Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Spectacle présenté au Théâtre des quatre saisons de Gradignan les 28 et 29 novembre
dans le cadre de Novart
La Dudapaiva Company
Duda Paiva, d’origine brésilienne, monte cette compagnie en 2004 aux Pays-Bas dans le but de marier le théatre, la danse contemporaine, la musique, la vidéo et l’art de la marionnette. Sa spécificité réside dans l’utilisation de marionnettes en mousse de caoutchouc qu’ils créent eux-mêmes. Cette matière ductile donne aux marionnettes une apparence humaine et vivante, ce qui permet d’élargir la palette de jeu de l’acteur. Cette compagnie œuvre à l’échelle internationale. Elle à son actif six spectacles, Screaming Object, Malédiction, Bestiaire, Morningstar, Angel, et Bastard !.
Duda Paiva
Duda Paiva, de son vrai nom Eduardo de Paiva Souza étudie d’abord au Brésil, en Inde et au Japon puis finit par s'installer aux Pays-Bas en 1996. Il entame alors une carrière en tant que danseur et travaille avec des compagnies et des chorégraphes. En 1998, il combine ses talents de marionnettiste et de danseur pour le spectacle Loot. Il passe alors peu à peu du statut de danseur à celui de créateur, puis finit par se consacrer à la manipulation de marionnettes. Il crée son propre monde théâtral où d'étranges personnages viennent se mêler à la danse. En 2004 Duda Paiva crée la Dudapaiva Company. Il se lance seul avec Angel, qui obtient un succès international et continue alors avec Morningstar . Duda Paiva crée une forme de chorégraphie où deux corps évoluent sous sa propre direction créant un combat de manipulation entre la marionnette et le danseur. (Source : site Evene : http://www.evene.fr/celebre/biographie/duda-paiva-29435.php).
Bastard !
Ce spectacle est librement inspiré du roman de Boris Vian, L’Arrache-Cœur. A l’image de cette œuvre, la pièce navigue entre absurde et réalité dérangeante grâce aux deux marionnettes qu’il manipule, soit Miss Clémentine et Bastard. On retrouve dans le personnage principal ce désir d’évasion, ce besoin d’échapper à sa condition, annihilé par la figure maternelle. Dans la pièce comme dans le roman, l’action se déroule dans un espace clos, intemporel et surréaliste, comme en atteste l'ouverture du spectacles sur les notes d’une chanson de Boris Vian, J’suis snob.
Nous découvrons le personnage principal sortant d’un sac poubelle au beau milieu d’un amas de déchets, muni d’une bouteille. Il fait alors la rencontre de Miss Clémentine, une vieille dame cul-de-jatte qui apparaît comme la maîtresse des lieux. Il se définit comme artiste. Elle lui présente alors Bastard, lui-même artiste déchu vivant dans ce lieu aux airs de sixième continent. Il exprime le besoin de sortir, et commence alors une quête vers la liberté, dans laquelle Miss Clémentine sera son guide. Dans cette recherche s’établit alors une relation intime entre les personnages, où le principal protagoniste s’apparente peu à peu à ces créatures.
© Duda Paiva Company
Quelques éléments d'analyse :
Comment Duda Paiva met-il en scène sa vision de l’Artiste dans notre société ?
C’est lorsque le personnage se présente comme « artiste » et déclenche alors le rire de Miss Clementine que s’ouvre la réflexion sur la condition de ce statut. De nos jours, être artiste c’est tout d’abord accepter le fait d’être dépendant du regard que la société porte sur soi. S’il n’est pas productif, inventif, disponible et que son art n’est pas jugé divertissant, il est oublié, mis à l’écart, à l’instar de Miss Clementine, errant dans cette déchetterie suite à la perte de ses jambes. Cette réflexion est mise en évidence par la scénographie que propose Duda Païva. Lorsque le spectateur regarde la scène, il ne voit que des déchets, des pourritures dont la vue procure un certain malaise. Le fait de voir les personnages vivre et parler dans ces conditions déplorables peut être mis en relation avec la société de consommation dans lequel le monde se jette. Dans un sens, cette scène presque écrasée par les ordures suggère une comparaison entre l’artiste déchu et cette déperdition.
Plus que la situation de l’artiste, Duda Paiva propose une vraie réflexion sur la condition de l’homme. C’est à travers sa quête vers la sortie qu’il apprend à connaître Miss Clémentine, qui désire danser une dernière fois, ainsi que Bastard, artiste réprouvé dont on apprend le désespoir. Ces deux personnages représentent la société, avec leurs rêves, leurs craintes, et leur manque d’affection. Des liens se forment au fil de la pièce entre l'artiste et ces créatures. Car dans cet espace qui lui est inconnu, il cherche ses repères. La relation qu'il entretient avec Miss Clementine et Bastard l'empêche de sombrer dans la folie, de s'abandonner à son sort. Ils se révèlent nécessaires à la route qu'entreprend l'artiste vers la sortie, vers la vérité, à travers cette étendue de déchets. Ceci met en lumière le besoin d'autrui, du contact avec d'autres êtres, auxquels l'humain se rattache, sur lesquels il s'appuie, poursuivant sa propre quête, celle de la réussite et du bonheur, dans un monde au sein duquel il est vite laissé pour compte.
La relation intime qui s'installe entre le principal protagoniste et Bastard révèle au spectateur et accentue la ressemblance entre ces deux êtres. Tous deux sont des artistes déchus, perdus en ce lieu mystérieux. De plus, ils découvrent mutuellement, avec le public, que leur ventre est semblable. Leur lien devient alors de plus en plus ambiguë. C'est à la fin de la pièce qu'une réponse est livrée. Miss Clementine offre alors à l'artiste la porte de sortie qu'il cherche depuis son arrivée dans ce monde. Lui disant ses derniers mots, elle l'appelle « Bastard », et la lumière s'éteint. On comprend alors que la sortie vers laquelle l'amenait Miss Clementine n'est autre qu'une prise de conscience. Le chemin sur lequel elle le guide depuis le début mène à la vérité : Bastard et lui sont la même personne, il est condamné à le devenir, s'il ne l'est déjà. La créature symbolise la dépravation à laquelle est en proie l'artiste.
L’intermédiabilité accompagne cette réflexion sur la condition de l'homme, notamment grâce à la vidéo présente tout au long de la pièce, favorisant la confusion entre imaginaire et réalité. Une tâche noire se promène sur l’écran de manière récurrente, puis finit par envahir l’écran, comme une épée de Damoclès, annonçant le dénouement.
© Duda Paiva Company
Extrait vidéo : Bande annonce du spectacle
Lien :
Site officiel de la Dudapaiva Company : http://www.dudapaiva.com/Main/home.html
Article réalisé par Hugo Antoine, Méguy Araujo et Thomas Buffet