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25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 12:47

 

Animation du krinomen du 30 janvier 2014 :  Eva Foudral, Richard Manoury, Gaëtan Ranson, Hélène Godet, William Petipas et Maïlys Habonneaud 

 

Prise de notes et rédaction du compte-rendu : Hélène Godet et Maïlys Habonneaud

 

 

Swamp Club de Philippe Quesne et du Vivarium Studio, présenté au Carré des Jalles le 24 janvier

 

Cette séance a commencé par une brève reproduction de quelques images phares du spectacle. Les animateurs, vêtus de peignoirs, erraient avec lenteur derrière les vitres de la salle d’exposition jusqu’à l’arrivée vacillante de la taupe malade. Chaque animateur du débat s’est ensuite emparé d’un petit groupe d’étudiants pour les entrainer jusqu’à la salle de spectacle à travers des chemins différents. Ces petits groupes avaient pour but de créer un cadre intime et accueillant pour le krinomen en référence à l’accueil des résidents effectué dans Swamp Club. Pendant cette déambulation, les participants ayant vu le spectacle étaient chargés de le décrire aux autres. Le débat en grand groupe commença donc par un retour sur les différents éléments du spectacle (la scénographie, le jeu des comédiens, la narration, etc.) qu’avaient pu comprendre les étudiants ne l’ayant pas vu, accompagnés des précisions apportées par les autres.

 

 

La scénographie imposante alourdit-elle le spectacle ou le sublime-t-elle ?

 

La scénographie est retenue comme un point intéressant du spectacle. Très élaborée, elle est une œuvre plastique esthétique qui capte l’attention. Le spectateur est entrainé dans un cadre beau et utopique. Il est précisé que Philippe Quesne est issu d’études en art-déco et que son métier consiste également à créer des installations. Un grand nombre de ses spectacles ont été réalisés sur le thème de la nature. On retrouve par exemple sur le plateau de Swamp Club un marécage, une grotte et de la végétation. Lors du bord de scène, ce dernier a fait référence à sa passion pour le vivarium qu’il possédait étant petit et grâce auquel il observait des phasmes. Le plaisir de la contemplation lui viendrait de là et cela expliquerait pourquoi ses spectacles (se) placent dans cette lenteur de l’observation. Philippe Quesne revendique l’importance de prendre le temps de regarder, la banalité d’un quotidien comme celui présenté dans Swamp Club est pour lui quelque chose d’aussi fascinant que la lenteur d’une vie d’insecte de vivarium.

 

Si la scénographie fait l’unanimité, il en est autrement pour le reste des éléments du spectacle. Compte-tenu de l’exploitation très aboutie du décor, le spectateur, placé au départ dans un mode contemplatif, peut s’attendre à ce qu’il se passe quelque chose, à ce qu’il y ait du mouvement autour de ce dispositif. Mais durant 1h40, rien ne se passe entre scène et salle, comme si la scénographie l’avait emporté sur le reste du spectacle. C’est ainsi que les acteurs et leurs personnages se retrouvent écrasés par la construction. Ils n’existent plus face à ce décor proéminant, d’autant plus que leur jeu est très réduit, lent et discret. Même lorsque le Swamp Club est en danger et que le spectateur s’attend à un état de panique, les personnages restent égaux à eux-mêmes : « peu approfondis, plats et monocordes », pour reprendre les termes de Maxime. Le jeu reste inchangé tout au long de la représentation, particulièrement axé sur les déplacements longs et fréquents, qui sont parsemés de dialogues caractérisés comme ennuyeux et sans fond.

 

Cet avis n’est pas partagé par l’ensemble de l’assemblée puisque Chloé caractérise la scénographie comme un jeu de poétiques. Le metteur en scène présente un lieu utopique dans lequel les personnages évoluent à leur rythme. On assiste à la douce déambulation des acteurs dans les différents tableaux, les différents espaces proposés par le dispositif. Les acteurs et leurs personnages ne sont pas effacés par le décor, puisqu’ils en font partie, ils interagissent avec et entre eux et amènent le changement. La taupe, par exemple, est un élément déclencheur du changement de scénographie et de mouvement.

 

L’assemblée s’accorde à dire qu’il s’agit d’un spectacle sur le rêve ou sur un monde parallèle. On y voit une secte, un robin des bois, divers éléments désorganisés et incongrus. Comme dans un rêve étrange, les mouvements sont lents, on peut jouer avec le temps. Des artistes rêvent cette utopie pour pouvoir créer à volonté. Il n’est pas possible de créer dans le monde réel alors l’artiste doit s’isoler. Une image photographique géante de la ville, déplacée et posée sur la scène, met en avant le contraste entre le monde utopique de l’artiste et l’extérieur. On fait un parallèle avec ce qui se passe en ce moment à Berlin : les artistes sont victimes d’exclusion alors ils se créent leur idéal, dans un espace à part. Comme des soixante-huitards qui auraient maintenant 60 ans, les personnages s’habillent à la mode « djeun’s » d’antan en prônant l’anarchie. Ils veulent un monde à eux et combattre ceux qui les en empêche.

