Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
- Du 5 au 7 Février au TNBA de Bordeaux -
Dada Masilo est une danseuse et chorégraphe d'origine sud-africaine. Âgée de seulement 27 ans, elle a déjà revisité plusieurs grands ballets classiques tels que Roméo et Juliette, Carmen avant de s'attaquer au Lac des Cygnes. Dada a étudié à Braamfontein's National School for the Arts en Afrique du Sud d'où elle est sortie diplômée en 2002. Elle a ensuite poursuivie sa formation artistique à PARTS (Performing Arts Research and Training Studios), l'école d'Anne Teresa De Keersmaeker à Bruxelles.
© Hendysaintlloyd
Sur cette image, Dada Masilo reprend la célèbre position du cygne, à terre, une jambe allongée et le buste vers l'arrière. Le tutu blanc fait ressortir les muscles de la danseuse.
Soutenue par la Dance Factory de Johannesburg, Dada Masilo évoque dans Swan Lake, pièce chorégraphique d'une heure, des sujets d'actualités; la question des genres et de l'homophobie en Afrique du Sud. Les 12 danseurs, hommes et femmes, tous vêtus de tutus et les pieds nus, exécutent avec une énergie explosive des mouvements mélangeant la danse traditionnelle africaine, la technique classique et la danse contemporaine. Les états de corps traduisent alors les états de coeur. La force de la chorégraphie est ici puisée par les pieds qui frappent le sol, les hanches qui roulent et les cris (youyous) des danseurs.
© Biennaledeladanse
Sur cette photographie, dix des douze danseurs sont visibles. Tous habillés de tutus et de crêtes blanches, ils représentent les cygnes. Les hommes sont placés en avant-scène à l'opposition des femmes, qui vêtues de justaucorps blancs, sont placées dans la seconde ligne.
L'unisson se ressent aussi bien dans les corps que dans l'expression du visage. Heureux, ils partagent la danse avec les spectateurs. Leur mouvement est fluide et le buste, légèrement incliné en arrière, laisse penser à de la danse classique. En appui sur la jambe gauche, ils avancent dans la diagonale. Leurs pieds, pointés, semblent être aspirés par la direction.
Le sol et le fond de scène sont identiques, une atmosphère douce et nocturne s'en dégage. La nuance bleu des éclairages souligne les lignes corporelles dans l'espace.
La scène est recouverte d'un tapis de danse blanc. Les créations de lumières, régies par Suzette Le Sueur, jouent sur les contrastes, laissant apparaitre la virtuosité des corps. Le rouge et le bleu viennent animer la scène de petits cercles et alimentent la narration du ballet. L'espace est ici un lieu d'évolution corporelle mais aussi théâtrale par la présence du personnage du Roi qui endosse avec perfection le rôle du “présentateur”. Dès l'ouverture du rideau, le roi, interprété par Nicola Haskins, parodie le célébre ballet classique Le Lac Des Cygnes. Telle une démonstration technique, les danseurs de la troupe exécutent avec exagération les pas, très formels, de la danse classique. Cependant Swan Lake n'est pas une parodie. Novatrice, Dada Masilo déstructure le Lac des Cygnes en offrant une version contemporaine et métissée du célèbre ballet.
La trame originelle du Lac des Cygnes est en partie respectée. Nous retrouvons les mêmes personnages tels que Odette, Odile et le Prince Siegfried. La musique associe le traditionnel Tchaïkovski à quelques notes de Saint-Saëns, Steve Reich et Arvo Pärt. Dans le ballet classique du Lac des Cygnes, la narration est divisée en quatre actes. Dans son œuvre Dada Masilo structure la narration, ainsi les différents tableaux, au nombre de quatre également, sont partagés par les éclairages.
Jouant sur la dualité et l'ambiguité homme - femme dans sa pièce, Dada Masilo réalise ici un tableau évoquant avec finesse un problème d'actualité faisant de Siegfried un prince aux amours homosexuelles.
© Biennaledeladanse
Cette photo donne un souffle poétique sur un porté entre Odette et Siegfried. Un porté aux allures virtuoses et sensuelles mis en valeur par un éclairage bleuté qui semble représenter la douceur de la nuit. Ce duo, placé au centre, en avant-scène, est sujet aux regards des autres danseurs. Ils semblent admirer et apprécier l'”union” de ces deux corps. Le Roi regarde au loin. Assis à proximité des deux protagonistes, il supervise la situation de façon détachée.
L'individu ne porte-t-il pas en lui une part de cygne blanc et une autre de cygne noir ? Est-ce alors ce qui créé le tourment ? Le cygne blanc, à l'origine, représente l'irréalité, la poésie et la tendresse. Dans Swan Lake, Dada Masilo interprète elle-même le rôle d'Odette, le cygne blanc, et donne alors à son personnage une dimension possessive et euphorique, normalement attribuée au cygne noir. A la différence, le cygne noir, symbole mystique et diabolique est représenté, dans Swan Lake, comme un être sensible et délicat. Il est interprété par un homme, en tutu et sur pointes. Cette dualité ne respecte pas l'identité première des personnages du Lac des Cygnes. Nous pouvons penser que l'échange des traits caractéristiques est ici un moyen de souligner l'orientation sexuelle du Prince mais également une façon de faire appel à l'humanité de chacun, peu importe sa culture et de briser les stéréotypes.
Le Roi et la Reine, parents du Prince Siegfried, sont interprétés par les seuls danseurs blancs de la troupe. Ce parti pris évoque-t-il une dénonciation de supériorité raciale ? Nous pouvons, en effet, émettre cette hypothese car ils possèdent lepouvoir de décision matrimoniale. Lorsque le prince Siegfried refuse la main d'Odette pour celle d'Odile, nous pouvons entendre “Tu es une honte !” de la part de son père et assister a la chute au sol de sa mère.
Enfin, Dada Masilo nous propose une pièce unique aux enjeux personnels et aux retombées universelles. La pluridisciplinarité et les enjeux sociaux permettent de toucher un grand nombre de spectateurs.
Quelques liens :
Un court reportage avec Dada Masilo :