Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Critique de World of interiors - Ana Borhalo et Joao Galante, par Pauline Eyherabide

Des intériorités au service du monde

 

C’est ce jour de mars que le TNT présente la première de World of Interiors, une performance d’Ana Borralho et Joao Galante, deux portugais connus déjà du TNT avec Mistermissmissmister et Sexy Mf dans le cadre du Festival Mira ! en 2008. Il est indiqué que la performance déambulatoire peut durer « jusqu’à deux heures ». Air interrogatif : jusqu’à deux heures, c’est-à-dire ? Air doublement interrogatif : Eric Chevance, directeur du TNT, qui annonce que nous pouvons « aller et venir quand nous voulons ».

 

Regards hésitants, mais c’est parti. Dans la nef, des corps. Allongés de toutes parts, tous silencieux, yeux clos. Puis, des murmures s’élèvent, des bribes de paroles sont perceptibles, mais pas assez cependant pour les entendre de loin. Les gradins ont disparu, la déambulation est plus qu’hésitante devant toute cette humanité qui semble inanimée. La curiosité et l’interrogation poussent les spectateurs à s’approcher. Des courageux se lancent : ils s’assoient à côté de certains performers, d’autres s’allongent.

                       

Ainsi, tout commence : certains s’approprient des performers deux heures durant, d’autres déambulent et partent, et quelques un s’endorment même. Tout semble bercé par la lenteur ambiante et le rythme des paroles ; une micro société semble s’être créée, sans perception d’un monde extérieur. Là est toute la subtilité de cette performance : rendre compte d’un lieu et y inscrire un espace temps singulier et éphémère, qualifié de « world of interiors », un monde où seules des entités « intérieures » entreraient en contact les unes avec les autres. Cela paraît d’autant plus crédible puisque personne n’a osé entrer en contact physique avec les perfomers.

 

Les récits de Rodrigo  Garcia rythment d’autant plus l’espace avec les accentuations des langues : les textes sont en français, anglais et espagnol. Chacun est libre de suivre une personne dans son récit, ou d’aller entendre la suite ailleurs. Le risque ? Tomber plusieurs fois sur la même partie. Il s’agit bien d’un parti pris, complètement cohérent d’ailleurs : en effet, il s’agit du même corps de texte et non pas du même corps en tant que matière corporelle, et c’est en cela que cette performance est également émotionnellement forte. 

 

Le questionnement de la liberté du spectateur est omniprésent : que fait-il quand il a autant de liberté ? Comment se sent-il face à ce trop plein de liberté ? Se pose aussi la question de sa place : comment se sent-il dans l’espace scénique lorsqu’il y ait intégré ? Cette réflexion fait partie des problématiques contemporaines essentielles du théâtre actuel et cette performance en rend bien compte : le trouble ressenti à la fin s’est fait éprouvé par le manque d’applaudissements, dû à l’effacement de la frontière acteurs/spectateurs.

 

L’apparente présence d’extériorités et l’éventuelle absence d’intériorités se croisent dans cette subtile et sublime performance : des relations s’établissent, plus ou moins conscientes, entre acteurs/spectateurs. Cette notion même est remise en cause : les rôles semblent s’inverser et établir ainsi un lieu où les codes du théâtre s’affranchissent. En tout cas, nous remercierons le TNT d’avoir tenu sa politique culturelle jusqu’au bout, simplement pour nous avoir fait connaître un monde d’intériorités si rare de nos jours.

 

Pauline EYHERABIDE

 

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article