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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Critique de La vieille et la bête - I. Schönbein, par Marie-Charlotte Léon

La vieille et la bête : mourir ou vieillir ?


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(Source : ruedutheatre.eu) 

 

Derrière son piano et ses futures installations sonores, une madame loyale joue quelques notes en souhaitant la bienvenue au public. Au centre de la scène sur un praticable, une vieille femme épluche soigneusement une pomme. Quelques paroles commencent à être échangées avec le public et la régie. Une passerelle naturelle se crée entre le public et l’espace de jeu. Madame Loyale, Alexandra Lupidi, chanteuse, instrumentaliste, de sa présence lumineuse invite le public à « allumer l’étincelle de notre fantaisie ». L’invitation est claire : ouvrez grand vos yeux et votre imaginaire et laissez vous emporter dans un monde mi-réel, mi-théâtre.

Le noir se fait côté public et la vieille reine s’anime. Tremblotante elle dépose sa pomme au sol, l’histoire commence. Elle ne veut pas mourir alors pour vieillir elle se raconte et raconte des histoires celle du Petit âne, né d’un corps de femme qui connaitra une métamorphose en prince. Et aussi le conte de la ballerine, qui voulait devenir ballerine et qui est devenue belle-ruine de la mort dans l’arbre ou encore, de Léna qui ne voulait pas aller en maison de retraite. C’est l’histoire de la vieillesse seule visitée par la mort mais qui lui demande d’attendre, car elle n’est pas encore tout à fait prête.

 La matière dramaturgique est soigneusement empruntée aux frères Grimm, le reste, Ilka s’en occupe. Elle dépose son empreinte. Un peu de paille au sol, pour évoquer le lieu où se déroulera la scène. Quelques pommes offertes au public, par Simone le temps pour Ilka de passer d’une métamorphose à une autre et rappeler au public sa présence et sa part à jouer dans le spectacle, puis la magie opère. Parfois drôle, le corps d’Ilka prend des apparences de créature mi-homme/ mi-bête, quand un âne né d’entre ses cuisses et apprend maladroitement à jouer du Luth pour séduire une princesse. Mais aussi plus sombre, la vieille est sur son lit, la mort est là, elle ne se fera plus piéger en haut du pommier. Elle est venue emporter la vie, sur une chanson pour enfant peu connue, au marche du Pallet, la mère de cette marionnette, dans le rôle de la mort, chante, le corps de la vieille pris de spasmes se bat avec ses derniers souffles de vie, semble danser une dernière fois, une danse macabre.

Comme Ilka s’amuse à le dire « depuis l’enfance, j’essaie toujours de changer la réalité. Mais je ne peux tout de même pas construire un monde en papier mâché ! » Elle fabrique elle-même ses créations plastiques pour faire naitre ses marionnettes : masques, faces de femme, tête de bête, prothèses animalières et humaines. Son processus de création commence là, dans la sculpture, la recherche des états de ces morceaux de papier mâché, qui deviennent des partenaires de jeu incroyables, créant des marionnettes qui semblent ne faire qu’un avec le corps sans forme, décharné de la marionnettiste. L’expérience de ce spectacle se vit aussi par cette apparition de corps qui se contorsionne, qui semble se dédoubler pour faire jouer marionnette et marionnettiste dans le même espace, le même corps. Son regard se plonge dans ceux de ses créations, à la recherche de ses propres interrogations. Les bouleversements du corps au fil de la vie, l’acceptation de la vieillesse et de son corps.

 Ce corps qui devient le centre de l’espace. Au départ madame Loyale semble nous faire penser à un montreur de curiosité dans une fête foraine. La curiosité c’est cette vieille, ce vieux corps qui s’agite. A la fois corps marionnette, corps manipulateur, corps créateur qui a droit de vie et de mort sur les créatures qui naissent de son être, la marionnettiste insuffle le souffle de vie à la matière morte et le corps de la marionnette née à travers celui de la manipulatrice. Elle prête son âme à ses personnages éphémères sur lesquels elle pose un regard attentif, maternel et parfois cruel. La ballerine naît d’un tutu caché sous la robe de la vieille, de deux chaussons de danse posés sur les pieds de la manipulatrice et d’un masque. La métamorphose se crée, un être apparaît de ces bouts de tissus, de corps prêté, puis entre les mêmes mains trouve la mort. Un corps qui exprime la souffrance, la difficulté d’appartenir à cette « bête qui est mon corps ». Ilka Schönbein est elle-même une créature étrange, inattendue, élancée aux yeux bleus pétillants sous une tignasse ébouriffée rousse, son corps sans forme, maigre, laisse entrevoir ses muscles et ses veines qui sillonnent cette enveloppe corporelle. Elle convoque une autre histoire, sombre, qui concerne l’humanité, celle des camps de concentration et de ses victimes, ces corps meurtris, marqués à vie par la barbarie humaine.

Ce spectacle peut être vécu comme une expérience, une boite à émotions, s’inspirant de l’esthétique de Kantor et de La Classe morte, qui interroge la mélancolique mémoire de l’enfance mêlée au sentiment de mort. Comme cette vieille femme qui « joue » à être reine, espiègle comme une enfant quand elle piège la mort dans l’arbre. C’est une sorte de complainte de la mort pour faire vivre la mort.

 

                                                                                                          Marie-Charlotte Léon

 

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