Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Golgotha:
« Chez Steven Cohen's shoes »
© Steven Cohen
Dans le cadre du festival du court à Bordeaux (33) l'artiste et plasticien sud africain Steven Cohen présente son spectacle Golgotha, dans un format réduit. Golgotha est, à la base, une performance où l'artiste marche dans les rues de New York, chaussé de talons hauts ayant pour semelle une tête de mort, vêtu d'un costume et maquillé de manière exagérée. Il défile dans les rues de la ville, sans faire de bruit, en mal de stabilité sur ses chaussures. A chaque pas, il manque de peu la chute. Car Golgotha questionne : comment la société de consommation peut mener l'Homme à sa fin ? Cette performance est créée suite au suicide de son frère qui, selon lui, aurait été victime de la machine économique responsable d'un malaise dans un monde où tout est profit. Le terme Golgotha vient de l'hébreu « golgolet », qui signifie « le lieu du crâne », là où l'homme réfléchit. Pour le plasticien, c'est « le lieu du jugement et de la souffrance»1.
Steven Cohen essaye de retranscrire sa performance sur le plateau, pour en faire un spectacle. Sur scène, trois écrans : deux servent à de la projection, utilisée à outrance puisqu'elle est présente quasiment tout au long de la représentation, et un pour des jeux d'ombres. On y verra surtout la vidéo de sa performance dans Wall Street, des séquences plutôt longues où on le suit dans New York sous les yeux des passants étonnés. Pendant ces vidéos, on voit sa difficulté à se déplacer et on comprend vite son message. Une seule séquence aurait suffit pour nous montrer son ambition artistique puisque l'on voit les mêmes choses à chaque projection. Au sol des miroirs disposés en croix christique avec, sur chacun d'eux, des objets kitsch et colorés en verre qui s'avéreront être des lumières qu'il écrasera, déguisé en scaphandrier avec de lourdes chaussures. Deux robes sont exposées sur le plateau, une qu'il portera, faite de miroirs, d'or et de détails évoquant la superficialité de la société. La seconde est une robe en os. On fait très vite le lien entre les deux robes : encore une fois, la superficialité et la consommation peut mener l'Homme à sa perte.
Sur scène, nous assistons à un défilé de mode. Steven Cohen passe d'un élément scénographique à un autre. Il change de robe, nous montre des chaussures. Il marche avec, fait un aller et retour et les enlève. Quelques passages du spectacle font alors sourire puisque son message ne devient plus « regardez comme l'homme est instable dans ce monde » mais « regardez mes paires de chaussures ». Ici, pas de place au questionnement puisqu'entre les projections de sa performance, ses costumes, sa nudité omniprésente, ses chaussures écrasantes des têtes de mort, la croix qu'il piétine, tout est lié et le message est clair. Il nous impose ces idées sur un sujet des plus contemporains: dénoncer le capitalisme. Il est important de remarquer que, de nos jours, toutes les critiques fusent sur la société actuelle avec les problèmes écologiques, la mondialisation ou encore la société de consommation. C'est presque devenu le sujet favori mais cette dénonciation n'est qu'un thème redondant.
Le tout est emporté par des chansons aux paroles évocatrices comme l'une d'entre elles où l'on comprend parfaitement « Rest in peace », paroles choisies à la mémoire de son frère. Il fait du sujet du spectacle un cas personnel. A travers sa dénonciation, il se focalise sur la mort de son frère, comme si ce spectacle lui permettrait de faire son deuil. Ce qui est regrettable est que le spectateur ne sait pas où se placer: Cohen cherche t-il à nous faire réfléchir sur un sujet actuel ou veut-il simplement un soutien de notre part quant au décès de son frère.
Le point fort de ce spectacle est, malgré tout, l'esthétisme. Sur scène, Steven Cohen est une créature et emporte le public dans un monde qui semble surnaturel. L'ambiance est glauque, on sent que quelque chose ne va pas avec ce personnage. Il nous propose des images aux symboles, certes faciles, mais fortes, comme écraser la croix christique. Chaque tableau qu'il nous propose est une nouvelle façon de dénoncer l'économie. Toutefois certaines scènes peuvent heurter la sensibilité comme une où il se met une muselière sur le visage qu'il accrochera sur une barre. Derrière lui est projeté une scène de torture, où l'on voit un homme sur une chaise électrique. Son image en contre jour peut nous évoquer celle d'un pendu, ou encore le slogan « Tais toi et consomme ». Il atteint le spectateur en lui montrant des images bouleversantes et choquantes.
En définitive, Golgotha aurait dû rester une performance. Il est dommage que Cohen en ai fait une adaptation, surtout pour y voir la vidéo de sa « promenade » à New York. Il aurait peut-être du refaire sa performance dans Bordeaux. Ce spectacle est un « fourre tout » artistique. Il a souhaité mélanger vidéo, musique, performance, théâtre et expression corporelle oubliant peut-être que l'œil du public ne peut pas tout percevoir en même temps.
Pierre RAUTUREAU
1 http://www.artslink.co.za/stevencohen/