Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
© Jean-Christophe Sounalet
« Pour cette nouvelle création, le collectif AOC met une fois de plus, le spectaculaire au service d’un propos qui les touche : l’individu face au groupe. Le fameux "vivre ensemble" est observé, interrogé, décortiqué, chorégraphié… Comment affirmer sa singularité dans une société hyper codifiée ? Comment s’intégrer, trouver sa tribu, y vieillir, s’en défaire, être ou non dans la norme, se trouver, se comprendre ? C’est par le biais du mouvement, de l’humour, du contrepoint et quelquefois de l’absurdité, qu’ils tentent de trouver une réponse à ces éternelles questions. Trampoline, trapèze ballant, cadre aérien, mât chinois, fil de fer… le geste acrobatique s’inscrit dans la narration comme support du vécu, de l’intime à l’universel. Pour bousculer leurs propres codes et donner corps à cette expérience, les quatre fondateurs du collectif ont invité de nouveaux partenaires sur la piste et convié Harold Henning pour la mise en scène, en aspirant à un cirque vivifiant pour les yeux, les oreilles et stimulant pour l’esprit. » Tel est le texte de présentation délivré pour leur spectacle.
Autour du spectacle
Le collectif
En mars 2000 naît le Collectif A (Appellation) O (d’Origine) C (Circassienne) à l’envie de six artistes tout juste diplômés du CNAC ainsi que d’une administratrice. En gardant cet atome solide, ils accueillent depuis leur création des électrons libres le temps d’un spectacle, d’ateliers, de projets. Fort d’une énergie abondante et de leur langage commun, ils créent et produisent en 2002 « La Syncope du 7 ». Ce spectacle leur permet de préciser et déterminer clairement l’ambition de leur compagnie : le mariage de plusieurs disciplines circassiennes, la manière de les faire s’embrasser, se confronter, « l’écrire ensemble » en prenant pour base leur passion du cirque, le temps d’un spectacle.
Avec « Question de Directions » en 2006, ils stabilisent leur scène de jeu avec l’acquisition d’un chapiteau : ils travaillent dès lors dans un espace circulaire. Le collectif AOC, de nos jours, est une véritable compagnie au style contemporain, qui va même au-delà de cette nomination puisqu’incessamment elle se renouvelle, entremêle le théâtre à la danse en gardant comme origine, le cirque. Les membres du collectif, à chaque création, cherchent plus précisément comment se décharger de l’énergie, comment tisser un lien avec l’autre. Dans Un dernier pour la route, ils s’attèlent plus précisément à comprendre comme les gens de la société (public compris) font pour vivre dans une société « hyper-codifiée ». Comment parvenir à exister avec l’autrui ?! Un véritable travail sur le « vivre ensemble ».
Harold Henning – chorégraphe
Metteur en scène belge, Harold Henning effectue tout d’abord ses études en art dramatique à l’INSAS, à Bruxelles. Une fois diplômé, il collabore des années durant avec des compagnies de danses telles que les ballets C de la B (http://www.lesballetscdela.be/#/fr/ ), SOIT/Hans van den Broeck (http://www.soit.info/homepage ) mais aussi des compagnies de théâtre comme Bronks (http://www.bronks.be/?lang=fr ) et Union Suspecte (http://www.wip-villette.com/spip.php?article108 ). En 2002, il fonde la compagnie Clinic Orgasm Society. Il devient également l’interprète de la compagnie d’Hans von den Broeck et contribue ainsi à la création de la quasi-totalité de ses spectacles. En 2007, il construit la structure Laps Productions (http://haroldhenning.com/ ), à travers laquelle il réalise dès lors ses projets. Son premier spectacle ‘Stay on the Scene’, produit en avril 2013 au festival Compil d’Avril à Bruxelles, a pour ambition de travailler le corps en lien avec le temps. En effet, Harold Henning dit lui-même “L’objectif est de réaliser la représentation physique, l’incarnation du souvenir d’un instant, d’une mémoire, qui est en train de s’effacer.” On peut dire qu’il réitère l’exploit à travers Un dernier pour la route du Collectif AOC, en tournée depuis 2013.
