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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Critique de L'homme à la tete de chou - J.-C. Gallotta, par Juliette Salmon

L'Homme à tête de chou : d'une écriture à l'autre, le désir


Jean-Claude Gallotta, danseur et chorégraphe incontournable de la scène mondiale de ces dernières vingts années, renoue grâce à son dernier spectacle, l'Homme à tête de chou, avec la « dramaturgie en ligne droite » qui avait fait l'efficacité de sa danse à la fois complexe et lisible par tous. L'Homme à tête de chou donc. Gallotta, Gainsbourg, Bashung. Cet Homme à tête de chou qui fait tant de bruit depuis l'annonce de sa création et avec la sortie de celle-ci en 2009 à Grenoble, se donne aux yeux du monde comme un film au casting de rêve. On y pense, on attend, et pour la forme, on doute un peu de ce « coup de pub » qui ramène les morts à la scène.


Doute de courte durée. On s'installe dans la salle, le noir se fait, le rideau s'ouvre et l'espace vide donne à voir l'absence par la seule présence d'une chaise noire de bureau à roulettes renversée au bord du plateau, au centre, comme un projecteur sans ampoule, mort et pourtant bien là.

Quelques secondes suspendent le spectateur aux lèvres du vide et la musique démarre. Claviers, percussions, cordes, cuivres; acoustique et électrique, elle fend l'air et donne le ton. Violente et sans concessions, drôle et cynique, tendre et déchirante, à travers elle d'abord se raconte Marilou, « shampouineuse » qui rend fou de désir et de mort l'homme. Gainsbourg érotise chaque mot, chaque son, et la voix de Bashung, plus sensuelle qu'érotique elle, vibrante de chaleur et de la fatigue d'un soir de vie, bouleverse.

Et cette musique appelle, réveille les figures de Marilou, de l'homme. Quatorze danseurs (plutôt jeunes hormis un couple plus âgé), sept femmes et sept hommes, envahissent le plateau à tour de rôle et viennent saluer la chaise vide. Energie bouillonnante, sauts, cassures dans les corps, vitesse, portés,... Les ensembles se font et se défont, les équilibres laissent place aux déséquilibres, les lignes s'écrivent, les diagonales s'affirment, les courses tranchent l'espace. Chassés, glissés, jets de bras; durant l'heure et quart que dure le spectacle, l'énergie ne retombera pas. Duo, quatuor, soli, trio, mouvements d'ensemble, costumes d'homme, jeans, soutien-gorges, robes de soirée; les « épisodes » de l'histoire se racontent en corps et en chansons dans la puissance du désir. Désir de dire, de chanter, d'aimer, de chuter, de danser. De danser oui; les interprètes sont heureux d'être sur scène et ça se sent.

Dans une lumière de lune moqueuse et une atmosphère de nuit suspendue rendues par un fond de scène ayant l'aspect d'un voile de brume cotonneux (tissu ou effet de lumière sur le mur) et des éclairages à la fois aveuglants et blafards, les spectateurs deviennent les témoins de la décadence d'un homme, d'un concert de l'au-delà, du meurtre d'une jeune femme, d'une pièce dansée à l'érotisme poignant.

On peut toutefois regretter par instants quelques touches que l'on pourrait qualifier de « décadence gratuite » tel le solo du danseur le plus âgé vomissant ses nuits et son désespoir dans une poubelle de bureau peu scénique, ou les regards de danseur affecté lancés par certains interprètes soucieux de donner à voir la puissance dramatique de l'ensemble, ou encore l'arrivée de l'homme nu à tête de singe. On peut également se poser la question du côté « branché » de cette création : effet de mode ou réelle envie ? Est-ce si innocent si cette création sort à un an de la mort de Bashung et à dix ans de celle de Gainsbourg ? Et surtout, à quoi joue Gallotta quand il livre au public que la chaise vide qui habite le spectacle est celle de Bashung, défunt qui hante les vivants ? Cependant, si l'on peut s'interroger au début, on oublie vite les explications pour ne voir dans cette fameuse chaise qu'un objet scénique sans fantôme, on ouvre grand ses yeux et ses oreilles sans penser sans arrêt aux dates anniversaires, et on retrouve notre enthousiasme premier.

On retiendra entre autres ce duo suspendu entre la violence du désir adulte et le jeu de mains de l'enfance; la beauté terrifiante de l'enchaînement de trio où les femmes dansent en tenant deux hommes par la braguette ouverte de leurs pantalons et se dénudent à chaque nouvelle entrée; la fragilité d'une danseuse habillée d'une guitare rouge sang; la scène du meurtre en sept duo s'ajoutant les uns aux autres dans un amour à mort qui fait frissonner...

On ne peut que sortir conquis de cet Homme à tête de chou qui donne envie d'aller se cogner au monde avec la force et la vitesse vibrante d'un accord de guitare électrique, d'un saut qui se brise en chute, d' « un homme à la tête de chou, moitié légume, moitié mec ».

 

Juliette Salmon.

 

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