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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte-rendu de krinomen - Débat autour de la direction d'acteurs et de Ce nuage à côté de toi - Florence Vanoli/Jean-Luc Ollivier

Animation du krinomen du 20 novembre 2013 : Mélissa Mangnez, Marjorie Stoker, Léa Brossaud et Félix Houliat

 

Prise de notes et rédaction du compte-rendu : Marion Darcis et Charlotte Leduc

 

 

 

Présentation et déroulement du krinomen

 

Autour de la mise en scène par Jean-Luc Ollivier de Ce nuage à côté de toi, de Florence Vanoli, nous avons proposé collectivement des situations de répétitions que l’on avait vécues en tant que spectateurs à travers des temps de création. En nous appuyant particulièrement sur une répétition du spectacle de Jean-Luc Ollivier, nous avons ouvert le dialogue sur la direction d’acteurs. Par des réactions, des questions, des dialogues entre étudiants, des expériences partagées, le krinomen a pris tout son sens. En voici le compte-rendu.

 

 

Présentation de Jean-Luc Ollivier et de son travail sur Ce nuage à côté de toi

 

Jean-Luc Ollivier a fondé en 1980, avec les comédiens Martine Pont et Bruno Lecomte, la compagnie de théâtre universitaire « le Théâtre à coulisses », devenue aujourd’hui « la compagnie le Glob ». Après une période d'exploration de textes presque exclusivement contemporains (Pinter, Muller, Havel), Jean-Luc Ollivier s'oriente à partir de 1995 vers des créations plus inclassables. La scénographie devient fondatrice de l'oeuvre et Jean-Luc Ollivier assure à la fois cette scénographie, la mise en scène et la lumière de ses spectacles.


Cette même année, les murs d’une friche industrielle deviennent le Glob Théâtre. Le collectif anciennement nommé « Théâtre à coulisses » se propose, après les années nomades, d’allier la création à l’action culturelle, ouvrant les portes de ce nouveau lieu à l’invention et à l’échange. Ce mouvement, initié par la compagnie, permit au Glob de prendre sa place dans le paysage de la création à Bordeaux.


En 2009, la compagnie le Glob de Jean-Luc Ollivier prend son indépendance et se dote donc de sa propre structure juridique. La collaboration avec le Glob Théâtre se poursuit sous forme de résidences et de coproductions. Le Glob a, par exemple, accueilli Quartett en résidence en 2011, spectacle présenté en janvier 2013.

 

Le Glob a mené ces dernières années, sous la direction artistique de Jean-Luc Ollivier, un travail alliant la recherche scénique à la confrontation publique, le théâtre à la danse, la danse aux arts plastiques, les arts plastiques aux technologies numériques. Convoquant ainsi sur le plateau toutes les  disciplines artistiques pour la création d’un univers singulier, les spectacles ne sont pas pensés comme des schémas narratifs mais comme des structures poétiques, aux croisements des imaginaires.

 


Ce nuage à côté de toi :

 

« Entre caresse et morsure, un homme et une femme apostrophent la toute puissance du désir. Pour se parler, ils s'inventent une langue poème, capable d'abolir les frontières de leur histoire vieille comme le monde. Ils s'étreignent dans un souffle à visage de feu, miroir onirique, entrecoupé de cinglants retours à la réalité. »(texte de présentation du spectacle)

 

Pour ce spectacle, tout part du texte. Florence Vanoli, écrivain, poète, dramaturge et animatrice d'ateliers d'écriture, habituée à écrire de la poésie, a voulu se jeter dans l'aventure du théâtre. Elle écrit donc Ce nuage à côté de toi. Jean-Luc Ollivier, ami de celle-ci et réticent face à cette initiative, a finalement trouvé l'écrit de Florence Vanoli intéressant. « Ce qui m'a séduit à la première lecture du "nuage", en plus de son envoutante beauté, c'est son caractère en apparence inclassable. Cela semblait déjà de bon augure. Par sa forme même, il se donnait à lire comme de la poésie ; lu, il s'incarnait immédiatement et sa musique était déjà du théâtre  », affirme Jean-Luc Ollivier dans le dossier de présentation du spectacle.


