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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Compte-rendu de krinomen - Débat avec Eric Charbeau autour de la scénographie

Animation du krinomen du 13 novembre 2013 :   Marie Manzagol, Florent Tournier et Vivien Thomas 

Prise de notes et rédaction du compte-rendu :   Noémie Colardeau  et Anaïs Laville 


 

CR Krinomen scénographie

 

 

Éric Charbeau, architecte de formation, est diplômé de l'Ecole d'Architecture de Bordeaux. Il se destinait à une carrière d’architecte "classique" mais en 1990, suite au diplôme de fin d’étude réalisé avec Philippe Casaban sur un projet scénographique, ils s'associent tous deux, décident de s’orienter vers cette discipline et "s'autoproclament’’ scénographes. Ils créent alors, ensemble, des scénographies pour la danse, le théâtre et l’opéra.


Le krinomen s'est articulé autour de trois questions d’ordre général sur la scénographie et en relation avec le travail d’Éric Charbeau. Pour chaque question, la parole a été donnée dans un premier temps aux étudiants de Licence et de Master puis à Eric Charbeau lui-même. Après une rapide présentation de l’intervenant, un diaporama composé de photos de certaines réalisations scénographiques, ainsi qu’un reportage de France 3 sur le spectacle Molly Bloom [1], ont permis d’avoir une vision de son travail. 

 


D’emblée, qu'est-ce que la scénographie ?


La question de l'espace s'est directement imposée dans ce débat avec différents angles d'approche suivant les étudiants : le rapport espace/texte, mais aussi le traitement d'un espace en tant que tel, la scénographie étant le moyen d’écrire l’espace. Jusqu’où peut-on parler de scénographie ? Tout peut-il être qualifié de « scénographie » : une vitrine de magasin, un espace urbain, etc. La scénographie peut-elle être aussi la mise en espace d'une idée, d'un concept, d'une atmosphère et pas spécialement et uniquement celle d'un texte ? Peut-on parler de l’écriture de la scène comme on parle de l’écriture d’un texte ? La scénographie est une base essentielle du spectacle. Elle fait parler l'espace, c'est là son travail.  

 

Après ces réactions et tentatives de définitions autour de la scénographie, Éric Charbeau nous a livré ses idées et ressentis sur la question. Pour lui, la scénographie est un rapport entre plusieurs espaces qu’il faut faire dialoguer. La scène est une grande aire de jeu et le plus intéressant est le rapport entre les deux espaces que sont la salle et la scène, entre le regardé (l'acteur) et le regardant (le spectateur). Il aime tisser des liens entre les deux et créer du sens. La scénographie englobe l’ensemble des espaces qui lui sont proposés, la structure du lieu par exemple. Cela ne signifie pas pour autant qu'il y a fixité ; au contraire, le décor (les éléments physiques sur le plateau) définit le jeu, mais il peut être mouvant.  

 

Ces nombreuses réflexions l'ont alors amené à se questionner sur le degré zéro de la scénographie : et si un espace vide était déjà une scénographie ? Mais alors est-ce qu'une vitrine de magasin peut être une scénographie ? Aujourd’hui, le sens du terme « scénographie » est tellement large qu’il englobe beaucoup de choses : scénographie urbaine, scénographie domestique (un fauteuil dans une maison)... Néanmoins, la scénographie devrait rester une histoire de spectacle vivant, notamment à cause de ou grâce à la question du temps du spectacle. Le temps permet de donner un début et une fin à cet espace partagé le temps du spectacle.



Partant de la difficulté que l’on rencontre à la définir, on peut se demander quelle place elle occupe parmi les autres disciplines de la création : la dramaturgie et la mise en scène ? Des liens peuvent-ils se tisser ? 


Pour les étudiants, les différentes disciplines intervenant dans un spectacle vivant s’organiseraient en réseau, seraient des outils ayant tous une finalité commune. Il existe une complémentarité entre trois domaines: la dramaturgie, travaille sur le ou les sens à dégager du texte ; la scénographie permet à celui-ci de prendre corps dans l’espace ; enfin la mise en scène coordonne le tout et dirige les acteurs dans cet espace. Il semble délicat de définir une hiérarchie, puisque les trois sont indispensables à l’aboutissement d’un projet. 

 

Eric Charbeau quant à lui, considère le théâtre comme un art composite et socialisé i.e. réalisé par un groupe de divers intervenants exerçant chacun sa spécialité au service d’un projet. Travail collectif certes, mais coordonné par un chef de projet : le metteur en scène. Dans la pratique, le plus généralement, c’est le metteur en scène qui choisit le texte et qui convoque autour de lui les autres intervenants. Le travail se poursuit sous forme de discussions, le metteur en scène définit l’époque, le lieu et les idées principales qu’il voudrait retrouver in fine sur scène. Cependant, il peut arriver que cette situation s’inverse et que ce soit de l’espace proposé par le scénographe que naisse la mise en scène.

