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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte-rendu de krinomen - Patrice Chéreau

Avant-papier et animation du krinomen : Enzo Cescatti, Nina Ciutat, Marine Simon et Daphné Ricquebourg

 

Prises de notes et compte-rendu du débat : Méguy Araujo et Juliette Dumas-Moreau

 

 

Autour de Patrice Chéreau

 

 

© Gabriel Duval

 

 

Pour ce Krinomen, les animateurs ont distribué à chaque étudiant une citation, de Patrice Chéreau, Pascal Greggory, Richard Peduzzi, Vincent Pérez ou encore Gérard Mortrier, comme support au débat, afin d’appuyer ou contredire certaines réflexions, et créer ainsi une dynamique à l’animation.

Le krinomen a été illustré et rythmé d’extraits de captations de pièces de théâtres, d’opéra, de travail au plateau … Les étudiants avaient également à disposition des recueils sur Patrice Chéreau, ses Œuvres, quelques films et captations.

 

Tous ces éléments ont permis aux étudiants de participer à l’échange, sans pour autant s’être renseigné auparavant, en effet certains n’avaient jamais visualisé de captations de ses spectacles, ni vu de films… Cependant, la majorité des élèves avaient vu La Reine Margot.

 

Présentation

 

Patrice Chéreau naît en 1944, issu d’une famille d’artistes peintres, il est très vite attiré par les arts plastiques. Inscrit au groupe théâtral du Lycée Louis-Le-Grand, il côtoie des futurs grands noms du théâtre tels que Jérôme Deschamps, Jean-Pierre Vincent. Cependant, il n’excelle pas au plateau. Désireux de trouver sa place, il s’attelle à la technique, assiste à des répétitions, notamment celles de Roger Planchon ou encore de Brecht et passe ses journées à la cinémathèque.

 

Les débuts d’un homme de théâtre

 

Ses mises en scène au groupe théâtral de Louis-le-Grand (L’Intervention, V. Hugo ; L’affaire de la rue de Lourcine d’Eugène Labiche ; Fuente Ovejuna, de Lope de Vega) commencent à le faire connaître. En 1966, on lui propose la direction du Théâtre de Sartrouville, en banlieue parisienne. Il n’a que 22 ans. Il s’intéresse à des auteurs moins classiques (Jakob Lenz, Dimitriadis, Hanqing), mais « le déjà visionnaire » Chéreau voit très grand et Sartrouville se transforme en gouffre financier, gouffre qu’il mettra vingt ans à éponger. Parti en Italie, il prend la suite de Giorgio Strehler au Piccolo Teatro de Milan, où il monte Dorst, Marivaux, Wedekind. Revenu en France, on lui propose la co-direction du TNP, déménagé à Villeurbanne, avec Roger Planchon, son ancien maître. C’est là qu’il monte en 1973 La Dispute, de Marivaux qui déclencha un raz-de-marée artistique : « […] on ne réfléchira, on ne dira, on ne montera plus jamais Marivaux de la même manière » titrent les journaux.

 

Un homme d'opéra

 

Trois ans plus tard, il monte Der Ring des Nibelungen, la fameuse Tétralogie de Richard Wagner, le « Ring du centenaire », à Bayreuth (Festival d'opéra consacré à Wagner). Lors de la représentation, les forces de l’ordre interviennent, empêchant les projectiles d’atteindre la scène et les saluts nazis intempestifs de certains membres du public, qui ne supportent pas la « dénazification » de Wagner. Chéreau ne comprend pas.

Quatre ans plus tard, en 1980, ce même spectacle, repris dans la même Maison, reçoit un accueil exceptionnel : l’œuvre n’a jamais été autant appréciée. Le soir de la dernière, 90 minutes de « standing ovation » et vingt-deux rappels achèvent ce cycle et ouvrent à Chéreau une carrière internationale. En quatre ans, il aura révolutionné la mise en scène Wagnérienne.

« J’ai toujours pensé que j’avais raison. Autrement, je n’en serais pas là ! »

 

Le débat

 

Pour commencer le débat, nous avons proposé à un étudiant présent dans l’assistance de lire la citation qu’il avait reçue :

« Je pense toujours qu'il faut laisser le doute habiter le théâtre, qu'il faut se poser tous les jours la question : est-ce que tout cela sert encore à quelque chose ? »

 

Cette citation relève l’interrogation constante qui caractérisait Patrice Chéreau. L’art a-t-il un sens ?

A-t-on besoin de trouver un sens à l’art ? Est-il nécessaire de se justifier ?

