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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Au pied du mur sans porte - Lazare

 

Au pied du mur sans porte, écrit et mis en scène par Lazare, présenté par la compagne Vita Nova au TnBA du 4 au 6 décembre


Rédaction de l'avant-papier : Antoine Houdinet, Marine Soulier et Juliette Villenave 

 

 

visuel lazare

 

Visuel du spectacle – Éditions voix navigables © Lazare

 

 

L’auteur – metteur en scène :

 

Lazare, né en 1975 à Fontenay-aux-Roses, est auteur, metteur en scène et improvisateur. Il suit une formation au Théâtre du Fil puis au Théâtre National de Bretagne de 2000 à 2003. Il fonde la Compagnie Vita Nova en 2006. On peut retenir quelques pièces notables où il officie en tant qu’auteur et metteur en scène comme Coeur Instamment Dénudé et Purgatoire (2000), Passé – je ne sais où, qui revient (2009), Au pied du mur sans porte (2010), Rabah Robert (2012), mais aussi en tant que comédien, avec Nocturne à tête de cerf de Claude Merlin (2000), La Sirène de Pascal Meinard (2005), Théâtre de bouche de Ghérasim Lucas (2009) et Sherry Brandy de Josef Nadj (2010). Il joue également au cinéma dans Mr Morimoto et Chose rose Loula de Nicolas Sornaga (2007 et 2009), ainsi que Page Blanche d’Armel Roussel (2011). Il réalise aussi des improvisations, seul ou accompagné de musiciens, où il mêle de la poésie spontanée, des récits noirs, ainsi que des chutes et drames instantanés.

 


La compagnie Vita Nova :

 

La compagnie débute et se crée en 2006 avec la mise en scène de Passé – je ne sais où, qui revient à la Halle Saint-Pierre (à Paris). La première élaboration d’Au pied du mur sans porte se fait de janvier à février 2010. La pièce est ensuite créée au Théâtre l’Echangeur à Bagnolet en janvier 2011, où avait déjà été joué Passé – je ne sais où, qui revient en février 2009, premier volet du triptyque, qui se termine en 2013 avec Rabah Robert (touche ailleurs que là où tu es né). La Compagnie crée aussi des formes orales et musicales en improvisation.

 


Les comédiens de la compagnie :

 

Aujourd’hui, la Compagnie compte environ dix artistes de 28 à 75 ans, autodidactes ou ayant suivi différentes formations ''classiques''. Elle se compose de Guillaume Allardi (acteur, auteur et musicien, diplômé du Théâtre National de Bretagne), Anne Baudoux (comédienne, élève du Conservatoire National de Bretagne de 1987 à 1990) qui assiste Lazare à la direction de la Compagnie, Benjamin Colin (poète et compositeur), Julien Lacroix (comédien et metteur en scène), Mourad Musset (musicien chanteur), Jean-François Pauvros (guitariste et compositeur, précurseur de la guitare noise en Œuvre), Yohann Pisiou (comédien) et Claire Monique Scherer (danseuse et comédienne). Ceux-ci jouaient déjà dans Passé – je ne sais où, qui revient.

 

           

Sur le spectacle Au pied du mur sans porte :

 

Cette pièce montre Libellule et sa mère, plongés dans le présent d’un enfant en difficulté dans une banlieue française. Il perd toutes ses affaires sur le chemin de l’école où il aime s’égarer. Il a un jumeau mort-né, un double, mi-ange mi-démon qui le suit partout. Un jour il rencontre JR, dealer, et Criquet, flic de son état. Le spectateur suit le parcours de libellule, enfant puis adolescent des cités, un « Français sans France ». Lazare montre ainsi des êtres délaissés, en remplaçant les clichés et la vision naturaliste par la poésie. Au pied du mur sans porte met en scène un texte salvateur porté par la beauté de la musique jouée en direct sur le plateau.

 


Le spectacle s'inscrit dans une ''trilogie'' composée également de Passé - je ne sais où, qui revient et de Rabah Robert, tous trois écrits et mis en scène par Lazare. Au pied du mur sans porte est le second volet de ce triptyque. Si chacun de ces trois spectacles a une identité propre, le personnage de Libellule fait le lien entre eux : on le retrouve à différents âges, en Algérie ou en France. Les trois créations sont aussi liées par le thème du temps : Lazare interroge le temps qui passe, le temps suspendu, l'instant T où l'on se rend compte de l'importance d'une vie.

 

Pour chacun de ces spectacles, on retrouve une méthode de travail propre à Lazare : investigations en amont, écriture, travail et modifications au plateau, en lien avec les comédiens. Lazare dit rêver les lieux et les situations qui composent son écriture, avant d'aller lui-même se confronter à leur réalité. (1) 

 

 

Pour Au pied du mur sans porte, l'écriture et le propos prennent naissance dans le contexte politique et l'actualité, à savoir la présidence de Nicolas Sarkozy, la crise des banlieues, la stigmatisation des jeunes en difficultés scolaires, ainsi que de ses souvenirs, des bribes de jeunesse. Le théâtre de Lazare livre alors une parole engagée, politique et en mouvement, pour faire entendre un autre monde qui vibre d'une poésie différente.

