Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Animation du krinomen du 20 février 2014 : Ivana Raibaud, Gala Moreau, Laura Seaux, Rachel Masurel.
Prise de notes et rédaction du compte-rendu : Sébastien Milon, Margot Leydet-Guibard
Le krinomen a débuté par une illustration visuelle du spectacle (certains animateurs ont commencé par « s'échauffer » dans la salle, puis le teaser du spectacle à été projeté, retraçant les moments clés du spectacle), ainsi que par un bref résumé de la pièce et de son contexte.
La pièce est née d'un voyage à Cuba, en 2012, et de témoignages récoltés là-bas, mais aussi de témoignages de Français. Les participants (Cubains et Français) parlaient de leur Histoire, de leurs visions du monde, de leur culture... A eu lieu, en suivant, un travail d'écriture textuelle (réalisée par Laëtitia Andrieu, comédienne proche de la compagnie, et Thibault Lebert, le metteur en scène) et corporelle (par la danseuse Lauriane Chammings). En automne 2013, le spectacle est abouti et présenté dans le cadre du festival desTranslatines.
La pièce mêle ainsi différents types de textes, (parlés et/ou traduits par écrit dans l'autre langue) : comme des témoignages, des contes, des dialogues entre les personnages ; avec plusieurs formes de langages corporels comme la danse, mais aussi des échauffements sportifs, de la course, des mouvements répétitifs et saccadés... Tout cela dans un espace quasiment vierge, avec seulement des chaises et des projecteurs autour de la scène (le dossier de presse mentionne d'ailleurs de la scénographie comme« Un lieu anonyme. Un No man’s land vierge de toute identité »). Bien qu'il existe dans ce spectacle des personnages définis, avec leurs histoires et leurs échanges, la pièce n'est pas dans une idée de continuité, de linéarité du dialogue. Elle est composés de fragments, qui n'ont pas forcément de liens directs entre eux.
Quelles relations entretiennent la danse, le texte et la scénographie dans le spectacle ? Comment la pluridisciplinarité du spectacle se justifie-t-elle ? Quels sont les liens logiques reliant les différents partis-pris de la mise en scène ?
L'alliance de la danse avec le texte aurait pu être un simple moyen de diversifier la forme du discours tenu, de servir la thématique globale du texte (comme dans Ce nuage à côté de toi, présenté également au Glob théâtre la même saison, où la danse soutenait la poésie). Le texte n'est pas sans liens avec la danse : on peut constater des correspondances (comme l'impossibilité pour les européens d'atteindre la sérénité, qui se retrouve plusieurs fois illustrée par des mouvements secs, saccadés). Cependant, il apparaît clairement, d'un avis commun que, dans ce spectacle, l'incorporation de la danse se révèle essentielle, inséparable de la teneur des thématiques développées. Le corps est l'une des thématiques principales abordées dans ce spectacle. Effectivement, le rapport au corps à Cuba (et notamment le rapport à la danse) est très popularisé, bien plus qu'en France. Il y a une certaine liberté du corps, l'absence des contraintes physiques européennes : les corps sont bien moins figés, bien plus souples qu'en Occident. Le metteur en scène mentionne qu'à Cuba, le corps « parle » au moins autant que les mots : c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le cubain, celui qui danse, privilégie l'expression du corps, et parle moins qu'elle et lui, européens (qui, au contraire, seront comme enfermés dans leur corps). On peut en effet remarquer que le cubain danse durant une bonne partie du spectacle, alors que le jeu corporel d'elle et de luipeut sembler s'apparenter plus à des exercices sportifs ou à des mouvements saccadés qu'à une prestation fluide, une danse ''travaillée'', voire professionnelle. On peut alors voir cette danse comme une mise en exergue de la différence du cubain, qui témoigne par le corps, alors que les deux autres se cantonnent presque uniquement à la parole. D'ailleurs, l'européen demandera au cubain : « tu peux arrêter de danser ? ».
Une dissemblance se manifeste ici, entre corps et texte, pouvant aider à la compréhension du spectateur : en effet, si les fragments de dialogues énoncés par un même comédien n'ont parfois aucun rapport entre eux, chaque acteur expose une corporalité bien définie, qu'il maintiendra constante jusqu'à la fin. Ainsi, le spectateur relie chacun des trois personnages présents par intermittence dans le dialogue à une corporalité définie dès le début, et tenue jusqu'à la fin. On voit donc que le corps tient une place importante dans le spectacle, il est d'ailleurs mis en mouvement dès le début : quand les spectateurs entrent dans la salle, les acteurs s'échauffent tous les trois.
Que pensez-vous de la dramaturgie du spectacle par rapport aux enjeux posés par le metteur en scène ?Est-elle en accord avec les thèmes abordés ?