Selon Patrice Chéreau, nous n’avons pas besoin de réponse, seulement de se poser la question.

 

Le rapport au comédien

 

Dans un second temps, le débat porte sur la relation qu'entretient Chéreau avec ses comédiens. Pour cela les animateurs projettent un extrait d'une répétition avec de « Dans la solitude des champs de coton » où il interprète le rôle du dealer et Pascal Greggory celui du client, ainsi qu’un extrait de répétition de « La Maisn des Morts ».

On remarque de suite que ce metteur en scène accorde une grande importance aux gestes et à leur coordination. Un des animateurs fait remarquer que Chéreau pratiquait l'escrime dans son enfance, de là viendrait peut-être son grand intérêt pour la coordination et l'expression des gestes.

En ce qui concerne l'extrait de théâtre, l'impression que nous avons partagé en regardant le passage choisi : Patrice Chéreau est avec les comédiens sur le plateau "comme un entraineur de foot avec son équipe". Et cette impression se concrétise : d'une part en voyant Chéreau évoluer sur le plateau au milieu des comédiens, d’autre part dans ce qu’en dit Pascal Greggory :

« Le métier d'acteur est le plus solitaire qui soit, celui de metteur en scène est de combler cette solitude. Patrice, en quelque sorte, m'a sauvé de ce vide et il a su aussi, dans cette profonde détresse, que je répondais à ses manques, qui sont la marque d'un génie. »

La particularité de ce metteur en scène est qu'il accompagne physiquement ses comédiens dans le geste ou dans la direction. Il chercher la précision, il veut que le comédien ressente et transmette.

Pour ses comédiens, il donne l'impression qu'il n'est pas seulement un metteur en scène mais un guide psychologique, qu'il effectue avec eux une "recherche intérieure" et qu'il accompagne plus qu’il ne dirige. Il suit le mouvement du comédien et ce dernier se sert des impulsions physiques de Chéreau. Il y a une véritable transmission d'énergie.

 

Pour l'opéra, le ressenti des étudiants face à la projection était différent.

L'impression générale est que Patrice Chéreau semble plus directif qu'au théâtre, qu'il recherche moins la finesse d’expression qu’au théâtre.

Plasticien "d'origine", Chéreau donne l'impression qu'il dispose les corps comme un peintre dispose les couleurs pour sa toile. On sent qu'une idée précise de là où il veut emmener ses comédiens le guide et il ne laisse pas autant de place ou même de choix aux chanteurs qu'au comédiens.

Mais la question du corps et de sa psychologie se retrouve aussi dans l'opéra.

Lorsqu’on le regarde travailler on pourrait croire que Chéreau dirige avec en tête un but, qu’il sait où il va, et quel sera le résultat.

Sa direction d’acteur dans le cas du cinéma n’est pas psychologique mais qu’elle touche à une dynamique intérieure du personnage, comme le fait au théâtre. Le geste est seulement moins instinctif.

 

"Je n'ai jamais pensé que la mise en scène est un art démocratique" Chéreau

 

Patrice Chéreau a une approche très humaine de ses comédiens, il recherche la complicité pour aider à créer.

Précisons aussi qu'il aimait travailler avec les mêmes personnes, ce qui peut expliquer sa façon de diriger.

 

Le metteur en scène avoue, dans J'y arriverais un jour qu'il est difficile de diriger un acteur, puisqu'ils sont tous différents. Certains de ses comédiens lui ont demandé de se taire et de les laisser faire sans aide de sa part, et il les en  a remercié.

 

En quoi peut-on parler d’une œuvre transversale  (Théâtre, Cinéma, Opéra) ?

 

Trois extraits ont été diffusés afin d’illustrer cette question :

         Dans le solitude des champs de coton (Théâtre)

         La Reine Margot (Cinéma)

         La maison des morts (Lyrique)

 

« Il s'agit en effet d'une œuvre dans son ensemble, parce qu'il est difficile de réduire cet ensemble à une spécialité, ou de l'assigner à un territoire déterminé : construite entre littérature, cinéma et opéra, il s'agit en effet d'une œuvre en circulation »

 

Patrice Chéreau, fils d’artistes peintres, s’est d’abord intéressé aux arts plastiques. Il dessinait après la lecture de textes, les décors, des mouvements… durant toute sa carrière, il a été influencé par ses débuts plastiques, offrant des œuvres fortement picturales. Ses débuts artistiques l’ont beaucoup influencé dans sa carrière, ce qui contribue au caractère transversal de son œuvre.

