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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte-rendu de Krinomen - 4 de Rodrigo Garcia

Krinomen du 24 mars 2016

Compte rendu rédigé par : Mathieu Cuomo et Sarah Ben Amor

 

 

C'est dans la salle de répétition que se déroule le Krinomen sur le spectacle de Rodrigo Gracia, 4. Pour commencer nous accueillons les étudiants en dansant la cumbia et les invitons à nous rejoindre tout comme dans le spectacle. Une fois l'ambiance installée nous passons au vif du sujet.

Le Krinomen est divisé en trois parties, une première partie purement descriptive afin de rappeler les différents éléments scéniques et de décrire le spectacle à ceux qui ne l'ont pas vu, même si une majorité des étudiants ont été le voir.

La deuxième partie commence par une citation de Rodrigo Garcia qui nous permet de traiter la question de la responsabilité du metteur en scène vis à vis de ce qu'il montre sur scène.

Il en est de même pour la troisième partie qui commence elle aussi par une citation et qui nous permet de discuter sur la fiction dans les œuvres de Rodrigo Garcia.

 

Partie I:


La première chose qui est demandée est le nombre de personnes qui ont été voir le spectacle. Parmi les étudiants présents une grande partie l'a vu. Plusieurs questions sont posées, la première porte sur la scénographie. Elle est composée d'un mur blanc sur lequel se trouvent des projections, un sol blanc, un gigantesque savon de Marseille à jardin, un petit plateau en bois et des chaises, Sur une des chaises une peau de bête, plusieurs micros, un écran vert, et derrière le mur blanc un espace coulisses que l'on voit grâce à la projection.

 

Puis nous demandons de décrire les effets sonores et visuels utilisés lors du spectacle. La plupart du temps le texte est en voix off. Une part importante est faite pour la musique qu'elle soit enregistrée ou en live (guitare électrique). Des contrastes sont signalés entre la musique enregistrée et en direct, il s'agit surtout d'une question de volume sonore. Des projections en direct ont lieu, par exemple lors du maquillage des petites filles ou alors lors la scène des plantes carnivores. Une description plus approfondie est faite pour la scène avec le tableau « l'origine du monde » de G. Courbet. En effet le tableau est projeté sur le mur blanc, un des comédiens joue alors au tennis et fait rebondir une balle sur le tableau; A chaque fois que la balle touche le mur, le tableau se tord dans un bruit. Tous les huit coups une véritable photo de vagin est incrustée rapidement telle une image subliminale. Plus tard dans le spectacle un effet olfactif est produit grâce au savon de Marseille présent sur scène mais aussi une odeur de cigare est évoquée.

 

Nous en venons ensuite à la présence humaine ou vivante sur scène. Il y a quatre comédiens dont une femme, deux petites filles de neuf ans, quatre coqs dont deux blancs et deux marrons «affublés» de baskets les empêchant de s'envoler. À un moment du spectacle, les comédiens invitent des membres du public à monter sur scène pour danser la cumbia. Le nombre de spectateurs sur scène varie en fonction des soirs; le deuxième soir on pouvait compter a peu près 20 personnes sur scène. Il y a également des plantes carnivores et des vers, ainsi que des maquilleuses pour préparer les enfants.

 

Il est maintenant question de l'interprétation des comédiens. Les étudiants trouvent qu'il n'y avait pas de jeu à proprement parlé puisque les comédiens-performeurs ne jouaient pas de personnages. Un rapport très doux était établi entre la femme et les trois hommes et un des étudiants souligne qu'il était assez rare de voir les quatre comédiens interagir entre eux. L’interprétation des comédiens était aussi vive lors des passages performatifs que lors passages parlés. Certains étudiants pensent qu'il n'y avait pas d'incarnation car il n'y avait pas de fiction. Après une discussion les étudiants semblent s’être mis d'accord pour dire qu'il s'agit plus d'une succession de tableaux et non pas d'une histoire contenant un fil conducteur.