La dramaturgie semble d'un avis commun justifiée, intéressante par son rythme discontinu, son irrégularité de thèmes et de tempo, elle veut s'approcher de la vie réelle, elle aussi plurielle et changeante. Lerythme du spectacle cherche à retranscrire la vie, du moins son rythme. D'un avis général la danse, comme le texte, ne tiennent pas un discours intellectuel : le spectacle cherche en effet la simplicité, la proximité avec la vie réelle.
Toutefois, cette pièce est un spectacle pluriel, et on peut remarquer que sa compréhension l'est aussi. Ainsi, toutes les idées contenues dans ce spectacle peuvent être comprises comme éludées. Tout d'abord l'idée que ce spectacle soit un amas de témoignages peut être perçue dès le déroulement du spectacle, ou seulement après réflexion, comme elle peut être aussi totalement absente chez certains spectateurs. La thématique du voyage peut aussi, parfois, être vue comme un lien entre le texte et la danse.
Une autre perception divise également les spectateurs : la pièce peut être vue clairement comme la confrontation de deux cultures bien distinctes : Cuba et la France, et de l'impossibilité de communication qu'il en résulte ; quitte peut-être à en rendre une vision un peu convenue. Elle peut au contraire apparaître sans sa dimension interculturelle, et faire plutôt penser à la thématique de « l'être en société », les différentes façons qu'ont les individus pour appréhender la vie sociale. Le cubain est donc parfois perçu comme foncièrement différent des deux autres ; selon d'autres points de vues, tous trois sont séparés à égale distance par trois visions très différentes du monde.
Enfin, le thème de la recherche du bonheur est lui aussi diversement perçu dans le spectacle : pratiquement toujours distingué chez la jeune femme, il peut parfois être moins évident chez les deux autres personnages. Chacun pourtant à un but : l'un veut voir la neige, l'autre veut partir vivre en forêt, le troisième rêve pendant longtemps de voyager. Le discours tenu voudrait-il affirmer que le bonheur est dans le voyage ? De toutes manières, cela est nuancé par l'européen, qui à la fin du spectacle se rend compte que son plaisir, c'est de rester où il est.
Comment les spectateurs sont-ils invités par les acteurs ?
Plusieurs facteurs peuvent permettre aux spectateurs de se sentir proches des comédiens. Tout d'abord, le fait qu'il n'y ait pas de coulisses, que tous les comédiens sont sur le plateau, tout le temps, même dans les moments où ils ne sont pas ''actifs''. On les voit souvent assis sur une chaise quand leur tour de parole est passé, écoutant, buvant, s'étirant, accomplissant des actions effectuées en coulisses dans les pièces plus traditionnelles. Ces postures, où les comédiens ne jouent pas, tranchent avec les moments où ils jouent.
Les techniciens visibles sur les côtés de la scène, derrière leurs écrans, apportant ou reprenant sur scène les micros, contribuent eux aussi à casser les barrières de la scène, et à rapprocher le public des comédiens. Il y a une volonté d'unifier le public avec les comédiens, en considérant les deux catégories en une seule : celle des humains partageant des émotions, des pensées, des sentiments vrais, dans la simplicité d'une rencontre.
Les témoignages dans le texte peuvent eux-aussi participer au rapport intime souhaité entre comédiens et spectateurs, d'autant plus que les comédiens s'adressent majoritairement directement au public, faisant fi du quatrième mur.
Dans le jeu corporel, les différentes actions quotidiennes effectuées semblent elles aussi avoir pour but de se rapprocher du public, en montrant l'ordinaire, l'insignifiant ; en un mot le réel.
Toute cette recherche d'un jeu naturel et de l'effacement des barrières scène-salle, est accentuée par la jauge restreinte de la salle, apportant encore une proximité entre public et acteurs.
Toutefois, les ressentis du public n'étant pas unanimes; on peut penser que certains éléments du spectacle nous éloignent de cette intimité, qui pourrait s'avérer être voulue par la mise en scène. Tout d'abord, l'apport du micro peut s'avérer être une barrière à l'adresse directe au spectateur. En effet, le micro amplifie et donc déforme la voix, amoindrissant le naturel de l'échange.
Par ailleurs, les autres formes textuelles telles que le conte ou le dialogue, sont beaucoup moins appropriées pour la connivence avec le spectateur. De plus, certains témoignages se répondent, formant ainsi un dialogue entre deux personnages, se rendant ainsi plus hermétiques au public.
La danse, contrairement à d'autres formes corporelles utilisées (tels les exercices d'échauffements), agit comme une autre barrière : elle peut mettre à distance le spectateur, car c'est une forme esthétique, travaillée. Loin d'être naturelle, elle est toujours destinée à être vue en tant que spectacle et non pas en tant qu'action banale, quotidienne (en tout cas en France).
