente la rencontre de deux femmes : Geneviève Bergeron et Layla Bintawarda. La première est médiatrice en zone de conflit, la seconde est experte en sinistre pour une compagnie d’assurance. Toutes deux ont cinquante ans, des parents vieillissants qui ont connu un exil et toutes deux portent en elles les combats, les déceptions et les humiliations de leurs parents et de leurs familles. Geneviève, a vu les ravages d’une politique d’anglicisation forcée au Manitoba et l’arrachement d’une soeur adoptive à son foyer. Layla a connu l’exil du Liban, déchiré par la guerre, les immigrations successives en France puis au Canada, et enfin la mort de sa mère qui l’a obligée à devenir une femme pour son père et une mère pour ses frères. Quand Geneviève, coincée par une tempête de neige, loue une chambre d’hôtel interactive qui l’empêche de parler français, ses souffrances enfouies remontent à la surface, elle ravage sa chambre d’hôtel et sa cache dans le sommier du matelas. Le lendemain, Layla arrive pour faire le constat de sinistre. Elle reçoit un appel téléphonique de la mère de Geneviève qui l’amène à exprimer son mal-être et à rejoindre Geneviève sous le matelas. Layla décide ensuite de retourner vers son père tandis que Geneviève apprend que son assistante a retrouvé la trace de sa sœur adoptive.

 

Pour le Cycle Domestique, Wajdi Mouawad s’est entouré d’une équipe artistique et technique avec laquelle il a l’habitude de travailler, pour créer les nombreuses composantes musicales, scénographiques, textuelles, lumières et vidéos. Il dit vouloir, sur ce projet, créer une cartographie familiale s’inspirant de la structure même de sa famille et du regard qu’il porte sur elle. Il y expérimente un processus de travail différent de celui dont il a l’habitude en mêlant laboratoire, archives personnelles et en y insérant des évènements purement fictionnels.

 

 

 

 

 

I) ENTRE FICTION ET RÉALITÉ

 

 

« Il y avait cette curiosité de voir ce qui survient si les créations s’adossent, au départ, à une matière autobiographique : mon frère, ma sœur, mon père, ma mère. Cette curiosité de voir sur quoi pourrait s’ouvrir un pareil champ d’exploration et quelle langue pourrait en surgir. »[1]

 

 

Processus de création du spectacle

 

            Le spectacle Sœurs est donc le deuxième volet du cycle de création artistique nommé Cycle Domestique de Wajdi Mouawad. On y retrouve des éléments autobiographiques retraçant le parcours de sa famille de son pays d'origine, le Liban, jusqu’au pays dans lequel il se réfugia adolescent avec ses parents, le Canada. Alors que Seuls, premier spectacle de cette série, abordait le rôle du fils au sein d'une famille, la pièce dont il est question ici aborde le thème de la sœur, ou plutôt des sœurs.  Wajdi Mouawad confira à Emmanuel Clolus - son scénographe - « C’est en regardant ma sœur repasser des chemises, pantalons, draps, serviettes, culottes et chaussettes qu’émotivement est née Sœurs »[2]. Wajdi Mouawad mêle donc récit, autobiographie et fiction, et complexifie encore ce rapport entre les deux en invitant Annick Bergeron, l’unique comédienne  du spectacle, à inclure son vécu personnel.

 

Sœurs prend racine entre la vie de Wajdi Mouawad, celle de sa propre sœur Nayla (qui deviendra Layla Bintwarda dans la pièce) et l'intimité d’Annick Bergeron (qui créera le personnage de Geneviève Bergeron), ainsi qu'autour d'une fiction mêlant tous ces éléments, fruit de l'imaginaire des deux artistes.

 

 

Le personnage de Layla a été fortement inspiré de la vie de Nayla Mouawad. © Pascal Gély

Le personnage de Layla a été fortement inspiré de la vie de Nayla Mouawad. © Pascal Gély

Annick Bergeron n'est donc pas seulement l’interprète de ce texte, mais a véritablement participé à l'écriture. C'est elle qui a débuté les recherches sur ce projet à la demande de Wajdi Mouawad qui lui a demandé de rencontrer sa propre sœur, de récolter son témoignage, des archives personnelles de la famille Mouawad et de travailler pendant un mois, seule, en laboratoire. Annick et Nayla ont passé un an à échanger, de là est née une amitié et la découverte de nombreux points communs. Elles sont en effet toutes les deux les aînées de leurs familles.[3] Les personnages inspirées d’elles-mêmes porteront des noms proches des leurs et cette proximité des toponymies est bien évidemment voulue et représentative du caractère auto-fictionnel de la pièce.