En parlant de fil conducteur nous demandons aux étudiants s'ils ont réussi à le suivre pendant le spectacle. Beaucoup n'ont pas vu de continuité entre les différents éléments scéniques sur la totalité de la pièce même si certains pensent avoir vu un lien entre quelques tableaux. Très vite la conversation dérive sur ce qu'est vraiment un fil conducteur et c'est là que les avis divergent. Certains pensent que le fil conducteur de la pièce est l'interprétation de la société par Rodrigo Garcia.

Une personne explique qu'un fil conducteur n'est pas forcément une histoire, et qu'il peut s'agir de la présence des comédiens ou même de la scénographie qui est toujours la même sur scène. Une élève pense que dans cette pièce se trouve une sorte de « boucle » puisque celle ci commence par un «récit moralisateur » et finit de la même manière. Pour d'autres, le fil rouge peut être un ensemble de petits récits créés par la perception du public ; on peut trouver de la narration dans ce genre de spectacles mais cette narration reste perçue par le spectateur.

 

Et pour finir cette première partie, les animateurs demandent alors aux étudiants les thèmes qu'ils ont pu souligner dans la pièce. Les étudiants se mettent vite d'accord sur le fait que le thème principal abordé concerne les relations sexuelles, divers termes sont cités tels que : « sexualisation infantile », « consentement », « viol », « rapport entre hommes et femmes », « zoophilie ». De la discussion ressortent  d'autres thèmes plus ou moins perçus par le groupe comme le rapport entre l'homme et l'animal mais aussi le théâtre. D'autres ne voient pas de thèmes mais plus une succession de tableaux. Au cours de l’échange il est ressorti le terme « obsession » car il semble que les thèmes dont parle Rodrigo Garcia se rapprochent plus d'obsessions.

 

 

Partie II:

 

La seconde partie du Krinomen commence par une citation de Rodrigo Garcia tirée du bord de scène du spectacle :

 

"Pour ceux qui cherchent un thème, nos pièces sont idéales : comme nous ne nous y arrêtons jamais, la recherche du thème appartient au spectateur, ce sera son passe-temps, devoir déchiffrer ce qui dans la pièce lui semble familier ou évocateur."

 

L'utilisation du terme «passe-temps» va faire débat tout au long de cette partie car pour le groupe il est assez paradoxal d'utiliser ce mot alors que le metteur en scène travaille sur quelque chose d'assez violent. Vient alors la question de la responsabilité du metteur en scène vis-à-vis de ce qu'il montre. Plusieurs questions ressortent des discussions. Quelques étudiants ont l'impression que Rodrigo Garcia se moque des gens mais sans pleinement l'assumer puisqu'il reporte toute la responsabilité sur la compréhension des spectateurs. Pour Rodrigo Garcia, ce que comprend le spectateur n'est pas forcément ce qu'il veut montrer et c'est là que la moquerie interviendrait car Rodrigo Garcia ne veut pas expliquer ce qu'il représente sur scène. Un étudiant demande si pour Rodrigo Garcia la culture du viol est naïve. En effet, pour lui la scène du sac de couchage est représentative de la culture du viol et trouve par la même occasion l'utilisation de « passe-temps » plus que contestable et indécent vis a vis de ce qui est montré sur scène. Pour certains étudiants, il n'y a aucun thème développé dans le spectacle,  D'autres enfin, ont vu des éléments flous qu'ils n'ont compris qu'une fois la discussion entamée.

Un étudiant pense qu'il y a deux perceptions du spectacle, une qui se base sur le ressenti et une autre sur ce qui se passe sur scène et ce que l'on comprend. Certaines personnes ont été dérangées par la façon dont on parle du viol (ou dont on ne parle pas) et de ce que l'on en fait sur scène. Ce n'est pas nécessaire de faire vivre une expérience traumatisante à quelqu'un pour faire comprendre de quoi il relève (on parle ici de la scène des sacs de couchage, jeudi soir une jeune fille de 17 ans a été choisie par les comédiens. Celle-ci ne s'est pas rendu compte de ce qu'elle faisait sur scène, ce n'est qu'une fois dehors, lorsque ses amis lui ont raconté, qu'elle a compris.)

