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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte-rendu de krinomen - Au pied du mur sans porte de Lazare

 

Animation du krinomen du 4 décembre 2013 : Enzo Cescatti, Nina Ciutat, Adrien Poisbleau et Cindy Venant


Prise de notes et rédaction du compte-rendu : Juliette Dumas-Moreau et Marine Simon


 

Cette séance de krinomen s'est ouverte sur la présentation du parcours artistique de Lazare, auteur et metteur en scène du spectacle et directeur de la compagnie Vita Nova créée en 2006 à Paris. Au pied du mur sans porte fait partie d'un triptyque comprenant également Passé - je ne sais où, qui revient et Rabah Robert. Les animateurs de ce krinomen, Enzo, Nina, Adrien et Cindy, pour terminer leur présentation du spectacle, ont projeté la bande-annonce de ce dernier.

 

 

Le résumé de la pièce et la scénographie du spectacle

 

Au pied du mur sans porte relate l'histoire de Libellule, jeune garçon en difficulté qui se confronte au monde actuel. L'histoire est déconstruite, puisque nous assistons à des changements constants de lieux, de temps, de personnages (pourtant joués par les mêmes comédiens).

 

Dans la scénographie du spectacle, ce n'est pas un mais plusieurs espaces scéniques délimités par les lumières, qui nous offrent à voir différents espaces de jeu toujours en mouvement. Le spectateur est donc toujours contraint à faire un choix, celui de porter son attention sur tel ou tel autre espace de jeu, espace de jeu théâtral ou espace de jeu musical (des musiciens jouent sur scène). La scénographie est donc en perpétuel mouvement, Libellule et les spectateurs sont dans la même position, c'est-à-dire face à un monde qui ne prend pas le temps d'attendre.

 

Déjà à ce stade du krinomen, les avis étaient extrêmement divergents et la question du pourquoi cette scénographie s'est alors posée.

 

 

La place du spectaculaire et du poétique dans Au pied du mur sans porte

 

La scénographie d'Au pied du mur sans porte joue sur les espaces clos et ouverts et ce grâce aux lumières qui dessinent des aires de jeu sur le plateau. Il n'y a pas une ambiance générale, mais différentes lumières ponctuelles qui créent des espaces physiques et qui représentent aussi des espaces mentaux. La scénographie n'est pas réaliste, mais plutôt représentative du tourbillon dans lequel Libellule évolue et se débat. On sait que Lazare a créé cette pièce suite aux événements survenus dans les banlieues sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et l'instabilité de la scénographie, le déséquilibre présent dans tout le spectacle leur fait écho.

 

Lors de la représentation, quand le public entre dans la salle, les comédiens sont déjà sur scène, dansent, chantent, font en quelque sorte « n'importe quoi » et on peut y voir une annonce du fait que le public va devoir accepter ce « n'importe quoi ». Il y a bien dans Au pied du mur sans porte une logique narrative, mais très vite le spectateur s'égare, se perd dans ce fourmillement de mots, de mouvements, d'actions. Cependant, plusieurs étudiants se sont accordés sur l'idée que tout cela servait le propos et faisait alors ressentir au public ce que devait ressentir Libellule. En effet, la mise en scène cherche à établir une connexion entre le personnage principal et le public, les spectateurs sont invités à entrer dans son univers. D'ailleurs, à un moment donné, les comédiens vont dans la salle et embrassent certains spectateurs.

 

La musique, quant à elle, permet d’apaiser les moments de tension et de violence. Elle articule aussi entre elles certaines scènes, elle donne du rythme, une dynamique à la pièce.

