Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Spectacle présenté au Glob théâtre du 18 au 26 Octobre 2012
© Glob Théâtre
Danseuse et chorégraphe, Naomi Mutoh est née au Japon et a suivi des études d’improvisation à partir du butô à Tokyo avec Tetsuro Fukuhara. Tout au long de son parcours elle a associé la modernité à la tradition du butô. Elle a aussi créée des chorégraphies où l’on trouve des inspirations venues du théâtre Nô et Kabuki.
Lors de la création de Togué de Carlotta Ikeda (compagnie Ariadone), elle rencontre Laurent Paris, membre du collectif artistique bordelais Spina. Les créations de ce collectif mêlent image et son en intégrant les nouvelles technologies dans le spectacle. De cette rencontre entre butô et rock est créée la compagnie Medulla.
Pour mettre en scène le spectacle, la compagnie a fait appel à Gilles Baron, chorégraphe et danseur de formation classique, qui a déjà fait des mises en scène pour le cirque comme, par exemple, celle du spectacle de fin d’étude des étudiants de l’Ecole Nationale des Arts du Cirque de Rosny. C’est un artiste qui touche à tout, aimant combiner les arts : cirque, théâtre, danse, et musique. Ce goût du mélange des disciplines se fait sentir dans Persistance, dans l’équilibre trouvé entre la musique et la danse : la danse n’illustre pas la musique et inversement. Le spectacle met en valeur les deux arts et les marie parfaitement.
Persistance est un spectacle de danse butô. Le butô est une danse née au Japon dans les années 1960, suite aux bombardements d’Hiroshima, de Nagasaki, plus généralement suite aux horreurs de la deuxième guerre Mondiale. Le mot « butô » est formé de deux idéogrammes voulant dire : danser et frapper le sol. C’est une danse de la performance mais qui en même temps est une introspection, un retour sur soi. Elle est reconnaissable par son minimalisme, et la lenteur de ses mouvements.
Cette danse combinée à l’énergie de Spina engendre Persistance : une sorte de poème sauvage, empreint d’une légèreté vibrante, où l’obstination dans le déséquilibre de Naomi Mutoh nous mène jusqu’au déchirement. Une danse fragile mais pleine d’une force brutale.
La blancheur de la robe de l’interprète se détache et persiste dans l’œil du spectateur, et sur le fond noir de la scène, les mouvements lents et lourds du butô font écho à une mémoire enracinée profondément en chaque spectateur et deviennent presque angoissants.
Persistance se place dans la lignée du butô qui se veut très intérieur, le spectacle nous amène dans l’univers sombre presque opaque de Naomi Mutoh. Elle nous entraine, nous fait partager ses douleurs, ses racines, son regard, ses croyances, mais surtout sa persistance sa volonté de poursuivre, de continuer coûte que coûte son chemin.
Déroulé :
Au début du spectacle, Naomi Mutoh évolue plutôt dans un univers rigide, froid, où elle est prise au piège par les mœurs très strictes d’une famille de la bourgeoisie traditionnelle japonaise (symbolisée par le livre qui pèse sur sa tête). Puis, elle tente de s’en défaire, de rompre avec la tradition. Apparaît alors devant le spectateur une créature quasi-animale, qui se débarrasse de ses pointes, dernier symbole de la tradition, avec les dents. Il lui faut dès lors se construire une identité nouvelle, un langage corporel. Mais la tradition la rattrape, son propre fantôme semble même la poursuivre lorsqu’elle porte sur le visage un voile, et qu’elle finit par se retrouver emmêlée dans de riches tissus traditionnels japonais. Né alors un « monstre », une « grand-mère », comme Naomi l’appelait au départ, qui avance vers le spectateur, les yeux révulsés et la mâchoire béante. Puis le monstre disparaît, et laisse place à ce qu’on peut considérer comme un bébé. C’est, selon Naomi Mutoh, une petite touche d’espoir qu’elle a voulu transmettre dans ce spectacle : il peut encore naître de l’ancienne génération un être bon et innocent. Cet espoir est aussi valable pour le monde dans lequel nous vivons actuellement, et plus particulièrement pour le Japon qui, selon Naomi, ne vit que par la consommation et qui, revendique même ce mode de fonctionnement. Le spectacle se termine sur une autre image, plutôt un son, positif : celui de la voix de Naomi Mutoh. Elle chante dans sa langue natale une mélodie douce et apaisante pour clôturer ce voyage intérieur auquel elle vient de convier le spectateur.