Scénographie
Le public est réparti sur des gradins, autour de la piste circulaire : dissimulés dans les gradins sortent alors une grand-mère, mais aussi hommes et femmes vêtus de rouge et noir, rampant sur le sol. Parmi les installations se trouvent trois mâts chinois, deux trapèzes, deux fils de funambulisme, un trampoline et une descente sur le bord de la piste. Des éléments de décor sont également présents, respectant l’univers contemporain des costumes et de la mise en scène : la table en est l’élément principal, il s’agit du point de rencontre et d’échange entre les personnages. Au dessus de cette table se trouve un lampion rouge, d’autres accessoires interviendront comme des tapis rouges, des bouteilles d’alcool, un sac à dos, un accordéon, des couteaux et du sable. La musique prend aussi une place importante. En effet, une batterie est sur la piste tout le long de la représentation et à cela s’ajoutent plusieurs instruments. Seule une musique préenregistrée est diffusée. Enfin, la lumière est utilisée de manière efficace : il y a peu d’effets hormis quelques douches et poursuites sur certains artistes ou bien sur la table, souvent mise en évidence. Le point phare de cette scénographie est donc la quantité d’éléments qu’elle contient et qui engendre souvent de nombreuses actions simultanées. Ainsi, le spectateur se voit décisionnaire de ce qu’il regarde car ne peut tout voir en même temps.
La relation, noyau de leur dramaturgie
Comment Un dernier pour la route, du collectif AOC, met-il en avant la question des relations entre les personnes ? Les réponses sont nombreuses, ainsi que les pistes de recherches autour de cette question. Leur volonté première était de représenter la société actuelle qu’ils caractérisent d’« hyper-codifiée ». En découlait ensuite leur souhait de montrer les relations que peuvent entretenir les êtres humains en dépit de cette société qui réduit de plus en plus l’humanité.
Dans ce spectacle, le collectif AOC laisse place à la théâtralité, ce qui permet de facilement ressentir et comprendre cette question de relation entre les gens. Le théâtre est un moyen de faire passer un message. Un dernier pour la route se sert de cela pour accentuer ce message et cette importance de la relation qui est entretenue dans la vie de toute personne mais aussi au sein de leur Collectif puisqu’il montre aussi les liens qu’ils ont tissés par une passion commune : le cirque.
Outre cela, on rencontre, dans le spectacle, les souvenirs d'une grand-mère, souvenirs qui peuvent quelques fois être flous, des passages de sa vie qui nous montrent l'importance de la relation. Des moments de rencontres, de premières relations avec un homme, des premiers sentiments, mais aussi toutes les premières sensations que l'on peut avoir en grandissant et en vieillissant. L'importance du toucher, du ressenti, de la sensation, du sentiment et du souvenir sont perçus à travers de la théâtralité mais surtout une bonne dose d’acrobaties. C'est comme être projeté dans la mémoire d'une vie. C’est ainsi qu’une scène érotique est mise à nue par trois trapézistes ou encore que les confrontations, les frictions entre diverses personnes sont développées autour du mât chinois, à plusieurs hauteurs.
Dans Un dernier pour la route, le collectif AOC développe l'importance de ces relations, mais il laisse un vide sur la question de la société. En regardant d'un peu plus près ce spectacle, on peut voir qu'il se raccroche à plusieurs préjugés ou des clichés de la société. La question de la relation est certes réellement noyau de leur nouvelle création, mais cette question d'une société codifiée reste en suspens. Bien qu’empli de prouesses acrobatiques et parsemé d’une trame autour du relationnel, le collectif nous suggère une réflexion plus poussée et tortueuse de la société et de la place des humains dans celle-ci. Une sorte de « médite là-dessus » qu’il lance à chaque spectateur à la fin du spectacle.
La temporalité, membrane du spectacle
Dans le spectacle Un Dernier Pour La Route du Collectif AOC (Appellation d’Origine Circassienne), un autre élément à prendre en compte est la temporalité. Le thème du temps est en effet présent et visible lorsqu’on sait qu’il existe. Toutefois, il existe sous deux formes différentes plus ou moins perçues par le spectateur.
Nous pouvons donc observer dans ce spectacle circassien, de par la scénographie et la dramaturgie, que le temps et le souvenir sont les thèmes les plus présents. En effet, la vieille dame que l’on retrouve au début ou à la fin introduit le fait que nous allons rentrer dans son passé, que tout le spectacle est composé de souvenirs provenant de sa vie. Ainsi nous apparait le temps qui passe au cours de sa vie.
La vieille femme arrive au début, comme si elle cherchait une place. Un artiste veut l’emmener à un endroit, elle ne veut pas, il insiste, elle lui met une claque. L’homme se met alors à l’embrasser.
