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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Débris - Dennis Kelly / Baptiste Girard

 

Spectacle présenté au TNBA du 8 au 24 Mars 2012

 

 

DEBRIS2 ©Maitetxu Etcheverria© Maitetxu Etcheverria

 

Présentation de l’auteur, du metteur en scène et du Collectif Os’O :

 

Dennis Kelly, issu d'une famille modeste, est né en 1970 à Londres, où il y vit encore. Après des études de théâtre au Goldsmiths College, il écrit 9 pièces, dont Débris. Entre pièces de théâtre, traduction (Le Prince de Hombourg de Kleist, 2010), signature de livret (Matilda, A musical de Roald Dahl) et scénario de cinéma ou de sitcom,  il consacre sa vie à l'écriture. Sa dernière pièce, The gods weep a été montée par la « Royal Shakespeare Company »,  en 2010.

 

Baptiste Girard, metteur en scène et acteur (Michael) de Débris, entre au conservatoire de Rouen en 2007, dans la classe Maurice Attias. Parallèlement, il continue les ateliers de théâtre avec Denis Buquet et Marie Meullier. En 2007, il joue Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès, mis en scène par Marie Meullier puis il intègre l'EsTBA (École Supérieur de Théâtre Bordeaux Aquitaine). Lors de sa sortie de l'EsTBA  en 2010, il joue le rôle de Perceval dans Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst, dirigé par Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio. Il sera aussi répétiteur pour Mort d'un commis voyageur d'Arthur Miller, mis en scène par Dominique Pitoiset en mars 2010 au TNBA. Il joue par la suite dans L'assommoir d'après Zola mis en scène par David Czesienski en janvier 2011, toujours au TNBA. Il est l'un des cinq fondateurs du « Collectif Os'o ».

 

 Le « Collectif Os'o » a été crée en juillet 2011 par cinq élèves de l'ESTBA (Roxane Brumachon, Bess Davies, Baptiste Girard, Mathieu Ehrhard et Tom Linto) qui souhaitaient travailler ensemble. Ils sont influencés par leur participation de la Schaubühne de Berlin (Find Festival), en Février 2011, et ouvrent le collectif à l'international, pour développer des réseaux de travail en Europe. Ils s'implantent alors à Bordeaux et montent L'assommoir d'après Zola. Entre 2011 et 2012, ils proposent des lectures dans les bibliothèques et dans la maison d'arrêt de Gradignan puis créent Débris en mars 2012.

 

La phrase suivante, extraite du dossier de presse du spectacle, pourrait leur servir de credo : « Nous ne prétendons pas pouvoir définir avec exactitude la forme artistique du théâtre que nous voulons faire, mais nous pouvons exposer nos rêves d'un théâtre libre centré sur la créativité de l'acteur. »[1]

 

Résumé de Débris :

 

Un père alcoolique qui s'auto-crucifie par vengeance, une mère qui meurt à la naissance de la cadette. Tout se joue dans une cuisine, Michelle et Michael, frère et sœur sont assis, nous regardent, se regardent, et dépeignent ces tableaux horribles, qui font office de souvenirs d'enfance. Telle une confession, à cœur ouvert, ils nous racontent. Vivant dans un milieu modeste, il faut apprendre à survivre, entre rêve et réalité. Le tableau est noir mais la tonalité alerte. Comme l’indique la note de Baptiste Girard, « dans cette triste misère, la démerde est joyeuse ».

La pièce s'ouvre sur le suicide du père, sur le modèle de celle du Christ lui-même. Il reproche ce geste d'abandon à son propre fils. Ensuite vient la mort de la mère, un récit fictif pour éviter le sujet. S'en suit la rencontre avec « onclenri », qui les enlève sous les yeux du père ivre-mort. Arrive alors la promesse d'une autre vie, avec « glaces et champagne ». Mais le retour du père ayant repris ses esprits, les ramènent à leur triste sort. Michael lors d'une course poursuite, se réfugie dans un vide ordure d'HLM, où il trouve un nourrisson, jeté, abandonné. Il le sauve « en l'abreuvant du sang chaud, de son sein vide » et le baptise Débris.

« Il est impossible de nos jours de créer quoi que ce soit d'original ». Alors que Michelle n'est que fœtus, sa mère entend cela, et se dit qu'il n'y a plus de raison de vivre ou de donner vie. Le dernier récit de Michelle sur sa mère, nous explique que finalement celle-ci est morte d'une appendicite. 

La boucle est enfin bouclée lorsque le premier tableau rejoint le dernier. Car le père s'enterre dans un mutisme et prépare sa vengeance, suite à la dénonciation de son fils, qui l'accuse d'avoir volé Débris. Ces évènements détaillés, revisités et revus par l'imaginaire des deux frères et sœur montrent qu'ils tentent tout de même de s'approprier une identité à partir d'un passé impossible à cerner.

