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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

"Un souffle d'émerveillement en demi-teinte", par Emeline Hervé

 

Critique du spectacle Le mouvement de l'air de Adrien M et Claire B

 

 

Adrien Mondot et Claire Bardainne ont présenté leur nouveau spectacle, Le mouvement de l'air, au Théâtre des Quatre Saisons, le vendredi 5 février 2016. Le travail de leur compagnie s'appuie depuis plusieurs années sur le mélange des arts numériques et chorégraphiques. Adrien Mondot, créateur du logiciel eMotion[1], propose une conception numérique interactive générée et animée en direct qui est projetée sur un écran scindé en deux et sur le sol. Jérémy Chartier, musicien crée, sur le plateau, une ambiance sonore et musicale à l'aide de percussions, de guitares (électrique et acoustique) pour accompagner les trois danseurs. Comment ce spectacle réussit-il à créer un univers illusoire au-delà de l'aspect technologique ?

(c) Romain Etienne

(c) Romain Etienne

Le ton est rapidement donné avec un premier tableau au rythme très enlevé où les trois danseurs circulent de cour à jardin en privilégiant une succession de ruptures, de portés et d'accélérations. S'ensuivent alors plusieurs tableaux, avec différentes empreintes esthétiques. Ces changements d'ambiances sont généralement initiés par la création numérique qui, selon les couleurs et les modèles animés, influent les danseurs et le musicien. Le spectateur évolue donc entre des ambiances oniriques (fumée au plateau, nuages projetés, danseurs en suspension), graphiques (lumières noires et blanches, lignes lumineuses, jeux d'ombres et pixels) et d'autres plus poétiques (projections évoquant des clapotis, mouvements très lents au sol, lumière bleutée). Ainsi, la création numérique devient un cinquième interprète, qui donne le ton aux autres, qui plante le décor. Du derviche tourneur, aux corps en suspension en passant par les passages au sol, tout est fait pour faire oublier la pesanteur, la frontière de l'aérien et du terrestre…

 

Ce qui transporte dans ce spectacle c'est la non-visibilité de l'effort. Les danseurs enchaînent les portés insolites et remarquables sans les annoncer ni les accuser. Ils deviennent acrobates, suspendus à plusieurs mètres du sol, sans que cela soit mis en scène comme exceptionnel. Et c'est peut-être cela qui fait la richesse du spectacle, l'absence de besoin pour les concepteurs de prouver, d'appuyer, le caractère extraordinaire ou difficile. Le spectateur a donc la possibilité d'être uniquement happé par la beauté, l'esthétisme du mouvement, l'enchaînement fluide des pas. C'est de cette fluidité que vient l'impression d'effort invisible, on ne voit que des corps qui se meuvent, les costumes sont confectionnés pour maximiser la liberté du mouvement. Ainsi, le regard est happé par ces corps qui deviennent lignes et formes, il s'agit d'accepter les corps comme fusionnant avec le dispositif numérique et donc comme partie intégrante de celui-ci.

 

Et voir des corps au plateau, non plus des corps sexués mais indifférenciés, permet de savourer uniquement leur technique. Aucun des trois interprètes ne porte plus que les autres le spectacle, ils sont tous danseurs, se portent, dansent les uns avec les autres sans considération de genre ou de sexe. Ce type d'initiative est à saluer, surtout quand, comme ici, ce n'est pas un choix engagé, revendicateur mais uniquement motivé par l'envie d'esthétisme et d'égalité des corps. Voir ainsi cette indifférenciation au plateau de façon naturelle et non argumentée a été un réel plaisir.

 

Ainsi, avec Le mouvement de l'air, Claire B et Adrien M, conjuguent un dispositif scénique et technique avec la danse et la musique. Le résultat est d'une cohérence absolue, et permet une unité qui pousse à l’émerveillement. Tout fonctionne de façon si parfaite qu'il ne reste plus au public qu'à apprécier le spectacle et à s'évader. La vidéo devient un outil, vecteur d'images esthétiques qui offrent au spectateur la possibilité d'y imaginer ce qu'il souhaite.

 

C'est un spectacle qui invite son public à l'onirisme. Si rien ne vient troubler sa cohérence et sa beauté (il faut notamment penser à la projection qui, sublime, de face peut perdre de sa valeur dès que le spectateur est décentré), c'est un moment qui peut relever de l’émerveillement. De ces spectacles qui vous laissent bouche-bée du début à la fin, avec une impression extraordinaire de première fois.

 

Mais c'est sans compter les cinq dernières minutes du spectacle qui viennent complètement rompre avec cet univers qui, parfois, frôle le mauvais goût sans jamais l'atteindre (et c'est là une grande prouesse). Malheureusement, la subtilité s'achève dans un dernier tableau qui justement tombe dans ce mauvais goût causé par un excès dans la proposition (chanson de variété française, images sirupeuses…). La définition même de l'expression « se tirer une balle dans le pied ».

 

Ainsi, malgré cette image de fin qui fait sortir d'un imaginaire si bien amené par le spectacle, Le mouvement de l'air reste une pièce à voir, à savourer et, pour une fois, à contempler en se laissant porter par les propositions et le merveilleux… Et c'est cela qui est le plus plaisant.

 

 

 

Emeline Hervé

 

 

 

[1] Logiciel interactif de création d’animation se basant sur des modèles physiques existants (particules, pixels, feuilles, lignes). Ces images offrent l’illusion d’une présence numérique sur scène. Adrien Mondot anime en direct à l’aide d’une tablette et d’un stylet, les matières.

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