Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Jean Yves Deman est administrateur de la Compagnie Le Glob de Jean Luc Ollivier et responsable de la Production/Diffusion pour la Compagnie Hors Série/Hamid Ben Mahi et chargé de la diffusion pour la compagnie Les Taupes Secrètes Artistes Associés (Philippe Rousseau.
En quoi consiste votre travail au sein des différentes compagnies ?
Alors, effectivement, ça dépend des compagnies.
Pour la compagnie Le Glob Jean Luc Ollivier, je suis administrateur. Et pour les compagnies Les Taupes Secrètes et Hors Série, je suis responsable de la production et de la diffusion.En tant qu’administrateur pour la Compagnie Le Glob/Jean Luc Ollivier, J’essaye de l’accompagner sur une mutation de sa compagnie, puisqu’il a quitté Le Glob Théâtre début 2010. C’est un accompagnement de A à Z, que ce soit sur la gestion ou l’accompagnement sur la stratégie d’entreprise. Stratégie d’implantation, de création, de production. C’est un metteur en scène qui compte sur le territoire, donc je l’accompagne sur une pérennisation de sa structure et de son travail. Cela consiste à aller chercher les subventions, l’argent, c’est de la vente aussi, c’est de la diffusion, où trouver les co-producteurs, etc. Donc de l’administration au sens large. Pour la compagnie Hors Série, je suis responsable de la production et diffusion, c’est-à-dire que je cherche les moyens (techniques, financiers) de créer et de diffuser. Pour les Taupes Secrètes, je suis juste sur la diffusion étant donné que l’administratrice ( Laetitia Faure ndlr) s’occupe de la production.
Pouvez-vous nous parler de vos études ? Votre parcours ?
Après le BAC, j’ai fait un BTS de publicité-communication parce que j’avais envie de développer la communication. Il s’avère que ce monde-là (la publicité) ne m’a pas plu du tout. Ensuite, j’ai été objecteur de conscience à l’ARSEC qui était l’Agence Régionale de Services aux Entreprises Culturelles qui est maintenant la NACRe à Villeurbanne. Donc j’ai fait mon objection là-bas en tant qu’assistant documentaliste (gestion du fonds documentaire sur les politiques culturelles mais aussi sur les compagnies, la création etc). C’est un lieu ressource. En parallèle, je suivais les cours en autonome : Licence, Maitrise, DESS d’administration des entreprises culturelles. Suite à ça, j’ai été embauché pendant dix-huit mois et on a eu une baisse de subvention et donc j’ai été licencié économique.
Ensuite je suis parti vivre en PACA, à Toulon où j’ai rencontré la compagnie Le Bruit des Hommes (compagnie de théâtre, implantée à La Garde dans le Var) qui cherchait un administrateur. J’ai commencé de fil en aiguille ! J’ai travaillé pendant 12 ans avec eux. Par la suite, je me suis ouvert à d’autres compagnies. J’ai monté ma propre association pour gérer les compagnies, tout en gardant le rôle d’administrateur pour Le Bruit des hommes et pour d'autres compagnies. Je suis allé jusqu’à 10 compagnies, et là c’était vraiment de la gestion, 10 compagnies ! Je faisais leurs payes et leurs comptabilités, leurs dossiers de demande de subvention ainsi que du conseil. La fatigue et l’usure m’ont amenées à chercher ailleurs.
J’avais vu « Faut qu’on Parle ! » d’Hamid Ben Mahi au Festival d’Avignon 2006. Nous nous sommes rencontrés, bon feeling ! Plus tard, l’opportunité d’intégrer Hors Série m’a été donnée (il cherchait un administrateur de production et diffusion). J’ai postulé et voilà, au revoir le sud !
Au bout d’un an, des différents m’ont fait quitter Hors Série. C’est là que j’ai rencontré Jean-Luc Ollivier du Glob et Philippe Rousseau pour les Taupes Secrètes. J’ai réintégré Hors série (en tant que responsable de la production/Diffusion, puisqu’il y a eu beaucoup de remaniement au sein de la compagnie) un an après, en conservant les deux autres compagnies. J’aime cette mixité des genres (danse, théâtre, écriture).
Mais il faut savoir qu’à Hors Série, on travaille en équipe avec Sarah Nighaoui (l’administratrice). On décide ensemble de stratégie commune à adopter, on va ensemble aux rendez-vous avec les diffuseurs. On travaille sur une dimension d’équipe.
Et pour ce qui est du travail avec Jean Luc Ollivier ?
