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Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Entretien avec Stéphane Caudéran, par Marie-Lise Hébert

 

 

« Le théâtre comique a très mauvaise presse » : Entretien avec Stéphane Caudéran

 

 

Stéphane Caudéran est l’un des comédiens du Clan des divorcés, qui se joue actuellement au théâtre Le Victoire à Bordeaux. Il a longtemps travaillé avec le théâtre des Salinières, où il a été formé aux comédies de boulevard, un genre qu’il a toujours voulu pratiquer et dans lequel il s’épanouit depuis environ dix ans.

 

Comment avez-vous démarré votre carrière de comédien ?

 

C'est ce que j'ai toujours voulu faire, depuis tout petit. J'ai fait du théâtre, notamment en atelier et puis j'ai arrêté pour travailler, pour faire des petits boulots. Un jour, j'ai emménagé à côté du théâtre des Salinières, ce qui m'a donné envie de reprendre. Je me suis donc inscrit à leur formation. Comme j'ai plu au directeur, il m'a embauché.

 

Vous voulez dire que vous avez signé un contrat d'exclusivité avec ce lieu ?

 

Non, les comédiens sont engagés pour une pièce en CDD. Seulement après, c'est une question d'affectif, même si aucun contrat ne le dit clairement, nous appartenons aux Salinières, de manière officieuse. Cela ne se passe pas toujours comme ça, cela dépend du caractère des directeurs de lieux : aux Salinières, c'était ainsi.

 

Vous avez donc arrêté de travailler avec les Salinières pour pouvoir jouer Le Clan des divorcés ?

 

De force, oui ! C'est toujours la guerre entre les théâtres. Les salinières, si tu joues chez d'autres, t'y reviendras pas! C'est une question de principe. Moi, j'ai fait la connaissance du directeur du Victoire, alors quand il a pu jouer Le Clan des divorcés, il m'a choisi car je correspondais au personnage. Moi, je ne suis pas parti, je fais mon métier de comédien ! Comme je n'ai pas de contrat d'exclusivité, je joue les rôles qui me plaisent. C'est Les Salinières qui est fâché avec moi ! J'appartiens affectivement aux Salinières car c'est eux qui m'ont formé mais je suis quand même libre de faire ce qui me plait.

 

Et qu'est ce qui vous plait comme rôle, comme pièce ? Le théâtre de boulevard est-il celui que vous avez toujours voulu faire ?

 

C'est ce qui m'a toujours plu. Étant enfant, je regardais les pièces qui passaient à la télévision. Je trouvais ça drôle et j'ai voulu faire pareil. Maintenant, ça ne m'empêche pas d'aller voir autre chose ou d'avoir envie de faire autre chose aussi. Je l'ai d'ailleurs fait, il y a longtemps, avant les Salinières. J'ai joué du Sartre et du Musset. Mais c'est la comédie qui m'a toujours plu. C'est pour ça que je continue depuis autant de temps.

 

Avez-vous connu des périodes de vide, où vous n'aviez pas de rôle à jouer ?

 

C'est arrivé oui. J'ai même déjà perdu mon statut d'intermittent. Aujourd'hui, avec Le Clan des divorcés, j'ai beaucoup moins de risques.

 

Et que faites-vous à ce moment là ?

 

Je demande aux directeurs de lieux s'ils n'ont rien, même un petit rôle. Ils savent comment cela fonctionne et sont plutôt solidaires. Après, parfois, ils n'ont rien qui te corresponde. Et alors là, c'est galère, il faut mettre sa fierté de côté. Ça n'est pas toujours évident de demander comme ça, mais tout le monde passe par là ! Dans ce métier, la lumière peut s'éteindre très vite, même pour les plus grands !

 

Et est-ce qu'à ce moment-là vous auriez pu faire autre chose, ou un acteur faisant du théâtre de divertissement est-il catalogué et ne peut plus faire d'autres genres de théâtre?

 

Tu as tout compris.

 

Et l'inverse existe-t-il aussi ?

 

L'inverse est arrivé. Il est arrivé que des comédiens qui dénigraient le théâtre de boulevard, le théâtre de divertissement, se trouvent finalement à jouer dans un théâtre proposant ce genre de pièces. Il faut bien manger !

 

Et eux n'ont pas de difficultés à intégrer ce milieu-là ?

 

Ça dépend. Certains s'en sont très bien sortis, d'autres moins. Il y en a qui sont très bons dans les deux domaines, mais il y a aussi des acteurs très bons d'habitude, qui se révèlent être de très mauvais comiques. Un comédien devrait savoir tout jouer, mais ce n’est pas toujours le cas.

 

Pensez-vous qu'un metteur en scène pourrait refuser un comédien parce qu'il vient du théâtre de divertissement, se disant qu'il doit avoir moins de talent qu'un autre ?

 

C'est arrivé, ça m'est arrivé. J'ai postulé pour une troupe qui m'a clairement répondu que ce qu'ils proposaient était très différent, et dans le fond, et dans la forme, de ce que présentait le théâtre des Salinières. Donc ils ne pouvaient pas me prendre. Ils ne m'ont même pas vu jouer! Ce n'était pas une question de personnage, c'était « je viens des Salinières, donc je ne sais pas jouer ».