Toujours en rapport à la scène des sacs de couchage, Rodrigo Garcia dit lors du bord de scène que pour lui cette scène est juste drôle,qu'elle ne dénonce rien. Un étudiant répond qu'il s'agit peut-être d'un passe-temps pour Rodrigo Garcia mais pas pour les spectateurs. Une étudiante raconte que les spectateurs du TNBA ont reçu une semaine avant la représentation un mail leur expliquant qu'ils pouvaient invités à monter sur scène pour une séquence particuière.

"Sans dévoiler le contenu du spectacle, nous déconseillons ce spectacle aux moins de 16 ans et attirons l’attention des spectateurs sur le fait que des propos et images peuvent heurter certaines sensibilités. Par ailleurs, dans une scène de 4, les comédiens invitent quelques spectateurs ou spectatrices à monter sur scène et l’un(e) d’entre eux est mis(e) à contribution dans une situation que d’aucuns trouveront drôle ou délicate, c’est selon." (extrait du mail)

 

L'étudiante souligne qu'il y a un décalage entre ce à quoi on nous prépare, ce que l'on voit sur scène et ce que Rodrigo Garcia nous dit. Pour elle, il s'agit d'une scène d'humiliation publique. Une autre personne pense au contraire qu'il s'agit surtout d'une question de choix. Les spectateurs sont prévenus, ils sont libres de monter ou non sur scène. 

La scène du sac de couchage semble jouer un rôle important dans la réception du spectacle en fonction de qui monte sur scène. En effet le mercredi soir, la personne choisie était une ancienne étudiante en théâtre, très sensibilisée au travail de Rodrigo Garcia. Le vendredi, c'est un étudiant  de Licence 3 qui a été choisi, c'est d'ailleurs le seul homme qui aura été choisi durant les trois soirs de représentations. Nous avons pu l'interroger puisqu'il était présent lors du débat. Il confirme que l'on ne se rend absolument pas compte de ce qui se passe sur scène : il était enfermé dans un sac de couchage et on lui demandait de frotter un micro contre la paroi du sac. Ceci dit, il n'a pas vécu une expérience traumatisante et en a même beaucoup ri.

Vu que les spectateurs sont potentiellement prévenus des risques encourus, une personne rappelle le principe du consentement mutuel éclairé donné aux hôpitaux avant une opération. Le principe semble être le même ici, nous sommes prévenus, nous venons, le metteur en scène est alors dédouané de toute responsabilité si ça ne se passe pas bien. 

 

 

 

Partie III:

 

Dans la troisième partie du débat du Krinomen, les avis divergent de plus en plus. D'un côté se trouvent ceux qui défendent le spectacle, et de l'autre ceux qui ne reçoivent pas ce spectacle comme un simple objet d'amusement.

En effet, durant le bord de scène Rodrigo Garcia explique que son spectacle a été créé juste pour l'amusement. Cette réflexion fait débat. Une élève proteste et va à l'encontre de ce que Rodrigo Garcia dit par rapport à son spectacle. Selon elle, c'est bien trop facile de parler d'amusement après toute ces choses que l'on a pu voir sur scène, nous attendons forcément une explication. On ne peut pas lancer violemment des balles de tennis sur « l'origine du monde » sans arrière-pensée. 

Beaucoup d'étudiants pensent que Rodrigo Garcia s'échappe de toutes explications sur son spectacle afin de ne pas avoir à se justifier. D'autres pensent que Garcia est toujours dans la provocation et c'est la raison pour laquelle il ne souhaite pas nous en dire plus sur ses spectacles, puisque c'est au public de faire sa propre interprétation.

