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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte rendu de Krinomen - Le sacre du printemps par Roger Bernat

 

 

 

 

Compte rendu du krinomen du 23 janvier 2012 sur Le Sacre du printemps mis en scène par Roger Bernat

 

 

Krinomen animé par Hannah Lèbre, Leslie Vignaud, Nolwenn Trouvé et Hui Min Leow.

 

Le dispositif scénique de ce krinomen faisait référence au spectacle en question,  une délimitation de scotch blanc représentait le pré, Hui Min faisait office de parole étrangère, comme la narratrice du spectacle, et l’espace de l’équipe technique était illustré par l’emplacement des scribes, Flora et Guillaume.

 

Après une rapide description de la mise en scène, le débat s’est ouvert lorsque les participants ont affirmé que 80 % d’entre eux avaient vu le spectacle. Les animateurs leur ont alors demandé ce qu’ils avaient fait durant ce spectacle. Ce qui est ressorti de ces interventions est le fait que certains ont dansé, en reconstituant de façon simplifiée la chorégraphie de Pina Bausch. D’autres ont vécu l’expérience en tant qu’acteurs du spectacle.  Enfin, une part des participants a ouvert une discussion sur l’approche de la danse dans ce spectacle, celle-ci ne demandant pas de technique spécifique, rendant la participation aisée. Quelques remarques ont été faites sur une éventuelle approche ludique de la danse, ainsi que sur un manque d’outils pour comprendre les gestes dans ce spectacle.

 « Il y a quand même une approche de la danse classique. C’était une expérience pédagogique et ludique. Même si je ne savais pas à quoi correspondait le mouvement donné il semblait y avoir une signification. Il me manquait des clés pour comprendre cela. » 

 « C’était des mouvements clairs qui nous étaient donnés, par exemple le fait de se poignarder le ventre. A partir d’un vocabulaire simple on refaisait toute une chorégraphie. »

Les organisateurs du débat ont ensuite proposé un autre axe de discussion autour de la place de la danse dans ce spectacle. « Avez-vous dansé ? »

Deux avis principaux se sont distingués. Une partie des participants a considéré qu’ils avaient réellement dansé. 

« C’est nous qui faisions le spectacle et je voulais voir l’effet dansant, je voulais voir ce que ça donnait mais ça aurait détruit l’effet dansant si je m’étais arrêtée.»

D’autres ont souligné le fait qu’ils ne se sentaient pas danseurs, mais en tant que spectateurs ils voyaient un spectacle de danse.

« Avec les indications que j’avais, je n’avais pas l’impression de danser mais quand j’ai vu Aurore sur le plateau, je voyais quelqu’un danser. »

Certains ont créé une opposition en soulignant que pour eux, plusieurs éléments faisaient qu’ils n’avaient pas dansé.

« C’était de l’exécution de mouvements les uns après les autres, ce n’est pas de la danse. »

Des participants ont eu le sentiment de seulement exécuter des gestes demandés. Plusieurs ont mis en avant le fait que le casque qui donnait des informations sur les sentiments à avoir (exemple : « sentez de la douleur »), les empêchaient de rentrer dans une danse. Ils étaient selon eux en manque de liberté pour interpréter les consignes données sous forme de danse. Il a aussi été souligné que le temps de danse entre les trois groupes, et personnages, était mal réparti, ce qui créait une inégalité, voire une frustration de ne pas pouvoir en faire plus.

 « Je faisais partie des groupes inactifs, je suis donc sorti frustré car je me suis moins pris au jeu. »

 

Une intervention sur la difficulté ou non d’entrer dans ce jeu de spectateur-acteur a donné lieu à plusieurs réponses.  Il a été souligné que le mouvement de groupe facilitait l’oubli d’une certaine pudeur. D’autres au contraire, sont intervenus sur la question d’un public non professionnel qui pourrait être gêné de danser avec des personnes inconnues.

