Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Spectacle présenté au Théâtre des Quatre Saisons (Gradignan) le 22/10/2013 (création 2011)
Rédaction de l'avant-papier : Richard Manoury et Perrine Thomas
A propos de Pierre Desproges :
Un cursus original. La jeunesse de Pierre Desproges n'est pas des plus banales pour un humoriste, puisqu'il commence ses études supérieures dans la kinésithérapie. Il écrit ensuite des romans photos avec ses amis et vend des assurances vies pour gagner sa vie. En 1970, il se dirige vers le journalisme. Pendant six ans, il travaille au journal L'Aurore.
Une carrière d'humoriste. Au début de sa carrière, Pierre Desproges écrit des chroniques, passe à la radio et à la télévision. Il travaille pour Charlie Hebdo, France Inter, FR3 ou TF1, des structures qui l’invitent à se tenir informé des faits d'actualité et de société, qu’il aborde ensuite dans ses textes : le rapport à la mort, le racisme, les effets de groupe, les minorités ou encore les rapports humains. En 1984, Pierre Desproges fait ses premières représentations sur scène avec le spectacle Vivons heureux en attendant la mort.
Pierre Desproges est également auteur : en 1981, paraît Manuel de savoir-vivre à l'usage des rustres et des malpolis, en 1983 Vivons heureux en attendant la mort, en 1985 le Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des biens nantis et enfin son premier roman Des femmes qui tombent.
A propos de Michel Didym :
Son parcours artistique et scolaire. Après avoir suivi la formation de comédien proposée par l'école nationale supérieure des arts dramatiques de Strasbourg (TNS), il joue sous la direction de Georges Lavaudant et d’Alain Françon. Quelques années après sa formation, il devient membre fondateur de L'APA (Acteurs Producteurs Associés). Il réalise sa première mise en scène aux côtés de Charles Berling, Succubation d'incube. Depuis, il a mis en scène une vingtaine de spectacles.
Sa carrière. A ses débuts, Michel Didym s’intéresse aux textes contemporains : il dirige des ateliers à New-York et à San Francisco en 1989 et fonde la compagnie Boomerang en 1990. Il met en scène de nombreuses pièces dans de grandes structures françaises (Théâtre de la Ville, Halle de la Vilette, Théâtre National de Chaillot, Théâtre National de la Colline, Comédie Française, Théâtre de Lyon...). Il travaille notamment sur des textes de Bernard-Marie Koltès, Samuel Beckett et Daniel Danis. Il est également le créateur en 1995 de La Mousson d’été, puis en 2011 de la Meec (Maison européenne des écritures contemporaines), dont l’un des enjeux est de favoriser les échanges de textes, les traductions d'auteurs français et européens et leurs créations. Il dirige des festivals de théâtre et prend également la direction du Théâtre de la Manufacture, Centre Dramatique de Nancy - Lorraine en 2010.
En 2003, il décide de monter un triptyque à partir des textes de Pierre Desproges avec un premier spectacle Les Animaux ne savent pas qu'ils vont mourir, un second Chroniques d'une haine ordinaire en 2011 et le dernier Savoir-vivre.
A propos du spectacle :
« Un homme et une femme nous racontent l’histoire du monde, de la genèse au péage autoroutier de Valence. Ils sont tour à tour Adam et Eve, Titi et Grosminet, Riton, le beau-frère de la femme à Dieu, Sabrina ou Françoise Sagan. Ils ont l’air un peu effaré de Pierrot et Colombine, de Nicolas et Pimprenelle, de Tartempion et Bécassine, tiraillés qu’ils sont en dissensions de couple comme César et Rosalie qui sont, comme chacun sait, sur un bateau… »[1].
La scénographie et la lumière : Olivier Irthum
Éclairagiste et scénographe, Olivier Irthum travaille souvent aux côtés de Michel Didym. Son intérêt pour l'utilisation de nouvelles technologies au théâtre le conduit à utiliser la projection vidéo comme système d'éclairage, par exemple. Ayant suivi des études d'architecture, il lui arrive de prendre en charge la scénographie de certains spectacles.
