Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).

Ma pratique de critique, par Pauline Valentin

 

 

Critiquer, ou oser parler en son nom

 

 

 

Il y a trois ans, je suis passée de l'écriture d'analyse théâtrale du Lycée, à l'exercice de la critique proposé par l'université. Ce fut une bascule très difficile car je passais d'une analyse objective, à une prise de position et une écriture plus pointue, plus incisive. Oser écrire "je" et mettre en avant mes interprétations me paraissait inapproprié. Pour moi, ce qui était intéressant lorsqu'on rendait compte d'un spectacle, c'était d'en parler assez pour en donner une idée précise mais pas trop pour laisser le jugement du lecteur libre.

Apprivoiser cette pratique ne fut pas très agréable car elle provoque souvent des remises en question, écrire sur un spectacle, c'est aussi approfondir les réflexions sur sa pratique de comédien, de metteur en scène (puisque nous ne sommes pas forcément tous des critiques en herbe à l'université) et lorsqu'on n'arrive pas à comprendre ni à écrire sur le spectacle qu'on doit traiter, un grand vide nous envahit. Mais en prenant du recul, on se rend compte de ce que nous a apporté cet exercice et de quelle manière notre regard change vis à vis de l'écriture et des représentations théâtrales.

 

 

J'ai toujours vu les analyses, critiques, dissertations (comme celle-ci par exemple) comme des exercices contraignants qui me demandent beaucoup d'effort de mise en route. Écrire n'est pas ce que je préfère, je n'ai jamais tenu de journal intime et, soit dit en passant, je trouve ridicule qu'on nous oblige à tenir un carnet de bord dans certaines matières. Pour le coup je ne vois pas l'intérêt d'écrire pour soi, surtout lorsqu'on ne se relie jamais!

Je me suis souvent posé la question de l'utilité de mes devoirs. Certes c'est un exercice de style mais il me paraissait sans perspectives, sans enjeux. Le désir d'un critique de théâtre ou de cinéma c'est tout de même d'être lu et de provoquer des réactions, des discussions. Là, quoique j'écrive, rien ne se passe... Soit parce que la critique reste dans le domaine scolaire, soit parce qu'on considère que je n'ai pas vraiment de légitimité à juger. Lors des différents exposés menés en cours sur l'état actuel de l'activité de critique, différents articles parlaient des blogueurs comme des gens inaptes à porter un jugement, qui restent dans l'émotion et le ressenti sans prendre du recul. Mais qui réellement peut se permettre de décider que tel ou tel écrit est une critique ou une remarque insignifiante.

De plus, j'aurai tendance à me considérer plus comme une critique de l'intérieur plutôt qu'une critique de l'extérieur, car lorsqu'on pratique le théâtre et qu'on va voir un spectacle, on ne peut s'empêcher d'essayer d'entrer dans la démarche de création, dans l'imagination de ce qu'ont pu être les étapes de travail pour arriver à ce résultat. Or, qui dit critique de l'intérieur dit rapports, échanges avec les artistes mais ils ne liront vraisemblablement jamais nos critiques. Et quand bien même ils les liraient, quel poids leur accorderaient-ils? Je ne suis même pas sûre que tous les artistes prennent en compte les papiers critiques qui sont écrits sur leur travail. On remarque très bien dans divers dossiers de production, que les articles joints sont toujours élogieux. Et je les comprends, car il y aura toujours quelque chose à redire sur un spectacle, étant donné que c'est vivant, que ça bouge. Quelque chose de parfaitement travaillé peut se perdre d'une représentation à l'autre. Contrairement au cinéma où une fois que le film est terminé, retravaillé, c'est un objet fini. Si on prend en compte l'avis et l'interprétation de chaque spectateur, on avance surement moins efficacement dans une création artistique. Mais peut-être que la prise en considération par les artistes de certains écrits plus critiques et constructifs pourrait être intéressante à mettre en avant car elle témoignerait d'une certaine complexité, et permettrait de faire comprendre que même lorsqu'on est créateur, on n'est jamais sûr de rien.

