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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte-rendu de Krinomen - Le jeu de l'amour et du hasard, Laurent Laffargue

Spectacle présenté au Galet le mardi 1er Mars 2016

 

 

Animé par Charmila Abou Achiraf  Ali Bacar, Chloé Bidau, Cassandre Duflot, Laura Jouannel, Jeanne Lartaud et Nassourania Soilihi

 

Compte rendu rédigé par Maxime Suaire et Emma Gassie

 

 

 

Jeudi 10 Mars : le krinomen a pour sujet le spectacle mis en scène par Laurent Laffargue Le jeu de l'amour et du hasard au Galet de Pessac. Le metteur en scène bordelais renoue une fois de plus avec son amour du répertoire classique en remettant au goût du jour cette pièce de Marivaux. Il cherche, selon lui, à questionner les inégalités sociales encore récurrentes de notre société. Et quoi de mieux que la pièce de Marivaux où les rôles de serviteurs et de maîtres s'échangent pour traiter de ce sujet là ? Sur un plateau sous forme de double tournette, les jeunes comédiens tout juste sortis d'école donnent vie à des personnages haut en couleurs pris dans un tourbillon de stratagèmes qui tournent à la cocasserie.

 

Pour débuter ce krinomen Maxime, installé dans le public, reçoit un appel et va s'installer à sa table pour prendre des notes. Ceci est un clin d'oeil au personnage de Arlequin qui arrive sur le plateau depuis la salle après avoir fait sonner son portable. Le groupe d'animation a ensuite diffusé des images du spectacle afin de raviver la mémoire de chacun. Après avoir demandé qui avait vu le spectacle nous avons entamé un rappel de ce qu'était le spectacle avec sa scénographie, ses costumes …

 

Les étudiants ont parlé de tons pastels et d'une scénographie épurée qui n'était pas encombrée par du matériel inutile et qui du coup laissait la place au jeu de comédien. Ils ont appréciés l’enchaînement fluide entre les tableaux grâce à la tournette. Cette tournette représentée pour eux le jeu, l'enfance. Ce jeu enfantin était aussi appuyé par le tourniquet au centre du plateau au tout début du spectacle. Pourtant au fur et mesure de la pièce cette légèreté enfantine s'estompe mettant les personnages face à la complexité de l'amour. Quoiqu'il en soit la scénographie d’Eric Charbeau et de Philippe Casaban est une vraie machine à jouer où les comédiens jouent un jeu de cache-cache constant : derrière les murs, dans l’entrebâillement d'une porte …

Pour ce qui est des costumes, les étudiants ne les ont pas trouvés superflus, plutôt simples, actuels et efficaces. Il a toutefois persisté un questionnement du fait qu'en échangeant leurs costumes les maîtres et les valets avaient changés quelques détails, exemple : Silvia en prenant la tenue de Lisette a mis des escarpins plutôt que les baskets qu'avait Lisette au début du spectacle. De plus, si Silvia prend la même robe que sa servante, cette dernière porte une tenue beaucoup plus élaborée que celle que portait sa maitresse au début du spectacle, et quand nous voyons Arlequin arriver nous comprenons bien qu'il en est de même pour lui car Dorante paraît être quelqu'un de simple et son valet porte des vêtements tout à fait extravagants. Nous nous sommes donc questionné sur ce changement de costumes. Était-ce un véritable choix dramaturgique ?

Les sujets de la musique et de la lumière n'ont pas été épilogués. La musique intervenait lorsque la tournette fonctionnait pour changer de tableau. Cette musique était récurrente et servait en quelque sorte de fil rouge au spectacle. La lumière quant à elle était très sobre, souvent froide et englobant le plateau et à quelques moment particuliers plus chaude et resserrée.

 

 

 

L'équipe d'accueil a ensuite lancé la question du jeu des comédiens. Les étudiants l'ont en général apprécié. Le comique du jeu cabotin et ponctué de singeries a fonctionné pour eux. L'arrivée d'Arlequin a notamment marqué le public. En effet lorsque son portable a sonné dans la salle, le public révolté s'est retourné vers lui. Et lorsque celui ci a répondu les gens ont commencé à être vraiment en colère contre lui, ce dernier a même parfois reçu des insultes. Cet effet a permis de briser les conventions théâtrales qui impliquent le silence du spectateur. Le question qui a été soulevée a été de savoir si Marivaux avait cette volonté de dénoncer par le rire. Les avis divergeaient. Pour certains cette volonté de faire un spectacle comique faisait défaut à la critique de fond. Pour d'autres Marivaux cherchait avant tout à faire rire, le thème traité n'était qu'un prétexte, la mise en scène fonctionnait donc.