La proposition d'Olivier Irthum pour Savoir-vivre est constituée d'un grand mur lumineux au lointain de l'aire de jeu et d'un rectangle en volume de lumière juste devant. A cour, un espace est utilisé pour l'interview entre Pierre Desproges et Françoise Sagan. Un luminaire mobile, déplaçable par les comédiens permet également un éclairage de proximité. Chacun de ces éléments scénographiques est sans arrêt utilisé par les acteurs ou par la mise en scène. Le grand mur de lumières constitué de LED permet un changement colorimétrique et le dessin de tableaux simples (ex : le drapeau de la France). Le rectangle de lumière quant à lui est multifonctionnel, servant tantôt de pupitre tantôt de « coulisse » pour cacher les comédiens. Il est aussi utilisé comme support de projection (drapé de blanc, face public). La grande lampe est, elle, surtout utilisée par les acteurs: ils la déplacent et peuvent détourner son utilisation première (ex : scène avec le médecin). En reprenant les codes d'un plateau de télévision, Olivier Irthum joue avec l'idée de one-man-show amenée par le texte. L'espace devient impersonnel et se transforme avec les différentes ambiances lumineuses.
Michel Didym et Catherine Matisse (© Eric Didym)
Savoir-vivre ou savoir vivre ?
Bien que regroupant différents textes de Pierre Desproges, le spectacle est intitulé Savoir-vivre (en référence au texte Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis). C’est en effet l’œuvre qui a servi de trame dramaturgique au metteur en scène. Selon Didym, « il y a un mode dramaturgique à l’intérieur du texte Savoir-vivre qui a servi de colonne vertébrale à la création ». La référence au manuel paraît évidente aux initiés; pourtant, le spectacle est une juxtaposition de textes. L’envie du metteur en scène (et comédien) a été de faire découvrir à une nouvelle génération l’œuvre de l’auteur, mais aussi sa manière d’aborder et de s’emparer de la langue française : « Savoir-vivre, c'était à la fois un projet qui, pour nous, était rassembleur, car trans-générationnel. C'était aussi une façon très évidente de rendre accessible au plus grand nombre un projet théâtral. » Didym emploie le terme de « rassembleur », car le texte s’adresse au plus grand nombre, à la jeunesse comme aux vieux, et aborde la quotidienneté comme les valeurs traditionnelles françaises ou encore la religion (voir l’épisode de la Genèse).
Une question se pose alors : à l’instar du texte, le spectacle renvoie-t-il au savoir-vivre, aux bonnes manières, ou renvoie-t-il au savoir vivre comme leçon de vie ?
Penchons-nous sur le jeu d'acteur et la mise en scène. Au plateau, deux comédiens, un homme et une femme. Tantôt couple, tantôt parent et enfant, tantôt Desproges et Sagan, ils évoluent dans les différents espaces dessinés par la scénographie. Catherine Matisse, toujours au service de Michel Didym, dans l’ombre ou en coulisse, a moins de texte à défendre que son camarade de jeu. Que dire de cette répartition entre les deux comédiens par rapport au spectacle ?
Le texte de Desproges, quant à lui, aborde d’un ton acerbe les rapports dominants/dominés (notamment le racisme contre la plus petite des minorités, néanmoins la plus opprimée : les blancs, en bonne santé, qui ne sont pas au chômage), il grossit les clichés, néglige la place de la femme et se targue d’être misogyne.
La différence de ton entre la scène et le texte est palpable. Comment le texte, caustique, acerbe, sarcastique, piquant, toujours sur le fil, est-il rendu au plateau ? Didym opte-t-il pour la connivence, le consensuel ou, au contraire, la violence poussée ? Le spectacle cherche-t-il le politiquement correct ? Michel Didym en parle lui-même : « Pierre Desproges savait aussi instiller une forme d’angoisse dans ses textes humoristiques, j’avoue n’avoir pas gardé ce côté stressant. Je suis tellement heureux d’être vivant, de dire ce texte, de partager mon amour pour cet auteur ».
Quelques pistes de réflexion critique :
- Savoir-vivre constitue-t-il un hommage à Pierre Desproges ?
- Quelle place est accordée au rire, dans le texte comme au plateau ?
- Quelle est la teneur des rires dans la salle ?
- Comment le rapport aux médias et à la technologie est-il sensible au plateau ?
- Comment s’organise la dramaturgie du spectacle ?
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BONUS BONUS !
Rencontre avec Michel Didym
Applaudissements,
salut,
le public sort.
La salle vide, nous allons avec Sarah à la rencontre de l'équipe de tournée du spectacle Savoir-vivre. La porte de la régie est fermée, on frappe. Un membre de l'équipe nous propose de discuter avec le régisseur général de la tournée, Dominique Petit.
Au bord de la scène, nous assistons à quelques minutes du démontage, Dominique nous éclaircit sur différents aspects techniques du spectacle. Apparemment, Michel Didym resterait quelque temps dans les lieux et nous pourrions lui poser quelques questions... l'heure de départ est donc retardée.
