Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Un Marivaux enlevé qui laisse malgré tout « le cul entre deux chaises »
un spectateur de bonne foi
Jean-Pierre Vincent, metteur en scène phare de toute une génération et créateur prolifique depuis les années 60, renoue avec Marivaux le temps d'une création où «faire semblant de faire semblant» devient le mot d'ordre de ses Acteurs de Bonne foi, quitte, parfois, à laisser le spectateur indécis face à un jeu souvent inégal qu'il ne sait plus comment lire : jeu du jeu dans le jeu ou comédiens « en dessous »?
Les Acteurs de Bonne Foi de Marivaux, comédie en un acte et en prose de 1757, raconte comment le valet Merlin tente de faire jouer, à l'occasion des noces d'Angélique et d'Éraste et pour le plaisir de la tante de ce dernier, une comédie all'improvviso par ses camarades. Lisette, suivante d'Angélique et amante de Merlin, Blaise, fils de fermier, et Colette, fille du jardinier et amante de Blaise, sous l'orchestration de Merlin, s'apprêtent donc à jouer le canevas imaginé par Merlin. Lisette est courtisée par Blaise, Merlin courtise Colette, mais tout se gâte rapidement car ce « jeu » là n'est pas du goût de tout le monde. Qu'est-ce que le théâtre ? Qu'est-ce que jouer ? Jusqu'où pouvons-nous jouer à être qui nous sommes ? Dans une accumulation de quiproquo, Marivaux s'amuse ainsi à questionner l'art qui est le sien.
Dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent, quand le noir se fait dans la salle et que le plateau s'allume, les spectateurs découvrent un espace dont les côtés sont encombrés de tas de foin et dont le sol est par endroits recouvert de terre. Ces éléments renvoient à une certaine idée de la campagne et feraient apparaître le lieu comme une possible grange s'ils étaient seuls en scène, d'autant plus qu'ils sont accentués par l'utilisation d'une bande son faite de cri d'animaux et autres bruits renvoyant à l'agitation d'une exploitation fermière. Cependant, sur le mur du fond, le sectateur peut voir une toile peinte qui représente une main dans des teintes roses et ocres vieillies. Cette main, celle peut-être d'un marionnettiste, remet en question le désir affiché de réalisme, lisible dans l'espace. Elle met en effet en avant dès le début du spectacle l'idée même de jeu, d'autant plus qu'elle surplombe un espace autre, plateau de jeu différent qui n'est ni espace extérieur, ni intérieur quelconque mais qui apparaît déjà comme un plateau sur le plateau et donc comme un lieu du jeu, de tous les jeux... et de tous les excès.
A jardin, un homme s'étire, s'ébroue, prend son petit déjeuner. Tout de suite, force est de remarquer son costume qui agit comme une rêverie autour du « costume d'époque » du XVIIIème siècle. Comme le reste des costumes du spectacle, il conserve une coupe qui évoque clairement le siècle de Marivaux tout en jouant sur des couleurs très vives qui décalent l'ensemble et relèvent d'une certaine modernité de ton.
Des personnages entrent, agissent, se saluent... et le texte démarre. Première scène entre les amoureux (Angélique et Éraste) : gêne, vivacité et effronterie de la jeunesse ; les corps sont très dessinés, l'engagement des comédiens est total et les premiers rires fusent. On rit en effet pendant ce spectacle, on rit beaucoup même ; mais on ne sait pas toujours pourquoi. Quand la comédienne qui joue Madame Argante (mère d'Angélique) use de mimiques de corps en accord avec les propos que tient sur elle Madame Amelin (tante d'Éraste) le comique de situation nous fait éclater d'un rire franc. A l'inverse, lors de la bagarre entre Merlin, Colette, Blaise et Lisette, bagarre de théâtre à laquelle il est impossible d'accorder le moindre crédit, on ne sait s'il faut rire ou pleurer, et certains des rires qui secouent alors le public sont assez moqueurs. Rire jaune, rire nerveux, rire franc, rire d'incompréhension, rire de communion... le spectateur passe de l'un à l'autre dans un curieux mélange.
Jean-Pierre Vincent, en dirigeant ses comédiens vers un jeu souvent très extérieur (voire outré) qui use et abuse de grands mouvements, de prises d'espace circulaires non justifiées ou encore de prises de parole grandiloquentes, laisse par moments son public entre deux eaux. On ne sait en effet si la « fausseté » de certains moments (répétitions des valets, discours de l'ami de la tante du jeune premier) fait partie intégrante du spectacle ou si elle n'est due qu'à des soucis inhérents aux comédiens ou à la direction d'acteur. En outre, si cette « fausseté » est volontairement recherchée, que raconte t-elle du plateau, du jeu, du métier de comédien, du théâtre ? Le comédien ne serait-il qu'une marionnette entre les mains de ses passions ? Où s'arrête le réel, où commence le jeu ? Comment le réel nourrit la fiction et inversement ? Dans les choix mis en scène par Jean-Pierre Vincent, c'est flou car souvent pas assumé jusqu'au bout. On ne sait en effet ce que Jean-Pierre Vincent veut raconter de son rapport au jeu, au plateau, au théâtre. Lorsqu'il exhume des textes de Rousseau qu'il mélange à la prose de Marivaux dans une démarche quasi-historique qui vise à créer un parallèle entre XVIIIème et XXIème siècle sur la question de l'utilité au théâtre, Jean-Pierre Vincent perd un peu plus son spectateur qui s'interroge, lui, sur l'utilité d'assister à ce spectacle de « faux bon élève » à la pertinence toute relative. En voulant en dire beaucoup, Jean-Pierre Vincent finit ainsi par ne rien faire passer du tout.
Si on sort des Acteurs de Bonne Foi soulagé de ne pas s'être ennuyé comme on pouvait le craindre grâce à l'énergie et à la générosité des comédiens, on ne peut que regretter le côté un peu « prétentieux » du tout qui tend à donner l'impression que ce spectacle est l'incarnation de l'idéale façon de monter Marivaux au XXIème siècle; étalage de savoir et de supériorité agaçant et mal venu, vous en conviendrez.
Juliette Salmon
Les Acteurs de Bonne Foi,Marivaux. Mise en scène Jean-Pierre Vincent.
Avec Patrick Bonnereau, Julie Duclos, Anne Guégan, David Gouhier,
Annie Mercier, Pauline Méreuze,
Laurence Roy, Mathieu Sampeur, Claire Théodoly, Olivier Veillon.
En tournée jusqu'au 2 avril 2011 en France.