Annick Bergeron s’est questionnée sur les notions de quotidien, d’intime, sur son histoire personnelle et celle de Nayla Mouawad, puis a pris de la distance pour y insérer de la fiction et créer un premier canevas de ce que sera la pièce. Le travail a pris forme guidé par les conversations entre Wajdi Mouawad et son actrice, concernant les différentes formes d'exil existantes et vécues.

Cette collaboration, qui peut paraître étonnante entre un auteur de théâtre et une actrice qui démarre l’écriture s’explique par la genèse de Soeurs : en effet Mouawad après la création de Seuls n’avait pas encore l’idée d’un Cycle Domestique. Ce n’est que lorsqu’Annick Bergeron a vu la pièce qu’elle lui a dit être intriguée par le personnage de la sœur (personnage que l’on entend par le biais d’enregistrements et donc on voit l’ombre durant le spectacle) et vouloir en savoir plus à son sujet. Deux ans plus tard Mouawad l’a donc recontactée en lui proposant de créer autour de ce personnage.

 

            Sœurs est un spectacle basé sur une écriture polyphonique, sensible, personnelle et créée à partir de deux visions de sœurs. Être une sœur n’est pas une chose simple à définir et l’aborder de manière simpliste et donc réductrice le repoussait. Il a donc souhaité s'inspirer de différents points de vue. D’abord celui de la sœur, puis du parent et enfin celui de l’amie. C’est ainsi que, comme dans Seuls, le socle de cette création se base sur quatre piliers : « Ressentir. Écouter. Attendre. Regarder ».[4] On ressent son histoire, on écoute celle de son camarade, on attend que les choses changent et on regarde sa vie défiler à la manière d’un générique de fin.

 

            Les éléments scénographiques, véritables sources de jeu et parfois points d’accroches du texte, sont eux aussi le résultat de la complicité entre les deux artistes transmis aux différents techniciens et créateurs artistiques du projet. Les éléments sonores et visuels qui sont présents sur scène sont le fruit de plusieurs idées disparates, formant au départ une gamme d'outils à utiliser, de potentialités pour le spectacle, qui ne seront mises en ordre et choisies qu'au cours de la création. Il ne s’agit au départ que d’outils de jeu. Le récit polyphonique mêlé aux montages visuels et sonores sont les pièces d’un puzzle flou et mystérieux qui forment le spectacle et dont les clés sont offertes plus tard au spectateur. Ces effets de scène reposent sur le ludique, l'improvisation, la spontanéité de certains moments de folie que les artistes finiront par garder et intégrer à la création (Annick Bergeron a notamment évoqué lors du bord de scène du jeudi 10 mars 2016 que les vidéos du zapping télévisuel étaient en premier lieu une plaisanterie qu’ils ont finalement choisi d’intégrer au spectacle). Le texte devient un matériau au même titre qu’un autre et Mouawad considère que le texte est fini d'écrire uniquement lorsque le spectacle est créé. Il appelle ceci « l'écriture polyphonique ».[5]

 

 

            Un seul en scène pluriel

 

            La scénographie et la technique jouent un rôle très important pour entretenir l’illusion d’un dialogue et de plusieurs personnages au plateau. En effet, cela permet à Annick Bergeron d’interpréter ses différents personnages. La vidéo, utilisée de manière ingénieuse permet à la fois d'évoquer les souvenirs des personnages (et d’un point de vue pratique ce sont parfois des temps où la comédienne change de rôle et/ou de costumes), de dérouler des actions au plateau (la projection représentant la chambre saccagée et la femme de chambre, la gérante et la policière qui dialoguent) ou de faire dialoguer les personnages avec une seule comédienne au plateau.

 

Ce seul en scène n’en est d’ailleurs pas vraiment un car les personnages sont sans cesse en discussion et en interaction avec d’autres ou avec des éléments de scénographie. Grâce à la dynamique de ses décors, ses voix fantômes et ses écritures projetées, Mouawad fait preuve d'ingéniosité pour rythmer son spectacle, multiplier les “interlocuteurs” et aider sa comédienne à porter le texte de bout en bout. Les illusions de ces multiples personnages relèvent d’un grand ficelage technique : les temps de changements sont très fluides ainsi que les glissements entre projections, passages au plateau, voix en off, voix sur scène.