Je me suis souvent demandé, si je ne me mentais pas à croire que ce que j'écrivais était sans aucun doute des interprétations et des avis personnels. Car en y réfléchissant, simplement dans le cadre de notre promotion, il y a des spectacles qui font l'unanimité et d'autres qui sont rejetés presque par principe (metteur en scène, compagnie ou texte qui ne nous plait pas d'office). J'en suis venue à me dire que nous étions malgré nous "formatés" car nous côtoyions régulièrement les mêmes lieux, les mêmes personnes et que notre discours fini par se fondre dans celui des autres sans qu'on s'en rende compte. Ne soyons pas paranoïaques pour autant, il serait également bête de toujours être en contradiction avec les autres sous le seul prétexte de ne pas se sentir influençable!

 

 

Consciente de mon inefficacité à faire évoluer les productions artistiques par mes critiques, je leur trouve avec de la distance une utilité plus personnelle...

Coucher des mots sur le papier permet de faire un travail de mémoire, je me souviens davantage des spectacles sur lesquels j'ai écrit, auxquels j'ai réfléchi. L'écriture permet de prolonger le temps de la représentation, de s'intéresser de plus près au travail de la compagnie, à ses démarches. On quitte l'émotion, le ressenti pour aller vers l'argumentation et la réflexion. Il y a des spectacles par contre dont je n'ai pas envie de parler car justement je ne veux pas quitter le domaine de la sensation. Et d'autres spectacles que j'apprends à aimer à postériori, en écrivant et en faisant des recherches. Je comprends des éléments qui ne m'étaient même pas parvenus sensiblement pendant le spectacle. Si je n'écris pas sur un spectacle et qu'on en reparle plusieurs années après, même si je l'ai adoré j'ai tendance à répondre simplement "Ah oui je me souviens, c'était bien!", il ne me reste plus qu'un vague souvenir.

Le travail de la critique commence dès les discussions avec les gens à la sortie ou quelques jours après le spectacle, au début on ne sait pas trop quoi dire puis on prend le temps de réfléchir, on entend des bribes de conversation, on réagit à des propos de manière impulsive comme « Ah non! C'était trop... trop beau ça.. trop... », puis petit à petit on se forge une idée et des arguments pour la défendre. Le travail continue lorsqu'on rentre chez soi et qu'on nous pose la question « Alors t'as passé une bonne soirée? C'était quoi comme spectacle? ». On est alors obligé de faire une description très rapide, de la scénographie, du sujet, des enjeux principaux du spectacle. Je m'oblige à rester simple dans mon expression car j'écris pour donner envie d'aller voir. Mine de rien, ce travail permet d'aller à l'essentiel et de remettre nos idées en ordre. Quand j'écris, je me fais toujours relire et la question que je pose sans arrêt c'est "Alors tu comprends quelque chose?" puis il m'arrive de montrer des images du spectacle à cette personne et de lui demander si c'est ce qu'elle imaginait.

La critique me permet d'approfondir mes propres réflexions, théoriser, schématiser et coucher les mots sur le papier m'aide à prendre du recul par rapport aussi à ce que j'ai envie de dire lorsque je suis sur scène et comment j'ai envie de le dire. C'est bien d'être exigeant avec les spectacles qu'on va voir mais il faut aussi pouvoir l'être avec son propre travail, et en général, on devient vite plus respectueux des propositions artistiques qui nous sont faites.

 

 

La seule difficulté pour moi à écrire une critique c'est simplement de m'y mettre, j'écris "un ours" en une seule fois que je retravaille ensuite. C'est le cas aussi pour cette dissertation mais je suis satisfaite une fois le travail terminé, je me sens légère (ça c'est parce que j'arrive à la conclusion!). Outre le travail universitaire, je retiendrai de l'exercice de critiquer que ce n'est pas forcément négatif comme je le pensais mais que c'est un essai qui permet d'avancer aussi bien personnellement que pour l'artiste s'il prend la peine de le lire. Le tout c'est d'être constructif.

 

 

 

 

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article