Jean Luc était au sein du Glob (théâtre), puisqu’il est l’un des fondateurs historique, et c’était Bruno Leconte qui avait le rôle d’administrateur du théâtre et de la compagnie.
Jean Luc étant l’artiste metteur en scène de la compagnie du Glob. J’ai été recruté pour remplacer Marilyne Peter qui était chargée de la diffusion et de la production des spectacles. Comme la compagnie a quittée le Glob théâtre, mon poste a évolué de chargé de diffusion à administrateur.
Nous formons un tandem classique, Jean Luc m’accompagne dans les rendez-vous, il est présent pour défendre son projet mais tout ce qui est partie montage de dossier etc., c’est moi qui m’en occupe. Je prends la température, ses envies, ses désirs et la stratégie qu’il veut adopter et on la recadre ensemble, on en discute ensemble.
En règle générale, cette façon de travailler, en équipe et en accord, est commune à toutes les compagnies ? L’artiste se présente toujours aux rendez-vous avec l’administrateur ?
Moi je le recommande ! Aujourd’hui, un artiste comme Hamid Ben Mahi qui tourne beaucoup, a du mal à honorer tous les rendez-vous. Mais nous faisons en sorte qu’il soit présent systématiquement. Des rendez-vous plus techniques peuvent se passer de la présence de l’artiste, puisqu’une compagnie c’est un ensemble de personnes qui défendent le même projet.
Que ce soit pour les tutelles ou un théâtre, c’est la parole de l’artiste qui compte le plus. Généralement, lors d’un rendez-vous, c’est 80 % du temps de parole pour l’artiste, Après nous, administrateurs, sommes là pour parler finance, stratégie de territoires, d’implantation, des choses qui ne sont pas forcément évidente pour l’artiste. On vient plus en soutien. Nous sommes plus interrogés sur l’argent, sur les solutions trouvées, sur qui va nous accompagner sur la production, sur la diffusion. Tout ce qui est technique.
Quelles sont donc les qualités qu’il faut avoir pour ce métier ?
Les qualités ? Il faut être à l’écoute. Il faut être à l’écoute de tout et principalement de l’artiste (Encore faut-il qu’il parle). Mais aussi du paysage culturel dans lequel tu te trouves, le territoire. Comment ça fonctionne, comment les autres compagnies fonctionnent, comment elles avancent, comment elles évoluent. Comment les subventionneurs, les tutelles réagissent à ça, les théâtres aussi ! Très souvent, il faut être patient.
Il faut avoir l’ambition de son artiste, essentiellement, avoir l’ambition de son artiste. Il y a des artistes qui ont envie d’aller loin, haut, fort, et des artistes qui ont envie d’être à tel endroit, sans autre prétention, l’ambition n’est pas forcément la gloire. Donc être à l’écoute de ça et amener les artistes là où ils souhaitent être.
Vous avez travaillé pour plusieurs compagnies et dans des régions différentes. Comment s’est passé l’adaptation entre ses régions ?
Difficile. Difficile parce que entre la région Rhône Alpes qui était, à l’époque, assez dynamique, j’ai trouvé la région PACA très endormie malgré, et je dis bien malgré, que la région PACA soit la deuxième région de France, après l’Ile de France, en terme de nombre d’équipes artistiques et il y a très peu d’outils mis en place. Les politiques culturelles sont quasiment inexistantes ou invisibles pour des villes phares comme Marseille, Nice ou Toulon. L’ensemble des moyens sont dirigés vers les gros festivals de la région (Avignon, Cannes, Aix-en-Provence, Orange…) et ne profitent pas aux équipes artistiques locales.
Pour l’Aquitaine, ma grande surprise, c’est de constater que les équipes sont moins nombreuses mais il y a beaucoup plus de moyens. Par exemple, des outils comme l’IDDAC ou l’OARA, n’existent pas du tout en PACA. Il y a bien l’ARCADE qui est un peu le pendant de l’OARA mais qui n’a pas du tout la même mission, qui a plus une mission d’accompagnement, de conseils, d’écoute et centre de ressources. Il n’y a pas d’aide à la co-production, à la diffusion, il n’y a pas de mise en réseau non plus. Ce que sait très bien faire l’OARA ou l’IDDAC.
