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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Entretien avec le cirque Morallés, par Marie-Charlotte Léon

 

 

« Nous avons un objet commun qui nous recentre toujours : notre passion, notre cirque » :

 Entretien avec le cirque Morallés

 

 

 

Cet entretien a été réalisé sous le chapiteau rouge et jaune du cirque Morallés lors de l’anniversaire d’Hubert, futur circassien de 6 ans, avec deux des membres de la famille Morallés installée depuis fin février dans le quartier de Terres Neuves à Bègles. Ils y ont travaillé leur nouvelle création Andiamo, présentée du 1er au 3 avril. L’équipe est composée de neuf circassiens, musiciens et deux techniciens. Le noyau dur s’est formé autour de Didier, Carole et Sylvie, frères et sœurs, ils cheminent avec leur conjoint respectif, Hélène, Gino, Bernard et Julie, leur fille. Sebastian est nouveau dans l’équipe ainsi que Jean qui sort de l’école national des arts de cirque de Chalon en Champagne. 

 

Marie-Charlotte : Votre père crée le cirque Morallés en 1971, qui se dissout en 1983, et vous ne reprenez l’aventure qu’en 1995. Pouvez-vous m’en dire un peu plus ?

 

Sylvie : Notre père voulait vivre autrement, il avait un coté aventurier. Fils d’immigré espagnol, son père est arrivé en 1915 en France. Issu d’une famille nombreuse pas trop aisée, il voulait vivre autre chose que cette petite vie. Anticonformiste, altermondialiste, il avait peur de la société, il voulait se l’approprier autrement. Il a commencé à faire de la gymnastique et de l’acrobatie avec son frère, puis ils se sont produits dans les villages alentours et ont cru que c’était comme cela qu’il pourrait vivre autrement. Cette aventure a duré douze ans, puis le cirque a fait faillite, tout a été vendu. L’aventure a repris en 1994, Bernard [l’un des musicien, mari de Sylvie] a fabriqué un portique comme décor et écrit une petite histoire pour se produire dans des campings, nous faisions la recette au chapeau. A l’époque nous travaillions seulement avec Carole, sa sœur, et mes deux filles. Ce n’est qu’en 1995 que nous avons constitué le noyau dur qui est encore présent aujourd’hui.

 

M-C : Morallés n’est pas votre véritable nom ?

 

Didier : C’est un nom de scène. La nostalgie espagnole de mon père. 

S : Bien qu’il n’y soit jamais allé, je crois que c’était une façon de se rapprocher de ses origines.

 

M-C : Peut-on dire que vous êtes issu du cirque traditionnel ?

 

S : Nous ne venons pas du cirque traditionnel car, à la base, mon père n’est pas issu du cirque. Il ne lui a pas été transmis par son père ; il amène une discipline déjà un peu modifié, une vision différente de ce que faisait le cirque de père en fils. 

: A cette époque on disait « faire du cirque », il n’y avait pas de distinction entre cirque passé, présent. J’aimerais revenir à cette notion, ne pas trop théoriser. Aujourd’hui on parle même de cirque contemporain, Johann Le Guillerm fait partie de cette classe. Il jongle entre plusieurs disciplines artistiques en cherchant un sens, un propos sur le monde. Dans les années 1980, les formes artistiques ont évolué, le cirque aussi en a pris sa part, il s’est transformé. Après la dissolution du cirque en 1983, nous avons travaillé séparément dans d’autres structures. Nous avons vu une approche différente du travail circassien. Les personnes avec qui nous nous sommes mariées venaient aussi d’ailleurs, de formations différentes.

 

M.C. Alors que signifie « faire du cirque » ?

D : Faire du cirque c’est vivre l’itinérance. Monter le chapiteau, notre lieu de spectacle et y installer tout, de la  lumière au décor, dans un endroit qui en est complètement dépourvu. C’est aussi vivre la proximité avec le public, ce qui n’existe pas quand nous jouons en salle. Nous sentons le public, c’est un vrai partenaire de jeu. Nous prenons le temps de rencontrer le lieu, les gens.

: Dans certains cirques traditionnels, ce sont des microsociétés qui se créent. Des villages ambulants, en dehors desquels les circassiens sont perdus. A une époque, ces structures jouaient chaque jour dans un nouvel endroit, « la ville d’un jour ». Maintenant ils peuvent faire deux ou trois villes par semaine. Nous avons des amis qui ont fait une tournée avec le cirque Pinder, ils ont réalisé plus de sept cent spectacles sur l’année. Dans ce cas, comment veux-tu t’ouvrir à autre chose ? Dans le cirque dit « traditionnel » on dit que l’on travaille ; à l’époque, avec notre père nous le concevions de cette façon. Aujourd’hui, le cirque moderne dit que l’on joue. Sous notre chapiteau, c’est ce que nous faisons, voilà ce que c’est le cirque. Notre père nous a toujours poussé à aller voir ailleurs. Aujourd’hui nous ne cherchons pas uniquement à réaliser un enchainement de prouesses physiques.

 

M.C : Etait-ce une évidence de travailler sur votre nouvelle création avec Serge Dangleterre, metteur en scène, issu du théâtre ?

 

D : Serge est une sorte de guide, nous arrivons avec nos idées, nos envies, il fait de l’ordre et structure. Il donne le rythme général. Nos corps dégagent des émotions dont nous ne sommes pas toujours conscients, il recentre nos énergies, on pourrait dire qu’il dirige une écriture corporelle dans l’espace.

S : Au contraire du théâtre, souvent le projet part d’un metteur en scène qui dirige une troupe, ici c’est la troupe qui a engagé un metteur en scène ! (Rire) Nous sommes partis d’émotions, d’envies, mais quand on est dedans, c’est difficile de prendre du recul, il nous faut souvent plusieurs mois, Serge n’étant pas là depuis début novembre [début du processus de création] il arrive avec une vue d’ensemble, un nouveau regard. De plus Serge, ne vient pas du cirque. La technique, ça ne le fascine pas, il cherche à faire émerger du jeu, de l’émotion de ces performances. Antony Gatto est jongleur, il utilise neuf massues mais son spectacle ne dégage rien, pas de sensibilité juste de la performance… Ce n’est pas seulement l’exploit qui compte. Si nous faisons appel à un metteur en scène, c’est pour qu’avec trois massues il puisse se passer quelque chose. (Rire) Mais nous savons bien que pour présenter une technicité sur scène il faut savoir en faire deux fois plus.

 

Vous êtes chacun accompagné de vos familles respectives, comment vit-on la vie en communauté ?

 

: Chacun vit chez soi. Nous avons nos caravanes durant les tournées c'est-à-dire environ six, sept mois dans l’année. Le reste du temps nous habitons pour la plupart en Normandie. Nous sommes à la fois famille, collègues et voisins. Le quotidien des uns est forcément lié aux autres mais avec le respect de préserver l’intimité de nos famille au sein de notre tribu.

D : Nous prévoyons des temps pour se retrouver autour d’un repas, un anniversaire, un thé, nous vivons comme dans un petit village. Les enfants suivent l’école avec Céline, institutrice qui suit la tournée. Quand on rentre à la maison les enfants retrouvent leurs écoles respectives. Entre 1971 et 1983 nous avons eu le temps de décider que nous voulions travailler ensemble et donc partager nos quotidiens, c’est un choix de vie, personne ne nous l’impose. Si parfois il y a des malentendus, nous avons un objet commun qui nous recentre toujours : notre passion, notre cirque.

 

                                                    Entretien réalisé le 27 mars 2011 par  Marie-Charlotte Léon

 

 

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