 

A l'occasion d'une résidence d'écriture, l'auteur-metteur en scène se rend dans une école maternelle de Bagneux, d'où il est originaire, afin d'étudier cet « îlot au milieu des cités » (2). Lazare voit les enfants « tout mignons » et se demande comment l'individu devient opaque, parfois violent, au fil de son parcours. Il enregistre, comme il le fait souvent, les témoignages de ceux qui vivent autour, la directrice de l'école par exemple. Viendront aussi des entretiens avec un policier de la BAC et une femme de ménage, racontant leur parcours et leur réalité. Autant de matières dont Lazare se sert pour construire son discours. 

 

 

Si le texte a une place particulière dans le théâtre de Lazare, le corps n'est pourtant pas oublié. Dans son travail, il s’intéresse au mouvement et au son : sur le plateau, la danse et la musique peuvent porter une parole différente, donner un moyen au personnage de s'exprimer avec plus d'aisance. La lumière tient aussi une place importante dans le spectacle : elle accompagne le parcours des personnages et dessine de nouveaux espaces qu'elle cloisonne ou démultiplie. Avec ses comédiens-musiciens, Lazare cherche à rendre la musique visible, elle ouvre des espaces de mise en scène et vient suspendre le temps dans un présent frénétique.

 

La mise en scène se veut plurielle : elle est constituée d'une multitude de signes sur le plateau. Lazare ne cherche pas à tout expliquer par des significations concrètes mais plutôt à travers le ressenti propre et la mémoire de chacun. Ne se voulant pas didactique, le spectacle, qui se tient à distance du naturalisme misérabiliste, cherche à se rapprocher de la poésie. Du ''chaos'' qui règne sur scène, le spectateur comprend alors ce qu'il veut et ce qu'il peut comprendre, pour se construire son spectacle et enfin, peut-être, être amené à une réflexion sur son propre environnement.  

 

Le spectacle ne se veut pas non plus d’abord politique. La tension sur scène est organique, elle vient des tripes d'un ovni du théâtre et transporte les esprits loin des limites du raisonnable. Elle efface les enjeux politiques derrière la métaphysique de ce qui fomente le cœur de l'être, avec cette éternelle question : « Qu'est-ce qui se cache en nous ? ».

       

    

D'un point de vue plus pragmatique, la mise en scène, qui se fait en collaboration étroite avec les artistes de sa compagnie, matérialise sur le plateau cette réflexion sur la société. Lazare écrit puis dessine les grandes lignes de la mise en scène, mais le travail de plateau reste une part importante dans le processus de création. La structure première n'est donc pas figée, elle s'adapte à ce que sont et ce qu'apportent les acteurs, elle peut se modifier au fil des répétitions et même des représentations.

 

 

Lazare, Basquiat du théâtre contemporain (3)  

 

Dans le théâtre d’avant-garde contemporain, inscrit dans le sillon des théâtres dadaïste, surréaliste et de l’absurde, se mêlent les défis du langage, les approximations de l’espace-temps, les difficultés ou les prouesses de la condition humaine et les illusions de ce que peut être le réel. Les pièces de Lazare, auteur-metteur en scène-improvisateur, sont marquées par des angoisses, un sentiment de l’absurde, mais aussi par une vive énergie et une force dramaturgique et scénique qui en font un pandémonium lyrique et créatif allant à l’encontre des dogmes et des carcans. Une perte de repères au service de l’être au-delà de l’être.

 

Du poème Bureau de tabac, de Fernando Pessoa, Lazare, enfant de la banlieue parisienne, retient  cette phrase : « Je ne suis rien, je ne serai jamais rien, je ne peux vouloir être rien. A part ça je porte en moi tous les rêves du monde. » Et c’est dans cette matière que va s’écrire le triptyque Passé je ne sais où, qui revient suivit de Au pied du mur sans porte et qui se conclura avec Rabat Robert. Lazare veut ouvrir les portes du possible et refuse que l’Homme s’arrête à une définition, à des codes sociaux et à de bêtes stigmatisations. C’est en cela que ses thèmes et ses personnages attaquent le système, avec toute la multiplicité de facettes que l’être possède et sans se ternir d’une unique identité.