 

 

 

L'importance des femmes dans le théâtre de Wajdi Mouawad

 

Depuis ses débuts Wajdi Mouawad apporte une très grande importance aux femmes dans son écriture théâtrale. Il leur donne des rôles qui les subliment et qui les élèvent au rang d'héroïnes. On se souvient notamment de Nawal (interprétée également par Annick Bergeron) dans Incendies (2003). On retrouve cette attention portée aux rôles féminins lorsque, dix ans plus tard, avec Soeurs, il la met au centre de sa création et lui offre les doubles rôles de Layla et Geneviève. La comédienne dira même à ce sujet :

Quand on travaillait sur la genèse d’Incendies, j’ai compris qu’il avait une fascination pour les femmes fortes. Il est passionné par ces femmes qui, à travers le monde, en situation de guerre, ont tenu à bout de bras des situations incroyables. Mais je le découvre aujourd’hui apte à témoigner de la situation de femmes qui mènent des combats plus domestiques. Croire en la puissance du féminin, je pense que ça fait partie de son univers intime, de ses convictions, de son rapport au monde. Il écrit de splendides textes pour les femmes.[6]

 

Ici, il ne s’agit pas de grandes héroïnes qui changeront la face du monde mais plutôt de petites dames au service de l’humanité, débordantes d'humilité et pleines de vérités, au bord du burn-out émotionnel. Elles finiront par se retrouver et faire le bilan de ce qui n’est jamais advenu. Elles abordent la question du devoir de mémoire, transmis de génération en génération : les fardeaux de l’existence dont chacun peut hériter.

On est tous inconsciemment porteurs de ce que nos parents ont vécu. Même si on voulait se débarrasser de cet héritage, il ressurgit sans cesse, et on en est toujours les premiers surpris. La pièce pose donc la question du devoir de mémoire, du devoir de poursuivre ces combats, de leur faire honneur, sans répondre à cette question qui est complexe, car l’héritage est parfois lourd à porter.[7]

 

 

 

 

 

II) LE DOMESTIQUE COMME LIEU DE CONFESSION ET DE COMBAT

 

 

Avec Soeurs, Wajdi Mouawad continue de parler de thématiques qui lui sont chères et au-delà qui sont indissociables de ses créations : l’exil, le langage, la filiation, le bouleversement. Il interroge une nouvelle fois « la tragédie antique et contemporaine, et la famille: deux univers, le Liban et Le Canada, toujours  au cœur de ses diverses créations, en résonance avec ses espaces de réflexion »[8]. Il conjugue à la fois l’intime et le monde.

 

 

Les origines, un impondérable des créations “mouawadiennes” :

 

Sœurs, c’est d’abord le parcours de deux femmes Geneviève Bergeron, avocate spécialisée dans la médiation des conflits, et Layla Bintwarda qui est experte en sinistre. Toutes deux ont un lien fort et prégnant avec l’un de leurs parents (la mère pour Geneviève, le père pour Layla), elles font face à la dualité des langues (anglais/français pour Geneviève, français/arabe pour Layla), et, enfin, leur destin est encombré par le poids du passé et des non-dits. Geneviève souffre de l’absence de sa sœur et de devoir choisir entre sa langue maternelle et sa langue de travail ; Layla s’est exilée au Canada avec sa famille à cause de la guerre civile au Liban. Une nouvelle fois, le metteur en scène libano-canadien s’inspire de son parcours de vie et le met au service de son art pour explorer l’intimité et la souffrance d’une personne liés à l’exil, à son passé et à sa révolte intérieure.

 

Ces deux femmes, ces deux « sœurs » de cœur souffrent toutes les deux du poids de leur passé et doivent porter la souffrance de leur parents liée à l’exil. La filiation et les rapports entre les générations sont au centre de la pièce. La mère de Geneviève a choisi l’exil pour pouvoir élever ses enfants en français ; le père de Layla s’est exilé pour protéger sa famille de son pays en ruines.

 

 

Répression de la langue française - L’exil de l’arrachement à la langue

 

Le spectateur est d’abord témoin de l’énervement de Geneviève, qui se retrouve à Ottawa, dans une chambre d’hôtel interactive ou tout est dirigeable par commande vocale, il suffit de dire « light » pour que la lumière s’allume. La télé et le réfrigérateur sont aussi interactifs, ce qui est source de nombreux effets comiques de situation. La robotique prend le pouvoir sur l’homme, c’est lui qui décide et si, au départ, cela parait inoffensif, simplement source de rire ou d’incompréhension, très rapidement cela va devenir beaucoup plus personnel pour Geneviève. Lorsqu’elle veut avoir la télévision en français, sa langue maternelle, c’est impossible. Toutes les langues fonctionnent sauf le français. Peu à peu ; Geneviève se rebelle contre ce système, elle n’accepte pas d’être arrachée à sa langue, elle refuse l’anglicisation de sa vie et de son identité (les machines l’appellent “Dgenevivi Burguer-on”). Elle le ressent comme une humiliation, elle a trop vécu par procuration le combat de sa mère contre l’anglicisation forcée et la peine que celle-ci engendrait pour rester de marbre.

