Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Ma pratique de critique
La critique est un art difficile. Elle implique une certaine rigueur et une certaine méthode intellectuelle, qu'il est ardu d'acquérir. Ce qui est le cas pour moi. Du moins, en ce qui concerne la critique universitaire. En effet, il est difficile pour ma part de rentrer dans l'analyse d'une pièce de théâtre, en allant chercher dans les moindres détails chaque partie, chaque proposition faite ; je ne sais pas faire cela. Pour moi, une critique doit aller à l'essentiel, dire ce qui est bon, ce qui ne l'est pas sans rentrer dans des explications rationnelles. Je pense avoir plus de place dans la critique journalistique, elle permet, je crois, un contact direct avec les lecteurs, sans fioritures. Surtout, il me faut du temps pour poser sur le papier mes impressions, je n'écris pas dès le baisser de rideau, je ne peux pas ; mes impressions, mes sentiments ont besoin d'être pétris de l'intérieur, de macérer pour enfin arriver au bout de ma plume. Je fais des plans, je sors les mots que je dois placer absolument. Mais une fois ce processus acheminé, je n'écris que d'un seul jet, sans y revenir après comme pour ne pas fausser tout ce que je viens d'écrire.
La critique m'a apporté une capacité d'analyser assez concise. En allant voir un spectacle, je vois, j'interprète ce qui pourrait plaire au public lambda ou non, j'essaie de me mettre à sa place, parfois un peu trop c'est vrai. A la radio en revanche, ma méthode de travail est complètement arbitraire par rapport à la critique. Effectivement, à la radio j'ai davantage besoin de prendre des «risques», d'y aller sans aucun filet presque, sans avoir au préalable écrit quelque chose, je me pose beaucoup moins de question et je préfère.
Pourtant, écrire procure une sensation assez perverse de supériorité, je me sens un peu pousser des ailes, j'ai l'impression que mon avis détient toutes les vérités alors qu'une fois le point final posé sur la feuille, le doute reprend le dessus, je sais très bien que tout cela n'est qu'un exercice. Mais qu'importe, j'écris toujours et pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, si je veux écrire c'est pour informer les gens. Toutes ces classes moyennes qui n'ont pas ou peu l'occasion, le loisir, d'aller au théâtre me touchent. Cette démarche peut sembler prétentieuse mais je crois que cela m'est profondément égal ; si une critique, à quelque niveau qu'elle soit, peut donner l'envie d'aller au théâtre, la mission est remplie. J'aimerais que la critique ait ce pouvoir là, celui de faire bouger les choses, d'inciter les personnes à accéder à la culture et, plus particulièrement, au théâtre. Ainsi, dans mon style d'écriture, j'essaie de leur accorder la place qu'elles méritent en n'employant pas de vocabulaire trop pompeux, en essayant de dynamiser mes écrits par plusieurs points d'exclamations et en donnant à mes critiques des titres accrocheurs. Je ne supporte pas les gens qui critiquent le théâtre de Boulevard ou toutes autres formes de théâtre un peu populaire, qui ne s'adressent pas aux bobos bordelais, aux blasés du théâtre comme on peut voir dans Télérama.
Ensuite, j'écris aussi dans un devoir de mémoire, pour me permettre de garder les traces d'une expérience théâtrale vécue, sans l'oublier. En voyant beaucoup de spectacles, la mémoire devient plus sélective, plus changeante, on perd de vue certains détails ou certains aspects qui nous avaient particulièrement marqués. Écrire, c'est pouvoir mettre des mots sur des sentiments, des souvenirs bons ou mauvais. Ecrire, je crois que c'est tout simplement faire parler sa sensibilité personnelle sans retenue, pour pouvoir relire quelques années plus tard et se rappeler de telle ou telle chose, comme si c'était récent. La mémoire est fragile, il faut pouvoir l'entretenir. Après des spectacles j'écris sur un carnet quelques mots, souvent des adjectifs et je dessine les scénographies pour m'en inspirer à l'occasion, pour m'imaginer faire une mise en scène « comme-ci » ou « comme ça ». Ces écrits forgent chacun de nos futurs projets artistiques.
Et puis, j'écris pour le plaisir. Malgré les contraintes et l'obligation qui exigent de nous de rendre des productions écrites, le plaisir doit être un moteur essentiel. Le choix de notre critique dépend totalement d'une envie de parler d'un spectacle en particulier. Il n'est en aucun cas imposé. Et souvent, je privilégie le choix du coup de cœur et ma critique va être positive. Je ne parle quasiment jamais de spectacle que je n'ai pas aimé. J'ai tendance dans mes écrits à en rajouter un peu, d'être en totale admiration pour l'artiste et le spectacle, j'ai beaucoup de mal à modérer mes propos, à rester dans la neutralité. Mais en même temps, je ne suis pas sûre de vouloir rester tout à fait neutre. J'éprouve un réel plaisir à commenter un spectacle que j'ai adoré, je repense à chaque petit moment qui m'a fait ressentir ce sentiment-là, je souris de nouveau en repensant à cette phrase-là ou à ce geste. Je m'amuse. Je pense que si je n'écris pas sur une pièce qui m'a déçue ou énervée, c'est tout simplement pour ne pas retomber dans cet état là, pour ne pas me mettre en colère ou m'emporter sans réel argument parfois, je l'admets. Je ne souhaite pas tomber dans le mépris gratuitement, je crois tout bêtement que j'ai peur, vraiment, pour le coup, de ne pas être assez neutre.
Enfin, j'écris pour défendre un spectacle ou un genre de théâtre tout simplement. J'ai envie de faire connaître le travail de tel ou tel artiste, d'expliquer pourquoi il faut aller le voir, pourquoi il est important. Par exemple, la grande majorité des spectacles qui m'ont touché, sont des spectacles de marionnettes. Et pourtant, je ne connaissais rien à la marionnette, j'étais remplie de clichés, pensant que les marionnettes c'était Guignol. Heureusement, j'ai dépassé cela et j'ai appris à connaître cet univers, et je souhaiterais vivement que beaucoup de gens se rendent compte que les marionnettes ce n'est pas que du Guignol dans un castelet pour enfant, c'est surtout beaucoup de travail et de maîtrise, et qu'il est inconcevable de savoir sans voir un «vrai» spectacle de marionnettes. Je voudrais faire découvrir des artistes aux autres, leur permettre de s'intéresser à des mondes qu'ils ne soupçonneraient même pas. Parce que je pense que le critique est capable de cela, il doit dis-je être capable de ça. Beaucoup de mes critiques portaient sur la marionnette, c'est ainsi que je souhaite être en quelque sorte la porte parole d'une certaine image du théâtre et donner envie à tout le monde d'y aller. C'est grâce au spectacle Vampyr de Neville Tranter que j'ai eu cette révélation et depuis j'essaie de le défendre un maximum.
Cette expérience de critique m'a apporté beaucoup sur le plan personnel, je me suis forgé un stock d'images et de souvenirs que je peux ressortir à n'importe quel moment, en me disant que j'y étais. Je souhaiterais poursuivre la rédaction de critique journalistique car je pense me diriger vers le métier de journaliste culturel, en continuant de parler pour les spectateurs de classes moyennes ou ceux qui ne vont pas au théâtre. Je voudrais continuer à défendre ce projet là qui me tient à cœur. Il est important que chacun puisse aller au théâtre, et surtout qu'on leur donne envie d'y aller.
Laura Ferrando