Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
Sous leurs pieds le paradis de et par Radhouane El Meddeb + Duo de et par Gaspard Claus & Pedro Pauwels, soirée danse présentée au Théâtre des Quatre Saisons le 18 mars 2014
Rédaction de l'avant-papier : Marie Sassano, Elsa Boulay, Pauline Fourès, Lola Kolenc et Cindy Venant
Sous leurs pieds le paradis, de et par Radhouane El Meddeb
Conception et dramaturgie : Radhouane El Meddeb
Chorégraphie: Thomas Lebrun et Radhouane El Meddeb
Interprète: Radhouane El Meddeb
Scénographie : Annie Tolleter
Radhouanne El Meddeb
Formé à l'Institut d’art dramatique de Tunis, consacré « jeune espoir du théâtre tunisien » en 1996, il est recruté au Théâtre National de Toulouse sous la direction de Jacques Rosner. Il se met en scène en 2005 dans un premier solo Pour en finir en moi. En 2008, il crée Quelqu’un va danser pour les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint-Denis. En 2010, il signe sa première pièce en groupe, Ce que nous sommes. Depuis janvier 2011, il est artiste associé au 104 à Paris.
Notons également qu'en 2008-2009, il mène des ateliers de sensibilisation à la danse contemporaine auprès d’un large public : jeunes issus de Zones d’Education Prioritaire, associations de quartiers, personnes âgées.
Le spectacle
Dans la tradition prophétique, il est écrit que « le Paradis est sous les pieds des mères ». Le chorégraphe et danseur ajoute, dans sa note d'intention : « C’est à partir de cette figure maternelle que j’explore ce nouveau solo, sonde mon bouleversant désir d’être sur scène pour un hommage aux mères… aux femmes… à la féminité… [...] Ma danse se veut un hommage aux héroïnes, à nos mères, à nos sœurs. […] C'est un signe vers les femmes qui m’entourent et m’ont entouré, mais aussi vers la femme qui est en moi, vers ma propre féminité ».
La scène est ouverte à l'entrée du public et révèle ainsi une scénographie très simple. Le praticable noir et le rideau de fond de scène ainsi que les pendrillons (noirs eux aussi) sont laissés tels quels. Sur la scène, cinq pendrillons traînant jusqu'au sol sont ainsi disposés : deux suspendus côté cour, deux en fond de scène et un posé à même le sol côté jardin. L'on aperçoit aussi en fond de scène un autre tissu, blanc celui-ci, roulé contre le rideau. Enfin, deux projecteurs de chaque côté de la scène achèvent la scénographie assez épurée du spectacle.
Radhouane El Meddeb entre sur un côté de la scène, à moitié caché par l'obscurité et par un des pendrillons, c'est à peine si on le remarque. Là aussi, le costume est loin d'être extravagant : un short et un t-shirt à manches courtes bleu marine. Le silence règne tandis qu'il vient recouvrir sa tête du pan traînant du pendrillon ; il restera ainsi, quasi immobile, pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce que la musique démarre. Ou plutôt des applaudissements pré-enregistrés de ce qui semble être un concert.
La chanson qui accompagnera ensuite le danseur tout au long de sa chorégraphie est un poème chanté de la célèbre chanteuse égyptienne Oum Kalthoum de près de 50 minutes intitulé Al Atlal (Les Ruines) et datant de 1966. Les instruments commencent seuls, puis la voix de la chanteuse envahit la salle, grave, forte et lancinante. Le rythme de la musique n'est pas toujours suivit par la danse, mais le lien entre les deux arts est visible.
Le danseur (qui est loin d'en avoir la carrure classique avec son embonpoint marqué) exécute des mouvements simples, souvent répétitifs, s’apparentant tantôt à du mime (coup de poing, démarche féminine...), tantôt à des formes plus abstraites (secouer son corps et sa tête dans une sorte de transe à quatre pattes sur le sol).
Le spectacle dure à peu près 1h et se clôt par une rupture totale du rythme lent et saccadé qui a prévalu jusqu'alors. Effectivement, l’interprète finit par se déshabiller complètement sur scène après avoir joué un moment aux différents stades de son effeuillage. C'est avec stupeur (et quelques sorties de la salle par des familles avec enfants) que le public découvre le danseur aux formes généreuses de dos, dans le plus simple appareil, avant qu'il ne s'enroule rapidement dans le drap blanc précédemment ramené au milieu de la scène. Le danseur finit complètement recouvert, agenouillé et les bras écartés vers une lumière blanche venue d'en haut. La musique s’éteint puis la lumière la suit progressivement à son tour jusqu'au noir total.
Duo, de et par Gaspard Claus & Pedro Pauwels
Gaspard Claus
Il commence le violoncelle à l’âge de 5 ans puis fait de longues études au conservatoire. Artiste très hétéroclite, il travaille avec des musiciens électroniques, pop, de flamenco, philharmoniques, avec des danseurs ou des comédiens. Il joue notamment avec Nina Dipla (qui a travaillé avec Pina bausch) ou Moeno Wakamatsu (qui a travaillé avec Merce Cunningham). En 2013, il a été en charge de la création du Printemps de Bourges.
Son désir est souvent de préserver le plaisir de l’écoute dans des situations extrêmes ; ainsi, dans le spectacle Duo, il joue avec un violoncelle suspendu et mobile, et utilise tout le corps de l’instrument pour créer un univers de sons.