Jean-Luc Ollivier a souhaité travailler avec deux jeunes comédiens sortis de l'ESTBA. Roxanne Brumachon devient donc sa comédienne. Tous les comédiens masculins de l'ESTBA étant en création, il choisit de travailler avec Victor Moze, un ancien élève du conservatoire avec qui il avait déjà travaillé.


Le travail du nuage débute au Glob en novembre 2012, par quinze jours de résidence et des lectures publiques qui confirment l'engouement pour le projet. Six mois se passent après ses lectures et le travail reprend au cours de l'été 2013. Imaginé en novembre 2012, ce spectacle n'a finalement été créé qu'en automne 2013.

 


Pour l'amorce du débat, interventions de Félix puis de Mélissa. Jeté de feuilles ! Petites mises en scènes reprenant des répétitions de Jean-Luc Ollivier et sa direction d’acteurs, puis une autre scénette d’une autre facette possible du directeur d’acteurs, plus “dirigiste”.

 

A la suite des séquences de répétitions mises en scène par les étudiants de M2 pro, le dialogue s’ouvre avec l’assemblée des étudiants présents. Lors de ce krinomen, les échanges définissent dans les grandes lignes le travail d’un directeur d’acteurs. Ils définissent aussi le rapport qu’il peut exister avec un metteur en scène et proposent différentes manières d’entreprendre la profession, d’exercer ce rôle au sein d’une équipe artistique.

 

 

 

Questions/réponses, dialogues entre étudiants sur la direction d’acteurs

 

 

En tant que comédiens, comment aimeriez-vous être dirigés ?


Il est intéressant de laisser proposer l’acteur puis de venir ressourcer son jeu en tant que directeur d’acteurs. Il faut laisser de l’espace au comédien afin qu’il trouve une aisance dans son corps et dans sa parole. L’acteur est comme un couteau suisse, aux multiples facettes. Il faut le guider, le conduire. Cela dépend aussi du moment de la répétition, il faut peut-être laisser l’acteur plus libre au début, puis être plus directif au fur et à mesure.

 

=> Diriger/orienter/conduire/guider

 

 Ces observations conduisent les étudiants à affirmer que c’est agréable pour un acteur de savoir que le metteur en scène sait ce qu’il veut, où il va, et qu’il l'invite par là à suivre ces directions. Diriger, c’est orienter l’acteur. Diriger, c’est peut-être aussi décider donc savoir où l’on va, donner un canevas très précis, puis dans ce canevas donner du champ à l’acteur. Les temps de préparation/ création à la table peuvent être utiles pour donner des pistes à l’acteur.


=> Diriger/orienter ≠ diriger/décider

 

 

Tout metteur en scène doit-il être un "dir-acteur" ?

 

A la suite de cette première question qui offre un premier aperçu sur le rôle d’un directeur d’acteurs, une autre question est soulevée par un étudiant : quelle est la différence entre un metteur en scène et un directeur d’acteurs, et pourquoi les différencier ? Ou bien tout metteur en scène doit-il être un “dir-acteur”?


Des étudiants répondent que le directeur d'acteurs est un peu comme un chef d'orchestre de l’équipe d'acteurs. Il gère, conduit, oriente, accompagne les comédiens. Il fait un “focus” sur les comédiens en particulier, tandis que le metteur en scène, qui serait plutôt un créateur d’images, travaille sur l’ensemble du corps scénique, il n’est pas axé exclusivement sur l’acteur. En prenant appui sur le cinéma, on peut remarquer que parfois, une bonne mise en scène (réalisation) est accompagnée par des acteurs moins bons (direction d’acteurs).

 

D’autres étudiants pensent que le metteur en scène  est normalement aussi un directeur d’acteurs. Plus on divise les tâches, moins c’est clair et moins on est crédible dans notre rôle de conducteur explicité auparavant. Quoi qu’il en soit, être metteur en scène et/ou directeur d’acteurs, cela requiert probablement un savoir-faire et un savoir-être.