Le spectateur comprend qu’elle souffre aussi du manque de reconnaissance de sa mère et de l’absence de sa sœur adoptive que sa famille héréditaire est revenue chercher dans l’enfance. Elle a été privée de la présence de sa sœur et maintenant elle refuse d’être privée de sa langue, de son identité. Ainsi, dans sa suite 2121 du Palace House Hotel d’Ottawa, rompant complètement avec une vie quotidienne rangée et raisonnable, elle fait tout exploser et décide de ravager la chambre.

 

Failles et effondrement scénographique

 

Le dispositif scénique est composé en avant-scène de planches de bois coulissantes qui servent à la fois de panneau de projection et de couloir de la chambre d’hôtel. Au début de la pièce, les panneaux occultent le reste de la scénographie. Geneviève est en avant-scène et chante dans sa voiture juste avant de recevoir un coup de téléphone de sa mère. La vidéo projette une tempête de neige. Elle donne ensuite une conférence sur la médiation en zone de conflits et les panneaux deviennent un paperboard. L’espace se transforme en couloir avant que Geneviève ne parvienne dans sa chambre d’hôtel, les panneaux coulissent pour disparaître à cour et jardin. Le spectateur découvre alors la chambre d’hôtel à proprement parler, composée d’un lit, d’une table de chevet, d’accès à cour vers une salle de bain et à jardin vers le balcon. En guise de tête de lit, une projection, quasi permanente (elle ne s’efface que lorsque la chambre est éteinte), du tableau Gabrielle d’Estrées et une de ses sœurs, tableau qui représente deux corps féminins nus. Les modèles sont similaires, on peut ainsi donc reconnaître deux sœurs, ce qui fait probablement référence au titre de la pièce[9].

 

Les murs de la chambre se constituent de feuilles de papier kraft superposées les unes sur les autres, d’un réfrigérateur encastré dans le mur à cour et d’un téléphone qui se trouve à côté du lit à jardin. Suite à l’impossibilité de faire fonctionner la langue française dans sa chambre, Geneviève utilise tous les articles contenus dans le frigo, vide leur contenu et le projette contre les parois. Le liquide imprègne le kraft, le rend mou. Elle déchire alors les parois, les éventre, extrait ce qu’elles contiennent et répand tout sur le sol. C’est la première fois que l’on comprend la largeur de la brèche qui a été ouverte par l’exil en Geneviève. Cette femme, avocate hors pair, est présentée dans un premier temps en position de pouvoir lors de la conférence. Elle devient tout à coup aux yeux du spectateur, une femme qui perd tous ses repères et qui s’effondre complètement.

 

 

 

 

Le personnage de Geneviève présentée comme une experte en résolution de conflit et pourtant incapable d'affronter les conflits qui s'accumulent en elle.  © Pascal Gely

Le personnage de Geneviève présentée comme une experte en résolution de conflit et pourtant incapable d'affronter les conflits qui s'accumulent en elle. © Pascal Gely

 

 

La question de l’identité

 

 La jeunesse perdue

 

On retrouve dans Soeurs « l’immortalité des instants perdus »[10] qui sera évoquée dans le spectacle ; c’est là que réside la peine des deux protagonistes, qui les ronge : se souvenir et savoir que cela n’existe plus. A la fin du spectacle seront projetées des images d’archives des familles Mouawad et Bergeron. Geneviève et Layla voient leur passé défiler, ce passé qui leur file entre les doigts, ce passé sans cesse grandissant qui est la preuve irréfutable qu’elles vieillissent. Et Layla témoigne de cette difficulté de vieillir, « d’être en train de devenir vieux »[11]. Geneviève et Layla n’ont pas fait le deuil des enfants qu’elles ont été, leur enfance leur a été arrachée par l’exil.

Layla, exilée au Canada, a été privée de son pays natal : le Liban. Elle a dû s’occuper de sa mère, atteinte d’un cancer et à sa mort prendre en charge sa famille et devenir la mère. Elle a donc étranglé à 17 ans les cadavres de sa jeunesse, ses rêves de jeunes femmes. Elle a étranglé ses potentiels fils et filles pour sa famille. Tout comme Geneviève[12], elle porte la peine de sa famille, elle est nostalgique d’un temps qu’elle n’a pas vraiment vécu.

 

L’humiliation

 

Wajdi Mouawad pose la question de la transmission, du legs des humiliations et combats des parents à leurs enfants. Il s’agit de trouver le courage de raconter les défaites, de transmettre l’importance des mots, d’expliquer à ses enfants ce contre quoi on s’est battu, ce que l’on a traversé. Mouawad parle de « petites hontes » et de « petites humiliation ».[13] Or puisque leurs parents ne leur parlent pas vraiment, ne communiquent pas pour ne pas rouvrir d’anciennes blessures, cette transmission est cachée. Et dans Soeurs, Layla et Geneviève formulent à quel point les combats et humiliations de leurs parents sont les leurs. Prendre conscience de ce que leurs parents leur lèguent, c’est comme prendre conscience d’une part de leur identité qu’elles n’acceptaient pas et dont elles n’avaient pas conscience. Ce sont des « femmes qui ne sont pas des héroïnes de l’histoire avec un grand H, mais des petites mesdames qui font leur possible »[14] selon Annick Bergeron.