 

A quoi est-ce dû selon vous ?

 

Le théâtre comique a très mauvaise presse. C'est une attitude très française, notamment bordelaise ! En Angleterre, on peut passer de l'un à l'autre sans aucun problème. Ça ne gêne personne. Il y a des acteurs que l'on considère comme des clowns, et il faut qu'ils jouent dans une pièce « sérieuse » pour qu'ils soient considérés comme comédiens.

 

Vous ne pensez pas être considéré comme comédien ?

 

Non. Ou alors il y a deux catégories de comédiens : les comiques, et les autres. Au conservatoire, on leur a dit que s'ils travaillaient mal, les élèves finiraient aux Salinières. Pourtant la comédie est ce qui marche le plus ! Surtout en ce moment, avec tout ce qui se passe, les gens ont besoin de rire, d'oublier toutes les horreurs du monde. Je suis là pour leur offrir ce moment !

 

Donc ce genre de théâtre est exclu de tout enseignement, il n'existe même pas dans les écoles ? C'est vraiment comme deux mondes à part ?

 

Oui, pourtant il faut aussi se sentir capable de faire rire. C'est plus difficile qu'on ne le pense d'être drôle. Il faut déjà l'avoir en soi et apprendre certaines techniques, comme le ferait n'importe quel comédien.

 

Il y a des techniques pour faire rire ?

 

Oui, on nous apprend des techniques mais ce n'est pas forcément des choses auxquelles j'adhère. Ça peut être une simple grimace pour ponctuer une réplique, un gag qui serait faible, c'est un peu lourd. Après il y a des questions de rythme : une réplique, si tu ne la dis pas avec le bon rythme, elle peut tomber à l'eau.

 

Oui, d'ailleurs j'avais lu en travaillant un jour sur la pièce Les amazones que l'auteur respectait les codes de la comédie qui sont de faire rire toutes les 2 ou 3 minutes. Ce rythme est donc déjà inscrit dans l'écriture ?

 

Tout à fait, par exemple, pour qu'une pièce marche, il faut que la première minute soit drôle. C'est un travail d'écriture, mais aussi du jeu des comédiens. Parce qu'il y a des fois, il faut ramer pour que ce soit drôle !! (rires). Feydeau est un excellent exemple. Son travail est très précis, si on ne respecte pas sa technique, ça ne peut pas marcher.

 

En parlant de règles, j'ai été très surprise en venant voir votre pièce au Victoire, que les codes de conduite soient expliqués au début du spectacle. Je parle de la voix off qui nous dit « je vous demande de les accueillir avec un tonnerre d'applaudissement, et de manifester votre enthousiasme tout au long de la pièce ». Il y a aussi le tirage au sort du début, on nous plonge directement dans une ambiance spécifique lorsque nous arrivons !

 

C'est pour avoir un lien direct avec le public. Pour cette pièce, le public est le quatrième comédien. Si nous ne sommes pas en phase, ça ne fonctionnera pas. C'est arrivé et c'est invivable. Les gens sont là pour passer une bonne soirée ! Cette pièce, je crois qu'elle a beaucoup de défauts mais elle a au moins une qualité qui est qu'elle implique un super rapport au public, et c'est génial!

 

Donc cette voix-off n'existe pas toujours, cela dépend de la pièce ?

 

Non, la voix off est partout, dans tous les théâtres privés. Ou alors c'est une personne. Je pense que c'est bien, sinon les gens auront du mal à rentrer dedans.

 

Vous ne pensez pas que c'est déjà implicite ? Je veux dire, si les spectateurs viennent voir cette pièce c'est qu'ils ont envie de rire !

 

Ben, c'est comme quand tu vas au cinéma, tu ne sais jamais ce que tu vas voir ! C'est un tout. Le tirage au sort, ils le font beaucoup au café-théâtre des beaux-arts, et c'est ce qui fait que ça marche. Si tu peux ne pas payer ta place au prochain spectacle, c'est toujours bien ! Les théâtres privés n'ont pas de subventions, il faut donc qu'ils arrivent à faire venir du monde. Et à les faire revenir !

 

Justement, chaque théâtre a-t-il un public fidèle ?

 

Ça dépend des théâtres, certains oui. Certains ont des abonnements. Mais il y en a où malgré tout, ça ne marche pas.

Quel est la différence entre le café-théâtre et le théâtre de boulevard ?

 

Le café théâtre, en règle générale, ce sont des petites pièces, maximum quatre personnages. Avec un minimum de décors et qui durent environ 1h20. Et dans la tradition, tu manges en même temps : c'est un restaurant avec une scène. Après, certains ne le font plus, et ça devient du café-théâtre parce que c'est une petite salle, et donc très intimiste. Le Clan… a commencé dans un café théâtre. Le Victoire est un peu entre les deux. Il y a des spectacles de café-théâtre de temps en temps, parce que c'est une petite salle. Il y a 160 places.

 

Et c'est toujours rempli ?