 

Par conséquent, les mouvements de va-et-vient sont permanents au stade de création et nécessitent une compréhension et une entente communes. Ainsi, si la mise en scène est en totale rupture avec la scénographie, il très probable que le projet ne fonctionnera pas. Cette réflexion fait d’autant plus sens lorsque l’on sait qu’Eric Charbeau a l’habitude de travailler avec les mêmes metteurs en scène depuis trente ans parmi eux, figurent Laurent Laffargue et Renaud Cojo.

 

Par ailleurs, le lien qu’il établit entre le texte et l’espace varie selon les auteurs. Daniel Keene, auteur sur un texte duquel Eric Charbeau a dernièrement travaillé, vient du cinéma. Son écriture en porte la marque et ne pourrait être réalisée que par un montage de plans. En effet, la diversité des lieux rend impossible une retranscription sur un plateau. A l’inverse, Shakespeare, contrairement à ce que l’on pourrait penser, est selon notre invité un auteur simple à scénographier : il nécessiterait une scénographie des plus minimalistes, puisque le détail des lieux où se trouvent les personnages, cité dans le texte, ne seraient plus à représenter. Texte et scénographie doivent se répondre, entrer en cohérence et ne pas être pléonastiques.

 


Eric Charbeau a réalisé des scénographies pour le théâtre mais aussi pour l’opéra et pour la danse. Quelles sont les différences majeures dans la manière d’aborder ces trois espaces ? Lequel de ces lieux est le plus contraignant ? 


Pour les étudiants, les différences majeures se situeraient au niveau du budget mis à disposition du scénographe, ainsi que des méthodes d’approche du travail. 

 

Dans la pratique, ces trois espaces font partie du spectacle vivant mais ne se positionnent pas sur le même plan. En effet, pour Eric Charbeau, au théâtre, il faut « enlever tout le persil », autrement dit tout ce qui est uniquement décoratif mais qui ne fait pas sens. Il est bien question de cela : faire sens.

 

A l’opéra, la musique est ce qui a le plus d’importance et donc la scénographie doit  avant tout  se mettre à son échelle. Lors de la création de leur premier opéra, Le Barbier de Séville [2] de Rossini,  Eric Charbeau et Philippe Casaban avaient pour cette raison augmenté volontairement les échelles du décor. Après de longs mois de doutes et d’angoisse, étant persuadés que le décor serait beaucoup trop grand et écraserait les chanteurs, ils durent attendre la générale avec orchestre pour être rassurés .

 

Pour la danse, le travail de l’espace est plus délicat puisque l’élément central est le corps des danseurs. Il faut donc le plus souvent jouer sur « l’au-dessus », « l’autour », et laisser un maximum de place à la chorégraphie. De plus, les compagnies répètent dans des studios sans décor et ce n’est qu’au tout dernier moment que la scénographie fait son apparition.

 

 

 Questions diverses :


- Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? 

Eric Charbeau : sur Qui a peur de Virginia Woolf qui sera monté à Paris, ainsi que sur un spectacle de marionnettes, une nouveauté qui m’enchante.

 

- Question très concrète : combien gagne un scénographe ? 

E.C. : cela dépend des structures et des compagnies. A l’opéra, le cachet est plus important puisque ce sont de grosses productions. La prise de risque est très faible c’est-à-dire que l’on ne peut pas vraiment innover. A l’inverse, dans les petites compagnies et les petites productions, même si le salaire y est moindre voire inexistant, on peut se permettre de tester des choses inédites, d’être plus inventif. 


-  Les difficultés des débuts : comment avez-vous commencé ? 

E.C. : à la sortie de l’Ecole d’Architecture, Philippe Casaban et moi allions à toutes les premières pour rencontrer le plus de personnes possible, en nous présentant comme des scénographes. Cela a fini par payer, même si la toute première rencontre avec le milieu n’était pas heureuse. Problème de génération. Nous nous sommes donc tournés vers des jeunes metteurs en scène et compagnies.

               

Pour finir, les animateurs du krinomen nous ont conviés à l’exposition du dossier de travail et de recherches sur l’opéra La Bohème [3], qu’Eric Charbeau avait mis à notre disposition et installé sur une grande table à la sortie de la salle. Les étudiants ont pu consulter les croquis, plans, échantillons de motifs et de matières, donnant une vision plus concrète du travail de scénographe.

 

 



[1] ‘’Molly Bloom’’, extrait d’Ulysse de James Joyce, mise en scène de Laurent Laffargue - Cie Le Soleil Bleu

[2] Opéra de Rossini, mise en scène de Laurent Laffargue - Cie du Soleil Bleu

[3] Opéra de Puccini, mise en scène de Laurent Laffargue - Cie du Soleil Bleu

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