Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 mars 2016 2 29 /03 /mars /2016 10:12

 

Critique du spectacle Timon/Titus, Collectif Os'o

 

© Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

"Avons-nous une dette envers vous?"

Le spectacle Timon/Titus est une pièce surprenante qui déjoue les codes installés d'une représentation et nous invite à prendre conscience de notre dette commune en bousculant nos attentes. Un formidable pied de nez mené avec talent par sept comédiens talentueux. Surprises, rebondissements, et spectaculaire sont au rendez-vous.

 

 

Doit-on payer ses dettes ?

 

         Sous le nom Timon/Titus, le collectif Os'o prend le public à parti pour offrir un spectacle où  les spectateurs sont amenés à se questionner sur leur rapport à la dette et sur le système de fonctionnement de notre société, qui en a instauré le principe ». En quoi sommes-nous tous concernés par celle-ci ? Et  les conséquences que peuvent avoir l'accumulation des dettes qu’elles soient financières, familiales, sociales...  Comment se sentir libre dans une société où tout est dette ?  Est-il possible de vivre en société sans être soumis à ce système ?

 

 

Un spectacle étonnant

 

            Le spectacle commence par un tableau macabre qui conforte le public dans son attente, il est venu voir des tragédies. Certains comédiens gisent à terre, sanguinolents. Une tête tourne sur un gramophone. Un homme torse nu en croix rappelle un supplicié. Cette image est comme une annonce au public : vous allez assister à un carnage. Pourtant, l'image lancée comme une publicité n'est qu'un leurre : le spectacle est construit de telle manière que le public soit en permanence déplacé dans ses attentes et bousculé dans ces habitudes, ses prévisions.  Alors qu'il s'attend à voir une tragédie, le spectateur assiste en réalité à la mise en scène d'un débat télévisé sur la dette. Les comédiens s'appellent par leur nom, ils transgressent ainsi l'illusion théâtrale, s'adressant directement à leur public. La confrontation des idées et des opinions est menée avec fougue par les comédiens assis chacun derrière des bureaux placés en fond de scène et à jardin, laissant libre l'espace central de la scène. Ils s'expriment à leur tour de parole, en allumant leur lampe de bureau, et avec un plastique de lumière vert ou rouge, ils soulignent leurs accords ou leurs désaccords sur les points de vue formulés.

 

            Le débat est mené avec énergie et entrain et finit par s'envenimer. Pour que la confrontation puisse trouver une issue, le collectif propose donc de jouer sous les yeux du public, une scène de vie de famille bourgeoise écroulée sous le nombre des dettes qu'ils ont les uns envers les autres. Le spectacle soudain change totalement d'ambiance, les comédiens se retrouvent à jouer au centre de la scène des membres d'une famille de cinq enfants qui viennent d'apprendre la mort de leur père. Ce qui ouvre alors la question dangereuse de l'héritage qui va tout faire basculer...  L'histoire se finit en pur carnage, les personnages s'entre-tuant par vengeance et haine.

 

            Les massacres des personnages rappellent bien sûr la tragédie dans les pièces de Shakespeare, mais ici le carnage est mis à distance grâce à son côté grand guignolesque qui permet de le rendre jouissif : voir les personnages s’entre-tuer et se relever ensuite, barbouillés de sang sur le corps est une des fantaisies du Collectif qui joue encore une fois sur la porosité entre réalité et fiction. Les artistes présentent donc un spectacle perturbateur car il joue avec les conventions théâtrales : il n'y a plus de quatrième mur, plus d'illusion.

 

            Les idées mises en place par le collectif Os'o sont très ingénieuses, le simple fait de jouer sur le titre de la pièce, en la nommant Timon/Titus, implique un certain public de connaisseurs qui s'attend à voir les pièces de Shakespeare, mais dès le début du spectacle un comédien vient s'excuser, il apprend à son auditoire que ni la pièce Timon d'Athènes, ni Titus Andronicus ne seront jouées ce soir. Pourquoi avoir alors nommé ce spectacle ainsi ? Le collectif a créé une attente chez le spectateur mais qui ne sera pas comblée ; il s'est donc formé une dette envers lui.

 

 

Une étroite collaboration

 

            La pièce du collectif propose aussi une interaction forte avec le public, qui est directement interrogé sur la question de la dette. Il est impliqué car il est en permanence sollicité à percevoir les différentes références aux œuvres de Shakespeare ; lorsque le public est plongé au cœur de la famille aristocratique, les personnages dépeints et leurs langages font directement référence à deux histoires de Shakespeare, et donne un point de vue sur la dette : dette de corps dans l’une et dette d’argent dans l’autre. Ainsi, parler de la dette a un caractère positif car avoir une dette envers son public, comme l'énoncent les comédiens à la fin du spectacle, permet de créer un lien entre la scène et la salle. S'ils ont une dette envers le spectateur, cela veut dire qu'ils sont, d'une certaine manière, attaché à lui.  A plus grande échelle, chacun est donc attaché à l'autre de part la dette qu'il a envers elle ou lui. La dette serait donc facteur de lien social, et permettrait de consolider les relations. Car lorsqu'on reçoit de quelqu'un, on peut avoir ce sentiment d'une dette qui alors pousse à la gratitude, à la reconnaissance pour la personne et donc à devenir plus attentif aux autres. Ainsi, avoir une dette c'est prendre conscience de la richesse du partage, des échanges de services. C'est pourquoi, le spectacle a permis de mettre en lumière la différence qu'il y a entre dette et obligation morale, la première est une décision libre, la deuxième est, au contraire, un devoir qui contraint d'agir, sans liberté, donc qui ne convoque pas les sentiments, qui laisse de marbre, et ne permet pas la collaboration.

 

            De plus, le jeu des comédiens est très énergique, ils savent retenir l'attention du public. Ils sont captivants sans rendre captifs ! C'est un spectacle qui veut à la fois être spectaculaire et performatif avec son côté sanguinolent et à la fois réflexif avec la question de la dette. D'ailleurs, une vraie réflexion est menée par ce débat car les comédiens exposent chacun des points de vue singuliers et totalement différents, le public est donc confronté aux différentes opinions et il peut, à leur écoute, se construire sa propre idée sur le principe de la dette et amener chacun à se questionner plus largement sur le monde.

           

            Le spectacle est donc à mettre en rapport avec les spectacles de rue où chacun assiste à un événement en participant aussi bien par sa réflexion que par sa disponibilité d'écoute et d'être émerveillé, laissant l’œuvre questionner chacun à sa manière. En effet, dans leur attention au spectateur, leur adresse directe, et le débat qu'il mène au sein de leur pièce, chacun des comédiens a à cœur d'être proche du public, de le rencontrer dans sa différence. Et leur jeu énergique porte le spectateur à être au plus près de l'action menée ; ainsi une véritable collaboration est permise grâce à ce spectacle haut en couleur.

 

        Pour conclure, le collectif Os'o réussit avec brio, une pièce d'une inventivité remarquable, grâce à une équipe soudée et un profond désir de rencontre du public.

 

Rachel Masurel

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog du krinomen
  • : Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
  • Contact

Recherche