Pendant que Michel Didym est sous la douche, Marine Lelièvre, chargée de diffusion et de mécénat au CDN de Nancy, nous explique sa présence ce soir. Elle vient vendre les différents spectacles proposés par le CDN d'aujourd'hui jusqu'en 2015. Intéressée par notre projet, elle retrace les précédents projets de Michel Didym : Les animaux ne savent pas qu'ils vont mourir et Chroniques d'une haine ordinaire, deux pièces adaptées des textes de Pierre Desproges.
Puis la porte de la salle s'ouvre, Michel Didym et Catherine Matisse s'avancent vers nous. Gentiment, Michel Didym nous invite à nous installer avec eux autour de la table. Les couverts sont déjà installés, mais peu importe. Cela n'a pas l'air de lui poser problème. Nous nous présentons pour une énième fois. Intimidés par ce personnage aux lunettes de bois, les mots s'emmêlent. Une question sans queue ni tête s'échappe de ce brouhaha intellectuel « racontez-nous l'histoire du spectacle ». Michel Didym nous raconte l'histoire des deux premières pièces du triptyque, appuyées sur les textes de Pierre Desproges. Très vite, il digresse et nous conte les textes de Desproges :
« Le plus souvent, le trac naît d’un sentiment confus de respect, d’estime, de considération, de gratitude, de l’artiste pour son public. Il est bouleversé à l’idée que tous ces gens se soient déplacés pour lui, alors que si ça se trouve, y a Bedos chez Sabatier sur la 5. Pour le voir, certains n’ont pas hésité à payer le prix de six boîtes de Whiskas aux foies de volaille, c’est-à-dire l’équivalent de six mois de riz complet pour un gosse éthiopien. Touché à cœur par cet immense amour que son public lui porte, l’artiste a justement peur de n’en être pas digne. Il a le cochonnet. Pouf, pouf. Il a les boules. C’est le trac »[2].
Très vite, La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède vient s'ajouter à la discussion, et l'épisode « Rentabilisons la colère de Dieu ». Michel Didym et ses collaborateurs artistiques se sont interrogés sur la façon de la mettre en scène sur le plateau. Etait-il intéressant de la représenter de façon spectaculaire ? Finalement, le spectacle met en avant le texte. Les digressions continuent: selon Michel Didym, le théâtre contemporain est marqué par les avancées technologiques mais conserve des dramaturgies traditionnelles.
« Le spectateur vient écouter une histoire au théâtre », dit Michel Didym. Son désir de mise en scène provient de l'art de raconter. Lors de cette rencontre, il ne cesse de nous conter une histoire : celle de Pierre Desproges. Il raconte ensuite sa rencontre avec Hélène Desproges et les textes qu'elle a pioché au fond des tiroirs. Pierre Desproges écrivait sans cesse, du matin au soir. Les textes de Desproges sont inépuisables, Michel Didym vivait comme une frustration de ne pas mettre la totalité. Faire un spectacle d'une heure et quart avec un enchaînement de textes de Desproges amènerait une « suffocation », un essoufflement du spectateur. C'est pour cela qu'il choisit de faire une rupture dans Savoir-vivre avec l'interview de Françoise Sagan.
Les discussions autour de cette table, ont vite fait tourner l'« interview » à la « rencontre » avec Catherine Matisse, Michel Didym et Marine Lelièvre. Elles nous ont permis de mieux comprendre le spectacle et les choix scéniques.
« On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui » conclut-il, le sourire aux lèvres.
Rencontre effectuée et retranscrite par Sarah Even et Richard Manoury
Sources :
Extraits vidéos :
Extraits de Savoir-vivre :
« Rentabilisons la colère de Dieu » :
Interview de Françoise Sagan :
Articles de presse :
http://www.desproges.fr/presse/les-animaux-ne-savent-pas-quils-vont-mourir
http://www.lorrainemag.com/loisirs/savoir-vivre-de-pierre-desproges/
http://www.notulus.com/article/3337/le_theatre_dete_vous_enseigne_le_savoir-vivre.html
http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2012/05/11/didym-feuillette-le-manuel-du-savoir-vivre
http://www.varia.be/fr/les-spectacles/savoir-vivre7/
Autres sources :
Feuille de salle du Théâtre des Quatre Qaisons.
Interview de Michel Didym et de Catherine Matisse
Retours de spectateurs à la sortie de la salle