 

 

 

 III) UN SPECTATEUR SOLLICITÉ ÉMOTIONNELLEMENT

 

 

La pièce tend à provoquer une adhésion émotionnelle et intellectuelle du spectateur par différents biais. Le rythme, les différentes projections, et l’ambiance sonore aident à cette adhésion. Il s’agit de voir aussi comment les émotions peuvent être amenées.

 

 

Un rythme fluctuant

 

Soeurs suit une progression constante. La pièce a beau être presque exclusivement un huis clos (excepté la scène du début), l’évolution du rythme et des personnages n’en reste pas moins flagrante. La conférence du début présente Geneviève Bergeron comme une femme stable, diplomatique et raisonnée, c’est elle qui résout les conflits internationaux. Une fois dans la chambre, tout est calme, du moins l’espace de quelques minutes. Les contradictions s'enchaînent jusqu’au point de rupture. Le rythme s’emballe lorsque son esprit vrille et elle démolit en l’espace de quelques minutes l’entièreté de sa chambre d’hôtel. Un moment de suspens se crée jusqu’à l'arrivée des autres personnages qui se retrouvent dans la chambre et laissent la place à Layla, agent d'assurance chargée de constater le sinistre.

A ce moment, le même cycle qu’avec Geneviève recommence pour Layla qui réussira cependant à ne pas aller jusqu’au point de rupture, elle n’implose pas, elle explique de façon plus raisonnée ce qui la frustre, son humiliation, ses sacrifices. S’ensuit un échange entre les deux femmes, avec un rythme à nouveau assez lent, propice à plus de poésie. Cette courbe sinusoïdale du rythme avec des montées et des descentes tient en haleine le spectateur qui est amené grâce à la conception lumière, sonore et vidéo à traverser les mêmes montées émotionnelles que les personnages sur scène.

 

 

Les projections mentales et techniques

 

L’image est très présente dans la pièce. Autant l’image technique que mentale. Dans un style se rapprochant de l’encre de chine ou de la calligraphie, dès l’arrivée de Geneviève dans la chambre d’hôtel, les projections font partie intégrante de la scénographie et servent à la multiplication des personnages. La comédienne qui interprète tous les personnages projetés, amène, grâce à ces projections, un certain aspect comique – avec la superposition des personnages qui ont chacun une réaction différente - mais également un aspect plus onirique - cette projection devient comme un tableau animé. On la voit également dans la télé, interpréter les journalistes et autres dans les programmes présentés. Comme une sorte de mise en abîme d’elle-même.

Les projections peuvent aussi être mentales par les histoires des deux personnages qui nous projettent dans leur vie, leurs interrogations, leurs soucis. Le spectateur se retrouve entraîné dans ces différentes projections qui servent de ressort narratif au spectacle.

Le jeu des lumières est présent avec un effet comique qui revient à plusieurs reprises : la chambre étant entièrement automatique et fonctionnant grâce à des commandes vocales, il faut dire « light » pour allumer la lumière et elle s’éteint si on arrête de bouger ou si l’on quitte la pièce. La comédienne se retrouve à dire « light » plusieurs fois quand elle est aux toilettes à cause de cette lumière qui s’éteint.

 

 

 

 

Les projections agissent souvent comme révélateurs de la pensée des protagonistes (ici « Qui pourrait croire que l'hiver finira un jour ? »).  © Pascal Gély

Les projections agissent souvent comme révélateurs de la pensée des protagonistes (ici « Qui pourrait croire que l'hiver finira un jour ? »). © Pascal Gély

Les cycles jour / nuit sont visibles à travers la fenêtre de la chambre d’hôtel. Lorsque la nuit tombe la lumière devient plus ténue, plus bleutée car Layla n’allume pas la lumière de la chambre mais la lumière de la lune l’éclaire quand même. Avec l’avancée dans l’histoire, l’éclairage s’assombrit pour entrer petit à petit dans un espèce d’onirisme.

 

 

Le son comme accompagnement narratif et sensible

 

Le son tient également une place importante dans la mise en scène. Que ce soit la voix et la musique ou le son en fond sonore qui crée une ambiance constante quasi imperceptible mais pourtant bien là. Certains sons par exemple ne se remarquent, ne s’entendent presque pas mais ils sont cependant présents. Il y a régulièrement (par exemple sur le moment où Layla est au téléphone avec la mère de Geneviève) des accords de guitare ténus, avec un fond de violon. Le son est suffisamment faible pour qu’il soit à peine perceptible mais il contribue à créer une ambiance sonore. On entend des cris d’enfants, des comptines chantées en anglais (notamment quand Geneviève prend son bain) qui sont tellement ancrées dans l’histoire qu’on les oublie presque totalement. En effet, une des particularités de la composition sonore est qu’elle est très subtile et donc, si elle contribue à la perception immédiate du spectateur, elle ne se remarque pas suffisamment pour qu’il la conscientise à chaque fois.