 

Nous avons ensuite traité des images souvent admises comme clichés et préjugés dont a usé Laurent Laffargue pour critiquer les inégalités encore persistantes dans notre société. Pour certains le personnage de Lisette était la représentation de la servante écervelée, comme Arlequin. Les deux personnages par leur liberté corporelle et de langage étaient moins dans la retenue que leur maîtres Silvia et Dorante, ce qui les a rendu selon les avis soit touchants soit agaçants. Certains y ont donc vu un stéréotype des valets fanfarons et naïfs, un jeu cabotin en opposition au jeu tragique de leurs maîtres. Pour d'autres ces personnages ne représentaient pas des clichés ou des stéréotypes mais plutôt des figures notamment très courantes dans le théâtre de Marivaux. Tous se sont accordés pour dire qu'Orgon et Mario étaient les personnages en fond de toile qui jubilaient de l'action avec un regard presque enfantin.

 

Laurent Laffargue fait un parallèle entre la société dont traite Marivaux et celle d'aujourd'hui. L'équipe d'animation a donc demandé aux étudiants si la pièce de Marivaux pouvait résonner encore aujourd'hui avec la mise en scène de Laurent Laffargue. Il est clair pour tous que la pièce a été recontextualisée d'abord dans le choix des costumes et de la scénographie qui font écho aux codes d'aujourd'hui : décoration contemporaine, tenues actuelles (robes courtes, baskets, blazer …), utilisation du téléphone portable ... Pour autant est-ce que cela suffit à faire résonner Le jeu de l'amour et du hasard aujourd'hui ? Pour certains cela a fonctionné car le cloisonnement social est encore présent de nos jours, de plus les relations amoureuses et les unions en fonction des classes est encore un questionnement actuel car on peut se complaire à fréquenter les personnes du même milieu. De plus ce jeu de tromperie dans les relations amoureuses a fait écho pour une étudiante aux relations sur internet où la personne à qui nous parlons n'est peut-être pas celle que nous croyons. Pour d'autres la transposition dans notre monde actuel fut plus complexe notamment par rapport à la barrière de la langue. Le langage trop sophistiqué s'impose ici comme un blocage vers une réappropriation de la pièce. De plus le contexte actuel n'est pas celui de Marivaux, ce qui amène certaines incohérences par rapport aux problèmes que peut soulever notre société actuelle. Certains étudiants ne se sont donc pas senti concernés mais ont apprécié le spectacle comme une histoire qu'on leur raconte, d'une société qui n'est pas la leur.

 

De quels stratagèmes a usé Laurent Laffargue pour amener le rire ? Ont-ils fonctionné ? Voilà la question suivante qui a été posée aux étudiants. La recherche du comique est évidente dans la mise en scène de Laurent Laffargue. En plus du comique de situations et de langage amenés par Marivaux dans l'écriture de sa pièce, le metteur en scène a ajouté du comique de geste. Ces gestes très chorégraphiés et rythmés amenaient un comique qui pour certains était loin d'être subtil et qui était plutôt utilisé comme une valeur sûre afin de rendre le texte de Marivaux plaisant. Pour autant dans la majorité de l'assemblée le spectacle de Laurent Laffargue a fait rire, les gags à répétition ont fonctionné notamment dans le couple Arlequin/Lisette au jeu très enfantin qui fût ici rattaché à des figures « prince et princesse ».

 

 

Nous nous sommes ensuite demandé quelle était la place du spectateur dans cette mise en scène de Laurent Laffargue. Était-il témoin ou participant à l'intrigue ? Dans l'intrigue de Marivaux, le spectateur est évidemment témoin de l'intrigue car il sait dès le départ la manigance qui s'est préparé chez Silvia et Dorante. Il rit donc de cette supercherie dont il a pleine conscience. Il semblerait ici que Laurent Laffargue ait voulu inclure le public notamment avec les personnages du père et du frère. Ces deux derniers s'avancent au bord de scène pour parler directement aux spectateurs dans la salle ou leur lancent des regards complices. Certains ont donc senti un rapport complice avec ces deux personnages. Pour d'autres, même si Laurent Laffargue a voulu casser les codes en faisant démarrer un comédien du public, ils n'ont pas eu l'impression de dépasser leur place de spectateur. Le lien avec le public fût pour eux succinct et ne leur a pas permis de se sentir inclus dans l'intrigue mais tout bonnement témoins de cette dernière.

