Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
À la découverte de nos Worlds of interiors au TNT
Ana Borralho et João Galante sont deux artistes portugais qui se sont rencontrés pendant leurs études en arts visuels. À plusieurs reprises, ils ont participé comme acteurs et co-créateurs aux spectacles de la compagnie théâtrale OLHO. Depuis 2002, ils travaillent sur leurs propres projets communs et ont créé des performances d’art, de danse, de photographie, de son et de vidéos artistiques. Ils ont pour habitude de traiter de thème comme les relations entre le corps et l’esprit, l’intérieur et l’extérieur, l’émotion et le ressenti, le moi et les autres, ou encore le privé et le public. Avec worlds of interiors, ces deux artistes nous transportent au plus profond des performeurs ainsi que de nous-même.
Allongés à même le sol, les performeurs déclament des textes tirés de l’œuvre théâtrale de Rodrigo García. Leurs chuchotements nous entraînent au coeur de cette prose poétiquement enragée et nous poussent à nous interroger sur notre société contemporaine et sur les rapports qu’entretiennent les gens au sein de la société. La forme est originale, tout comme le fond. Lorsque nous pénétrons dans la nef, les performeurs sont déjà en place. Quinze corps immobiles chuchotent, devant les regards interrogateurs des spectateurs. Pas de gradins ; d’instinct, le public se place tout autour de l’espace scénique, qui n’est autre qu’un immense tapis noir. La forme fait ressortir le désir du public d’aller auprès des artistes. Après quelques instants d’hésitation, quelques téméraires s’aventurent à travers l’espace pour venir se placer aux côtés des performeurs. Seraient-ce d’autres acteurs qui entrent en scène ? Vraisemblablement pas. L’initiative ne tarde pas à être largement suivie. Ainsi, les spectateurs déambulent entre les corps inertes, semblables à des endormis qui parleraient dans leur sommeil. L’atmosphère est détendue et le silence se fait roi. Le spectateur flâne entre les textes cinglants de Rodrigo García. Chacun y trouve le performeur qui lui correspond. Le voyage au cœur des textes est entier car certains sont même déclamés en anglais ou en espagnol.
Les quinze performeurs ne font pas partie de façon permanente de la tournée d’Ana Borralho et de João Galante, ce sont des artistes locaux, recrutés sur place par les deux metteurs en scène. Ils sont habillés en civil, aucun signe ne les distingue des spectateurs, si ce n’est une oreillette discrète. Cette sobriété des costumes ainsi que l’aspect local des artistes conduit les spectateurs à s’identifier aux performeurs, ce qui permet une prise de contact rapide et une aisance dans l’échange. Chacun choisit un performeur et s’approche pour l’écouter. Certains s’assoient, d’autres s’allongent juste à côté d’eux pour mieux entendre. Certaines personnes restent à écouter le même performeur durant les deux heures de spectacle, pendant que d’autres choisissent d’errer d’un corps et d’un texte à l’autre.
L’atmosphère nous plonge dans un état de détente extrême. Le silence est presque total, tout le monde est calme, à l’écoute. Certains, même, sont tellement détendus qu’ils se laissent entraîner dans les bras de Morphée. La performance est agréable, seuls quelques ronflements peuvent gêner le calme qui règne au TNT. Elle explore la frontière entre le public et l’œuvre, elle cherche à rompre le quatrième mur en faisant venir les spectateurs au plus près de l’artiste et de l’art lui-même. Lorsque le spectateur pénètre sur l’espace scénique, il fait partie de la performance à part entière, il devient art. Worlds of interiors fait s’écrouler ce quatrième mur, comme une métaphore des barrières sociales qui s’écroulent lorsque le public vient au contact du performeur, s’allonger au plus près de lui afin d’écouter ce qu’il a à dire, sans se préoccuper de l’espace vital qu’il est coutume de respecter en société face à un inconnu. La performance trouve, cependant, certaines limites dans sa forme, le problème étant que l’on entend certains textes se répéter inlassablement d’un performeur à l’autre au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin du spectacle.
Worlds of interiors est une performance originale qui bouleverse les habitudes du spectateur et explore la frontière entre le public et le spectacle comme une métaphore des barrières imposées par notre société. Elle nous fait également réfléchir sur la société contemporaine au travers des différents textes de Rodrigo García. Ce spectacle plonge le spectateur dans une atmosphère très détendue qui appelle à l’attention et à l’écoute mais qui peut, à long terme, lui porter préjudice
Sources : http://www.letnt.com/; http://anaborralhojoaogalante.weebly.com/
Virginie Bonnici