C’est l’effet déclencheur, on remonte le cours du temps vers les souvenirs, les acrobates traversent la piste dans toutes les directions, revenant un peu moins habillés que la fois précédente. Serait-ce là la représentation du corps qui rajeunit, jusqu’à devenir nu à la naissance ? Le spectacle commence alors, avançant dans le temps et dans les souvenirs de la femme âgée, à travers plusieurs éléments. Dès le début, la rencontre entre deux enfants. La fille veut attraper un petit lampion mais n’y arrive pas et le garçon fait alors tout pour le lui donner : il grimpe en haut grâce à un crochet, se balance, fait semblant de glisser, de tomber, se rattrape. Une fois que la petite fille obtient l’objet de son désir, elle s’en va. Ceci est peut-être un cliché mais nous avons là la représentation romantique des « petits amoureux ». Nous avons ainsi durant le spectacle plusieurs visions d’une vie, de choses que l’on vit tous et qui sont nos souvenirs. Il y a l’ivresse, lorsque les acrobates courent dans tous les sens en rigolant et que l’un d’entre eux chante, nous avons le sexe, présent lors du duo de trapézistes, etc… Cependant, les éléments qui restent les plus compréhensibles sont les fantômes, au début. N’utilise-t-on pas l’expression « les fantômes du temps » pour parler des souvenirs ? Ainsi, recouverts par un tissu marron avec deux trous (pour y voir, question pratique), ils « hantent » la scène, présents en haut du trampoline et de la descente, sautant, criant. Ils vont jusqu’à transformer le « petit garçon » en fantôme. Cette scène prend la forme du rituel : les fantômes sautent sur place autour du trapéziste, resserre le cercle jusqu’à ce qu’on ne voit plus qu’une masse mouvante. Lorsque le cercle se défait, l’homme est devenu fantôme. Il n’y a plus personne au centre mais le trapéziste a, lui aussi, un tissu marron. Enfin, il y a le sable. Le sable est le symbole du temps, ainsi lorsque le sable tombe à la fin, nous avons la représentation d’un sablier et du temps qui passe. Les souvenirs sont passés, les faits déroulés, les êtres dépérissent mais le temps continue de filer, comme le sable qui s’écoule partout sur la scène.
Le second niveau du temps n’apparait que plus subtilement aux yeux du spectateur. Il concerne les artistes du collectif et leur volonté de faire un retour sur eux-mêmes, le groupe étant constitué d’acrobates âgés d’une moyenne de 35 ans. Le collectif AOC a donc émis le souhait de représenter leurs corps usés par l’âge, le temps et ainsi travailler sur leurs limites, tout du moins restreintes puisqu’ils ont consacré leur vie à l’exercice de leur travail circassien. Pour ce faire, ils se sont mis à nu au fur et à mesure – notamment dans le prologue, lorsqu’ils rampent sur le côté, quasiment nus, mais aussi à travers les costumes qui se délabrent durant le spectacle.
Ainsi, lorsqu’on connait les raisons, la présence du temps est évidente. Cependant, si on regarde le spectacle sans avoir lu l’avant-papier auparavant, il est difficile de cerner ce parti-pris et donc difficile de comprendre de nombreux éléments de ce spectacle.
Sources :
Introduction :
- http://iddac.net/site.php?rub=1&docId=224466
Collectif :
- http://www.festival-perspectives.de/fileadmin/user_upload/Presse/2014/Biographie/fr/3_Biographie_Collectif_AOC_FR.pdf
- L’avant-papier du spectacle.
Harold Henning :
- http://www.spectacles.fr/artiste/harold-henning/presentation
- http://haroldhenning.com/about/
- http://www.charleroi-danses.be/index.php?option=com_flexicontent&view=items&cid=3%3Aevents&id=1756%3Astay-on-the-scene&Itemid=113&lang=fr
Les relations:
- http://www.agora-boulazac.fr/wp-content/uploads/2014/01/Collectif-AOCcertifi%C3%A9-pur-cirque.pdf
- L’avant-papier du spectacle.
Le temps :
- L’avant-papier du spectacle.
Pour aller plus loin :
Quelques articles sur le spectacle :
- http://www.agora-boulazac.fr/wp-content/uploads/2014/01/Collectif-AOCcertifi%C3%A9-pur-cirque.pdf