Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Critique du spectacle Timon/Titus, Collectif Os'o
Quand Shakespeare rencontre la bourgeoisie française : un cocktail explosif dans un style décalé et moderne porté par des comédiens sur-vitaminés.
Pour cette création, le collectif OS’O a pris pour sources trois textes, Timon d’Athènes et Titus Andronicus de Shakespeare et Dette, 5000 ans d’histoire de David Graeber. Ils mettent en scène avec David Czesienski une saga familiale autour de la question de l’héritage mais également un débat autour de la dette financière et morale. Les comédiens se moquent royalement du spectateur en l’appâtant avec un titre shakespearien qui attire les adeptes du dramaturge anglais mais présentent finalement un spectacle où les vers de ce dernier sont quasiment absents, où les Timon et Titus sont remplacés par des enfants de bonne famille, les Barthelôt et leurs frères et sœurs caché.e.s.
Chaque enfant découvre sa part de l’héritage dans les enveloppes laissées par le défunt père, Timon/Titus au TnBA © Pierre Planchenault
C’est donc dans une ambiance entre vieille demeure familiale et bureaux d’interrogatoire (l’espace de jeu et les tables qui l’entourent) que l’on retrouve des comédiens emplis d’énergie et de fraîcheur qui sont là pour amuser mais aussi pour susciter le débat. Le spectateur est tenu en haleine du début à la fin du spectacle, le jeu d’acteurs ne connaît pas de chutes, il monte en puissance durant deux heures. Par des codes précis entre jeu incarné dans la saga familiale et plus naturel pendant le débat où les comédiens s’appellent par leurs prénoms, nous plongeons complètement dans l’univers du collectif. Bien qu’ils aient décidé avec cette création de faire rire, certaines percées laissent sans voix presque au bord des larmes et prouvent qu’ils sont capables d’assurer sur tous les fronts.
Une querelle familiale pour un héritage ! Des débats moraux sur la dette financière !
À plusieurs reprises, le spectateur a déjà assisté à de tels dialogues, dilemmes … Mais avec le collectif OS’O, ce synopsis est frais, neuf, comme s’il n’avait jamais été utilisé. Pourquoi ? Parce que l’enchâssement des deux univers crée des liens tout en mettant à distance, parce que le spectateur réfléchit durant le débat et rit lors de la saga familiale. Les comédiens se servent de l’histoire familiale pour démontrer au public ce qu’ils discutent lors des parties de débats. Le passage de l’un à l’autre fonctionne parce que les acteurs nous montrent clairement la différence entre les différentes strates de jeu, bien que par moments la barrière soit franchie. Mais c’est surtout parce que tout se mélange, que le spectateur est impliqué dans le processus, qu’il cherche à comprendre. Comme dans une partie de Cluedo, on ne sait plus qui est qui et qui va tuer qui… L’héritage, au cœur de la discorde dans une famille, est ici dénué de tristesse; il n’y a aucune douleur dans la perte de l’être cher puisque ce dernier est considéré par la majorité de ses enfants comme un monstre sans cœur. Ainsi, le public est plus ou moins amené à se libérer du côté accablant de la mort par les preuves données de ce père pervers (par un jeu dangereux mêlant théâtre et punitions notamment, je ne vous spoile pas) et peut se laisser aller à une certaine catharsis face à ce schéma familial qu’il a pu lui aussi subir dans sa vie.
Le rire est provoqué continuellement, peut-être pour dissimuler l’horreur de certaines situations, pour choquer sans dégoûter, pour émouvoir sans faire pleurer ? Ici, le spectacle est un défouloir mené brillamment par ces jeunes comédiens doués et heureux d’être là. Telle une drogue, le public en redemande et sort enchanté et revigoré du théâtre.
Informations pratiques : Timon/Titus, décembre 2015 au TnBA ; mise en scène de David Czesienski, avec les membres du collectif OS’O : Roxane Brumachon, BessDavies, Mathieu Ehrhard, Baptiste Girrd et Tom Linton, ainsi que leurs invitées Lucie Mannequin et Marion Lambert. Spectacle en tournée de mars à juin dans le Sud-Ouest et quelques chanceux ailleurs en France (voir sur leur site).
Lien du site Internet du Collectif OS’O : http://www.collectifoso.com