Beaucoup de spectateurs dans la salle ont fait référence à la culture du viol. Selon eux, Rodrigo Garcia construit des images et des séquences sans se soucier de ce à quoi elles font référence et de ce qu'elles provoquent chez le spectateur. Quelqu'un dans la salle soutient que ce n'est pas parce que l'on montre des images choquantes sur scène que l'on en défend nécessairement les propos.  Une autre personne surenchérit en disant que Rodrigo Garcia ne fait qu'acquiescer le viol. La tension monte de plus en plus dans la salle et les avis se percutent de plus en plus.

La fameuse scène du sac de couchage revient sur le tapis. L'un des soirs de la représentation, une jeune fille est invitée sur scène alors qu'elle n'a que 17 ans. Un des élèves manifeste son désaccord par rapport à cette scène, en soutenant que quand bien même Rodrigo Garcia soutient le rôle de la fiction dans cette scène, la personne reste non consentante de cet acte, personne ne sait ce qu'il va se passer encore moins la jeune fille qui était sur scène. Cette jeune fille prénommée Claire, ne s'est rendu compte de rien et encore moins de ce que la comédienne était en train de lui faire. 

 

On se pose alors la question de la fiction, en effet à partir de quel moment la fiction n'existe plus sur scène ? Certains voient de la fiction pendant le spectacle. Un étudiant par exemple fait référence à la scène du savon de Marseille, où deux comédiens s'amusent sur le savon d'une tonne. Cette scène a évoqué pour lui une histoire d'amour entre un homme et une femme. Pour certains, le texte à la limite pourrait faire œuvre de fiction mais le reste du spectacle ne représente rien, ne raconte rien, ils restent déçus d'un spectacle considéré comme  inachevé. Quelqu'un témoigne de son incompréhension face à ce spectacle qui demande beaucoup au spectateur puisque de nombreuses images sont jetées en plein visage sans aucune explication. Rodrigo Garcia "en a fait trop" ou alors pas assez mais ce qui est sûr c'est qu'il a divisé le public en deux parties entre ceux qui ont apprécié ce spectacle et d'autres qui ont complètement détesté.

Son passé de plasticien se ressent dans son travail de mise en scène. En effet les images développées sont comme une succession de tableaux peints sans explication. Certains spectateurs n'ont pas été dérangés par ce manque apparent de lisibilité, alors que d'autres pensent que ces tableaux n'ont aucune esthétique, aucun sens et aucune pertinence. 

 

Rodrigo Garcia enthousiasme autant qu'il offusque. Chacune de ses créations fait grand bruit. Il est connu pour choquer et déranger le public. Cette fois-ci, un grand nombre de spectateurs reste très déçu par ce nouveau spectacle intitulé 4. Rodrigo Garcia nous laisse devant plusieurs tableaux qui pourraient être très poétiques et significatifs mais un sentiment d'incompréhension nous envahit et le spectacle nous échappe.

 

De plus, durant le bord de scène, Rodrigo Garcia n'a pas répondu aux questions du public afin de ne pas avoir à se justifier. Sa seule réponse est qu'il n'y a rien à comprendre dans les images qu'il propose, que l'amusement est le moteur de ce spectacle. Difficile pourtant de se satisfaire de cette réponse face à des coqs en baskets enfouis dans les pantalons des comédiens... 

 

Malgré beaucoup de mauvaises critiques, quelques spectateurs restent touchés par 4 et semblent avoir compris la portée poétique et symbolique du spectacle. Nous savions que ce débat serait animé, puisque 4 est un spectacle qui a fait scandale dans les classes théâtre de Bordeaux 3. Dès la sortie du spectacle, les conversations et les échnages véhéments ont démarré. Ce qui est sûr c'est que le Krinomen animé sur le spectacle de Rodrigo Garcia aura été le débat le plus animé que l'on ait connu.  

 

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