 

Cinéma

Après avoir diffusé un extrait de La Reine Margot (disponible en lien ci-dessous), nous avons relevé le caractère très pictural de ses plans, la collision des montages… Patrice Chéreau n’est pas impressionné par les différentes prises de vue possibles, au contraire, il essaye de toutes les exploiter dans le but de servir son intention cinématographique.

Dans l’œuvre de Chéreau, tout geste est une parole. Nous pouvons penser au « oui » de la Reine Margot lors de son mariage, par exemple. Si nous retrouvons dans son cinéma des traits du théâtre, nous pouvons noter quelques ressources dont le théâtre manque. En effet, l’enchaînement à un rythme soutenu des plans d’une même scène. Il lui apporte une forme de brutalité, qui correspond parfaitement à la tension instaurée. Il a toujours retravaillé ses plans minutieusement lors des montages. La musique vient s’y  superposer, soutenant ce rythme brut.

 

http://www.youtube.com/watch?v=yUN62okdADo

 

Patrice Chéreau dira : « Le théâtre prend son temps là où le cinéma coupe et ne retient que des morceaux »

Le montage cinématographique donne une intensité que le théâtre n’a pas.

 

Patrice Chéreau a insufflé de l’humanité dans le cinéma, dans son travail avec les comédiens, où il y a un travail sensible, à un moment où la technique se développait à grands pas. Il s’agit d’un souffle qui n’a pas pour autant révolutionné le cinéma. En effet, « le cinéma Patrice Chéreau » n’a pas perduré dans l’histoire du cinéma, il n’a pas marqué au point d’influencer les cinéastes l’ayant suivi. Son côté « théâtral plastique » a insufflé de l’humanité, sans pour autant influencer son futur.

 

Opéra


Concernant l’opéra, c’est le mot « circulation » de la citation précédente qui revient. En effet, dans l’entrée du chœur, Chéreau a fait travailler les interprètes de façon à ce que le spectateur ne voit qu’une masse envahissant l’espace, en faisant des petits gestes, ce qui donne l’impression d’un grouillement humain et choral. La circulation évoque le mouvement, les contrastes liés au mouvement. C’est là ce que Patrice Chéreau fait ressentir au public lorsque les corps entrent. Il a su faire un travail de gestion des corps du chœur considérable. Le chœur est un groupe que l’on fait souvent entrer maladroitement sur un plateau. Patrice Chéreau a instauré un véritable travail de composition, dans une musicalité spatiale, où les tensions ne sont pas écartées. On peut par exemple s’interroger sur : Que peut-on écrire avec les corps ? Que peuvent-ils transmettre ?

 

Lorsque Patrice Chéreau a monté son premier opéra, Der Ring des Nibelungen, de Wagner, à Bayreuth, il a, afin d’étudier le livret, effectué un travail à la table avec les chanteurs lyriques, comme il l’avait toujours fait avec des comédiens de théâtre,. Il a ensuite abordé un travail de direction au plateau avec les chanteurs, leur proposant une nouvelle interprétation, une nouvelle vision.

Le soir de la première, le public n’adhère pas et débute ainsi une révolte. Les forces de l’ordre ont du intervenir afin de faire cesser les jets de projectiles. Certains spectateurs ne pouvant s’empêcher de faire le salut nazi, ne supportant pas la « dénazification » de Wagner.

Quatre ans plus tard, Chéreau présente à nouveau le spectacle, dans la même Maison. Il s’agit d’un franc succès, le soir de la dernière, le public offre 90 minutes de « standing-innovation » et vingt-deux rappels.

En quatre ans, Chéreau révolutionne la mise en scène Wagnérienne, nous sommes en 1980.

 

Une des questions que Patrice Chéreau s’est souvent posée, concerne les entrées et sorties des acteurs. Il a pu l’expérimenter à l’opéra, mais cela sert également le théâtre. Il considérait les entrées et les sorties comme plus difficile. Il a expérimenté la sortie à reculons, on ne voyait ni entrer, ni sortir les acteurs, du moins le spectateur ne s’en rendait pas compte.

 

Le rapport aux textes

 

De nombreux étudiants ont l’impression que Chéreau s'attarde surtout sur le corps et le personnage, le corps et son intention, le corps et son  émotion et ils ne perçoivent pas dans un premier temps son intense rapport au texte.

on rappelle lors du débat à ceux qui ne le savaient pas que c'est lui qui a fait découvrir les textes de Koltès et qu’il a monté quatre de ses pièces. Selon Chéreau, c'est la direction d'acteur qui nourrit le comédien, et celui-ci à son tour nourrit le texte.