 

C’est un lieu irréel dans lequel circulent les légendes. L’absurdité de cet endroit est, selon certains, tournée comme une banalité. Des participants au débat considèrent au contraire  ce lien entre absurdité et banalité comme quelque chose d’intéressant : cela crée une étrangeté pertinente à leurs yeux et permet de rendre poétique un jeu quotidien. Cette question de la banalité oppose : la discussion des personnages autour des pépites d’or est banale et « vide d’émotion », ce qui est contradictoire avec leur étrangeté, et pour certains, cette absurdité est annihilée par son traitement quotidien. Ces pépites d’or en polystyrène, comme le costume de Robin des bois tout droit sorti d’un magasin de farce et attrape, sont des éléments qui discréditent le spectacle et les effets d’étrangeté qu’il cherche à créer.

 

 

Toute cette fiction et ces effets spéciaux rendent-ils le spectacle cinématographique ?

 

Le quatrième mur, les différents espaces, la fumée, la présence des micros sont autant de détails qui renvoient à un univers cinématographique. Ce qui amène certains à penser que le spectacle serait plus intéressant adapté au cinéma. Au théâtre, les micros créent de la distance, ils incitent les acteurs à tourner le dos à la salle et, pour certains, empêchent le contact. Les acteurs sont entre eux dans le vivarium et le public n’a pas sa place. Le jeu quotidien et intime correspond au jeu que l’on trouve souvent au cinéma. D’autant plus que les mouvements de la caméra et les plans choisis ajouteraient du dynamisme. Puisque l’important est d’abord la scénographie, l’image, Swamp Club aurait pu faire un intéressant court-métrage.

 

Cet opinion n’est pas partagée par tout le monde puisque ce dispositif théâtral permet au spectateur d’avoir une vue d’ensemble, contrairement au cinéma qui oriente son regard. Ici, on a le choix. Une étudiante précise : « je ne cherche pas à comprendre, je regarde ce que je veux ».

 

D’autres pensent que le spectacle est donné à voir avec le regard d’un enfant. L’histoire ressemble à celle qu’aurait inventée un parent pour son enfant, une histoire hésitante, pas toujours cohérente, mais une histoire douce et belle. Philippe Quesne entrainerait ainsi le spectateur dans son univers personnel. Il se livre, montre sa maison, son jardin, sa personnalité, sa bulle naturelle et écologique dans lesquels « on est invité comme chez des amis », précise un étudiant.

 

 

Les animateurs du Krinomen proposent ensuite aux participants de visionner une vidéo sur le spectacle. Celle-ci ne dure que quelques minutes et rassemble différents extraits, elle permet aux étudiants n’ayant pas vu le spectacle de mieux comprendre ce que les autres ont pu leur dire de la scénographie et du jeu des comédiens. Les réactions face à cette vidéo sont rapides et positives : les participants au Krinomen, qui pour certains découvrent le spectacle avec cette vidéo, sont nombreux à exprimer leur désir de le voir « en vrai » et en entier, et leur incompréhension face au rejet global du spectacle. Certains étudiants ayant vu le spectacle prennent ensuite la parole pour expliquer aux autres pourquoi cette vidéo donne une vision positive et erronée, à leurs yeux, du spectacle. La vidéo centre le regard sur la verrière et en montre l’intérieur très facilement ; pourtant, dans la réalité du spectacle, cette verrière n’est qu’un élément de la scénographie et il s’agit en fait d’une petite partie du plateau. Il est moins facile de percevoir ce qui se passe dans la verrière quand on est spectateur du spectacle que lorsqu’on voit la vidéo. La vidéo montrerait également les trois meilleures blagues du spectacle et cela expliquerait les rires entendus pendant sa diffusion : celle-ci donnerait à voir tous les passages intéressants du spectacle en cinq minutes.

 

 

Un spectacle représentatif d’une forme spectaculaire contemporaine ?

 

Nous nous demandons ensuite si Swamp Club peut s’inscrire dans un genre de spectacles particuliers et contemporains, qu’une étudiante dit trouver assez courants et caractérise comme des spectacles ironiques et décalés. Swamp Club, par la présentation à la fois banale et absurde qu’il fait d’un quotidien assez ordinaire, jouerait avec ces nouveaux codes du théâtre contemporain : l’expérimentation, l’importance de l’image et des effets spéciaux spectaculaires. Le travail plastique présent dans la scénographie de Swamp Club est aussi, pour certains étudiants, un élément qui rejoint cette idée : l’image pour l’image, les sensations dominant le « sens ». Le but de ce théâtre serait de mettre le spectateur dans une position de contemplation esthétique plutôt que de tenter de l’amener vers un propos précis, déterminé.