De plus il y aurait des raisons de douter du véritable, du réel visé dans cette pièce, car un comédien tient toujours un rôle sur scène. En effet, s'il joue le naturel, il n'est pas pour autant naturel, ce ne sera toujours qu'un jeu, qu'un effet recherché. C'est aussi pourquoi le rapprochement avec le spectateur peut s'avérer difficile dans certains cas.
Que dire des surtitres et de leur traitement ?
Le sur-titrage de certaines paroles du Cubain et des Français peut gêner, tout d'abord à cause de la barrière instaurée, encore une fois, entre la scène et la salle : en effet, le sur-titrage vient s'interposer entre les paroles des comédiens et la réception du public. Le spectateur n'accède pas directement aux mots de l'acteur, il passe par l'intermédiaire de l'écrit. La traduction par un autre comédien pourrait donc peut-être s'avérer judicieuse.
De plus, il peut être agaçant de penser que le metteur en scène voudrait « synthétiser » la pensée du public, filtrer les informations qui lui arrivent. Le fait est que ce sur-titrage est reformulé, condensé, par rapport à ce que dit réellement l'acteur. Le metteur en scène choisit donc pour le public les informations qu'il trouve importante, ne laissant pas la possibilité aux spectateurs de le faire eux-même.
Cependant, l'essentiel ne serait-il pas seulement de comprendre l'idée générale véhiculée par le texte ? Le fait que le texte ne soit pas traduit en entier ne permettrait-il pas au contraire de se recentrer sur le ressenti auditif, sur l'aspect sonore des mots, plutôt que sur leurs sens ? Cela pourrait permettre le voyage du spectateur, comme s'il était immergé dans un pays étranger, où il ne comprendrait pas le sens de toutes les paroles, mais où il pourrait profiter de la sonorité des mots.
En mettant de côté cette importance du sensible, de l'audible ; la communication du Cubain ne se fait-elle pas essentiellement par le corps ? Ses paroles seraient donc un ajout facultatif à la pièce, l'important dans son message étant contenu dans sa danse. Il a aussi été évoqué que le fait que le sur-titrage soit très court par rapport au monologue dit, pouvait créer un effet amusant, voire comique.
Quels commentaires proposer du titre Donc en résumé, je continue à rêver... ?
Cette phrase est extraite d'une vidéo filmée à Cuba, où on voit un témoignage d'un Cubain parler de sa vie dans laquelle ses rêves sont restés en l'état. La vidéo se termine par la phrase de cet homme : Donc en résumé, je continue à rêver... Elle peut être vue dans le sens d'une phrase de conclusion, de résumé du spectacle ; ou simplement un rappel de la fin, où aucun des personnages n'arrive à concrétiser ses rêves, son idéal de bonheur. On peut aussi penser que c'est l'état dans lequel le metteur en scène voudrait que les spectateurs soient, après la pièce.
La thématique du rêve dans le texte paraît évidente. Il n'y est pas question de grands rêves universels mais plutôt de petits rêves individuels du quotidien ; ce qu'est le bonheur pour chacun. Le bonheur, serait-ce le rêve, serait-ce se libérer de la réalité, d'où naissent toutes sortes d'impossibilités (ici la difficulté des communications semble évidente), en rêvant d'idéal ? En effet chacun rêve de ce qu'il n'a pas, ou ne peut pas faire : le cubain rêve de neige, la jeune femme de la ville voit son bonheur dans la forêt, le Français aspire pendant longtemps à des voyages qu'il n'arrive pas à faire... Finalement, on peut penser que ce spectacle veut inciter le spectateur à la réflexion sur les divers thèmes abordés, sans pour autant tomber dans un théâtre profondément intellectualisé.
En conclusion, dans la pièce, la danse et le texte s'équilibrent. Donc en résumé, je continue à rêver...est une pièce pluridisciplinaire, qui cherche la simplicité dans l'échange. Le spectacle semble être un amas de petits bonheurs individuels rêvés et peut inciter le spectateur à poursuivre le s questionnements et la rêverie entamés dans la pièce.
Sources :
Avants-papiers :
http://krinomen.over-blog.com/article-donc-en-resume-je-continue-122606270.html
http://krinomen.over-blog.com/article-donc-en-resume-je-continue-a-rever-partie-2-122632094.html
Liens pour le dossier de presse :
http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/4/41/60/55/Cliquez-ici.pdf
Lien pour la vidéo filmée à Cuba :
http://www.cdsonges.com/article-carte-postale-de-cuba-matiere-brute-102081104.html