Pedro Pauwels
Il se forme à l'Ecole Renate Peter de Bruxelles puis intègre le jeune Ballet International de Cannes. Il fonde sa compagnie avec laquelle il représente la France en 1993 dans « Les Bancs d’Essais Internationaux » à Lille.
Il chorégraphie également pour l’Opéra du Rhin, le Jeune Ballet International de Cannes et l'Opéra-Théâtre de Massy. En 2008, il crée Libellule, solo pour la Cie Armo. En 2009, il crée le duo chorégraphique 24 minutes. En juillet 2011, il est invité par le festival d’Avignon dans le cadre des Sujets à vif, rencontres coproduites par la SACD.
Le Centre National de la Danse (CND) édite son livre autobiographique, J’ai fait le beau au bois dormant.
Le spectacle
Le point de départ de ce projet est basé sur la rencontre entre les deux artistes sus-cités, Gaspard Claus et Pedro Pauwels, et sur leur volonté commune de confronter leur esthétique et leur recherche. Le spectacle, basé sur le désir créatif partagé d’une chorégraphie musicale, a eu comme seule contrainte de départ une paire de gants de boxe, symbole de « ce qui résiste ». De cette confrontation, est né un « work in progress ».
Comment se présente-t-il ? Après un entracte de 20 minutes suivant la fin du premier spectacle, nous retournons à nos places et faisons face cette fois à un rideau fermé. A son ouverture, une toute nouvelle ambiance s'offre à nous : le praticable noir est recouvert d'un carré de lino blanc ; à l'avant-scène, deux hommes au visages caché d'un sweet à capuche, noir pour l'un et gris pour l'autre, se font face, chacun assis sur une chaise ; enfin, au milieu de la scène, entre eux, se tiennent un violoncelle suspendu aux cintres par le manche, à l'aide d'un câble, et un archet placé dans un étui blanc non loin.
Les deux hommes se jaugent un moment du regard dans un silence absolu, puis soudain, l'un envoie une balle de tennis à l'autre qui la rattrape. Le geste est un instant suspendu, l'un renvoie la balle à l'autre et inversement, puis le jeu se répète une dizaine de fois peut-être. Les capuches sont retirées et nous découvrons les deux hommes : l'un très longiligne, les cheveux gris, l'autre bien plus jeune, les cheveux noirs.
Deux balles sont sur scène, à présent, les deux hommes se les renvoyant à coup de grands rebonds à la chute parfois aléatoire. Le plus âgé continue de s'envoyer la balle et de jouer avec, la faisant rebondir et rouler entre ses doigts, venant au sol avec elle tandis que le jeune s'approche du violoncelle trônant toujours au centre.
Un coup d'archet et une salve de notes fuse, puis d'autres. Tout le violoncelle est utilisé, le violoncelliste ne se limitant pas simplement aux cordes et allant jusqu'à faire se balancer l'imposant instrument d'un bout à l'autre de la scène. Le regard passe du violoncelliste au danseur, toujours occupé avec sa balle de tennis. Les deux artistes ne se regardent plus, mais leurs gestes et mouvements semblent faire écho les uns aux autres. Le musicien suspend son archet et s'éloigne ; mais surprise : la mélodie ne s'interrompt pas. Les sons produits par le violoncelle, enregistrés en direct et retransmis, se répètent en boucle et se superposent aux « nouveaux » sons produits par l'instrument. Il en sera de même le restant du spectacle, ce dispositif créant parfois de curieuses compositions, mélanges de notes harmonieuses, de grincements et autres sons.
Le danseur répond de diverses manières à ces mélanges incongrus : par exemple, son corps se tord sous les crissements de l'instrument ; mais au bout d'un certain temps, nombre de spectateurs ne le remarquent plus vraiment, le regard étant plutôt attiré par l'origine du bruit au milieu de la scène.
Finalement, les deux artistes reprennent place sur leurs chaises respectives, s'envoient à nouveau la balle de tennis, puis remettent leurs capuches et se figent dans le silence retrouvé.
Plan du krinomen
A) Le lieu, sa scénographie et son public
Réactions du public (rire, départs, colère) amène la question de la pertinence, la cohérence ou non du choix du lieu théâtral (le Théâtre des Quatre Saisons), ses spectateurs étant peu habitués à la danse contemporaine.
B) Qu'est-ce qui d'après vous, outre le lieu, relie les deux spectacles ? Qu'est-ce qui les sépare (forme, intention...) ?
C) Ce qui, d'après nous, relie les deux spectacles :
Le rapport entre corps et musique/son dans les deux spectacles : complémentarité ou concurrence entre musique et danseur(s) (dans Duo notamment) ?
La nature performative des spectacles : les spectacles présentés ne seraient-ils pas plus proches de performances chorégraphiques que de spectacles de danse au sens ordinaire, puisqu'ils procèdent d'une expérimentation du corps et du son (avec un aspect « work in progress » volontaire pour Duo) ?
Cohérence des propos : est-ce que les intentions artistiques (ou les « thématiques ») sont claires, comprises, reçues (la femme pour Sous leurs pieds le paradis et la confrontation pour Duo) ?
Question de la légitimité de ces danses en tant que spectacles et en tant qu’art : séries de gestes incompréhensibles ou réelle réflexion et rendu artistique convaincant ?