 

Il a été abordé la question du mouvement en collectif ou en solitaire dans ce spectacle, ce qui a permis de se questionner sur l’œuvre de Pina Bausch. Par la suite, l’explication de l’œuvre du Sacre du printemps, son historique ainsi que les différents chorégraphes qui l’ont monté, ont été abordé. Ensuite, le débat s’est porté sur la liaison entre la chorégraphie de Pina Bausch et ce spectacle.

 Certains ont vu une liaison avec la chorégraphie, ou avec la philosophie de Pina Bausch, que ce soit par le fait de faire danser des non professionnels de tout âge, ou par la liberté et l’imagination qu’offre ce spectacle et qu’impliquent les chorégraphies de Pina Bausch.

 «  Pina Bausch avait fait par exemple un spectacle avec des adolescents, puis avec des personnes  âgées, donc ici ça reprend ce concept, tout le monde peut danser. » 

« On retrouve dans le spectacle la sobriété, l’imagination, qu’on peut avoir dans les chorégraphies de Pina Bausch. Le spectateur peut se libérer, être dans l’action. Je me suis sentie spectatrice, tout en participant beaucoup. »

D’autres en revanche n’ont pas vu de liaison entre les deux spectacles, et ont envisagé la fait que le concept aurait pu fonctionner avec une autre œuvre.

 « La proposition reprend la philosophie de Pina Bausch mais le concepteur aurait pu prendre n’importe quelle œuvre, c’est un support pour que le public s’amuse. »

 « De dire que tout le monde peut danser ce n’est pas la même chose que donner des indications dans un casque. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir la notion de groupe et c’est pourtant ce qui est important. On n’est pas amenés vers la danse, on n’y va pas. Il n’y a pas les conditions, c’est plus comme un amusement. ». 

Certains spectateurs n’ont pas vu de liaison avec l’œuvre du Sacre du printemps elle-même.

« On me dit que j’ai dansé Le Sacre du printemps, mais à part faire des gestes c’est tout ce que j’ai fait, et regarder les autres faire des gestes, c’est tout ce que j’ai vu. ».

 

Suite à ces remarques, la discussion s’est orientée sur la diffusion de la musique de Stravinsky et de la narration dans les casques des spectateurs-acteurs. Ce qu’il en est ressorti est que la narration apportait du sens à l’œuvre, ainsi qu’à la compréhension du spectacle.

 « La voix était une façon de nous plonger à l’intérieur du Sacre du printemps. »

Au contraire, pour d’autres participants le casque fut jugé isolant, rompant le mouvement de groupe. Il a aussi été souligné que la voix et son texte étaient nuisibles, et que par ce système la musique n’était pas assez mise en valeur. 

 « On passe à côté de la musique, on ne l’entend pas, cette voix est affreuse, et pourtant la musique est magnifique. » 

 « J’ai mal entendu la musique. Je ne sais rien du Sacre du printemps, au final on ne l’avait pas. »

 

L’intervention d’un participant a orienté le débat sur le type de ce spectacle.  Certains ont associé celui-ci à un atelier de création, d’autres à une performance, expliquée par le glissement du spectateur à l’acteur.  D’autres ont rejeté le spectaculaire dans cette mise en scène par le manque de certains éléments, notamment les costumes.

 

 

Un des animateurs a ensuite cité le metteur en scène qui à la question « Pensez-vous libérer les corps et les esprits embrumés par la routine quotidienne, le stress, la crise à travers cette performance ? » répond : « Oui […] nous sommes dans une société où les esprits et les corps sont dirigés par de grands médias […] Je pense qu’il faut aujourd’hui repenser la démocratie qui nous aliène et nous rend extrêmement passifs. » (Source : Sortir en Provence le 15/10/2011). Cette citation du metteur en scène a permis d’engager une réflexion sur la place de la liberté dans ce spectacle.