Ici ça parait beaucoup plus simple parce que plus construit, plus élaboré pour tout le monde. Les équipes artistiques ont l’habitude d’aller s’adresser au bon interlocuteur, au bon partenaire. D’avoir, effectivement, des lieux qui sont repérés, entre guillemets, destinés, généralement, à tel ou tel art ou telle ou telle forme artistique. Et les politiques culturelles sont plus claires (régionales, départementales, municipales). On a quand même la chance d’avoir sur chaque ville de la CUB des espaces culturels repérés et qui fonctionnent très bien.
Ce qui est le cas en PACA aussi, effectivement, il y a des centres culturels, des théâtres etc, mais il n’y a aucune politique culturelle qui s’inscrit dans la durée. Seule la DRAC semble pérenniser ses baisses de subvention…
C’est agréable d’être entouré par des équipes constituées, informées, et compétentes, que ce soit au niveau des équipes artistique, des tutelles ou des théâtres.
- Et au niveau personnel, est-ce compliqué de rentrer dans ce réseau ?
Non c’était simple parce que j’ai eu la chance de rentrer par la compagnie d’Hamid Ben Mahi, la compagnie Hors Série. Bien que rien ne soit toujours évident. Mais je pense que si j’étais arrivé seul en me disant « je veux trouver du travail sur Bordeaux », je pense que je serai toujours en attente. On me verrait aux spectacles et puis c’est tout.
Le fait de travailler pour ces trois compagnies ne crée par des conflits d’intérêts ?
Non parce que ce n’est pas les mêmes réseaux, ni les mêmes contacts pour une compagnie de danse que pour une compagnie de théâtre.
Pourtant Hamid Ben Mahi se dirige en ce moment vers le théâtre ?
Non, c'est un danseur et un chorégraphe. Même s’il introduit du théâtre dans ces spectacles ça reste un danseur. On est sur un réseau danse, on travaille sur la danse, d’ailleurs on est subventionné par la DRAC pour la danse. On n’est pas du tout, rarement, sur les mêmes contacts. Il arrive que je rencontre pour les mêmes compagnies les mêmes personnes (IDDAC, OARA, tutelles) et ça ne pose pas de problème les changements de casquettes. Les choses sont claires pour tout le monde.
Et donc entre Les Taupes Secrètes et Le Glob ?
Là encore on n’est pas sur les mêmes réseaux puisque Philippe Rousseau se définit en tant qu’auteur interprète alors que Jean Luc Ollivier est metteur en scène de textes existants. Philippe écrit ses textes et les joue. Donc on est plus sur des réseaux d’auteurs contemporains, ce n’est pas forcément des scènes nationales ou conventionnées théâtre, on est plus sur des réseaux livres, écritures.
Alors, effectivement, il peut y avoir et c’est arrivé, que pour ces deux équipes j’ai des rendez-vous avec le même théâtre. J’essaie dans ces cas là de me faire remplacer (pour les Taupes secrètes, c’est Laetitia Faure qui prend ma place) Dès qu’on peut éviter de mettre de la confusion, on échange de rôles, c’est plus simple.
Quelles sont les plus grandes difficultés dans ce travail ?
L’argent, essentiellement. Et je peux d’autant plus le confirmer que je suis en train de finaliser la saison prochaine pour Hors Série : les théâtres ont moins d’argent, il y a moins de subventions. La DRAC a coupé, effectivement, les subventions pour des festivals, des théâtres (on a l’exemple direct avec le TNT à Bordeaux).
C’est le nerf de la guerre donc si il y a quelque chose de compliquer c’est ça. Les compagnies se retrouvent en fin de course à être obligées de négocier (ou pas) pour tourner, puisque les critères de subventionnement sont entre autres basés sur la capacité à diffuser.
Et c’est le serpent qui se mord la queue. Comment diffuser, à un prix suffisant, en garantissant à l’équipe un salaire suffisant lui permettant de travailler dans de bonnes conditions pour pouvoir créer et diffuser ?
Depuis le temps que vous travaillez dans la culture, est-ce que vous trouvez que cela a changé et en quoi ?
Politiquement ça a changé, oui. Quand j’ai commencé à travailler dans le culturel, c’était encore sous Jack Lang, il était beaucoup plus facile d’être subventionné. Dès que des projets innovants apparaissaient, cela impliquait un investissement ministériel (on l’a vu avec les graphes, les tags des rues pour rentrer au musée). On aurait pu créer une délégation aux graphes, où à la performance à chaque nouveauté... C’était une autre époque, les politiques d’évaluation financières, nombre de spectateurs etc… n’existaient pas ou peu.