Le spectacle est en partie autobiographique concernant la danseuse, son parcours dans la danse, ses réussites et ses échecs, la présence pesante de la tradition, et de sa culture. Naomi Mutoh est en effet à la fois danseuse-interprète, et chorégraphe du spectacle. Elle est née au Japon, le berceau de la danse butô, mais commence par de la danse classique. C’est plus tard qu’elle se tourne, vers le butô, et est formée par Carlotta Ikeda et Tetsuro Fukuhara. Lorsqu’elle danse, elle donne à voir et imaginer au spectateur des choses personnelles et intimes.
©Glob Théâtre
Scénographie :
La scène se compose de plusieurs espaces séparés par un tulle : l’espace de la danse, l’espace des musiciens (fond de scène cour), un espace où des photos sont accrochées à un mur (fond de scène jardin). La scénographie à l’image du butô est minimaliste, la danseuse occupe pleinement l’espace et crée un monde auquel viennent s’ajouter deux musiciens, dont la participation sonore contribue à modeler l’espace.
Naomi Mutoh, vêtue d’une robe blanche, est entourée de quelques objets amenés au fur et à mesure sur le plateau (un diapason, puis une malle remplie d’un kimono luxueusement décoré).
L’espace n’est pas seulement déterminé par la présence du tulle. La lumière (créée par Françoise Libier et Jean-Pascal Pracht) joue avec notre persistance rétinienne, en particulier au début du spectacle. Un noir total suit un éclairage vif, comme un stroboscope, ce qui a pour effet de laisser dans l’espace l’empreinte lumineuse du corps de la danseuse qui ne cesse de bouger. Cela déconstruit et reconstruit l’espace en permanence, et fait un peu perdre au spectateur ses premiers repères.
Sur la danse de Naomi Mutoh :
De 1992 à 1994 Naomi Mutoh a créé ses premières chorégraphies au Laban center de Londres. Dans la chorégraphie de Persistance l’influence de Rudolf Laban se fait d’ailleurs sentir. Des quatre fondamentaux (espace, poids, temps, flux) qui constituent d’après lui la danse, on trouve dans la chorégraphie principalement le poids et le flux. La danse de Naomi Mutoh joue beaucoup avec le poids, la gravité, et la pesanteur. Tout au long du spectacle la danseuse est comme attirée par le sol. La chute est un motif récurrent. La chute, la mise en danger face à la persistance du corps. Lorsque la danseuse s’élève sur ses pointes de ballerine et qu’elle s’effondre, c’est toujours pour mieux repartir, mieux se relever. Ses mouvements saccadés comme ceux d’une poupée désarticulée sont un flux retenu. Toujours selon Laban, l’association de ces deux facteurs : le poids et le flux produit l’état du rêve. Et c’est bien un spectacle de l’ordre du songe qu’est Persistance, entre cauchemar et fantasme. Les sujets sombres qui sont abordés le sont par l’intermédiaire d’un univers évanescent, fragile, comme un rêve.
© Glob Théâtre
Des informations sur le spectacle sont disponibles sur le site du Glob Théâtre :
http://www.globtheatre.net/index.php?option=com_content&view=article&id=23&Itemid=173
Ainsi que sur le site de l’OARA (l’Office Artistique de la Région Aquitaine) qui a contribué à la production :
http://oara.fr/lettre/images_upload/persistance.pdf
Le site de l’IDDAC (l’Institut Départemental de Développement Artistique Culturel) fait une description du spectacle :
« Persistance sera ainsi une expérience surréaliste sur la métamorphose de notre perception du temps, comme l’accident de la rencontre des fantômes du passé et des fantômes du futur dans le réel présent. […] C’est en trio que le propos sera développé, deux musiciens pour une danseuse habitée de présences invisibles : un regard franco – japonais stéréoscopique sur l’unité mondialiste embryonnaire, entre vielles dentelles occidentales et kimonos traditionnels, pointes de ballets classiques et Butô japonais, guitare électrique et archets classiques, une utopie de Concert Chorégraphique empreinte de mystère. »
http://www.iddac.net/site.php?rub=1&docId=222072
Autres sources :
Entretien avec Naomi Mutoh et Laurent Paris le jeudi 22 Novembre 2012.
Le site de Gille Baron : http://www.gillesbaron.com/index.htm
Le site du Tokyo Space Dance : http://www.ne.jp/asahi/tokyo/sd/index.html
Vidéo émise par le Glob théâtre sur Dailymotion, et qui présente le spectacle :
Article réalisé par Alice Heusi et Pauline Vic.