Pour une partie des participants au débat, ce spectacle leur apparaissait comme une manipulation, et ce, principalement par la voix qui donnait les indications. La liberté de mouvement fut donc mise en cause.

« J’aurai très bien pu avancer, faire une danse, improviser, mais là on me dictait quelque chose. La liberté de mouvement et de danse était dictée. » 

 « Je me suis retrouvée à faire la biche apeurée, parce qu’on m’a dit dans mon casque de le faire, et puis je me suis arrêtée et j’ai regardé les autres en me rendant compte de ce que j’étais en train de faire. Je me suis sentie obligée de faire la biche apeurée, alors que je n’en avais pas envie. » 

« Par rapport à la notion de performance, pour moi ça questionne le groupe, la vision de l’humain en société. Au final on nous manipulait, on nous a dit qu’on était libres mais les gens nous utilisaient pour faire leur propre conclusion. »

 

A l’inverse, pour d’autres participants, le libre arbitre menait ce spectacle.

 « Je ne me suis pas sentie contrainte, personne ne savait ce qu’il y avait dans mon casque. Du moment que tu as des indications mais que tu peux dire non, il y a anonymat. »

« On retrouve dans le spectacle la liberté d’interprétation que Pina Bausch voulait dans ses spectacles. On était libres de faire le mouvement comme on voulait, mais il faut respecter l’œuvre donc ne pas faire n’importe quoi. Les danseurs de Pina Bausch s’inspirent de mouvements du quotidien, leur personnalité devait ressortir quand ils dansaient. Bernat a respecté ça. »

 

Pour certains, ce spectacle met en avant la liberté d’échange entre spectateurs.

 

 « On parlait de la notion de liberté. Pour moi il y a liberté socialement parlant, il n’y avait pas de barrières. J’ai posé les deux mains sur le ventre d’un homme que je ne connaissais pas. Il y avait de l’échange entre les gens. »

 

Ce dernier thème évoqué, l’ « échange entre les gens », a orienté le débat sur la notion de collectif, voire de communauté.

Pour certains, ce thème questionnait la participation commune du public à un même projet. Pour de nombreux participants cette question est résolue par le sujet même du spectacle, le sacrifice d’une femme par des villageois.

 « La collectivité est inscrite dans la dramaturgie de la pièce. Ce sont des villageois qui doivent élire une personne pour un sacrifice. »

Pour d’autres, la question de la collectivité est inscrite dans la chorégraphie de Pina Bausch.

 « Mais c’est aussi une œuvre pour plusieurs danseurs, on retrouve l’esprit de collectivité. »

D’autres participants affirmaient que la communauté n’existait pas dans ce spectacle, notamment par la division du public en trois groupes.

« On a l’impression de recréer une communauté, mais c’est quelque chose de factice. »

« Il y a quelque chose de personnel, on recrée chacun son Sacre du printemps avec sa compréhension. Mais je n’ai pas eu le sentiment de groupe, on ne se soutenait pas, c’était seulement un  effet de masse. »

 

Le débat s’est conclu par diverses questions ouvertes, notamment sur la place du rite dans ce spectacle, puis sur la question du sacrifice métaphorique réalisé par un public, et donc de sa question éthique. Et enfin, de la possibilité du choix d’une autre œuvre que Le Sacre du printemps, qui accentuerait la question de la collectivité.

 

 

Bien que certaines questions soient restées sans réponse,  nous avons réussi  à traiter les questions de la place de la danse, de la liberté, de la communauté et de la place de l’œuvre de Stravinsky et de Pina Bausch dans ce spectacle. Si les avis de l’assemblée ont pu être divergents sur l’ensemble de ces thèmes, il ressort tout de même que le concept de la proposition de Roger Bernat, le public-acteur, a été l’élément référent du débat, prouvant l’intérêt qu’il a pu suscité.

 

 

Compte-rendu réalisé par Guillaume Prikhodko et Flora Vernaton

 

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