 

A travers le langage brut d'une enfance bafouée, le texte retrace un passé flou, refoulé. Les détails s’enchaînent, s'entrecroisent, se délivrent au fil du spectacle. Dans Débris, Dennis Kelly n’utilise que très peu de didascalies. Cette absence de « cadre » laisse une grande liberté au metteur en scène. Baptiste Girard s'en saisit dans l'espoir de « donner parole à une classe populaire laissée de côté ».

Mise en scène et mise en jeu :


Le frère et la sœur sont assis, nous regardent, se regardent, hésitants, puis l'un se lève, prend la parole et nous invite à écouter. Nous rentrons dans leur intimité, mais c'est à nous qu'ils s'adressent. Sur un sol d'appartement posé là, arraché, dont les ferrailles sortent encore, recouvert d'un carrelage abîmé, de différentes couches de PVC, ils font claquer leurs baskets. Survêtements et maquillage de voiture volée, c'est ici qu'on se trouve, à notre époque, mais au beau milieu d'un appartement de banlieue, au milieu de nulle part et en face de deux jeunes. Deux chaises, une télévision, une radio, une table, un tiroir où l'on cache des petites choses, un réfrigérateur où l'on se cache. C'est là qu'évoluent les deux protagonistes. Quelques détritus sèment le désordre, saleté du lieu, désordre des souvenirs. Pourtant ce lieu est le lieu de parole, dans une famille « normale » on pourrait appeler cela la « cuisine », lieu convivial, « là où les disputes débutent, où les journées se racontent».

La lumière s'adoucit imperceptiblement. Lorsque la mémoire resurgit du passé ou que le désir ardent de s'exprimer met des mots sur l’indicible, elle redouble d'intensité, donnant un rythme soutenu, nous tenant en haleine.

Dans sa simplicité, la mise en scène s'appuie sur la puissance de l'imaginaire de l'enfance, papiers de chips, jouets, ballon.

Les deux comédiens, Baptiste Girard et Bess Davies, nous transporte avec eux, instaurent le lieu de la confession : « pas de celles que l'on hurle mais de celles que l'on raconte en confiance »[2].

« Cyniquement drôle. On n’y parle pas d'horreur avec horreur, mais avec finesse et humour »[3].


Les flashbacks sont ponctués de mises en abîme : la rencontre avec « Mr smart and Smile » nous projette sur un plateau de télévision américaine. Lors de la crucifixion, Michael, lui, nous transporte dans un tableau de Rembrandt. On peut parler ici de méta-théâtralité : les enfants, derrière les visages de nos deux comédiens, interprètent eux-mêmes les « héros » garants de leur condition pitoyable. Cette mise à distance fait de leur réalité difficile à admettre un music-hall macabre et burlesque, autant dans l'articulation des détails que dans l'extravagance des personnages. La source d'aspiration à peine perceptible au fond du gouffre de décrépitude où ils grandissent devient seule source de survie et c'est à ça que nous assistons : le brin d'humanité, de vie, sous les ordures.

Baptiste Girard traduit avec humour le côté onirique des situations d'où ressort avec plus d'ampleur un tragique bien réel. Il nous expose sans pathos la nécessité profonde de communication, la fuite du mutisme par tous les moyens, celle de « l'homme qui ne se rend plus compte combien il se détruit lui-même »[4].

 

 

DEBRIS1-cMaitetxu-Etcheverria.jpg© Maitetxu Etcheverria

 

Quelques liens :

Un pré-papier dans Sud-Ouest : http://www.sudouest.fr/2012/03/07/des-vies-comme-des-debris-652109-591.php

 

Le site du Collectif Os’O : http://www.collectifoso.com/debris/

 

Une critique de Diane Mespoulède sur le site Hppe:n : http://www.happen.fr/articles/theatre-/-danse/debris-et-moisissures-au-tnba-5996.html

 

Un entretien avec Baptiste Girard et Bess Davies sur Tv7 : http://ma-tvideo.france3.fr/video/338ae162e78s.html  

 

Pour aller plus loin :

 

Alors que Débris est une pièce réaliste et crue, comment le jeu des acteurs, la scénographie et la mise en scène, permettent-ils de donner du jeu à l’ensemble 

Quelle place l’humour occupe-t-il dans l’écriture et la mise en scène ? Comment permet-il de se décoller des situations ?

 

Article réalisé par Adeline Chaigne, Anne-Sophie Davidsen et Florent Tournier

 

 



[1] Les informations biographiques et cette citation sont issues du dossier de presse du spectacle, dossier disponible en ligne au lien suivant : http://canal-com.eu/TnBA/Saison_2011-2012/DP_TnBA_DEBRIS.pdf.

[2] Note d’intention de Baptiste Girard, dossier de presse du spectacle, http://canal-com.eu/TnBA/Saison_2011-2012/DP_TnBA_DEBRIS.pdf, p.4.

[3] Id.

[4] Id.

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