 

Les voix sont omniprésentes dans la pièce, enregistrées ou non pour créer le dialogue. La voix se manifeste tout le long à travers le texte, le chant de Geneviève ce qui est doublée par la chanson originale (Je ne suis qu’une chanson, Ginette Reno), les différentes voix de la chambre d’hôtel - frigo, voix centrale, menu de télévision (toutes les voix sont d’ailleurs celles de la comédienne). L’usage du micro en continu participe au dispositif de création de plusieurs personnages. Ainsi, on ne voit pas la différence de qualité et de type de son lors du dialogue entre Layla (en scène) et Geneviève (voix enregistrée), l’usage du micro tout le long sert ainsi à ne pas créer de changement et donc à entretenir l’illusion.

 

La composition sonore comporte également les bruits du quotidien comme par exemple les bruits extérieurs lorsqu’elle ouvre la porte fenêtre du balcon ou encore les bruits dans la salle de bain comme la chasse d’eau ou le bruit du bain qui coule. Il y a également le bruit de la machine à glaçon lorsque le frigo surchauffe et expulse tous les glaçons. Enfin, il y a une superposition de tous ces sons pour créer une ambiance sonore totale. Le son est projeté par plusieurs endroits de la scène (par exemple quand il y a la femme de ménage, la policière, la gérante) pour bien que l'on ait l'illusion que le bruit se propage vraiment et provient de plusieurs endroits. Lorsque Geneviève devient folle et éjecte tous les éléments du frigo, la voix de la chambre superpose toute les informations pour qu’on ait une impression d’erreur du système. La composition participe donc à rendre ce seul en scène polyphonique et à créer différentes sources de sons qui entretiennent une illusion du quotidien.

 

 

Mener le spectateur vers les émotions

 

Pour Wajdi Mouawad, « l'émotion ne se présente pas comme un but à atteindre [...] l'émotion est un outil au même titre que la lumière ou le texte [...] »[15]. Pourtant, la plupart des témoignages des spectateurs vis-à-vis de ses pièces décrivent le théâtre de l'auteur comme « théâtre de l'émotion ».[16]

 

Dans Soeurs, le spectateur est témoin d'une partie minime de la vie de Geneviève. Mouawad a constitué sa pièce de telle sorte qu'on entre peu à peu dans la vie intime de celle qui semble être une femme forte, puis on apprend son histoire, et ses tourments, jusqu'à ce qu'on soit témoin de son effondrement, et tout cela de manière subtile (il n’y a pas d’effets d’annonce). La présence de projections, et de musique, alliées au jeu de la comédienne créé une atmosphère émotive pour le spectateur qui s'attache à cette femme meurtrie. Le rythme de la pièce est saccadé, tantôt des moments de suspens très poétiques, tantôt des moments plus intenses, doté d'une atmosphère instable entrecoupés d’instants plus quotidiens, emplis d’humour.

 

 

 

Layla au milieu du carnage provoquée par les souffrances de Geneviève.  © Pascal Gely

Layla au milieu du carnage provoquée par les souffrances de Geneviève. © Pascal Gely


            Un des points culminants de l'émotion dans cette pièce se trouve durant la destruction de la chambre d'hôtel. La violence et la douleur psychologique de Geneviève explosent. La scénographie est représentative de ce qui se passe pour elle émotionnellement. Cet instant est suivi d'un long moment de silence, de calme, qui contraste avec la scène précédente. Le passage où Layla reçoit un appel téléphonique de la mère de Geneviève cristallise également l’émotion. Il est possible d’entendre dans la salle de nombreuses manifestations d’émotion. Pendant que Layla se confie, dans un rythme lent et des intentions de jeu touchantes, la lumière se tamise, et des accords de guitare et de violon s’ajoutent, pour créer une atmosphère plus intime. 

 

Toute la remise en question de ces deux femmes offre la possibilité au spectateur de s'identifier à elles, le texte parle de la relation avec les parents lorsque l’on est adulte, la difficulté à continuer de se dire que l’on s’aime, et même plus simplement à se parler. Ce n’est pas une situation tragique de grandes héroïnes, c’est du quotidien. Mouawad propose de l’émotion tout en cassant juste après ses effets. Il pourrait aller vers un excès de pathos s’il n’utilisait pas de son procédé mais à chaque il revient vers du concret, de l’humour (quand Layla demande à Geneviève de se pousser sous le matelas lorsqu'elle l’y rejoint). Il offre la possibilité d’être ému mais n’oblige pas le spectateur. Il navigue entre les émotions pour ne pas brusquer son spectateur.

