Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Le krinomen débute par une introduction présentant brièvement le metteur en scène, le spectacle, par un rappel essentiellement historique sur le vaudeville et très rapidement par un portrait de Georges Feydeau. S'ensuit la description de la scénographie faite par l'assemblée.
Rappelons seulement ici que Machine Feydeau se compose de quatre extraits de vaudevilles de Feydeau : Notre futur, Tailleur pour dames, L’Homme de paille et Dormez je le veux.
Description de la scénographie
Lorsque le public s’installe et découvre la scène, il peut constater la présence de quatre portes, deux en avant-scène et deux autres en arrière-scène, l'une côté jardin et l'autre côté cour. Remarquons l'absence de rideau, remplacé par une grande porte coulissante qui rend visible la salle de réception. Cette porte est fermée au début. Ce décor est celui que les spectateurs voient dès le commencement de la pièce, mais quelques minutes plus tard, lorsque les comédiens entrent sur scène, de nouveaux objets viennent s’ajouter à la scénographie. En effet, les comédiens vont alors faire des allers-retours entre la scène et la salle de réception et apporter divers meubles, tels que : une table basse, des chaises, un lampadaire, etc. Ces derniers se font constamment déplacer d’un endroit à un autre, voire se font retirer du plateau. Tout cela consiste à créer un jeu avec ces objets.
Par la suite et plus précisément après l’entracte, le public observe un changement dans la disposition du décor : il y a désormais cinq portes. Ces cinq portes sont réparties sur la scène de la manière suivante : les deux portes en avant-scène n’ont pas changé de position, les autres portes sont rattachées les unes aux autres face aux spectateurs, formant ainsi en arrière-scène un mur. Ce mur à trois accès cache un nouvel espace de jeu duquel les comédiens sortiront au fur et à mesure de nouveaux éléments de décor (table, chaises, réfrigérateur, etc.). La dernière partie pas encore évoquée est l’écran, présent durant la totalité du spectacle et qui sera d’une grande utilité à la scénographie.
Tous les éléments ont leur importance. L’une des idées scénographiques de la pièce est d’utiliser la vidéo et les lumières comme éléments majeurs de la pièce. Ceci se ressent dès le début grâce à l’écran géant qui domine la pièce, faisant découvrir ce qu’il se passe dans les endroits qui ne sont pas visibles par les spectateurs, comme la salle de réception où les comédiens jouent également, ou ce qu’il y a derrière le mur en deuxième partie de spectacle. Cependant cet écran n’est véritablement utilisé que dans la première partie du spectacle (jusqu’à l’entracte donc) et à sa toute fin.
Vers le milieu de la pièce, le mur formé par les trois portes sert lui aussi d’écran où est projeté en direct ce qu’il se passe derrière. Ainsi, les comédiens présents à l’intérieur semblent faire face au public alors qu’en réalité, ils regardent la caméra face à eux. D’ailleurs, quand un nouveau personnage fait son entrée dans cette salle, il traverse cet « écran » en passant par la porte centrale, ce qui crée un effet d'étrangeté : alors qu’il passe par la porte, il semble apparaitre comme par magie dans la vidéo et la perspective du personnage qu’a le public ne semble pas avoir changé … C’est juste comme s’il se retournait.
De plus, s’ils sont attentifs, les spectateurs auront noté l’absence totale de coulisse. En effet, si un personnage doit sortir de la scène, il n’a que deux solutions : soit il repart dans la salle de réception hors du champ de vision des spectateurs, soit il passe par une des portes situées à l’extrémité de la scène. Cette astuce permet aux comédiens de revenir par l’endroit même où ils sont sortis sans vraiment sortir de la pièce pour autant.
Le débat du krinomen porte sur quatre thèmes principaux, qui entraînent des discussions endiablées. Pour commencer, c'est l'exploitation de l'espace puis le rapport entre la scène et la salle qui anime l'assistance, ensuite la question de l'actualisation des pièces de Feydeau, et pour finir, celle de l'impression d'unité ou bien de collage donnée par Machine Feydeau.
L'espace a-t-il été bien exploité ?