 

 

Nina a ensuite fait remarquer que tout au long de la représentation, les comédiens jouaient toujours sur le même niveau de jeu, un jeu très énergique, et a demandé alors si cette manière de jouer ne créait pas l'effet contraire à celui escompté, c'est-à-dire un rejet du public envers le propos de la pièce. Les participants du krinomen ont alors formulé deux avis opposés. Pour certains, ce jeu et cette mise en scène toujours dans l'excès et sans variation de niveau provoquent un malaise et très vite amènent les spectateurs à décrocher. Pour eux, ce dynamisme devient vite dérangeant car il ne laisse pas de temps pour digérer et assimiler les informations, ce qui provoque une certaine frustration. Mais pour d'autres au contraire, ce dynamisme est complètement cohérent avec le propos car le monde, la société vont trop vite pour Libellule et donc pour le public aussi. De plus, ce dynamisme est également pour eux une marque de générosité envers le public, et il est impossible de ressentir de la lassitude face à ce spectacle grâce aux nombreux événements qui se passent sur le plateau tout au long de la représentation. En tout cas, on peut dire que ce choix de vitesse dans l'enchaînement des événements et d'excès dans le jeu et la parole est une réelle prise de risque, et il n'est donc pas surprenant qu'Au pied du mur sans porte ne fasse pas l'unanimité.

 

Les animateurs de ce krinomen sont également revenus sur les réactions du public lors des représentations : en effet, beaucoup de spectateurs ont quitté la salle pendant le spectacle. Ceci peut s'expliquer par le fait qu'Au pied du mur sans porte est un spectacle expérimental, qui joue avec les limites, ce qui est assez inhabituel dans la programmation du TnBA.

 

 

Au pied du mur sans porte : un acte social et politique de notre époque ?

 

Pour certains, l'intérêt premier du spectacle n'était pas le message politique mais le ressenti brut, la corporalité et la puissance du langage. Le but était de faire réagir le public. Pour eux, le spectacle était peut-être trop déconstruit pour saisir correctement le message politique. Ce que l’on retient surtout de cette pièce, c’est son aspect poétique, celui du langage et de la scénographie. Cependant, pour d’autres, le propos politique était bien présent mais par bribes. Effectivement, il y a beaucoup de choses à voir, de multiples éléments, et le message politique est induit par certains de ces éléments. Cette pièce est perçue comme un constat critique de la situation sociale transmis par la poésie du texte et de la mise en scène.

 

Cette histoire est en effet celle d'un garçon qui ne communique pas comme les autres et qui souffre de son rejet par la société. Au pied du mur sans porte parle de l'exclusion de certaines personnes face à une société qui va bien trop vite pour les comprendre. Le langage est décortiqué et les articulations sont exagérées, ce qui traduit une position politique car on s'attaque ainsi aux codes du langage et on remet en cause nos modes de communication. L’engagement est également dans le corps et dans la générosité du jeu des comédiens. Il est politique puisqu’il s’agit de se détacher du jeu standardisé, que l'on retrouve quasiment tout le temps dans les spectacles programmés par certains théâtres comme le TnBA.

 

 

« Mais n'y a-t-il pas un risque de stigmatisation de la "jeunesse" des cités et ses difficultés sociales et culturelles ? », a-t-il été demandé. Premièrement, cette pièce, qui n'est ni dans le réalisme ni dans le larmoyant, possède un côté assez onirique qui permet de prendre du recul. Et c’est ce recul qui empêche la stigmatisation. Toutefois, certains ont pu se sentir forcés de « penser quelque chose », quelque chose de nécessairement positif. Comme si le personnage très attachant de Libellule ne permettait pas de porter de jugement négatif sur lui, ce qui a pu être un peu gênant pour certains spectateurs. Certains enfin n'ont pas saisi le rapport avec la banlieue et pensent que la pièce aurait pu tout aussi bien s'inscrire dans un autre contexte que celui des cités. Pour eux, l’élément de la banlieue n’était pas nécessaire au propos.

 

 

En conclusion, Au pied du mur sans porte est une pièce riche, que ce soit en termes de texte, de jeu, de lumière, d’espaces scénographiques ou de sens. On peut donc parler d’un spectacle pluriel. Cependant, l’histoire de Libellule reste centrale et selon son auteur, le spectacle est politique mais pas politisé.

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