 

 

En définitive

 

Wajdi Mouawad présente avec Soeurs, une mise en scène qui s’inscrit de manière plus globale dans ses créations. Il trouve une nouvelle manière et une nouvelle raison d’évoquer des thématiques fondamentales dans son œuvre : l’exil, la culture, la langue, la filiation et les grands bouleversements. Avec Soeurs, il continue un travail initié avec Seuls, en n’évoquant plus des grands destins qui se retrouvent face à une quête initiatique et qui vont changer de vie. Désormais la quête semble se faire à l’intérieur, les guerres semblent se privatiser. Il offre deux témoignages autobiographiques et fictionnels qui relèvent autant de l’intime que de l’universel. Pour ce faire, il fait appel à une équipe dont le travail semble de plus en plus indissociable et complémentaire - peut-être est-ce dû à la récurrence et l'abondance de ses dernières créations (il a monté les sept Sophocle en moins de cinq ans tout en créant d’autres spectacles en parallèle), pour laquelle il s’entoure toujours de la même équipe ? - et propose avec Soeurs, un spectacle qui questionne des concepts déjà vus chez Mouawad de manière inédite.

 

 

“Ce n’est pas parce que la corde de ta guitare se casse que tu ne peux pas trouver un violoncelle quelque part pour continuer à vivre et savoir ça, maman ça permet de continuer à résister”[17]

 

 

 

Bibliographie

 

Sources primaires   

 

Oeuvre étudiée :

- MOUAWAD W, Soeurs, Arles, Léméac / Actes Sud Papiers, 2015, 56p.  ­

 

Sitographie :  ­

- Site internet de MOUAWAD W, URL de référence, consulté le 13/03/2016 : http://www.wajdimouawad.fr/

- Site internet du Louvre, URL de référence, consulté le 13/03/2016 : http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/portrait-presume-de-gabrielle-d-estrees-et-de-sa-soeur-la-duchesse-de-villars

 

Entretiens :  

 

- Entretien de BERGERON A, réalisé par LAROCHELLE S, “Soeurs : Annick Bergeron, porte-parole de Wajdi Mouawad”, in Huffington Post, janvier 2015. URL de référence, consulté le 13/03/2016 :

http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/01/08/soeurs-annick-bergeron-wajdi-mouawad-entrevue_n_6439184.html

- Entretien de MOUAWAD W. réalisé par PIOLAT SOLEYMAT M, “Wajdi Mouawad, Soeurs”, in La Terrasse n°223, Septembre 2014. URL de référence, consulté le 13/03/2016 : http://www.journal-laterrasse.fr/wajdi-mouawad-soeurs/

- Entretien radiophonique de MOUAWAD W. réalisé par ADLER L, in Hors-champs, France Culture. URL de référence, consulté le 13/03/2016 : https://www.youtube.com/watch?v=CMbw39TMYg0

- Entretien radiophonique de MOUAWAD W réalisé par BOUCHEZ E, “Parcours d’artiste, les révoltes intimes de Wajdi Mouawad”, in Télérama, URL de référence, consulté le 13/03/2016 :  http://www.telerama.fr/scenes/parcours-d-artiste-les-revoltes-intimes-de-wajdi-mouawad,96401.php

 

Articles :

 

- BOULANGER Luc, « Annick Bergeron : Partir, Revenir », in La Presse, janvier 2015. URL de référence, consulté le 13/03/2016 : http://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/theatre/201501/10/01-4834048-annick-bergeron-partir-revenir.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B13b_spectacles-et-theatre_391_section_POS2

- BOUTEILLET M, “Mouawad enfin “seuls””, in Libération, Juillet 2008. URL de référence,consulté le 13/03/2016 :

http://next.liberation.fr/culture/2008/07/22/mouawad-enfin-seuls_76830

- COUTURE P, “Soeurs, de Wajdi Mouawad/Annick Bergeron, en plein dédoublement identitaire”, in Voir, Janvier 2015. URL de référence, consulté le 13/03/2016 :             https://voir.ca/scene/2015/01/13/soeurs-de-wajdi-mouawad-annick-bergeron-en-plein-dedoublement-identitaire/

- DAUNE E, “Ressentir. Ecouter. Attendre. Regarder”, in Le poulailler, Décembre 2014. URL de référence, consulté le 13/03/2016 : http://le-poulailler.fr/2014/12/ressentir-ecouter-attendre-regarder/

- NAUD E, “Soeurs de Wajdi Mouawad”, in Théâtre du blog, Avril 2015. URL de référence, consulté le 13/03/2016 : http://theatredublog.unblog.fr/2015/04/16/soeurs-de-wajdi-mouawad/

- Revue de presse constituée par le Théâtre national de Bordeaux Aquitaine, URL de référence, consulté le 13/03/2016 : http://www.tnba.org/sites/default/files/PDF/rdp_soeurs.pdf

 

 

 

Pour aller plus loin sur

 

Le Cycle Domestique :

- ​MOUAWAD W, Seuls, Chemin, texte et peintures, Arles, Léméac / Actes Sud Papiers, 2008, 192p.           