Il y a consensus dans l'assemblée : tout le monde s'accorde à dire que l'espace a effectivement été très bien exploité, à tel point qu'on en vient à penser que la scénographie devient un accessoire et, de ce fait, support de jeu. La scénographie utilise aussi bien la profondeur (le hall d'entrée du TnBA, et même la rue) que la hauteur (écran suspendu). La pièce envahit tout le TnBA, le hall, la régie, les gradins et la rue, grâce à l'entrée et à l'espace public en arrière, qui devient alors espace scénique. Ce dispositif ouvert sur l'extérieur implique le risque de l'aléatoire. En effet, un soir, un vieil homme passant devant la baie vitrée du théâtre s'est arrêté pour regarder l'étrange événement qui se déroulait à l'intérieur. Il s'est arrêté tellement longtemps que certains spectateurs ont cru qu'il faisait partie du spectacle.
En envahissant les gradins, les acteurs rompent avec la convention de la séparation scène/salle. La pièce comporte également plusieurs plans propices au jeu : le son, puisqu'on entend les pas des acteurs arriver avant qu'ils ne soient visibles, l'image et même le reflet de l'image dans la vitre, d'où une pluralité de dimensions. Les acteurs font en sorte que le public investisse lui aussi l'espace en l'invitant à venir sur scène. De plus, la salle est aussi éclairée que la scène, ce qui met en avant la présence assumée du public. La faible distinction entre la scène et la salle est telle qu'une comédienne, effectuant la tâche de l'ouvreuse, se confond parfaitement avec celle-ci.
Le fait que ce soit le spectacle de fin d'année des élèves de l'ESTBA qui, durant leur formation, passent tout leur temps dans ce bâtiment devenu intime, donne du sens à cette large exploitation du lieu. Le logo du TnBA est lui aussi employé en fond de la vidéo. On peut imaginer une volonté de la part du metteur en scène de leur faire profiter de ces locaux investis au maximum. A ce moment du débat, on nous révèle que le spectacle a été créé pour le TnBA. Ainsi, le processus de création est en cohérence avec l'utilisation de l'espace que nous venons d'évoquer. Certains ajoutent que, si le spectacle n'avait pas eu lieu au TnBA, il n'aurait pas eu les mêmes résonances.
Le rapport entre la scène et la salle favorise-t-il/dessert-il la complicité entre les comédiens et les spectateurs ?
Bien que beaucoup d'éléments de cette question aient été abordés dans la première partie du débat, elle est approfondie. On a vu précédemment que les acteurs donnaient à voir un milieu qui leur était intime, « leur seconde maison ». Le public ne peut que se sentir invité face à la complicité que les acteurs dégagent entre eux. Ces trois heures de spectacle sont en fait trois ans de la vie de ces derniers au sein du TnBA. D'ailleurs, on entend les acteurs dire : « vous êtes nos invités ». Ils regardent constamment le public et même lorsqu'ils s'adressent à un autre personnage, leur posture est orientée face public. Cette position de double adresse peut s'avérer dérangeante puisque certains spectateurs ont été perturbés par l'absence de quatrième mur que cela implique.
Le spectacle s'appuie sur des références populaires comme celle de la télé-réalité. D'une part, cela accentue la proximité entre spectateurs et acteurs puisque la pièce a alors recours à un langage et à des références communs. D'autre part, il apparaît comique de jouer façon « Star Académie » au TnBA. L'ironie de ce spectacle est que, pour entrer à l'ESTBA, les candidats passent un casting. A la « Star Ac' » comme à l'ESTBA, on recherche des personnalités ! De ce fait, Machine Feydeau joue sur l'auto-dérision. Une question s'est alors posée : jusqu'à quel point le spectacle porte-t-il cette auto-dérision ? En effet, le choix des rôles est fait en fonction des physiques des comédiens : « être grosse et être prise parce qu’on est grosse ». Cela n'enfermerait-il pas les comédiens dans le propre rôle ?
Par ailleurs, une impression d'exutoire se dégage : les comédiens ont suivi une formation classique remplie de codes mais désormais, ils peuvent se permettre de s'amuser avec ces codes, comme ils le font, par exemple, avec Le lac des Cygnes. Compte-tenu de leur amusement avec les conventions, on assiste à un spectacle sans prétention où prime le jeu.