 

Oui, à chaque fois. A Bordeaux, cela fait déjà un an de suite que Le Clan des divorcés tourne, ce qui est un record, je pense. Après, les théâtres proposent aussi de l'improvisation : au Victoire c'est un lundi sur deux, ce qui diversifie leur programmation.

 

Si au Victoire, pendant un an, il y a Le clan des divorcés et que ce sont les mêmes spectateurs qui reviennent, comment cela se fait-il que ce soit toujours plein ?

 

C'est la magie de cette pièce. Il y a des gens qui sont déjà venus deux ou trois fois. Ils ont envie de la faire découvrir à leurs proches, ou tout simplement de la revoir.

 

Qu'avez joué d'autre récemment ?

 

J'ai joué Sherlock Holmes. J'ai donc arrêté de jouer Le Clan pendant un mois pour cette pièce.

 

Et maintenant, vous arrivez à « faire vos heures » sans souci ?

 

Tranquille ! Mais c'est vrai que pour ceux qui démarrent aujourd'hui, c'est compliqué. Surtout à Bordeaux, avec ce cloisonnement qui existe entre le théâtre de boulevard et le reste, cela réduit les opportunités. Après tu peux monter ta compagnie mais c'est compliqué parce que plus ça va, plus les budgets sont coupés. Maintenant, il n'y a pas beaucoup de théâtre de divertissement !

 

Ah bon ? Il y en a quand même quelques-uns, non, à Bordeaux ?

 

Ça commence à revenir, c'est vrai ! Il y a le Trianon, Le Victoire, Les Salinières, la Comédie Gallien et la Pergola.

 

Et ça ne vous manque pas de ne pas partir jouer dans d'autres villes ?

 

Si, bien sûr. Avec les Salinières on faisait des tournées. A moindre échelle bien sûr, en Gironde, mais on bougeait !

 

Mais comment cela se passe-t-il ? Ces théâtres sont des lieux, pas des compagnies ? Qui choisi les comédiens, qui fait la mise en scène ?

 

Eh bien dans mon cas, c'est le directeur du Victoire qui a choisi les comédiens. Pour la mise en scène, la production a fait venir une comédienne qui jouait cette pièce à Paris, pour nous l'apprendre. On doit respecter la même mise en scène, dans tous les lieux où la même pièce est jouée. Après, on est plus de comédiens que de rôles, on tourne. Je ne joue pas toujours avec les mêmes comédiens, et parfois les deux femmes qui jouent échangent leur rôle. Nous sommes une dizaine et nous avons répété tous ensemble.

 

Combien de temps répétez-vous une pièce en général ?

 

Ça dépend, au Salinières c'était deux mois et demi alors qu'aux Beaux Arts c'est quinze jours, mais ce ne sont que des professionnels qui sont donc disponibles dès le matin, alors qu'aux Salinières, il y a beaucoup d'amateurs qui ont un autre emploi, on ne répète donc que le soir. Du coup, ça peut devenir contraignant au niveau des horaires, mais il n'y a plus de différence au niveau des salaires.

 

Et ensuite, combien de temps jouez-vous la pièce en moyenne ?

 

Un mois environ. Mais on n’est pas à l'abri de devoir faire des prolongations si la pièce marche, pas forcément en suivant mais on peut la reprendre plus tard. Ca n'est pas toujours dans les mêmes lieux, mais comme souvent c'est la même direction, ça ne pose pas de problème. Évidemment, si c'est un lieu qui n'a pas la même direction c'est différent. Ça dépend si le premier théâtre a eu un contrat d'exclusivité.


Et cette concurrence entre théâtres se fait-elle vraiment sentir ?

 

Ah oui, énormément ! C'est normal, c'est une économie de marché, ça n'a rien à voir avec les théâtres subventionnés qui fonctionnent très différemment. D'ailleurs ce clivage est vraiment dommage pour nous, comédiens, qui en pâtissons.

 

Justement, avez-vous d'autres activités artistiques que celle de comédien ?

 

Oui j'écris beaucoup de pièces, pas toutes drôles, et je mets en scène une troupe. J'écris une pièce par an pour eux, en essayant de ne pas tenir compte du fait que je les connais car sinon je suis bloqué. En ce moment, j'écris une sorte de journal intime d'une prostituée, je m'appuie sur des témoignages. Mais je parle de la femme avant tout, avant de parler de son métier.

 

Et alors, qu'est-ce que vous préférez : jouer, écrire, ou mettre en scène ?

 

Ouf, c'est dur ! La mise en scène je la mettrais en dernier. Mais jouer ou écrire, j'aime autant!

 

Donc vous avez réussi à accomplir tout ce que vous vouliez faire ?

 

Oui ! Pour l'instant oui, je suis assez heureux ! Mais je n'ai pas tout provoqué, j'ai aussi eu beaucoup de chance, surtout avec Le Clan des divorcés, c'est un sacré privilège ! C'est très rare ! Espérons que ça continue.

 

Eh bien je l'espère pour vous ! En tout cas, merci beaucoup pour tout le temps que vous m'avez accordé.

 

Merci à toi, et au plaisir de te voir bientôt sur les planches !

 

 

 

Entretien mené par Marie-Lise Hébert

 

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