- CADIEUX A, « De l’épique au domestique », in Le Devoir, janvier 2015. URL de référence, consulté le 13/03/2016 : 

http://www.ledevoir.com/culture/theatre/428659/theatre-de-l-epique-au-domestique

 

La quête identitaire

- LENNE L, «Le poisson-soi : de l’aquarium du moi au littoral de la scène…»,in Agôn, Dossiers, (2007) N° 0 : En quête du sujet. URL de référence. Consulté le 13/03/2016 :

http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=328

 

L’émotion

- NAVARRO M, « L’ébranlement, Le choc, le bouleversement », in Outrescènes n°11, juin 2008

 

La polyphonie

- FISCHER ​D, Détours, nouvelles « polyphonies ». Le cas de Seuls de Wajdi Mouawad​ .  In Littératures francophones, Parodies, pastiches et réécritures, Lyon, ENS Editions, p77­-90.

 

Les oeuvres de Wajdi Mouawad   ­

- Ouvrage collectif, Les Tigres de Wajdi Mouawad ​ , Nantes, Editions joca seria, 2009.

- MOUAWAD W, ​Incendies, Arles, Léméac / Actes Sud­Papiers, 2009 [2003].  ­

- MOUAWAD W,​ Forêts, ​  Arles, Leméac / Actes Sud­Papiers, 2009 [2006].  ­

- MOUAWAD W, ​Littoral ​ , Arles, Léméac / Actes Sud­Papiers, 2009 [1999].

 

           

 

 


[1] W. Mouawad, propos recueillis par PIOLAT SOLEYMAT M, « Wajdi Mouawad, Sœurs », in La Terrasse n°223, septembre 2014.

[2] W. Mouawad, Soeurs, Léméac / Actes Sud - Papiers, 2015, p.5.

[3] P. Couture, « Soeurs, de Wajdi Mouawad/ Annick Bergeron, en plein dédoublement identitaire », in Voir, janvier 2015.

[4] E. Daunée, « Ressentir. Ecouter. Attendre. Regarder », in Le poulailler, Décembre 2014.

[5] Note d’intention de W. Mouawad disponible sur : http://www.wajdimouawad.fr/spectacles/soeurs

[6] P. Couture, « Soeurs, de Wajdi Mouawad/Annick Bergeron, en plein dédoublement identitaire », op.cit.

[7] L. Boulanger, « Annick Bergeron : Partir, Revenir », in La Presse, janvier 2015.

[8] E. Naud, « Soeurs de Wajdi Mouawad », in Théâtre du blog, avril 2015.

[9] Site internet du Louvre.

[10] Une de citations projetées durant le spectacle.

[11] W. Mouawad, Soeurs, Arles, Léméac / Actes Sud - Papiers, 2015, p.39.

[12] « Elle, l’avocate brillante qui a voué sa carrière à la résolution des grands conflits, elle, la célèbre médiatrice, est incapable de nommer le moindre de ses désirs. Sa jeunesse est passée. Elle le comprend là. Elle pense au visage amaigri de sa mère, à la langue défaite de son père et au silence de la banquette arrière de sa Ford Taurus sur lequel nul siège enfant n’a jamais été attaché. Elle pense à cela, à ce vide soudain, à cet étrange brouillard qui vient de l’envahir », note d’intention de W. Mouawad pour la pièce Sœurs.

[13] W. Mouawad, entretien radiophonique réalisé par ADLER L, in Hors-champs, France Culture.

[14] A. Bergeron, propos recueillis par S. La Rochelle, « Soeurs : Annick Bergeron, porte-parole de Wajdi Mouawad », in Huffington Post, janvier 2015. 

[15] W. Mouawad, propos recueillis par M. Navarro, « L’ébranlement, le choc, le bouleversement », in Pouvoirs de l’émotion, Outre-scène, n° 11, TNS, Strasbourg, 2008, p. 31.

[16] M. Bouteiller, « Mouawad enfin “seuls” », in Libération, Juillet 2008.

[17] MOUAWAD W, ​Soeurs, Arles, Léméac / Actes Sud Papiers, 2015, p.50.

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