Quand je suis arrivé début 90 dans le Var, une compagnie était beaucoup mieux aidée au niveau des subventions qu’en Aquitaine. Par exemple, pour une compagnie en résidence triennale, donc en compagnonnage aujourd’hui, la ville qui accueillait la résidence mettait 35 000 euros, le département mettait 30 000 euros, la région 40 000 et la DRAC… pas grand-chose, quelque chose comme 7000 ou 8000 euros. Mais voilà, il y avait de vrais budgets conséquents. C’était l’héritage des « belles » années. Et le danger était de moins diffuser parce que, du coup, on n’avait pas besoin, financièrement, de faire tourner les spectacles. On en avait besoin artistiquement mais chaque année, on nous donnait les moyens de créer !
Je ne regrette pas forcément ces années là, je m’étonne juste de devoir faire autant, voir mieux, avec beaucoup moins de moyens. Il faut aussi prendre en compte le nombre d’équipes artistiques qui a fortement augmentées depuis… la part du gâteau n’a pas été proportionnelle.
Avec la compagnie Hors Série vous êtes amenés à voyager. Qu’est ce qui est différent par rapport à l’étranger ?
Essentiellement qu’à l’étranger, beaucoup de théâtres sont gérés par des entreprises privées. Par exemple, on a joué au mois de septembre en Espagne, le théâtre était géré par une fondation. C’est très courant en Espagne. Là par exemple, la compagnie Hors Série est en Suède pour trois semaines, là encore ce sont des fondations privés qui financent la tournée en collaboration avec le ministère de la culture suédois.
Humainement, pour nous, ce qui nous frustre, c’est que l’on part pour très peu de temps. On n’a pas le temps de rencontrer les gens, les publics, ni de s’imprimer d’un pays. C’est surtout frustrant pour l’artiste, et je le comprends parfaitement, pour lui ça n’a pas de sens, de faire autant de kilomètres pour jouer une fois et repartir s’il n’y a pas un lien autre.
Un workshop, un stage, je ne sais pas, au moins quelque chose qui ait du sens. Qu’il puisse se nourrir aussi des gens qu’il rencontre et des pays qu’il traverse. Donc j’essaye, en diffusion, quand on va à l’étranger, d’accompagner les représentations d’autre chose que juste une brève rencontre après le spectacle ou un bord de scène, donc j’essaye un peu plus.
Est-ce qu’il arrive que vous n’adhériez pas à des spectacles d’une compagnie que vous gérez ? Et dans ce cas-là, est-ce que ça ne pose pas de problème dans votre travail ?
Ca je sais ne pas faire, c’est très très compliqué. Ça ne m’est arrivé qu’une fois. Dans ce cas-là, je fais le strict minimum. Je ne peux pas appeler un diffuseur en lui disant : « J’ai le plus beau spectacle du monde » si je n’aime pas le spectacle. Faut être convaincu par le spectacle, par le propos, par ce qui se passe sur scène. Si je n’aime pas un spectacle mais que les gens l’adorent, je peux à la rigueur le revendiquer, je peux le vendre… Mais si, artistiquement, je ne m’y retrouve pas et que les gens n’aiment pas, je ne peux rien faire. Je peux juste envoyer les dossiers et après faire des rappels pour proposer des rendez-vous pour que le metteur en scène rencontre le diffuseur. Je l’accompagnerai mais je ne pourrais pas défendre ce qu’il fait.
Ca peut-être pour moi une raison de rupture avec l’artiste.
Pour conclure, comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
… C’est une bonne question ! Comment je vois la suite, je ne sais pas. J’ai des envies. Des envies de lieux, monter un lieu. Mais monter un lieu pour monter un lieu ça sert à rien. Je ne sais pas comment j’évoluerai. Je pense que mon évolution sera dépendante d’un artiste. C’est-à-dire que je vais m’impliquer sur l’artiste, si son projet c’est d’investir un lieu, j’investirai un lieu avec lui, je répondrais à mon envie aussi. Mais si son projet c’est de, je ne sais pas moi, avoir une tente berbère et faire toute la Gironde en tente berbère et que ça me convienne aussi… Je ne sais pas… c’est une affaire de projet artistique.
Je me laisse un peu « open » par rapport à ça. Je pense que je serai toujours dans la production, la diffusion et l’administration. Donc tout va dépendre. Après je me suis engagé avec Hamid et Jean-Luc sur quelques années, donc, à partir de là, on verra où je serai plus tard.
Entretien avec Jean-Yves Deman, par Claire Renard