 

 

Nous avons ensuite traité de l'effet miroir du spectacle. Il était d'abord flagrant dans la scénographie : double tournette, deux portes … Les jeux dans l'espace fonctionnaient eux aussi régulièrement en duos : deux fauteuils face à face, jeu avec les deux portes … Il faut dire que les scènes de la pièce Le jeu de l'amour et du hasard se jouent souvent en duos : duo maître/maître, valet/valet ou maître/valet. Cet effet de miroir est donc très présent aussi chez les personnages. Les maîtres, malgré leur déguisement et leur assurance, ont en face d'eux leur opposé social et tombent amoureux et il en est de même pour les serviteurs. Se reconnaissent-ils donc à travers leurs costumes ? De plus les situations se déroulent aussi en miroir, nous partons de deux manigances identiques chez les maîtres et terminons pas deux relations amoureuses évoluant parallèlement.

 

Enfin, le dernier axe de notre débat était d’aborder le « théâtre dans le théâtre » dans cette mise en scène de Laurent Laffargue à travers la question du jeu.

Dans un premier temps, ce qui est relevé par les étudiants c’est la différence de « niveaux » de jeu. La direction des comédiens s’étale sur une palette qui va du « sobre » à « l’outrancier ». C’est justement par cette outrance (i.e un jeu cabotin), que le « jeu dans le jeu » est introduit. Mais cette idée est déjà naturellement présente dans le texte de Marivaux car les quatre personnages centraux (Silvia, Lisette, Dorante et Arlequin) jouent chacun un rôle, ils endossent une personnalité qui n’est pas la leur mais qu’ils donnent à voir comme une seconde vérité d’eux-mêmes et des autres dont ils prennent le rôle.

De plus, on peut trouver à plusieurs moments, dans cette mise en scène de Laurent Laffargue, une tentative de désamorcer le rapport frontal inhérent à la « boite noire » comme par exemple certains changements de costumes à vue, ou alors l’arrivée de Arlequin qui n’était encore que dans une position de spectateur dont il s’échappe pour monter sur scène.

Néanmoins, cette aspect méta-théâtral de la création de Laurent Laffargue ne fait pas  consensus. Pour certains, si l’on peut parler de « théâtre dans le théâtre » pour cette mise en scène, alors ce terme pourrait s’appliquer de manière totalement gratuite à n’importe quelle création théâtrale. En effet, le dispositif reste dans le schéma classique de la frontalité.

 

Pour finir notre krinomen nous avons décidé de laisser un moment de parole libre pour ceux et celles qui n'auraient pas dit tout ce qu'ils souhaitaient sur le spectacle ou qui auraient aimé revenir sur un sujet abordé durant le krinomen. Et c'est le jeu de l'interprète de Silvia, Clara Ponsot, qui fût au centre de ce dernier débat. Son jeu a déplût à beaucoup d'étudiants. Jugé trop mélodramatique et jugé en trop grand décalage par rapport aux autres comédiens. Ils ont reproché ses passages trop radicaux du rire aux pleurs, le manque de finesse de son jeu, et un besoin (vaniteux ?) de se démarquer des autres. Était-ce un problème de direction d'acteur de la part de Laurent Laffargue ? Pour d'autres cette interprétation était un choix de la part du metteur en scène qui a voulu faire de Silvia un personnage particulier dans son excès et son caractère lunatique. Pour autant la plupart des étudiants ont trouvé un manque de constance chez les comédiens qui ne semblaient pas croire en leur personnage car la couleur donnée par Laurent Laffargue n'était selon eux pas la bonne.

 

La majorité des étudiants présents à ce krinomen a apprécié la mise en scène de Laurent Laffargue qui a proposé un regard actuel sur la pièce de Marivaux. Le jeu de l'amour et du hasard est devenu un véritable manège de situations loufoques qui a eu l'effet comique souhaité par le metteur en scène. 

 

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