Cela montre que ce metteur en  scène était profondément investi avec le texte et non juste un homme « derrière la scène ». Certains prétendent qu'il a éduqué son public, qu'il l'a dompté, l’a amener à les faire apprécier son travail.

 

Dans La douleur de Margueritte Duras, on peut voir que Patrice Chéreau portait une grande attention aux textes. En effet cette pièce repose sur une seule comédienne, quatre chaises et un bureau. L'actrice lisait le texte tout en lui donnant une intensité, un but, une âme.

 

Quel héritage nous a-t-il laissé? Théâtre, Cinéma et Opéra

 

Selon certains, Patrice Chéreau a lancé des nouveautés qui ne nous concernent pas, mais plutôt dans les années 80/90. Sa trace est pérenne, mais le choix de sa méthode dépend de la vision de chaque être, du parti pris, chaque personne conçoit les choses différemment, ce qui rend chaque spectacle unique.

D’autres éprouvent un sentiment d’échec, au niveau cinématographique. Dans ses films, il n’était pas dans la représentation figurative (par exemple, dans la Reine Margot, le Louvre est tout en bois, il ne cherche pas nécessairement le réalisme). Il est très novateur d’emmener des scénographies théâtrales au cinéma. Cependant, il n’a rien influencé cinématographiquement parlant, du moins, la représentation figurative au cinéma a essentiellement été pratiquée par lui. On lui a très souvent reproché d’être trop théâtral au cinéma. Il n’acceptait pas cette critique d’ailleurs.

 

Il y a également des étudiants qui le perçoivent comme le « Père » du théâtre,  pour ce qui est de sa direction d’acteur, très instinctive, on a pu voir que sa présence et son engagement pendant les répétitions est très intense, dans le transfert d’énergie ; sa gestion des corps d’acteurs, tel un peintre qui dispose ses éléments, comme s’il s’agissait d’une œuvre plastique vive ; la coordination des gestes des comédiens, tels des escrimeurs ; ou encore les effets esthétiques et picturaux qu’il suscite.

 

Le théâtre filmé, êtes vous pour ou contre ?

 

Cette question d’ouverture a suscité plusieurs réponses :

 

Pour certains, filmer du théâtre n’a aucun intérêt. On impose les angles de vue des plans cinématographiques, ce qui ne rend pas compte d’un spectacle vivant. En effet pendant un spectacle on ne regarde pas toujours les acteurs les plus actifs. Le regard est libre. La captation restreint le regard. Le côté éphémère du spectacle se perd. D’autant plus qu’artistiquement, cela est peu intéressant, par son caractère distant, froid.

Cependant, sans captation, on ne pourrait avoir ce genre de débat, d’échange. La captation permet d’avoir un outil de travail, un support sur lequel s’appuyer. La captation permet la trace historique, une forme d’archive numérique, qui permet aux prochaines générations de ne pas oublier certains « monuments » du théâtre, du moins de le ressentir un peu, de voir.

90% des captations sont retravaillées avec les metteurs en scène. Si l’on a été éloigné de la scène pendant un spectacle, certains détails ont pu échapper, la captation permet de les percevoir, de se rapprocher de la scène, d’être au cœur et de partager avec l’acteur l’expérience sensible.

 

D’ailleurs, il est normal de revendiquer l’expérience sensible ; mais n’oublions pas qu’une captation est une trace. Un des caractères du spectacle vivant, est l’éphémère, or la captation par la vidéo permet de revivre le moment. De plus, elle permet de tirer un enseignement, les arts évoluent, on ne pourrait pas créer d’histoire sans traces, avant nous n’avions que des traces écrites, dorénavant, nous avons également des traces audiovisuelles (ce qui est par ailleurs, d’un usage essentiel lors des cours scolaires et universitaires, sans quoi nous ne pourrions pas débattre actuellement).

Et vous ? Qu’en pensez-vous ?

 

Ainsi, nous avons pu voir que Patrice Chéreau est un homme aux influences artistiques multiples, ayant nourri et fait évoluer son travail tout au long de sa carrière. Sa façon de diriger les acteurs, autant au théâtre, qu’à l’opéra ou au cinéma relève du sensible, c’est pourquoi certains le considèrent comme leur « Père » au théâtre. Patrice Chéreau est un grand homme du théâtre, au travail novateur, selon une méthode sensible, combinant des travaux plastiques, psychologiques, physiques, mais aussi portant sur des réflexions politiques (notamment dans ses collaborations avec Koltès) et humaines, qui aura une grande influence, ainsi qu’une notoriété dans le milieu artistique.

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