 

Lazare exprimait d’ailleurs, lors de sa conférence de presse  au festival d'Avignon 2013, sa stupeur face aux propos de Nicolas Sarkozy concernant la jeunesse (4) et la stigmatisation qui en a été faite lors de son quinquennat. En écho à son histoire personnelle, il projette sur scène les implications de son personnage Libellule, qui, comme l'ensemble des jeunes, n’est pas l’expression de la marginalité mais des « lignes droites » (5) futures. Pour s’en expliquer, il écrit : « Au seuil d’un monde normé, s’éprouve l’exclusion inhérente à un système dogmatique qui procède par élimination. Déterminé. Ecrire : s’attaquer à ce principe de marginalisation qui réduit l’autre au silence. » (6)

 

 

Ainsi, Au pied du mur sans porte « embarque les spectateurs dans un voyage onirique radicalement surprenant ; un champ de visions où rien n’est figé et surtout pas la langue, qui divague et réinvente lexique et syntaxe sans singer le réel. » (7) Lazare s’exprime sur ce point en ces termes : « L’inscription du mot, c’est un mouvement lié à l’arrêt du temps. Et c’est dangereux d’écrire, c’est une façon de définir le réel et là, les problèmes commencent. Mais cela permet aussi de ne pas enfermer les êtres dans une seule définition. » (8) 

 

La langue est l'un des outils de l'expression et de la compréhension humaines et, chez Lazare, elle a une prodigieuse vitalité et la capacité d’emmener le spectateur au-delà du temps, à la frontière où l’Homme devient inconsciemment un adulte opaque et insaisissable, a contrario de ce qu’est l’homme-enfant, son émerveillement et son goût pour l’inexplicable. La langue chez Lazare est dans une perpétuelle lutte émotionnelle, lutte des niveaux de langage, qui transcende la fragilité de l’être et décortique son for intérieur. Elle nous amène à d’autres dimensions de l’oralité, dans lesquelles le sens n'est pas figé. Il se méfie des phrases et des idées toutes faites.

           

 

Là où le système nous divise individuellement, au sein de nous-même, Lazare invente une manière de penser et de dire les choix conflictuels que l'être humain est amené à prendre, pour donner vie à une autre existence du soi. C’est cette poésie osée, vacillante, et cette brutalité des évènements dans ses œuvres (les crimes des guerres coloniales, l’échec scolaire, le tissu social des ghettos…) qui mettent en lumière la signification des mots et des corps, tels les peintures et les graffitis de l'inclassable peintre new-yorkais. Basquiat disait : « Je commence une image et je la termine. Je ne pense pas à l'art quand je travaille. J'essaie de penser à la vie » (9). L'on ressent la même spontanéité dans le travail de Lazare. De plus, par la puissance qui se dégage des personnages, qui paraissent pleinement habités par l'écriture singulière et tumultueuse de l'auteur-metteur en scène, le public se retrouve projeté dans un monde à part entière, dans lequel l’art ne trouve pas sa place.

 

 

 

 

Sources et références :  

 

(1) Lazare, conférence de presse sur Au pied du mur sans porte, festival d’Avignon, propos recueillis par J.-F. Perrier, Cloître Saint-Louis (Avignon), 13 juillet 2013, vidéo disponible en ligne, URL de référence : http://www.theatre-video.net/video/Lazare-pour-Au-pied-du-mur-sans-porte-67e-Festival-d-Avignon

(2) Lazare, « Nouvelles écritures, interdisciplinarité », La Pause Théâtre, émission de radio animée par S. Leroy, université Rennes II, 30 novembre 2012, URL de référence : http://wikiradio.ueb.eu/broadcast/7289_Nouvelles_ecritures_interdisciplinarite#podcast

(3) Comparaison de M.-J. Sirach, « Lazare ressuscite la langue du théâtre », in L’Humanité, 17 juillet 2013, URL de référence :  http://www.humanite.fr/culture/lazare-ressuscite-la-langue-du-theatre-546057 

(4) Lazare, conférence de presse sur Au pied du mur sans porte

(5) M.-J. Sirach, « Lazare ressuscite la langue du théâtre »

(6) J.-P. Thibaudat, « "Au pied du mur sans porte" : tout est théâtre au bazar Lazare ! », article publié sur le blog Théâtre et balagan, le 3 janvier 2011, URL de référence : http://blogs.rue89.com/balagan/2011/01/02/au-pied-du-mur-sans-porte-tout-est-theatre-au-bazar-lazare-180698 

(7) R. Solis, « "Je pense sans arrêt à des gens qui ne sont pas" », in Libération, 15 juillet 2013, URL de référence : 

http://www.liberation.fr/culture/2013/07/15/je-pense-sans-arret-a-des-gens-qui-ne-sont-pas_918481 

(8) Lazare, « "Je pense sans arrêt à des gens qui ne sont pas" », propos recueillis par R. Solis

(9) J.-M. Basquiat, cité par s.n., « Citations pop art », article publié sur le site web Pop Art, consulté le 6 décembre 2013, URL de référence : http://www.le-pop-art.com/citations-pop-art.html 

 

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