Quelles seraient selon vous les qualités requises pour être un bon directeur d’acteurs ?


A cette question, les étudiants répondent en faisant référence au cinéma, les acteurs sont comme des « bouts de chair ». C’est le metteur en scène qui amène l'acteur à la transformation. Cela renvoie à la question de l'acteur libre, qui doit proposer d’abord des solutions seul, et/ou du metteur en scène, qui doit emmener, conduire l'acteur. Etablir une relation de confiance avec l’acteur pour qu’il ne se bloque pas. Il s’agit avant tout d’être à l’aise.


Selon Jean-Marie Broucaret (Théâtre des Chimères, Biarritz), le metteur en scène établit une "stratégie". Partant de cette formule, les étudiants argumentent. Il s’agit de voir alors la mise en scène comme une bataille ou une partie d’échecs. Cela sous-entend une certaine organisation. Le metteur en scène/ le directeur d’acteurs a conscience d’un trajet (premières recherches, puis recherches ensemble sur le plateau). La stratégie de J.-M. Broucaret est de s’adapter à la personnalité des acteurs pour les amener à ce qu'il veut afin qu'ils y arrivent tout seuls. Il s’agit alors autant pour le directeur d’acteurs que pour l’acteur de donner et de recevoir. Ceci sans perdre de vue que la mise en scène et la direction d’acteurs dépendent finalement du projet artistique, des choix que l’on fait, de ce que l’on décide.

 

Dans ce cadre, stratégie et patience semblent alors être à l’image d’un jeu entre le directeur d’acteurs et l’acteur. L’acteur a aussi sa stratégie, en proposant des choses, il peut “débloquer” un metteur en scène de son idée. Il peut lui permettre de prendre du recul vis-à-vis du projet artistique. Le metteur en scène, lui, est le seul à avoir une vision d'ensemble. Il peut trouver, développer une stratégie pour transmettre l'image à l’acteur. Il est en quelque sorte un stratège, un coordinateur qui avance ses pions pour surprendre le comédien, pour le faire jouer différemment de ce que pense le comédien. Il peut développer des tactiques, trouver une démarche, un processus, une méthode.

 

Les étudiants font ensuite des parallèles avec le travail d’animation auprès d’un jeune public, ils expliquent que la ruse et le jeu sont des “tactiques”, des “techniques” pour rentrer en relation avec ce public.

 

=> Stratégie = diplomatie = pour le comédien 



Comment cela se passe-t-il pour une mise en scène collective ?


En ayant pris connaissance du travail de mise en scène des étudiants de Licence 3 théâtre sur la pièce de Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert, la question de la mise en scène collective est soulevée. Les étudiants de Licence 3 expliquent le fonctionnement de la création : ils sont divisés en trois sous-groupes et tout le monde doit être metteur en scène, chacun a une scène à traiter, à diriger. Les scènes sont toutes séparées afin que chaque étudiant puisse être plus libre dans sa direction d’acteurs, qui peut alors être plus personnelle. Il y a en définitive une certaine forme de “non cohérence”, même si le projet final réunit chaque extrait.


Mais le statut du metteur en scène, du dir-acteur, est différent selon les sous-groupes. Deux d’entre eux ont un metteur en scène, ouvert aux propositions de ses acteurs, mais qui a finalement le dernier mot. Le dernier groupe privilégie la direction collective. A chaque fin de séance de répétition, les observations et réactions sont faites communément aux trois groupes. Cela permet de garder un certain recul quant au travail final.

 

La direction collective a suscité beaucoup de questionnements et de réactions dans l’assemblée. Quelques étudiants de L3 présents ont alors témoigné de leur expérience présente. La notion du temps est visiblement en questionnement: en matière de recherches, de propositions, émergent des choses très intéressantes, mais cela fait perdre du temps. “Ça prend du temps, mais au final tout le monde se construit et le spectacle aussi. C’est le prix à payer.”, affirme l'un d'eux.