Le débat se recentre enfin sur la question initialement posée, puis est relevé un bémol durant la deuxième partie du spectacle. En effet, l'utilisation d'un mur et de la caméra met à distance la scène et la salle. Les comédiens jouent de dos et davantage entre eux plutôt que pour le public.
Machine Feydeau, actualisation de Feydeau ?
Dans cette partie du débat, on note plus de divergences dans les propos. Certains expriment l'idée que, dans l'imaginaire collectif, le vaudeville passe pour un genre poussiéreux qui aurait besoin d'être actualisé. A cela, d'autres rétorquent que la Machine Feydeau relance la machine vaudevillesque en l'actualisant. Certains ajoutent : « ça été déjà vu mille fois, donc ça marche plus, donc on joue le cliché ».
Les différentes pièces reposent sur un principe de légèreté, exactement comme à leur époque – il n'y a pas d'actualisation à ce niveau-là. L'actualisation repose sur certains moments de jeu où l'on peut reconnaître des références propres à notre génération, telles que le cartoon ou l'humour « british », avec notamment la musique de Benny hill. En bref, la pièce recherche l'humour en-dehors des codes vaudevillesques. Les modifications du texte relatent des faits actuels, notamment lorsque les acteurs parlent du président de la République, de l'i-Boat, du trouble de l'identité ou encore de l'homosexualité. Dans la forme même du spectacle, l'utilisation de la vidéo est un point d'actualisation et de modernité. A contrario, on peut relever des éléments définissant le vaudeville original, par exemple : les portes qui claquent, le rythme soutenu, etc., sans lesquels le vaudeville ne fonctionne plus.
La question des costumes suscite beaucoup de réactions. Certains pensent qu'ils relèvent du côté « bling-bling » de la société d'aujourd'hui (casquette, tee-shirt à paillettes, etc.). D'autres y voient un style hipster qui est propre à la génération des comédiens en jeu, comme si ces habits étaient sortis tout droit de leur placard. Les costumes témoigneraient donc d'une cohésion avec leur époque et non d'un choix esthétique. Se poursuit alors un débat, une réflexion, autour du choix ou non d'un travail sur les costumes qui, malgré leur hétérogénéité, formaient un ensemble.
Le débat s'axe ensuite sur la distribution censée être égalitaire (étant donné que c'est un spectacle de fin d'année) et qui, en réalité, ne l'est pas. En effet, l'une des comédiennes n'a que très peu de texte comparé aux autres, celle qui joue la « godiche », tandis qu'un autre est au contraire starifié, celui qui joue « le mari ». Cependant, ce n'est pas parce qu'un acteur a moins de texte qu'il devient moins important. La godiche, par exemple, apporte à la pièce un décalage. Chaque comédien a une place à part entière dans le spectacle. De plus, le montage des quatre pièces permet de faire jouer tous les acteurs. Un modérateur précise qu'effectivement le metteur scène a fait le choix de mélanger différentes pièces, notamment pour la répartition du texte.
Avez-vous perçu la pièce comme un « collage » de quatre pièces ou l'ensemble formait-il un unité cohérence ?
Deux positions distinctes s'affirment. D'un côté, l'impression d'unité ressort grâce aux bonnes transitions et aux rappels d'une pièce à l'autre. Le mot « fusion » apparaît pendant le débat pour définir cet ensemble sous forme de déroulement logique. La première scène donne les codes aux spectateurs (les personnages, le décor, l'ambiance et l'esprit de la pièce), la suite ancre dans l'histoire jusqu'au final. A la manière d'un film choral, la superposition des quatre pièces aboutit à une seule et même image.
Au contraire, pour d'autres, le collage des différentes pièces n’apparaît pas pertinent puisqu'il rompt le rythme si cher au vaudeville et casse l'histoire au départ complexe. Le spectateur est perdu dans cette histoire sans fin puisque la dernière pièce, Tailleur pour dames, est coupée avant le dénouement. Il reste alors sur sa faim à cause de cette double fin.
La discussion se clôt sur l'ouverture : Feydeau d'accord, mais pourquoi Machine ?