 

Quelques étudiants rapprochent Swamp Club d’un autre spectacle vu au premier semestre,  Au pied du mur sans porte, de Lazare. Les points communs qu’identifient les participants au débat entre ces deux spectacles sont l’importance de la scénographie, le travail très précis sur la lumière et surtout le fait de perturber les codes habituels du théâtre en brouillant le sens et la narration traditionnelle. Pourtant, certains étudiants s’opposent à cette interprétation : pour eux, ces deux spectacles n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Au pied du mur sans porte, contrairement à Swamp Club, ne proposerait pas un regard contemplatif au spectateur. La fable du spectacle, déconstruite et décousue, n’aurait rien à voir avec le quotidien lent de Swamp Club. La parole adressée directement au spectateur, la rapidité des changements de plateau et d’états de personnages apporteraient une étrangeté à la narration qui n’aurait rien de banale et de quotidienne. Le propos d’Au pied du mur sans porte est également selon certains défini et exprimé clairement pendant le spectacle, contrairement au flou laissé au spectateur quant à l’interprétation de Swamp Club.

 

 

La lenteur est-elle l’ennemie du spectateur ?

 

La troisième partie de ce Krinomen reprend une question déjà évoquée dans le débat pour tenter de l’approfondir : nous nous intéressons de façon plus générale à la lenteur comme élément principal d’un spectacle. La question de départ est : « La lenteur est-elle l’ennemie du spectateur ? ». Les participants doivent alors se positionner en accord ou en désaccord face à la position portée par cette question. Les deux groupes se séparent avec pour objectif de réfléchir à des arguments pouvant étayer leur opinion. Les débats se font en plus petits groupes et la prise de parole peut donc s’en trouver simplifiée. La réflexion dans chaque groupe tente d’aller vers la précision des arguments qui se complètent plutôt que dans la recherche de contradictions. Les deux groupes se rassemblent ensuite pour s’exposer l’état de leur réflexion et le débat se poursuit à partir des différents arguments qui ont été trouvés dans les deux groupes.

 

 

« La lenteur n’est pas l’ennemie du spectateur »

 

 

La notion générale de « lenteur » semble être tout d’abord difficile à définir. Ce groupe s’interroge sur la lenteur en exprimant un premier avis : d’un spectacle à l’autre, la lenteur est différente et il est donc complexe d’essayer de généraliser ce qui ne s’observe que dans des cas particuliers. En effet, la lenteur peut être utilisée de façon pertinente ou pas et, de la même manière, peut ou non servir à créer des changements de rythme susceptibles d’enrichir le spectacle. L’animateur de la discussion propose donc, face à cette difficulté, de recentrer cette question sur Swamp Club en se demandant si, dans ce cas précis, la lenteur évidente dans le rythme du spectacle et dans le jeu des comédiens porte le spectacle. Les participants de ce groupe s’accordent à dire que dans ce spectacle, la lenteur apporte de la douceur et du calme. Cela paraît être une chose positive pour ce groupe, qui précise que cela ajoute à la dimension onirique de la scénographie évoquée plus tôt.

 

Un participant souligne le fait qu’au cinéma, le spectateur est plus habitué à la lenteur et à voir des films contemplatifs. Un spectacle comme Swamp Club, ou plus largement le travail du Vivarium Studio, tenterait par sa lenteur de proposer aussi au théâtre un espace de calme et de contemplation, et donc d’inventer un rapport au spectacle différent, centré sur la plasticité de sa scénographie et la présentation surréaliste d’un quotidien assez banal. Il est intéressant pour ce groupe de présenter au théâtre du calme et de la lenteur, car le théâtre doit aussi pouvoir être un lieu qui permette de se sortir du quotidien, il doit pouvoir proposer un espace se différenciant du rythme effréné dans lequel le spectateur était, avant d’arriver dans la salle.

 

 

« La lenteur peut être l’ennemie du spectateur »

 

 

Pour le second groupe, la lenteur d’un spectacle peut être problématique. En effet, un spectateur lambda est par principe, selon eux, dans l’attente de mouvement et de dynamisme ; la lenteur aurait donc, ici, un effet élitiste qui ne permettrait qu’aux spectateurs habitués du théâtre d’apprécier le spectacle. Il faudrait être dans une démarche favorable à la contemplation pour se laisser porter par un spectacle comme Swamp Club et cela laisserait de côté un certain nombre de spectateurs qui cherchent à voir un spectacle dynamique. Ce groupe précise aussi que, si la contemplation peut être intéressante, elle demande une attention et une concentration plus difficiles à trouver et que souvent, la contemplation peut se transformer en ennui, voire en endormissement.

 

La lenteur est également critiquée par ce groupe, qui souligne que beaucoup de spectacles contemporains utilisent la lenteur pour se montrer « penseurs » et paraître plus intellectuels. Cette utilisation est dénoncée comme relevant plus d’une posture d’artiste que d’une sincérité de proposition.

 

 

La taupe se lève, fait quelques pas et s’effondre : le Krinomen arrive à sa fin.

 

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