Caroline Saugier rebondit alors sur ces propos plutôt valorisants pour la mise en scène collective. Le spectacle “Partage de midi” de Paul Claudel, mis en scène collectivement par cinq comédiens au Festival d’Avignon en 2008, avait suscité de vives critiques. L’”échec” du spectacle était alors mis sur le dos de la mise en scène collective. La mise en scène collective sort des sentiers battus, ça ne s’est jamais vu et les critiques ne se font pas attendre. Un étudiant évoque le travail de la Compagnie ZUR. Tout le monde lance son idée (les techniciens, les comédiens...). C’est un vrai capharnaüm mais au final, ce mode de fonctionnement crée des spectacles très rythmés.


Par les différents commentaires, des notions politiques et philosophiques sont abordées. “C’est une façon de penser”. Le “politico-idéologique” est très présent dans les choix. Un spectacle est conçu sur un fond de valeurs.


On était parti d'une réflexion générale, prenant pour base l’animation (avec des enfants par exemple). Et on en est arrivé à penser que les choses doivent être fixées, concernant la méthode de travail, dès le début de la création. Il faut qu'on se mette d’accord sur la manière d’aborder la création communément. La base d’un projet n’a pas forcément de règles fixées, mais plutôt des bases communes.


Pour creuser le questionnement sur la mise en scène collective, une autre question est suscitée : est-ce que, en étant extérieurs à la pièce collective, nous sommes aptes à la comprendre ? Certains étudiants ont alors opposé l’aventure humaine d’une création collective au narcissisme habituel d’un spectacle composé par un seul metteur en scène.  Mais d’autres réactions se sont fait entendre : un seul regard, une seule voix permettrait de mieux rentrer dans le spectacle. Réflexion non convaincante pour d’autres étudiants : “un metteur en scène seul peut parfois être complètement incompréhensible”, a-t-il été affirmé.  

 

La création collective d’un spectacle n’est pas reniée par ceux qui défendent la mise en scène individuelle, mais elle est vue comme une idée utopiste. Face à cette position, les défenseurs de la création collective défendent le fait que tout spectacle peut être monté collectivement et que c’est avant tout une question de répartition des rôles. Quoi qu’il en soit, le fait que la création soit collective ou conduite par une seule personne n’est pas nécessairement déterminant pour la création finale. Le succès d’un spectacle réside avant tout dans le projet artistique.

 

 

Un dir-acteur doit-il avoir été acteur pour diriger ?


Cette question a suscité des réactions diverses. Selon un premier point de vue, oui, car par son expérience d’acteur, le dir-acteur peut guider l’acteur corporellement. Il a expérimenté lui-même. Selon un autre point de vue, le dir-acteur n’a pas forcément besoin d’avoir été acteur pour être compétent. Il peut agir en tant qu’oeil objectif, il peut avoir un point de vue même s’il n’est pas lui-même acteur.

 

Finalement, il apparaît qu'un dir-acteur peut avoir ou non une expérience en tant que comédien et être compétent. En effet, à partir du moment où il respecte chaque discipline, le dir-acteur sans expérience de comédien peut être légitime. Il n’est pas obligé d’avoir eu une pratique de jeu car sa légitimité réside dans le fait de savoir s’ouvrir aux acteurs pour les comprendre et ainsi ne pas les brusquer. Savoir prendre les compétences du comédien pour pouvoir mieux l’orienter ensuite.


Un dernier point a été soulevé. Bon nombre de metteurs en scène ont à l’origine une expérience de comédien. En référence, Joël Pommerat a été cité. Il est devenu metteur en scène car il n’avait pas aimé la manière dont il avait été dirigé auparavant.



En définitive, tous les auditeurs de ce krinomen ont en tête que la direction d’acteurs suscite beaucoup de réflexions. Diverses questions ont été posées pour animer le débat, mais beaucoup d’autres sont venues, au fur et à mesure, des étudiants. Les avis divergent et se rejoignent parfois. En résumé : il y a autant de directions d’acteurs que d’acteurs.

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